Cette présence dense laisse supposer la quotidienneté de micro-déplacements effectués à travers champs, selon les brèches qui se creusent dans les haies profondes. L’entraide, l’échange de services entre parents, amis ou voisins, l’éducation sentimentale alimentent ces courts déplacements qui tissent sur le bocage de subtils réseaux, plus ou moins serrés selon la qualité des relations et la teneur des sentiments.
Alain Corbin, Le monde retrouvé de Louis François Pinagot, Flammarion
Les vents d’ouest soufflent violents L’oie sauvage crie au fond du ciel glacé de lune matinale Glacés de lune matinale Les chevaux trottent, sabots claquants Les clairons sonnent, graves et lents…
l’année dernière, au troisième mois, sur le sentier au bord de la rivière, je marchais en regardant les fleurs des pêchers arriver jusqu’à ta maison aujourd’hui je passe à nouveau, tu n’es plus là les fleurs des pêchers sont comme jadis, pareilles à des nuages embrasés
De son vrai nom : Eizō Yamamoto, ce poète japonais est plus connu sous son seul prénom de moine Ryōkan (signifiant « Grand-Cœur »)
1747 Pierre Cochard se marie avec Marie Goupil : « le 27 novembre 1747, après les fiançailles en la publication de trois bans faites tant en cette église qu’en celle de Saint Aubin de Baubigné et en le témoignage de monsieur le curé qu’il n’a été trouvé aucun empêchement canonique je Curé soussigné avoir reçu le consentement mutuel du mariage de Pierre Cochard, fils mineur de François Cochard et de défunte Anne Ouvrard __ de la paroisse de Saint Aubin de Baubigné et de Marie Goupil, fille mineure de défunt Mathurin Goupil et de Louise Jalteau vu en cette paroisse ensuite de quoy je les ay par paroles de présent conjoints en mariage et leur ay donné la bénédiction nuptiale en présence de François Cochard père du proparlé, Hugues Cochard son oncle . Louise Jalteau mère de la proparlée, de Jean Goupil son frère, de Jean Jalteau son oncle et plusieurs autres personnes qui ne disent ne pas savoir signer sauf le soussigné (signature de Jean Goupil) » Coudrin Curé des Cerqueux de Maulévrier
De cette union vont naitre neuf enfants.
1748 Le 6 novembre 1748 Pierre Cochard qui habite alors La Grande Goinière à Saint-Aubin-de-Baubigné fait baptiser son premier fils François en l’église des Cerqueux de Maulévrier. Le village des Cerqueux étant beaucoup plus près de la Goinière que celui de Saint Aubin. L’acte est signé par le curé Coudrin. Le parrain est François Cochard, le frère de Pierre, et la marraine est Louise Jalteau.
1763 François Cochard a seize ans lorsque sa mère Marie décède suite à l’accouchement de son neuvième enfant, Jeanne, la petite sœur de François, née le 21 décembre 1763. François est déjà soutien de famille, il aide son père aux travaux des champs et s’occupent de ses frères et sœurs quant-il le peut.
1765 Après le décès de Marie Goupil en 1764, Pierre Cochard se remarie avec Jeanne Ogereau, dont il aura quatre enfants.
1775 Après le décès de Jeanne Ogereau, Pierre Cochard se remarie pour la troisième fois avec Mathurine Charbonnier le 21 février 1775. De cette union vont naitre six enfants.
Pierre Cochard se sera marié 3 fois et aura engendré 19 enfants en 42 ans. Il aura vu la naissance de son premier enfant alors qu’il était âgé de 25 ans et celle du dernier à l’âge de 67 ans.
La tribu Cochard s’ancre sur un territoire regroupé autour du château de la Sévrie
La famille, la tribu (80 individus), Cochard s’implante progressivement entre Les Cerqueux de Maulévrier et Saint Aubin de Baubigné, qui était alors un seul et même territoire, dans les fermes et les métairies propriété de la famille de la Haye-Montbault, occupant du Château de la Sèvrie ou de la famille Monnier propriétaire du Château de la Cantinière.
Archives Départementales des Deux-Sèvres, Saint Aubin de Baubigné, cadastre napoléonien
Archives Départementales des Deux-Sèvres, Saint Aubin de Baubigné, cadastre napoléonien Les Margirandières
Les Cochard vont occuper la ferme de la Sèvrie, celles de la Roche Mousset et de la petite Roche Mousset, de la Goinière et de la Petite Goinière, Le Pinier, La Cantinière et Les Margirandières.
François Cochard, digne successeur de son père
1776 A 28 ans, François, le fils ainé de Pierre, se marie avec Marie Vigneau née en 1753, de cinq ans sa cadette. Ils vont avoir quatre enfants. Marie, décède, comme la mère de François, des suites de l’accouchement de leur dernier enfant, prénommée également Jeanne.
1783 Le 21 mai 1783, François se remarie avec Marie Chapeau en l’église de Saint-Aubin-de-Baubigné. L’acte est signé par Gautronneau, vicaire, les témoins sont Pierre Cochard, son père, Mathurine Charbonnier, sa deuxième belle-mère, Perrine Logeais, la mère de Marie et Pierre Besson. De cette union naîtront sept enfants.
François se sera marié 2 fois et aura engendré 11 enfants en25 ans.
Pierre et François, signataires du cahier de doléances des Cerqueux de Maulévrier
Article 1 : Nous demandons l’abolition de la gabelle en général, attendu les inconvénients qui en résultent Article 2 : L’abolition de la taille en général pour y substituer un impôt tellement fondé en principe que chaque individu connaissant ses facultés puisse connaître sa taxe en raison de celle de la paroisse Article 3 : La suppression des privilèges pécuniaires et des nobles et des ecclésiastiques Article 4 : La suppression des privilèges des habitants des villes et des particuliers qui sont taxés d’office pour supporter comme les autres sujets du Roy un impôt égal Article 5 : Nous désirons l’établissement d’Etats paroissiaux pour la province d’Anjou distincts et séparés de ceux des provinces du Maine et de Touraine, dans lesquels Etats paroissiaux, le Tiers Etat sera pour moitié et dans cette moitié que les habitants des campagnes comme le plus nombreux en forment les quatre cinquièmes Article 6 : Nous désirons la continuation des assemblées municipales et que ces assemblées soient chargées de la juste répartition des impôts et de présenter aux Etats provinciaux les besoins de la paroisse pour être autorisés à établir des taxes particulières et rendre compte aux Etats provinciaux de la répartition et emploi des fonds sans intervention ni inspection des intendants et subdélégués Article 7 : Nous demandons l’abolition des huissiers priseurs-vendeurs de meubles Article 8 : La suppression des droits d’aides et remboursement des traites aux barrières du royaume pour faciliter le commerce interne Article 9 : Nous désirons que la perception, collecte et comptabilité soit faite et versée par les paroisses aux Etats provinciaux, lesquels verseront eux-mêmes directement dans le Trésor Public le produit des impôts de leur province Article 10 : Qu’il soit établi un impôt particulier sur les gens à portefeuille, négociants, rentiers Article 11 : Qu’il soit établi dans la paroisse un hospice pour les pauvres et que l’assemblée municipale puisse être autorisée dans les temps de calamités à établir une taxe pour le soulagement des malheureux sous l’inspection des Etats provinciaux Article 12 : La réformation des droits de contrôle et la suppression des droits de francs-fiefs et de centième denier pour les successions collatérales Article 13 : Que les bois et étangs soient sujets aux oppositions comme les autres fonds Article 14 : Que partie des deniers que la paroisse paye pour la réparation des chemins royaux soit employée et destinée à la réparation des chemins de la paroisse en ayant le plus grand besoin est qu’au lieu d’être occupé à travailler au grand chemin et à un atelier de charité ils ne pourront être occupé qu’à l’un ou l’autre seulement Article 15 : Nous demandons qu’au lieu d’être forcés au tirage de la milice et de se transporter à la subdélégation, ce qui occasionne de grands frais, la paroisse s’oblige de fournir les hommes de bonne volonté qu’elle sera obligée de fournir au Roy parce qu’un pauvre père qui n’a qu’un fils qui fait toute sa ressource s’en trouve privé
Le présent cahier de doléances (Archives départementales de Maine et Loire, Cahier de doléances 1789, Les Cerqueux deMaulévrier, cote 1B 61, n° de chemise : 11, Le Moy (André), Cahiers de doléances et corporations de la ville d’Angers et des paroisses de la sénéchaussée, Angers, Burdin, 2 vol. 1915-1916) a été fait et arrêté par les habitants de la paroisse des Cerqueux de Maulévrier en présence de nous, Pierre François Mondelet, avocat postulant de la ville et du comté de Maulévrier assisté de Maitre René François Bodi, notaire du comté de Maulévrier que nous avons commis comme notre greffier dont nous avons donné acte aux habitants qui savent signer.
Le cahier de doléance est ensuite lu et soumis à l’assemblée du village réunie : « Aujourd’hui quatrième jour de Mars 1789 en assemblée convoquée au son de la cloche en la manière accoutumée ont comparu au bourg et paroisse des Cerqueux en la maison de Felix Leroux, aubergiste, lieu désigné à cet effet par devant nous Mondelet avocat postulant de la ville et du comté de Maulévrier assisté de Maitre René François Bodi, notaire du comté de Maulévrier que nous avons commis greffier… Tous nés français ou naturalisés, âgés de 25 ans compris dans les rôles des impositions, (Votaient au général les hommes de plus de vingt-cinq ans qui payaient au moins 10 livres d’impôts par an (environ 150 euros d’aujourd’hui)) habitants tant de ce bourg que de cette paroisse composée de cent feux ou environ… …lesquels pour obéir aux ordres de sa majesté, portées par ses lettres données à Versailles le 24 janvier dernier pour la convocation des Etats Généraux du Royaume et satisfaire aux dispositions du règlement annexe ainsi qu’à l’ordonnance de Monsieur le Lieutenant particulier de la Sénéchaussée d’Angers […] du 14 février dernier dont ils nous ont déclaré avoir une parfaite connaissance tant pour la lecture qui vient de leur en être faite, que par la lecture et publication faite le dimanche courant au prône de la messe de la paroisse par Monsieur le Curé dudit lieu et par la lecture, publication et affiche parallèlement faite au-devant de la porte de l’Eglise…
Pierre Cochard et son fils ainé François sont membres de l’assemblée communale et signataires du cahier de doléances, ce qui indique qu’ils faisaient partie des métayers qui payaient au moins 10 livres d’impôts par an, les classant ainsi dans la catégorie des laboureurs évoqués par Ernest Pérochon dans son roman Nêne, ce qui nous laisse présumer qu’à défaut d’être riches ou à l’aise, ils n’étaient pas non plus indigents ou mendiants.
Dans ce cahier de doléances des Cerqueux, les habitants se montrent plutôt progressistes, réclamant notamment avec insistance la suppression de la gabelle et des mesures pour aider les pauvres. Le cahier a été établi avant l’assemblée communale et il est rédigé de la main du greffier, René-François Bodi, notaire. Il reflète, probablement plus, l’opinion de la famille Bodi dont le père avait été Procureur fiscal du comté de Maulévrier et dont l’un des fils, Victor Bodi, devint avocat en 1776 puis fut élu, juge de paix du canton de Maulévrier, que celles des habitants, pour la plupart analphabètes et surement moins au fait des connaissances et informations dont disposait le notaire. Article 1 : L’Anjou était pays de « Grande Gabelle ». Le Poitou faisait partie des provinces « rédimées » où l’on payait le sel de 8 à 10 fois moins cher qu’en Anjou. Les marches communes d’Anjou et du Poitou consistaient en une bande de territoire située à cheval sur les deux provinces. C’est au travers de cette bande de terrain qu’œuvraient les « faux-sauniers », les contrebandiers de sel. Article 2 : La taille était l’impôt roturier par excellence. Mais nombre de roturiers étaient exemptés de taille : bas officiers de justice et de finances, bourgeois de certaines villes, laquais des riches, etc. Or la taille était un impôt de répartition, c’est-à-dire que le gouvernement en fixait chaque année le montant. Dès lors, plus grand était le nombre des exemptés, plus lourd était le poids de l’impôt pour ceux qui le payait. L’article 7 qui réclame l’abolition des huissiers priseurs-vendeurs de meubles semble être une revendication contre les bourgeois. Était-elle le reflet du ressentiment des habitants des Cerqueux ? Le 8ème article traduit, lui, la volonté de « protéger » le pauvre à ne pas sombrer dans la mendicité, considérée comme un délit. En effet, « un tiers des habitants vivaient de mendicité ; l’autre tiers de gêne ou de mendicité ».
A la lecture du cahier de doléances des Cerqueux, les habitants semblent souhaiter des évolutions ; moins d’impôts, plus d’autonomie dans la prise de décision, expriment des ressentiments vis-à-vis des profiteurs, gens à portefeuille, négociants, rentiers, souhaitent que les fils ne soient pas enrôlés dans la milice et qu’ils puissent réparer leurs chemins plutôt que ceux du Roi.
Ils ne semblent pas défavorables au monde nouveau qui s’annonce… mais pourtant…
Les parents de Philomène, Louis Cron et Justine Gabard se sont mariés à Boussais le1er juillet 1879. Ils s’installent à la Chévrie, petit hameau perché sur sa colline, de la commune de Boussais, qui sera pour de longues années le lieu de vie principal de la famille Cron.
Ils vont avoir 6 enfants : Joséphine en 1880 Joseph en 1882 Benoni en 1884 Philomène en 1887 Narcisse en 1891 qui décédera à l’âge de 2 mois Albeline en 1893
Mais la vie des enfants Cron va n’être quasiment qu’une suite d’événements douloureux.
Le destin tragique de Joséphine Cron
Née le 27 février1880, Joséphine a 22 ans lorsqu’elle donne naissance à un fils, Henri Bénoni, le 8 avril 1902.C’est son père Louis qui vient à la mairie de Boussais pour déclarer la naissance de l’enfant. L’enfant est déclaré, né de père inconnu.
2 jours plus tard, le 10 avril 1902, Joséphine meurt des suites de l’accouchement.
L’enfant Henri Bénoni Cron est alors confié à la famille Bertaud. François Bertaud avec son épouse Eugénie accueille des enfants de l’hospice (recensement de Coût Pompaire Deux-Sèvres de 1891) ou des pupilles (recensement de 1901). A moins de 5 mois, Henri Bénoni meurt, le 25 août 1902.
La déclaration de décès est effectuée par Bachelier Sincère Jean, qui a alors 25 ans. Il est accompagné de François Bertaud. Il nous est permis de présumer que Bachelier Sincère Jean était le père « inconnu ». C’était un homme marié.
En effet, il s’était marié le 3 octobre 1899 à Pompaire avec Marie Euphrosine Fréjoux. A cette occasion le couple reconnut leur enfant « naturel », Clément Bachelier né, hors mariage, le 7 juillet 1894. Ce fils trouva la mort sur le champ de bataille le 28 février1915 à Zonnebeke en Belgique.
Le couple Bachelier – Fréjoux eu quatre autres enfants.
Autre destin tragique celui de Bénoni Cron
Benoni naît le 13 août 1884. Lors du recensement de 1906 à L’Hopiteau de Boussais, nous retrouvons Bénoni qui est laitier chez le fermier Aristide Roy. Il a 22 ans. Benoni meurt en 1910, à 26 ans, sans qu’on en connaisse la cause.
Le prénom Bénoni a été donné à 2 reprises dans la famille Cron. Benoni qui meurt à 26 ans et Henri Bénoni l’enfant de Joséphine mort à 5 mois.
Or l’étymologie du prénom Benoni vient de l’hébreu et se traduit : « fils de ma douleur ». Nombre de parents, qui pensent, le prénom Bénoni, italien, à cause de sa sonorité, sont donc loin du compte. Par sa signification, c’est du féminin Dolorès que Benoni est le plus proche.
Le nom de « fils de ma douleur » était, hélas, on ne plus approprié… pour la famille Cron.
Le destin non moins tragique de Joseph Cron
Joseph nait le 29 mars 1882. Le 4 juillet 1910 il se marie à Coulonges-Thouarsais avec Marie Louise Mineau. A 32 ans, il est mobilisé le 1er août 1914 comme des milliers d’autres soldats. Il arrive au corps le 11 août 1914. Il est tué à Zonnebeke en Belgique le 27 novembre 1914.
La Bataille de Zonnebeke : « L’hiver oublié 1914-1915 » (BOSSY-GUERIN Sylvie, Histoire du 77ème RI, 18 octobre 2015) En automne 1914, à Zonnebeke en Belgique, le 9ème corps français composé de 2 divisions dont le 77ème RI de Cholet et le 135ème RI d’Angers, de 2 divisions de cavalerie ainsi que l’armée anglaise combattent contre l’armée allemande. Cette bataille détruit la ville de Zonnebeke, l’église, les maisons du village, des fermes. La population fuit le village et se dirige vers la France. Les armes utilisées sont des canons avec des lancements d’obus ainsi que des fusils. Les soldats se réfugient dans des maisons bombardées ou campent dans des fossés et avancent vers l’ennemi en creusant des tranchées. Les conditions de vie sont difficiles avec en permanence le bruit des canons et le sifflement des obus. Les soldats sont souvent dehors dans les tranchées avec beaucoup de morts et de blessés, ils ne peuvent pas toujours dormir. Ils mangent des aliments froids, ils boivent peu d’eau parfois du vin « pinard ». Ils n’ont pas de toilettes, ont souvent des diarrhées et des maladies en lien avec le manque d’hygiène.
Selon les extraits des journaux de Georges Cottenceau et de Joseph Bellouard, la bataille a complètement détruit la ville, c’est une véritable boucherie quotidienne, les canons et les obus n’arrêtaient pas de se faire entendre, les blessés mutilés n’arrêtaient pas de se plaindre. Le bilan militaire Français est très lourd notamment entre le 23 octobre et le 13 novembre 1914. En 21 jours il y a eu 7 529 morts, 24 571 blessés et 9 150 disparus.
La vie d’Albeline Cron, ne fut pas, non plus, un long fleuve tranquille
Albeline a 27 ans lorsqu’elle donne naissance à son fils Paul en 1920. Son fils est déclaré de père inconnu et porte le nom de sa mère. N’étant pas en mesure d’élever son fils, elle le confie à sa sœur Philomène qui « l’adopte ». Sa fille, Marie Philomène, naît trois ans plus tard dans les mêmes circonstances.
Albeline se marie, ensuite, avec Ernest Poignant en avril 1924, dont elle aura une fille Germaine en 1925.
Auguste Bourdin est domestique dans une métairie de Chiché, commune voisine de Boussais avant qu’il ne fasse son service militaire, qui en 1905 vient de passer à une durée de 2 ans. Il rentre au 114ème Régiment d’Infanterie de Parthenay, le 9 octobre 1905. L’entrée à la caserne est un énorme changement pour Auguste, les lieux sont propres, spacieux, il y a l’eau courante, il a son lit rien qu’à lui. Ce n’est pas ce qu’il a connu ni chez ses parents, ni à la métairie. De la viande presque tous les jours, du vin à chaque repas, ce n’est pas, non plus, ce qu’il a connu jusqu’alors. Il prend goût à ce « confort moderne ». Il se dit qu’il quittera la métairie à son retour. Le service, malgré ses avantages, c’est un peu toujours la même chose, des marches, des tirs puis des marches, des tirs. 2 ans c’est quand même long. Il est enfin démobilisé le 28 septembre 1907 et versé dans l’armée de réserve.
A son retour, il retourne à Chiché, mais bien vite, il court les assemblées pour trouver à se placer ailleurs, pour trouver aussi, à se marier. Il rencontre Philomène, une fille de Boussais. Bien vite, ils pensent à se marier et à trouver une bonne place ensemble. C’est ce qu’ils font, ils se marient le 16 novembre 1908 à Boussais et trouvent en même temps à se placer, lui comme domestique, elle comme servante dans une bonne maison à Saint Varent. Auguste à 24 ans, Philomène 21.
Marie Albertine Bourdin et Clément Théophile Gellé
La soeur d’Auguste, Marie Albertine Bourdin s’est mariée le 12 juin 1901 à Pierrefitte avec Clément Théophile Gellé.
Marie-Albertine Bourdin est née, le 3 novembre 1881 à Saint-Sauveur de Givre en Mai (aujourd’hui intégrée à Bressuire). Les parents d’Auguste et de Marie-Albertine sont Louis Bourdin et Rose Louise Beçon. Ils se marient en novembre 1875, et vont avoir 5 enfants : Louis Florentin en 1877, Marie-Louise en 1879, Marie-Albertine en 1881, Auguste-Alphonse en 1884, Sylvain-Paul en 1890.
Clément Théophile Gellé est né, lui, le 6 juillet 1877 à Pierrefitte (nord des Deux-Sèvres, entre Bressuire et Thouars). Sur son acte de naissance il est fait état de deux mariages : Le premier avec mon arrière-grand-mère Marie-Albertine Bourdin le 12 juin 1901 et le second le 2 mai 1929 avec Marie-Augustine Guilloteau.
Lors de leur mariage, le 12 juin 1901, Clément Théophile Gellé a 24 ans, Marie Albertine Bourdin a 20 ans. De cette union vont naître 5 enfants : Fernand Clément Louis né le 03 mai 1902, à Pierrefitte Sylvain Eugène Joseph né le 30 octobre 1903, décédé le19 septembre 1906, à l’âge de 3 ans Paulette Thérèse née le 10 septembre 1905 Gilbert Fernand né le 23 décembre 1908 Marie-Anne Germaine Frida née le 9 juin 1912
La sœur d’Auguste, Marie Albertine Bourdin ne s’est pas bien remise de son dernier accouchement, elle doit élever quasiment seule ses quatre enfants, son mari Clément Théophile est dur et pas très aidant. Le 22 février 1914, Marie-Albertine meurt à l’âge de 32 ans. De quoi ? dans quelles circonstances ? dans l’état actuel de mes recherches, je ne le sais pas. Marie-Anne, ma grand-mère a 20 mois quand sa maman décède, ses frères et sœur ont : Gilbert 5 ans, Paulette 8, Fernand 12.
Philomène et Auguste « adoptent » Marie-Anne
Depuis qu’ils se sont mariés, cela fait déjà 6 ans, Auguste et Philomène n’ont pas eu d’enfant. La question de s’occuper de Marie-Anne ne se pose pas longtemps. Auguste et Philomène « adoptent » ma grand-mère Marie-Anne, sans qu’un document ou jugement quelconque soit établi. De fait, Auguste et Philomène deviennent le père et la mère de substitution de Marie-Anne.
1914 : la 1ère guerre mondiale éclate
Auguste, bien qu’âgé de 30 ans, est mobilisé le 1er août 1914, comme beaucoup d’autres, jeunes appelés ou réservistes. Il est incorporé le 4 août 1914, dans le régiment ou il a fait son service militaire, au 114ème Régiment d’Infanterie de Parthenay. C’est la guerre, comme on en parle depuis plusieurs mois, mais elle ne va pas être longue, à la fin de l’été ou au plus tard à l’automne, il sera revenu.
Son frère, Sylvain Paul, âgé lui de 24 ans, qui avait été exempté par décision du Conseil de révision en 1912 pour bronchite chronique, est classé dans le Service armé par décision du Conseil de révision, le 14 octobre 1914. Il est incorporé au 114ème Régiment d’Infanterie de Parthenay le 30 novembre 1914 et part au front le 27 février 1915. Fin mai 1915, une mauvaise nouvelle arrive à Faye l’Abbesse ou habitent maintenant les parents Bourdin : Sylvain est porté disparu depuis le 9 mai 1915, lors d’un combat de son régiment à Loos en Gohelle dans le département du Pas de Calais. Il sera reconnu officiellement décédé, par jugement, en 1929.
Philoméne raconte cette nouvelle à Auguste dans une lettre, mais elle lui dit, dans d’autres, les progrès, les sourires de Marie-Anne. Auguste n’a pas perdu le moral malgré des moments de découragement. Le 21 avril 1916, il est passé au 92ème Régiment d’Infanterie qui est, bientôt, regroupé avec ceux de Poitiers et d’Angers pour former le 325ème Régiment d’Infanterie. 1918, on annonce que la guerre va bientôt finir, que la victoire se dessine. Auguste est considéré comme un vieux briscard par ses camarades d’infortune, après deux ans de service militaire et bientôt quatre ans qu’il fait cette foutue guerre. Ils avaient dit qu’elle serait courte…
1918 Auguste meurt juste avant la fin de la guerre
Journal de marche opérationnel du 325ème Régiment d’infanterie, Avril 1918, Grivesnes dans la Somme :
4 avril 1918 Le régiment reçoit à 13h l’ordre d’alerte. Le 5ème bataillon est mis à la disposition du colonel Philippot, commandant le 277ème Les 4ème et 6ème bataillon et le bataillon Maillochet du 272ème sont placés sous le commandement du colonel Pernin et doivent se rassembler aux environs de la cote 146 (1200 mètres de Chirmont)Les allemands ayant avancé légèrement vers l’Ouest dans la région de Moreuil, les bataillons sont envoyés : le 4ème aux environs de la cote 131 (1km au Sud Est de Louvrechy), le 6ème devant Louvrechy, force au Nord Est et pousse un peloton de la 22ème Compagnie dans le ravin sud de Merville pour assurer la liaison entre les troupes du 6ème Corps qui occupent Merville et le détachement Philippot qui occupe la ligne 217 (Nord Est de Merville) cote 139 (2km Nord de Thory) le bataillon Maillochet à la corne Sud Est du bois Louvet ; Ces 2 derniers bataillons prêts à la contre-attaque dans la direction de Merville.La fin de l’après-midi se passe sans incidentA 19 heures, le Colonel qui a installé son P.C. dans une maison de Louvrechy, reçoit l’ordre de se rendre avant le jour avec les 4e et 6e bataillons à la côte 74 (1.200 mètres nord-ouest de Grivesnes), pour prononcer, dans la journée du 5, l’attaque qui était prévue pour le 4 et que l’avance des Allemands sur Moreuil a retardée.
5 avril 1918 Départ des bataillons à 2h30. Arrivée à la cote 74 à 4h30. Le Colonel se rend à Esclainvillers où le Général Commandant la 127ème Division d’Infanterie lui donne les premiers ordres. A 10 h. 20, le Colonel Pernin reçoit l’ordre d’engagement : les 4ème et 6ème bataillon encadrant un bataillon du 172éme RI (Commandant O’Sullivan) doivent à 14 heures attaquer les positions ennemies entre Aubvillers et Malpart. Le terrain à parcourir est un glacis sans aucun abri. Le 4e bataillon (Commandant Michel), à droite, doit s’emparer de la crête au Nord de Malpart ; le 6e Bataillon (Capitaine Salel), à gauche, doit prendre Aubvillers, le bataillon du 172ème, au centre, doit relier les deux attaques et occuper la tête du ravin dirigé vers Braches. Conformément au plan d’engagement, les troupes sortent des tranchées à 14 heures et se portent à l’attaque de leurs objectifs, sous le feu des tirs indirects des mitrailleuses ennemies, qu’une préparation d’artillerie de quelques minutes n’a pu détruire. A 14 h. 14, la route d’Aubvillers à Grivesnes est atteinte par le bataillon Michel ; quelques minutes après cet officier supérieur est blessé. A 14 h. 20, le Commandant O’Sullivan du bataillon du 172ème RI est blessé à son tour. Au même moment, le bataillon de droite (Commandant Michel) faisait savoir que les mitrailleuses du parc de Grivesnes n’avaient pas été détruites et lui causaient des pertes assez sérieuses. Le bataillon O’Sullivan moins gêné par ces mitrailleuses prenait alors un peu d’avance sur le bataillon Michel qui était obligé de ralentir son allure. A 14h.15 Le bataillon Salel faisait également savoir qu’un nid de 7 mitrailleuses était installé dans un tas de fumier, à 150 mètres en avant de la ferme Fourchon ; que cette ferme elle-même intacte était également garnie de mitrailleuses. Le bataillon Salel enlève cependant les mitrailleuses du tas de fumier et les retourne contre l’ennemi, qui se replie par échelons devant le barrage roulant, non sans subir des pertes sensibles. A 15 heures, le Colonel, commandant l’attaque, mis au courant de la situation, demande un tir de concentration de quinze minutes sur la ferme Fourchon et sur le parc de Grivesnes. A 15 h. 15, ce tir ayant cessé, on reprend la marche en avant et la crête est dépassée ; mais les mitrailleuses de la ferme Fourchon et du parc de Grivesnes, encore intactes, concentrent un tir extrêmement violent sur nos vagues d’assaut. La plupart des officiers et sous-officiers chefs de section sont tués ou blessés ; le Capitaine Salel est blessé. L’ennemi lance à ce moment sur chacune des deux ailes du bataillon O’Sullivan, qui se trouvait légèrement en pointe, une contre-attaque violente, qui oblige se bataillon à se replier. Les bataillons de droite et de gauche, privés de leurs chefs, suivent le mouvement et se replient sur les tranchées de départ. L’ennemi réoccupe ses tranchées et essaie de pousser quelques éléments, qui sont arrêtés immédiatement par un tir de barrage, déclenché par le Commandant de l’attaque. Ce qui reste des troupes d’attaque est regroupé par bataillon et tient les tranchées. Trois prisonniers restés entre nos mains permettent d’identifier le 8e régiment d’infanterie de la garde contre lequel l’attaque est venue se heurter. Les pertes sont sensibles ; sur les troupes engagées, il reste : Au 4ème bataillon, 5 Officiers,18 Sous-officiers, 223 hommes. Au 6èmebataillon, 3 Officiers, 18 Sous-officiers, 225 hommes. CHR, 9 Officiers, 8 Sous-officiers, 144 hommes. Au 1er bataillon du 172ème RI, 1 Officier, 0 Sous-officiers, 135 hommes. Un avion est abattu par la section Nicolad de la 6ème CM et un autre touché. Un flottement se produit, néanmoins ; quelques hommes lâchent pied, surtout à droite et se retirent vers l’arrière. Ce qui reste des troupes d’attaque est regroupé par bataillons et forme une ligne de soutien derrière. Déclarations du Lieutenant Bonnavent : « Il ne reste à la 21ème compagnie du 325ème Régiment d’Infanterie qu’un officier et 18 hommes. Assez grande proportion de tués, beaucoup de blessés légers. Blessures surtout par balles, très peu par éclats d’obus. Les liaisons ont généralement bien fonctionné. L’évacuation des blessés, en raison du grand nombre de ces derniers et du manque de brancards a souffert quelque retard. En résumé, les troupes sont parties à l’attaque avec un entrain digne d’éloges et si elles n’ont pas réussi c’est que l’action d’artillerie sur les points d’appui du parc de Grivesnes et de la ferme Fourchon, a été complètement insuffisant pour détruire les nids de mitrailleuses qu’ils contenaient. » Le Colonel propose une citation à l’ordre de l’Armée qui sous la conduite de son chef, le capitaine Gigon a fait preuve, au combat du 5 avril 1918, d’un courage admirable, en se portant à l’attaque d’une position fortement défendue. A perdu tous ses officiers et est revenu de l’attaque ne comptant plus qu’un sous-officier et 18 hommes.
Auguste est l’un des blessés de ce 5 avril 1918 à Grivesnes : Son livret militaire indique : « Eclat d’obus – Gros fracas de la face – Ayant eu la mâchoire fracassée par un éclat d’obus a fait preuve du plus grand courage refusant l’aide d’un camarade pour se faire conduire au poste de secours » Transporté à l’hôpital militaire temporaire n°49 à Orleans dans le Loiret, il y décède le 20 avril 1918.
Philomène va faire le voyage jusqu’à Orleans. Elle assiste à l’enterrement de son Auguste au Carré militaire d’Orléans.
Il sera déclaré « Mort pour la France » et inscrit sur les Monuments aux Morts de Faye-l’Abbesse et de Saint-Varent.
Après 6 ans de mariage, 4 ans de solitude à attendre Auguste, à 31 ans, Philomène se retrouve veuve et doit élever seule, sa petite Marie-Anne. Elle quitte Saint Varent ou trop de souvenirs l’assaillent et trouve une nouvelle place de servante à Coulonges-Thouarsais.
Philomène se remarie avec Eléonor
En 1920, elle se remarie, à Coulonges, avec Eléonor Paindessous de 10 ans son aîné. Ils s’installent comme métayers au hameau de Fontenay sur la commune de Mauzé-Thouarsais.
Philomène et Eléonor « adoptent » Paul
Le 5 novembre 1920, Albeline, la sœur de Philomène donne naissance à son fils Paul, né de père inconnu. Albeline a 27 ans mais elle n’est pas en capacité d’élever son enfant. Passé la période d’allaitement, Albeline confie son fils Paul aux soins de sa sœur. Philomène qui sait qu’elle ne peut pas avoir d’enfant, « adopte » à nouveau. Ce sera leur fils à eux deux, à Eléonor et à elle, Philomène.
Marie-Anne se marie
A 19 ans, Marie-Anne rencontre Hubert Grégoire. Ils se marient le 23 novembre 1931 à Moutiers sous Argenton. Le jeune couple vient habiter à Fontenay avec Philomène et Eléonor. Le travail ne manque pas, la ferme peut nourrir toute la famille. Hubert est un gars de la terre, des bras jeunes et vigoureux sont les bienvenus.
La famille ne tarde pas à s’agrandir, le 16 août 1932, naissent deux jumelles : Anne-Marie et Hélène, suivies deux ans plus tard par la naissance de Lucette (ma maman) née le 17 septembre 1934. Mon oncle Raoul vient compléter la famille le 20 juillet 1936.
Recensement, hameau de Fontenay, commune de Mauzé-Thouarsais, 1936
Eléonor et Philomène vont se retirer dans une petite maison de Fontenay et laisser la famille de mes grands-parents Hubert Grégoire – Marie-Anne Gellé occuper la métairie. Hubert est devenu le chef de famille.
Le décès de Marie-Anne
Le 28 février 1958, Marie-Anne décède à l’âge de 46 ans. Ce n’est pas la moindre épreuve que Philomène aura dû affronter. Après avoir perdu quasiment toute sa famille (lire Philomène 3 : la famille Cron) et son premier mari Auguste pendant la première guerre mondiale, elle perd maintenant sa fille adoptive Marie-Anne.
Je n’ai pas connu ma grand-mère Marie-Anne qui est décédée alors que j’avais un peu plus de 3 ans et j’ai bien peu connu mon grand-père Hubert Grégoire qui est décédé le 12 novembre 1979 à l’âge de 70 ans, alors que j’avais 25 ans.
C’est pourquoi, enfant, ma grand-mère c’était grand-mère Paindessous. Philomène femme de courage et de caractère, qui malgré les épreuves, dont celle de ne pas pouvoir avoir d’enfants ne fut sans doute pas la moindre, contourna les obstacles et mena à bien les missions qu’elle s’étaient assignées.
Eléonor décède en 1968 à l’âge de 90 ans. Philomène en 1970 à l’âge de 83 ans.