Louis CARTAIS (1870-1917)

Louis CARTAIS est né le 1/07/ 1870 à Nieul l’Espoir (86).
Sa mère MAILLET Radégonde décède le 25/09/1871, Louis est âgé d’à peine 15 mois.
Il est recueilli par sa tante Marie MAILLET (sans doute à la mort de sa mère), comme l’indique le recensement de Nieul l’Espoir (86) en 1872.

Au recensement de 1876, il n’est plus avec sa tante. En l’état de mes recherches, je ne sais pas, où et avec qui, il a vécu ensuite.

Les recherches à Villedieu du Clain (ou semble-t-il son père Louis Cartais a vécu) ont été infructueuses. Peut-être a-t-il été remis à l’assistance publique ? confié à une famille ? ce ne sont en l’état que des hypothèses.

En 1890 (il a 20 ans), il fait partie de la « classe » 1890 (jeunes nés en 1870).
Son dossier militaire matricule 1471 lors du recrutement à Poitiers en 1890 et son duplicata nous informent des éléments suivants :
– Au moment de l’établissement de son dossier militaire en 1890, il habite Villedieu du Clain, il est domestique, il mesure 1m67, il a les cheveux bruns et il a une cicatrice à la cuisse droite.
– En 1890, 1891 et 1892, il est ajourné (dispensé momentanément de service militaire) pour faiblesse, sans autre précision.
-Par contre en 1893, il est Bon (pour le service).
– Il est incorporé au 125ème RI (Régiment d’Infanterie) le 11 septembre 1893 sous le matricule n°4066.
– Il effectue son service et est libéré le 25 septembre 1894 (envoyé en congé, avant d’être versé dans la réserve).
– Il effectue des périodes d’exercices en 1897, 1900, 1904 et 1907.
– Le 1er novembre 1894, il passe dans la réserve de l’armée d’active. Le 1er novembre 1904, il passe dans l’armée territoriale. Le 1er novembre 1907, il passe dans la réserve de l’armée territoriale et y est confirmé le 1er octobre 1910.

Le 02 juin 1902 Louis CARTAIS se marie avec Marie Adrienne PAIN à Poitiers (Vienne)

Louis CARTAIS, 31 ans, domestique
Son père Louis Cartais consent au mariage par un acte passé le 29 mai 1902 devant l’officier civil de la commune de Nieul l’Espoir
Marie Adrienne PAIN, 25 ans, femme de chambre
Marie Adrienne PAIN fille mineure naturelle reconnue de Louise Marie Radégonde Pain sans résidence connue comme la-dite épouse assistée du sieur Augustin, son tuteur ad hoc, nommé par délibération de la commission administrative des hospices de Poitiers, consentant au mariage de sa pupille

Sur le registre d’état civil relatant ce mariage des éléments étonnent :
Le père de Louis Cartais consent au mariage par un acte passé devant l’officier civil
Marie Adrienne PAIN fille mineure naturelle reconnue de Louise Marie Radégonde Pain est sans résidence connue
Son tuteur ad hoc est le sieur Augustin… sans autre précision
Ad hoc : Expression latine qui en droit qualifie un acte spécialement fait pour une formalité déterminée. Nous pouvons en déduire que le sieur Augustin n’était le tuteur de Marie Adrienne que pour cet acte de mariage…

En 1915, il est rappelé sous les drapeaux du 21 février 1915 au 21 mars 1915.
Le 30 mars 1915, il est classé dans le service auxiliaire du 68ème RI à Poitiers.
Le 23 octobre 1915, la commission de réforme de Poitiers le renvoie dans ses foyers à compter du 10 novembre 1915 pour « atrophie des muscles de l’épaule gauche après flegmon suite de piqure antityphique »
Définition Antityphique :
Larousse : « qui prévient ou guérit le typhus. »
Universalis : « qui prévient ou guérit la typhoïde »

Il est membre du service auxiliaire du 68ème RI du 30 mars 1915 au 11 novembre 1915 (décision de la commission de réforme de Poitiers du 27 janvier 1916).

Libération du service militaire, 2 informations contradictoires :
En bas à droite du dossier militaire : 1er octobre 1916
En bas à gauche de la 2ème page sous la partie masquée : 30 novembre 1918 (commission du 25 novembre 1918)
Réflexion : Louis CARTAIS est mort le 24 juillet 1917 à Poitiers, son dossier militaire n’en fait pas mention… Pourquoi une date de libération le 30 novembre 1918 par décision de la commission le 25 novembre 1918 ? Pour permettre à sa veuve de percevoir une pension ?

Le 24 juillet 1917, Louis CARTAIS meurt à l’Hôpital n°15
(HC n° 15 Poitiers – Collège Saint-Joseph, boulevard Bojon – 320 lits – Fonctionne du 11 août 1914 au ? – source : https://forum.pages14-18.com/viewtopic.php?t=40498).
L’hôpital est un hôpital annexe ouvert dès les premières heures de la guerre pour accueillir les soldats blessés

Le 24 juillet 1917 à Poitiers décède Louis CARTAIS, soldat au 68ème Régiment d’Infanterie territoriale n°1471, domicilié à Nieul l’Espoir où il est né le 1er juillet 1870, époux de Marie Adrienne Pain. Fils de Louis CARTAIS et de feu Radégonde MAILLET. Décédé à l’Hôpital n°15. « Mort pour la France ».

Son décès est porté sur l’état civil normal et non sur la transcription des décès de soldats par l’armée.

Il est considéré comme « Mort pour la France » sur son acte de décès mais Mémoire des Hommes indique « Non mort pour la France »

Pourquoi ? Sur la base de quel acte ?
Il est probable que sa date de libération de l’armée 1er octobre 1916 ou 30 novembre 1918 soit la cause de cette interprétation…
Le fait qu’il est mort à l’Hôpital n°15 peut permettre de penser qu’il est resté à l’hôpital de la fin de son service actif le 11 novembre 1915 jusqu’à sa mort le 24 juillet 1917, ou qu’il est retourné à cet hôpital après être retourné chez lui.

Les causes de sa mort :
Asystolie indique le document Mémoire des Hommes
Doctissimo Asystole : Insuffisance cardiaque : incapacité qu’a le coeur à fournir un apport sanguin suffisant pour répondre aux besoins métaboliques de l’organisme et est caractérisé par une diminution de la capacité cardiaque à l’effort.
Ensemble des phénomènes dus à l’insuffisance cardio-vasculaire et au trouble profond de la circulation qui en résulte«  (Garnier-Del. 1958).

Question : la vaccination anti typhoïdique reçue par Louis CARTAIS a provoqué un flegmon (un abcès) puis une atrophie des muscles de l’épaule gauche… l’arrêt cardiaque qui a provoqué sa mort a-t-il été une conséquence de ce problème lié à la vaccination ?

Il est de constitution faible (ajournement de son entrée au service militaire) mais il n’est âgé que de 47 ans…

La vaccination contre la fièvre typhoïde a t-elle sauvée la première guerre mondiale?

À Courlay, les vrais cathos se cachent pour mourir

Article paru dans Charlie Hebdo
Laure Daussy · Foolz · Mis en ligne le 5 août 2021 · Paru dans l’édition 1515 du 4 août 2021

C’est un village d’irréductibles. À Courlay, petite ville de 2 500 habitants des Deux-Sèvres, subsiste une communauté d’un millier d’habitants, les fidèles de la « Petite Église », appelés aussi « dissidents ». Ils suivent un culte catholique resté figé depuis la Révolution française : ils sont les descendants de ceux qui ont refusé la Constitution civile du clergé. On imaginait des sortes d’intégristes plus fanatiques que les pires cathos, et voilà que l’on découvre qu’ils votent à gauche et ne jurent que par l’école publique… Reportage dans le Bocage, où l’on chemine de paradoxe en paradoxe. La Petite Église, c’est un ovni, entre des amish et des punks.

On nous avait prévenus : « Ils sont très discrets », « ils ne veulent parler à personne ». On tente malgré tout d’aller à la Plainelière, quartier de 200 habitants de la commune de Courlay. C’est ici que se situe la chapelle principale des dissidents. Elle est privée, impossible d’y pénétrer, certains en ont été sortis manu militari. Quand on n’est pas membre de la Petite Église, interdiction d’y entrer, sauf, exceptionnellement, pour des funérailles. La clé de la chapelle reste toujours dans les mains des descendants du dernier prêtre de la communauté, Pierre Texier, mort en 1826. Ses descendants sont aussi chargés du culte de cette communauté sans prêtre.

Nous voilà donc dans ce hameau à la recherche des dissidents. Comme il n’y a personne dans les rues, on sonne à une porte. C’est Colette qui nous ouvre. « Oh là là ! les dissidents, on ne les fréquente pas trop. Oui, il y en a un peu, ils vont à la chapelle tous les dimanches, les dames sont en chapeau, ils sont une centaine à peu près. » On discute quelque temps avec elle, et c’est tout juste si elle ne dit pas qu’ils sont un peu bizarres, ces gens-là. Innocemment, on lui demande : « Et vous ? Vous allez dans quelle chapelle ici ? » Voilà que Colette nous annonce se rendre précisément dans la fameuse chapelle. Pourtant, celle-ci n’est accessible qu’aux dissidents. Mais alors, Colette en serait-elle ? De sa petite voix fluette, elle nous dit : « Oui, j’en fais partie. » On nous avait bien prévenus qu’ils étaient discrets… Notre habitante semble ne plus trop savoir pourquoi elle en fait partie. Presque gênée, elle nous dit : « On est nés comme ça, on a été élevés comme ça, eh oui… » Ses quatre enfants perpétuent ce culte aussi, « mais ils ne peuvent pas venir trop souvent à la messe. Ils habitent loin », dit-elle. En fait, ils n’habitent qu’à 2 km, à Courlay. Autour d’elle, le village se vide. « Il y a de moins en moins de croyants, les habitants s’en vont. Des Anglais ont même acheté la maison d’à côté. »

Il y avait les cathos dans l’école privée, et les dissidents dans l’école publique

Non loin d’elle, un voisin qui jardine. Il ne veut pas être cité par son prénom, on l’appellera Pierre. Né dans le village, il est lui aussi membre de la Petite Église. Très affable, il a moins de mal à nous parler, même s’il ponctue notre entretien de « mais je ne devrais pas vous dire tout ça ! ». D’emblée, il nous dit : « ça diminue, ça va mourir doucement. » Ses propres enfants, d’ailleurs, partis dans d’autres villes, ne pratiquent plus du tout, et il s’en fiche un peu : « Tant pis, je serai le dernier. » Il se souvient : « C’était très strict quand j’étais jeune. » La Petite Église, c’est la religion catholique telle qu’elle se pratiquait avant la Révolution. Par exemple, le carême est strictement respecté : « On ne mange pas de viande pendant quarante jours, pas d’oeufs pendant la semaine sainte. À l’époque, tout le monde trouvait ça difficile, maintenant les véganes font pire », rigole-t-il. Mais la Petite Église, ce sont aussi des messes très longues, qui durent trois heures, des prières matin et soir, et des vêpres. Dans le village, le point d’orgue, c’étaient les grandes communions d’une centaine d’enfants avec des processions dans les rues, lors de la Fête-Dieu. Les gendarmes venaient de Courlay pour gérer la circulation tellement il y avait de monde.

Avec Pierre, on touche à l’un des paradoxes des membres de la Petite Église. Il nous explique qu’il a toujours voté à gauche, « car il faut de la solidarité ». Et il est loin d’être le seul parmi les dissidents. Logiquement, on imaginait que les membres de la Petite Église seraient royalistes. Que nenni. « Quand même, ça fait 250 ans qu’il y a la république », nous rétorque d’ailleurs un autre dissident, sans rire. Et ils ne votent même pas à droite : ce serait faire comme les catholiques ! Pierre était même instituteur dans une école publique à Cerizay, une ville à quelques kilomètres. Tous les enfants de dissidents étaient scolarisés à l’école publique. « C’était pour se différencier », nous explique-t-on. Il y avait une volonté farouche de ne pas se retrouver aux côtés des cathos, et surtout de n’avoir rien à faire avec les prêtres de la « Grande Église », comme certains l’appellent. Dans le village, il y avait donc les cathos dans l’école privée, et les dissidents dans l’école publique.

Mais une telle proportion d’enfants de dissidents dans les écoles publiques du village a entraîné des entorses à la laïcité bien surprenantes, jusque dans les années 1970–1980. C’est un autre enseignant qui nous le raconte, Marcel Roulet, le dernier instituteur de l’école de la Tour Nivelle, près de Courlay, à la retraite depuis 2007. Originaire du sud du département, il s’est retrouvé là lors de sa première affectation, et y est resté pendant quarante-cinq ans, instituteur d’une classe unique, 20 gamins de 4 à 11 ans. Lui n’est pas un dissident, mais il a très vite compris qu’ici c’était une particularité incontournable du terroir. Un « hussard noir » de la République aurait eu des sueurs froides. L’école « s’adaptait » : pas de viande à la cantine pendant le mois du carême. Surtout, avant leur communion à la Fête-Dieu, les enfants de dissidents ne se rendaient plus à l’école pendant un mois entier pour aller « se préparer » à l’église. Il ne restait plus alors que deux ou trois enfants dans les classes. Marcel Roulet en avait parlé à l’inspecteur, qui laissait passer. « Pour me couvrir, j’envoyais une liste des enfants absents. » Aujourd’hui, le maire de Courlay, André Guillermic – premier maire, d’ailleurs, à ne pas être un dissident, élu en 2008 –, nous assure que ce n’est plus le cas, « pour la raison simple qu’il n’y a presque plus de communiants ».

Autre « entorse » à la république, les dissidents sont les seuls à pouvoir, en France, passer par l’église pour se marier avant de se rendre à la mairie. Normalement, le mariage civil précède le mariage religieux. Au XIXe siècle, c’était pire : certains n’allaient pas du tout à la mairie. Aujourd’hui, c’est le seul « culte » en France qui a ce droit, officieux. « C’est sans doute important pour ceux qui fonctionnent comme ça », nous répond le maire de Courlay, quelque peu langue de bois. Surtout, en matière de mariage, il y a quelques années, c’était impensable qu’un dissident ne se marie pas avec un autre dissident. L’endoctrinement était très fort : il fallait rester entre soi, pour perpétuer le culte. Maintenant, il y a de plus en plus de mariages « mixtes ». Notre instituteur de village, Marcel Roulet, s’est lui-même marié avec un membre de la Petite Église. Pareil pour le maire de Courlay.

Longtemps, la ville a été coupée en deux. Le bal des cathos, le bal des dissidents (au moins, pas de risque de mariage mixte). La boulangerie des cathos et la boulangerie des dissidents, et ainsi de suite. « Parfois, les enfants se jetaient des pierres. » Un autre habitant croisé dans le bourg nous raconte : « Quand les enfants cathos jouaient ici sur la place, les enfants de dissidents jouaient ailleurs. » La guerre des boutons dans les Deux-Sèvres.

Aujourd’hui, la séparation la plus visible et la plus surprenante qui subsiste se trouve… au cimetière. Il est littéralement coupé en deux. À droite, les dissidents ; à gauche, les cathos. Et les sépultures ne sont pas dans le même sens : les unes vers l’ouest, les autres vers l’est. Dans les tombes des dissidents, la tête est tournée vers l’est, vers Jérusalem. La tombe du dernier prêtre, Pierre Texier, fait face à celles des prêtres de l’Église catholique. Mais comme il n’y a plus de place, les morts plus récents de la communauté sont maintenant du côté des cathos, et toujours séparés : les nouvelles concessions se situent le long d’un mur, tout au fond du cimetière. Un grand espace vide les sépare des autres rangées. Le maire, en tout cas, nous assure : « Ce n’était pas une demande de leur part, maintenant, tout ça, c’est fini. Tout le monde s’entend bien. Pour les crémations, on ne va pas faire un jardin du souvenir pour chacun

Dans la Petite Église, quelque chose nous frappe : il n’y a aucun engagement politique pour promouvoir telle ou telle valeur, contrairement aux cathos. Ni aucun prosélytisme. « Ce n’est pas une secte, ils ne se considèrent pas comme des « élus ». Ils se sont longtemps vécus comme persécutés, ils se sont recroquevillés sur eux », explique Baptiste Cesbron, auteur d’une recherche universitaire sur la Petite Église (lire l’encadré ci-dessous). « On vivait en vase clos », confirme Guy Talbot, élevé dans la Petite Église, aujourd’hui habitant à Niort. « On était la risée dans les écoles au début du siècle. Mon père était fouetté avec des orties dans les champs par les autres élèves. » Quand il avait 18 ans, un ami journaliste est venu lui demander de faire un reportage sur la Petite Église. Le père de Guy lui a dit : « Si tu le fais, tu prends tes affaires et tu ne remets plus les pieds ici. » Le paradoxe, c’est qu’aujourd’hui il donne des conférences sur la Petite Église. Il a obtenu « l’autorisation » du chef de la communauté pour en parler. Et il le fait, malgré tout, « en mémoire de [son] père ».

Guy Talbot, lui aussi, se présente comme « de centre gauche ». Mais jusqu’où les dissidents soutiennent-ils les valeurs de gauche ? Le mariage pour tous ? « On n’est pas très branchés mariage pour tous », reconnaît-il. Un jeune LGBT dans une famille de dissidents ? « Je ne sais pas répondre. » Pour d’autres questions, c’est comme si la communauté ne s’était pas prononcée. Étonnamment, l’IVG, cheval de bataille des cathos, ne semble pas susciter de débat. Il faut dire qu’a priori l’IVG n’était pas un sujet de débat public avant la Révolution française. On découvre en tout cas des survivances bien rigoristes. « Un dissident qui se suiciderait n’aurait pas le droit à une cérémonie dans la chapelle », nous dit Guy Talbot. C’est arrivé à un de ses proches, il y a une vingtaine d’années. La personne alors en charge de l’Église a refusé les funérailles sans autre forme de procès. De même, pour de futurs mariés, si cohabitation il y a – ou pire, une mariée enceinte ! –, c’est mariage en urgence, avant le lever du soleil, pour que personne ne les voie, juste en présence des témoins. « C’était une pratique qui se faisait avant la Révolution. » Inutile de préciser que le divorce n’est pas accepté. Et avec tout ça, ça vote à gauche !

Talbot, qui s’est marié avec une non-dissidente, s’est retrouvé exclu de la communauté. Quand on lui demande si ce n’est pas un peu intolérant : « On ne se posait pas la question en ces termes. » Les membres de la Petite Église ne sont pas à un paradoxe près : Talbot garde malgré tout une affection particulière pour sa communauté d’origine. « C’est une communauté qui meurt. Elle n’a jamais dérangé, je souhaite qu’elle meure en paix », insiste-t-il. Une communauté figée dans le temps, mais dont les membres répètent en boucle « no future », si c’est pas des amish punk, ça ! ●

La fin du monde a eu lieu en 1789

Comment expliquer qu’une Église fossilisée en 1789 existe toujours ? La Petite Église est l’une des « dernières survivances des guerres de Vendée », explique Baptiste Cesbron, auteur d’une étude universitaire sur le sujet. Celle-ci naît d’abord de l’opposition farouche à la Constitution civile du clergé de 1790. Les hommes d’Église devenaient des sortes de fonctionnaires. Le diable en personne pour beaucoup de cathos de l’époque. Plus de 75 % des prêtres de Vendée sont devenus réfractaires et refusaient de prêter serment. Ils seront parfois persécutés. Pour la Petite Église, ce sont des martyrs. Deuxième élément, le concordat signé par Bonaparte avec l’Église catholique (1801), qui organisait les relations entre l’État et le pape, le futur empereur obtenant un droit de regard sur la nomination des évêques. « Ça leur est apparu comme une offense, une trahison pour ceux qui étaient morts », raconte Cesbron. « Il y eut des anticoncordataires dans toute la France, là où d’ailleurs il y avait eu des poches antirévolutionnaires. Seule la Petite Église existe encore. Pourquoi ? Car ils se sont recroquevillés sur eux, certains d’être victimes d’une machination pouvoir public-Église destinée à leur faire regagner la religion concordataire », explique Cesbron. Pourtant, avec la loi de 1905 et la séparation des Églises et de l’État, plus de concordat. Mais la Petite Église demeure malgré tout. Plusieurs évêques leur proposent de revenir dans le giron de la Grande Église, sans succès. Elle restait une figure honnie, trop moderne à leurs yeux. « Tout ce qui vient après 1789 n’existe pas », nous dit Guy Talbot. Ce qui a joué aussi localement, c’est l’incroyable dynamisme économique dont ont fait preuve les membres de la Petite Église. Ils créaient un maximum d’entreprises pour que tous leurs membres soient embauchés sur place. Aujourd’hui, à la Plainelière, il y a presque plus d’entreprises que d’habitants. Toutes ont été fondées par des dissidents. L. D.

Du 9 au 14 mai 2023 l’AGenA fête ses 50 ans

Du 9 au 14 mai 2023 l’AGenA fête ses 50 ans

Closier n° spécial 50ans

Voyage à l’intérieur de la « Petite Eglise »

Dans un coin du Bocage, les trois mille membres de la « Petite Église » conservent avec fidélité la pratique des rites religieux et des prières de leurs ancêtres vendéens de 1793.
Gardienne d’une certaine forme de liberté, la petite communauté a dû cependant composer avec l’histoire pour survivre au quotidien depuis deux siècles.
Une famille de dissidents livre son témoignage sur ces étonnants chrétiens qui ont refusé le Concordat au siècle dernier.

1793 est vivant en Deux-Sèvres. L’histoire des guerres de Vendée ne s’arrête pas à une série de faits figés dans le temps. Elle continue de submerger la conscience de tout un peuple. La « Petite Eglise », cette survivance si particulière et unique qui persiste dans un coin du Bocage bressuirais, a rarement franchi la rampe du grand public. En filiation directe avec l’insurrection vendéenne de 1793, elle a pris la forme d’un culte né de l’opposition farouche de nombreuses paroisses de cette contrée au Concordat signé entre Napoléon et le pape Pie VII en 1801.

La chapelle des Cirières, un ancien bâtiment de ferme qui abrite un lieu de culte.
La Petite Eglise doit s’exprimer avec les moyens du bord

Une croyance enracinée dans l’histoire qui voit aujourd’hui une communauté de trois mille membres, sans prêtre ni évêque, conserver avec fierté les rites et les prières de leurs ancêtres insurgés. Dans la religion et dans le quotidien. Comme autrefois l’abstinence du Carême, le respect des fêtes d’obligation d’avant la Révolution, le chapelet récité en famille sont les signes vivants de cette foi ancestrale perpétuée par les « dissidents » depuis deux siècles. En l’absence de prêtres, le culte est célébré par un responsable laïc, transmis de famille en famille, mais qui a dû composer avec l’histoire pour survivre et conserver son identité. Que penseraient les combattants de la grande armée catholique et royale, ancêtres des dissidents, s’ils savaient que leurs descendants sont devenus les plus fervents défenseurs de l’école laïque, par opposition aux options modernes de l’école catholique ? Qu’avec des idées conservatrices, ils votent pour des candidats « progressistes » ? Parce qu’elle est unique, la Petite Eglise se réfugie derrière un voile de discrétion et de pudeur. C’est qu’elle a souvent été révoltée par le colportage d’informations déroutantes. On lira ainsi parmi les articles de presse parus : « Le pape de la petite église baptise et marie en veste de chasse », ou « Avec les chouans du XXe siècle » Plus que jamais, les dissidents veulent vivre cachés. Pour parler de la Petite Église, la délicatesse doit prendre le pas sur tout le reste sous peine de voir se fermer les portes. « Un drame religieux, écrit l’abbé Bertaud, et la Petite Eglise en est bien un, ne se comprend que du dedans. Si on ne rentre pas dans son esprit, on ne s’arrête qu’au folklore, ou pis encore, on se contente d’appâter la curiosité. » Je me souviens du Bocain qui maladroitement questionna une vieille libraire. Elle se rebiffa énergiquement d’un sec « Laissez-les tranquilles ! » Le Bocain ne savait pas. Il n’était pas vraiment Bocain.

Une paysanne généalogiste

Au cœur de ce paysage typique planté de haies du Bocage, le hameau de La Poture, près de Cirières, abrite un petit groupe de familles. Derrière les murs épais d’une vieille maison vendéenne, le décor rustique d’une cheminée béante qui sommeille. Alerte octogénaire, Reine Billaud égrène ses souvenirs dans son patois aux accents de sincérité. Henriette, sa fille, s’est toujours passionnée pour l’histoire de sa famille. « On ne nous a pas renseignés sur notre passé. On apprend le catéchisme, les prières. Mais depuis que je suis gosse, il y a toujours eu des choses qui m’ont tracassées. Il n’y a pas de livres. L’histoire, c’est la famille, la tradition orale qui nous l’apprennent. Et puis il y a des notes. Qu’est-ce que les gens pouvaient écrire dans le temps ! »

Généalogiste à ses heures, Henriette Billaud s’est lancée depuis longtemps sur les traces de ses ancêtres directs. L’insurrection est ici une histoire de famille. « Je ne savais pas qu’on avait quelqu’un dans les guerres de Vendée. Qu’est-ce que je trouve aux archives ? Une demande de pension, en 1824, de la veuve d’un aïeul. Il avait été tué à Courlay, en 1793. Alors là ! Mon père avait un cousin qui était passé nous voir. Je lui ai raconté l’histoire de cet aïeul lointain tué par les Républicains. Il a sursauté, levé les bras au ciel ! Comme si je n’avais pas dû l’apprendre, quoi. Ce cousin avait vécu en compagnie de sa grand-mère, mon arrière-grand-mère, lequel lui avait raconté ce qui s’était passé. Notre aïeul avait envoyé sa famille se cacher parce que les Bleus étaient signalés par chez nous. Il avait dit alors : « s’ils me prennent, ils me forceront à voler et à tuer. S’ils me tuent, priez pour moi. Et puis pour eux. Car ils en auront grand besoin… « 

Retour sur l’histoire. Dans ce Bocage marqué par l’Ancien Régime et par une grande foi collective, les paysans vivent soudés autour d’une culture rurale qui se méfie du pouvoir. Et les guerres de Vendée qui ont ensanglanté cette région en ont fait un bloc encore plus homogène, cimenté durablement par la pratique religieuse. Il faudra attendre le Concordat de 1801 pour que l’unité du pays éclate et que le Bressuirais s’engage résolument dans la dissidence. Jusqu’en 1799, malgré la pacification de 1795, le culte religieux des Vendéens reste interdit. Les prêtres réfractaires – ceux qui ont refusé de prêter serment à la constitution civile du clergé – sont soumis aux rigueurs de l’ancienne loi révolutionnaire. Alors, rejetant bien sûr les prêtres « jureurs », les Vendéens poursuivent leur lutte clandestine. Ils en ont l’expérience depuis 1791. On récite un rosaire, dans l’unité de la messe, dont on sait qu’un prêtre « fidèle » continue de la célébrer en cachette, à quelques dizaines de kilomètres de là. Voici le coup d’Etat du 18 Brumaire. La messe est à nouveau autorisée le dimanche, mais pour les seuls prêtres qui auront prêté un serment intitulé : « Promesse de fidélité à la Constitution de l’An 8 ». C’était ni plus, ni moins, la réédition des lois révolutionnaires honnies dans le Bocage.

« Ils ont changé la religion ! »

On aurait pu penser que les insurgés d’hier allaient refuser ces nouvelles lois rappelant la Terreur. En fait, l’opposition viscérale qui va donner naissance à la Petite Eglise se cristallisera dans cette seule partie du Bocage des Deux-Sèvres. Car les Bocains du Bressuirais dépendent du diocèse de Mgr de Courcy, évêque de La Rochelle – « leur » évêque – qui ordonne à ses ouailles de résister, de refuser toute compromission. C’est un épisode fondamental si l’on veut comprendre la permanence de cette insoumission qui a engendré la Petite Église. Car de l’autre côté de la Sèvre, le reste du département de la Vendée est placé sous l’administration de l’évêque de Luçon. Lequel, soucieux de rétablir le culte, enjoint aux prêtres de se soumettre au serment. « Vous refuserez la promesse, lance l’évêque rochelais à ses prêtres, car les auteurs en sont les régicides, et jamais la religion catholique ne pourra s’allier à la Révolution. » Ces mots feront mouche dans cette partie du Bocage, ni plus ni moins royaliste qu’une autre, mais pour qui la monarchie représente la sauvegarde des libertés les plus sacrées, et la Révolution (ou la République) la persécution religieuse.

Le Concordat de 1801 (publié à Pâques de l’année suivante) n’y changera rien. Si les Bocains sont tout heureux de fêter Pâques librement dans leur église, la première fois depuis douze ans, leur désespoir ressurgit dès la parution des décrets concordataires : les curés constitutionnels sont intégrés dans le clergé ; les acquéreurs des biens de l’Eglise conservent leurs possessions ; la plupart des anciennes fêtes d’obligation sont supprimées ; les curés, enfin, doivent prêter serment devant le Préfet. « Ils ont changé la religion ! » s’écrient les chrétiens du Bocage. Le mot « changement » restera. Depuis 1830, dans cette petite région, on ne dit jamais d’un dissident qu’il se convertit lorsqu’il entre dans la « Grande Eglise » , mais qu’il s ‘est « changé ». Depuis son exil d’Espagne, l’évêque de La Rochelle ordonne de refuser le Concordat. Les curés, qu’on aime et qu’on suit aveuglément, persuadent à leur tour de la justesse de leur position. Et par malheur, l’évêché de Poitiers, auxquels sont désormais rattachés les Bocains, va connaître un grand vide de 1802 à 1819.

Les dissidents vont à l’école publique !

La résistance s’organise à nouveau. Les curés opposants font la sourde oreille. Malgré les condamnations, ils vont continuer à exercer leur culte dans leur église, ou à côté si elle est fermée. L’évêché de Poitiers tentera bien de nommer des prêtres dans la région, mais les candidatures sont rares. On ira même jusqu’à proposer une double solde aux ecclésiastiques nommés en pays dissident, une sorte de « prime de risque ». Les regrets s’accentuent encore avec le retour des Bourbons, qui ne changeront rien aux termes du Concordat. Dans ces conditions, avec la disparition en 1830 des derniers prêtres anti-concordataires – les « bons prêtres » – les dissidents sont acculés à une solution désespérée : ils devront désormais nommer des responsables laïcs. A la Plainelière, gros bourg de la commune de Courlay, berceau de la dissidence, ils poussent l’un d’eux, Philippe Texier, qui appartient à une famille de héros des guerres de Vendée, à prendre la direction spirituelle de la communauté.

Voilà donc cent soixante ans que la Petite Eglise du Bocage est maintenue par les seuls laïcs. Ce n’est pas le moindre paradoxe pour ces opposants devenus irréductibles au nom de la foi : pas d’évêque, pas de prêtre. Pour survivre, la communauté – elle a compté jusqu’à quinze mille membres ! – a dû renforcer sa cohésion pour affronter les multiples tracasseries : l’interdiction, pendant longtemps, d’imprimer des écrits religieux en France, le refus de faire sonner le glas pour leurs fidèles défunts, sans compter les condamnations de la « Grande Eglise » dont le couperet tombe avec régularité. On ne s’y serait pas pris autrement si on avait voulu favoriser la réaction d’une communauté qui allait en s’affirmant de plus en plus. Elle prendra des tournures étonnantes. De 1890 à 1950, à une période où le Bocage vote à droite comme un seul homme, la Petite Église, elle, se radicalise. Là où la population votait traditionnellement à droite, les dissidents glissent dans l’urne des bulletins radicaux, ou radicaux-socialistes, voire socialistes tout court ! Et, comble du paradoxe, dans cette région où foisonnent les écoles catholiques, les rares écoles publiques recrutent les seuls enfants des familles dissidentes.

Pour éviter toute « contamination » pendant des décennies, la communauté va prospérer en vase clos. Les relations d’amitié, les mariages, les transactions d’affaires, les locations de fermes, les loisirs et aussi la discipline collective se vivent « entre soi ». Quelques « changements » sont quand même survenus depuis deux siècles. Les plus spectaculaires ont lieu en 1894 avec le départ de deux responsables de la Petite Eglise, l’un à Courlay et l’autre à Lyon, puis en 1965 où une centaine de dissidents « se changent » après le Concile Vatican II. Ils sont aujourd’hui trois mille à rester fidèles aux convictions et aux rites liturgiques qu’ont défendus leurs ancêtres.

Le Général Vendéen Gaspar de Bernard de Marigny (1754-1794), chef de l’artillerie de la Grande Armée Catholique et Royale (1793), Général de l’Armée Vendéenne du Haut-Poitou (1794). Ce fut surtout parmi ses anciens soldats que se recrutèrent les membres de la Petite Eglise.

Les granges tiennent lieu de chapelles

Dépourvue de culture sur les détails de la constitution civile du clergé, des guerres de Vendée ou du Concordat, c’est avec son patois théologique que Reine Billaud résume pourquoi, elle aussi, mourra dans la religion de ses pères : « Nous sommes les premiers catholiques. Tous nos prêtres ont été assassinés. Nous sommes restés fidèles aux derniers. » La Petite Eglise s’est ainsi constituée sans théologie, fortement soudée dans sa liturgie par fidélité au combat des ancêtres en faisant sien ce vieil adage catholique : « La prière dit la foi ». La prière ! Elle est omniprésente, elle ponctue la vie quotidienne dans cette petite patrie bocagère.

Si Reine et Henriette ne vont pas à la chapelle, elles prient seules, ou en famille. Les seuls écrits sont ceux des anciens « prêtres opposants », le catéchisme du diocèse de La Rochelle est celui d’avant 1789 et le missel dominical, dit « Eucologue », est sans cesse réédité depuis deux siècles. L’office du dimanche est célébré dans l’une des minuscules chapelles perdues au fin fond du Bocage, et aménagées dans des anciennes fermes ou des simples granges, surtout celle de la Plainelière à Courlay, haut-lieu de la dissidence.

Reine Billaud : « Tous nos prêtres ont été assassinés »

L’office est chanté mi en latin, mi en Français. Il n’y a pas si longtemps, la messe était suivie des Vêpres et marquée par la récitation de trois rosaires. Les fidèles restaient fréquemment, pas moins de quatre heures à l’église. On a un peu abrégé le rituel, l’office ne dure plus que deux heures ! Seul vrai sacrement de la communauté deux-sévrienne, le baptême a lieu dans la chapelle de la Plainelière, suivant l’ancien rite. Mais seuls les mariés et les témoins, à l’exception de toute autre personne, pénètrent dans l’oratoire pour y échanger les consentements. Ensuite seulement, on se rend à la mairie pour le mariage civil. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les dissidents, à cause de leur intransigeance religieuse, refusaient tout mariage civil. Eux, si farouches moralement (on ne connaît aucun cas de divorce depuis deux siècles !) passaient pour des concubins et leurs enfants, inscrits sous le nom de la mère, étaient assimilés à des bâtards. Dans un souci d’éviter des actions violentes, le gouvernement de l’époque se montra compréhensif. C’est pourquoi aujourd’hui encore la Petite Eglise est la seule en France où l’on tolère que le mariage religieux soit célébré avant le mariage civil. Quant aux sépultures, le chapelet y tient une grande place. L’oraison funèbre est un véritable résumé de l’histoire de la communauté : « Seigneur, nous implorons, de façon toute particulière, votre miséricorde pour le repos de l’âme de votre serviteur qui n’a pas eu l’assistance d’un prêtre, non qu’il ne l’ait pas désirée, mais uniquement à cause de sa fidélité à nos anciens pasteurs. »

Aujourd’hui, dans les cimetières de Courlay, Saint-André-sur-Sèvre ou Cirières, on n’inhume jamais un dissident sans avoir au préalable déposé son cercueil sur la tombe d’un des anciens curés réfractaires vénérés par la communauté.

Jusqu’à une période récente, les dissidents célébraient encore toutes les fêtes chômées de l’Ancien Régime (une trentaine). « Il n’y a plus que les paysans qui peuvent les chômer » déplore Reine Billaud. Les bouleversements de la vie économique ont amené d’autres contraintes. Il n’empêche que la Fête-Dieu est toujours célébrée le jeudi même. Ce jour-là, les enfants de douze ans font leur « première communion ». Ils s’y sont préparés pendant trois semaines, en reprenant page par page le catéchisme de leurs ancêtres. L’an passé, ils étaient quatre-vingt enfants à suivre cet apprentissage. Les organes de presse catholique ont longtemps été interdits. Maintenant, la concurrence de l’école, du lycée et de la télévision a assoupli les règles.

« Le propriétaire était communiste »

Les temps ont changé. Aujourd’hui, dans les communes du Bocage, dissidents et catholiques vivent en bonne intelligence. Le respect mutuel a remplacé les anciennes méfiances même si les membres de la Petite Eglise restent sourds à tout partage spirituel, ou à la prière interconfessionnelle. Enfant, Henriette Billaud se souvient avoir essuyé sarcasmes et insultes sur le chemin de l’école du Pin. « On a même reçu des pierres, avec des insultes traduites mot pour mot de génération en génération. Mais il faut dire que maintenant, c’est bien fini. Il y a un curé d’ici qui a bien arrangé les choses. » Isolée sur la petite commune de Cirières, sa famille a subi parfois d’autres affronts. Reine garde en mémoire les conditions dans lesquelles elle a acheté sa ferme : « J’avais en vue une terre d’à côté, à la Boulette. La bonne femme nous l’avait promise. Un jour, j’arrive chez elle. Et qui je vois sortir ? Le curé. J’avais compris que c’était fichu… » Sa maison actuelle, Reine l’a achetée à un propriétaire… communiste. « Des gens bien braves… » dit-elle. Aujourd’hui encore, on raconte que les dissidents refusent d’acheter des terres soupçonnées d’appartenir aux anciens biens de l’Église avant la Révolution !

La vieille femme et sa fille se confient sur leur religion sans aucune restriction, tout en refusant le terme de « dissidence » : « la Petite Eglise nous a surtout appris à être indépendants. » Elles reconnaissent que parfois, elles vont à l’église « plus facilement que les autres vont à la chapelle ». Henriette raconte que sa sœur n’a jamais voulu y mettre les pieds, son père non plus.

« Autrefois, les consignes étaient très dures. Parfois, on venait chercher mon père pour ensevelir les morts. Mais il portait le cercueil seulement jusqu’à l’entrée de l’église. » Aujourd’hui encore, à l’heure de la messe à la Plainelière, les dissidents filtrent avec discrétion l’entrée de la chapelle. Certains, dans un raccourci abrupt de l’histoire, auraient tôt fait d’assimiler les adeptes de la Petite Eglise à des royalistes purs et simples. Avant même qu’on prononce le mot, Henriette sort de ses gonds : « je vous le dis tout de suite : je suis une Républicaine. On est en République et c’est normal qu’on respecte les idées républicaines. Même si au départ, la République s’est montrée sectaire. Je le regrette. »

Aux origines des langues et du langage

Aux origines des langues et du langage
Jean-Marie Hombert, Gabriel Bergounioux, Jean-Pierre Bocquet-Appel, Christophe Coupé

Lorsqu’en 1866 les vénérables membres de la Société linguistique de Paris décidèrent d’exclure de leurs débats la problématique de l’origine du langage, nul n’aurait pu prévoir que cette question allait susciter tant de passions plus d’un siècle plus tard. Aujourd’hui, les linguistes mais aussi les anthropologues, les psychologues, les archéologues, les neurologues et les généticiens croisent leurs regards et parfois leurs fers, éclairant d’un jour nouveau cette interrogation ancienne. D’où vient le langage, cette faculté qui fait l’homme et nous distingue du règne animal ? Quels sont les mécanismes qui la sous-tendent et quelle est sa finalité ? Quel fut, parmi les premiers hommes, celui qui énonça le premier mot ? Par quel miracle la parole vient-elle à nos enfants ? Au-delà de la problématique du langage, c’est celle des langues d’aujourd’hui qui est abordée. Comment en est-on arrivé aux 6 000 langues actuellement parlées à travers le monde ? Pourquoi près de la moitié d’entre elles sont-elles en voie d’extinction ? Quel processus complexe a donné naissance aux créoles, les langues naturelles dont l’émergence est la plus récente ? A la lumière des dernières découvertes et des derniers travaux, cet ouvrage tente à son tour de répondre à ces différentes préoccupations. A travers les tentatives de reconstruction d’un protolangage, la quête lancinante de notre langue mère ou celle, utopique, de la langue parfaite, il poursuit une exploration débutée avec la publication des Origines de l’humanité. Celle de l’homme, de son mystère, de son essence.

L’origine des langues : Sur les traces de la langue mère Merritt Ruhlen

Voici le livre, longtemps demeuré introuvable en France, par qui le scandale est advenu. S’ils s’accordent sur l’existence de plusieurs grandes familles de langues à travers le monde, les linguistes se disputent sur l’existence d’une quelconque parenté entre ces dernières. Ainsi, les langues d’Europe, membres de la famille indo-européenne, n’auraient aucun lien avec les autres. Merritt Ruhlen démontre le contraire : les langues actuellement parlées sur terre descendent toutes d’une seule « langue mère », qu’il reconstitue. Son hypothèse, parfaitement compatible avec les arguments fournis par l’archéologie et la génétique des populations en faveur de l’origine unique et africaine de l’homme, pose que l’expansion des langues a suivi l’évolution d’Homo sapiens à travers les âges et la planète. Depuis sa parution, cet ouvrage est au centre des débats entre linguistes, généticiens, archéologues : la similitude de certains mots, tel « mère », dans toutes les langues s’explique-t-elle par des dispositions cognitives communes à l’espèce ou bien par l’existence d’une langue première ? Dans un long épilogue à l’édition française, Ruhlen répond à ses critiques et conforte sa démonstration.

Atlas des langues : L’origine et le développement des langues dans le mondeBernard Comrie, Stephen Matthews, Maria Polinsky

L’Atlas des langues est un ouvrage de référence, clair et facile à consulter, qui dresse un panorama captivant des langues du monde par régions géographiques. Richement illustré de photographies, cartes et tableaux, il vous permettra de découvrir et de comprendre les origines et le développement de ce système de communication exceptionnel qu’est le langage humain. Conçue et écrite par des spécialistes internationaux, cette somme apporte un éclairage exceptionnellement documenté sur la formidable aventure du langage parlé et écrit. L’étude des familles de langues, de leur répartition, de leur propagation et, dans certains cas, de leur déclin est illustrée de nombreuses cartes en couleurs, présentant la géographie des langues, de leur origine, il y a environ 100 000 ans, à nos jours. Les 5 000 ans d’histoire des systèmes d’écriture sont également étudiés et explicités par des exemples concrets et
des documents iconographiques retraçant leur évolution. À la croisée des connaissances linguistiques, archéologiques, historiques, culturelles et politiques, cet Atlas des langues apporte une connaissance approfondie du langage, cette exception humaine, complexe et fascinante.

La vie d’un simple – Emile Guillaumin

La Vie d’un simple est un livre qui vient du fond du peuple, chose bien rare, et du fond du peuple paysan, chose unique…
D’un grand-père conteur d’histoires Guillaumin tint le goût de conter, et il eut le courage d’ajouter au labeur paysan un labeur d’écrivain. Le plus bel exemple d’homme de lettres pratiquant le deuxième métier, c’est Émile Guillaumin qui le donne…
Le Bourbonnais est loin, et la rumeur parisienne nous distrait d’y connaître et d’y entendre un juste. Mais la rumeur est chose passagère, la valeur ne passe pas, et Émile Guillaumin est sûr d’occuper, dans l’histoire de notre peuple, une place où il est indispensable et seul.

Tiennon Bertin est un paysan pauvre du Bourbonnais dans l’Allier, qui se remémore sa vie, allant de la Restauration, quelques années après l’épopée napoléonienne, à la Belle Epoque au tournant du XXe siècle.
A cette période, la paysannerie des régions pauvres était tout sauf indépendante : obligée de cultiver une terre qui ne lui appartenait pas, elle vivait sous le joug des riches des villes et de leurs régisseurs. Ils lui extorquaient tous ce qu’ils pouvaient par l’intermédiaire de la rente foncière. Trop pauvres pour s’instruire, les métayers, généralement analphabètes, comptant mal, avaient bien du mal à suivre le dédale de droits et obligations qui pesaient sur leurs épaules fatiguées. Corvéables, pouvant être renvoyés à la fin du bail, au bout de trois ans, pour un mot de travers ou un regard déplaisant. Ils risquaient de devoir quitter la ferme voire un procès…

Emile Guillaumin décrit comment le statut du métayage freine tout progrès technique. Le chaulage, grande amélioration de l’époque, n’est pas autorisé par les propriétaires qui comme au XVIIIe siècle privilégie la maintenance de terrains en jachère. La suppression des jachères était supposée ruiner le sol et les propriétaires refusaient d’endosser les frais supplémentaires que ce précieux amendement allait entraîner.
Un autre fléau semble terroriser les paysans encore plus que la rapacité des bourgeois, la conscription, qui arrache les enfants aux familles, parfois pour toujours.
Pourtant, des améliorations se font jour. Tiennon, qui a su se garder depuis sa jeunesse, de la corruption des villes et qui est par ailleurs un bon soigneur de bêtes, vit mieux que ses parents et finit par accumuler 4000 francs de capital sous une pile de draps dans son armoire. Cette somme aurait probablement pu lui permettre d’acquérir la moitié de la terre pour le faire vivre, mais il la perd en la plaçant chez un financier véreux qui s’enfuit en Suisse avec le magot !
Devenu vieux, Tiennon est toujours aussi pauvre et ne pouvant plus faire valoir une ferme par lui-même, il se retrouve à la charge de ses enfants, continuant à travailler tant bien que mal, redoutant le jour où il tombera dans une nouvelle dépendance, celle de la déchéance physique précédant le cimetière.
Alors que la république s’est imposée et que la  » sociale  » pointe le bout de son nez, ulcérant les bourgeois, Tiennon sent les évolutions à venir, l’appartenance de la terre soit à la collectivité, soit à ceux qui la travaillent.

Emile Guillaumin

Emille Guillaumin, en famille, dans l’Allier qu’il refusa de quitter malgré son succès littéraire.

Auteur de La Vie d’un simple et pionnier du syndicalisme agricole, Émile Guillaumin est la voix paysanne de la première moitié du XXe siècle. Sa carrière de journaliste nous présente un véritable panorama des campagnes sur un demi-siècle. Écrivain paysan demeuré volontairement à la terre, cet autodidacte offre un regard unique sur son époque qui a vu les campagnes se transformer : guerres, exode rural, amélioration des rendements par la mécanisation et la science, développement de l’instruction…

Écrivain paysan français, Émile Guillaumin est né à la ferme de la Neverdière, à Ygrande (Allier), le 10 novembre 1873.
Il fait en tout et pour tout cinq années d’études primaires à l’école d’Ygrande avant de commencer à travailler dans la petite ferme familiale dès 1886, après sa première communion et son certificat d’études primaires.
En 1892, la famille quitte la Neverdière pour s’installer dans une autre petite ferme appartenant à son grand-père paternel. Située sur la route de Moulins à Ygrande, le lieu est aujourd’hui devenu le musée Émile-Guillaumin.
En 1893-97, il effectue ses années de service militaire obligatoire, en profitant pour lire tout ce qu’il trouve à la bibliothèque de sa caserne. Grand lecteur de romans, notamment ceux de Pierre Loti et de Charles Dickens, il commence lui-même à écrire quelques contes patoisants et poèmes rustiques.
À sa démobilisation, il redevient simple ouvrier agricole à la ferme de son grand-père paternel mais commence à publier articles, contes et poèmes dans La Quinzaine bourbonnaise et dans Le Courrier de l’Allier. Ses premiers ouvrages paraissent bientôt : Dialogues bourbonnais en 1899, Tableaux champêtres en 1901 (prix Montyon 1902 de L’Académie française), et un recueil de poèmes : Ma cueillette en 1903. Après les travaux de la ferme, « à journée faite », il commence à rédiger La Vie d’un simple pendant les veillées et les dimanches de l’hiver 1903-1904.
La Vie d’un simple est le récit biographique romancé, mais profondément réaliste et humaniste, de la vie de Tiennon Bertin, un vieux paysan voisin de ferme de l’auteur. Pour Émile Guillaumin, inspiré par la lecture du Jacquou le Croquant d’Eugène Le Roy, il s’agit alors de « montrer aux messieurs de Moulins, de Paris et d’ailleurs ce qu’est au juste une vie de métayer ». Témoin privilégié du monde rural — il est lui-même paysan dans ce terroir bourbonnais et commence déjà à s’engager activement dans le syndicalisme agricole — il rend compte de la vie quotidienne de son personnage, décrivant et analysant très finement la condition paysanne et son évolution dans la région, notamment les relations de domination entre les paysans qui cultivent la terre et leurs « maîtres » propriétaires des fermes. Son émouvant récit constitue un document exceptionnel sur la vie paysanne en France pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Publié en 1904, le livre fera d’emblée une très forte impression sur le public. Soutenu par Octave Mirbeau, Lucien Descaves, Charles-Louis Philippe et Daniel Halévy, il manquera de peu le Prix Goncourt. Pour la première fois dans l’histoire de la littérature française la vie rurale se trouve en effet évoquée dans sa sourde réalité par un petit paysan de son état. Avec cette vie d’un simple métayer surgie des profondeurs de la France éternelle à l’aube du XXe siècle, Guillaumin touche le tréfonds du monde paysan et, par-là, le peuple français tout entier dans sa force et sa faiblesse.
Avec ses droits d’auteur, Émile Guillaumin achète à proximité de la ferme paternelle trois hectares de terre où il met quelques vaches, porcs et volailles. Il y fait construire une simple petite maison où il passera le reste de sa vie. Il épouse une jeune femme de la région, Marie Chalmin.
À partir de 1905, Émile Guillaumin s’engage dans le militantisme syndical afin de défendre les métayers, les ouvriers agricoles et les petits fermiers contre les grands propriétaires fonciers. Il épaule en particulier Michel Bernard, paysan comme lui, organisateur des premières coopératives paysannes et fondateur à Bourbon-l’Archambault du premier syndicat agricole. Ensemble ils animent le syndicat local, créent la « Fédération des Travailleurs de la Terre du Bourbonnais » qui s’étend à tout le département de l’Allier, et lancent un bulletin trimestriel, Le Travailleur rural, qu’il dirigera jusqu’en 1911. Ses articles de l’époque ont été rassemblés en volume sous le titre : Six ans de luttes syndicales (publication posthume en 1977).
En 1906, paraîssent Albert Manceau adjudant et Près du sol (d’abord en feuilleton dans la Revue de Paris puis en volume chez Calmann-Lévy), et en 1909 La Peine aux chaumièresRose et sa parisienne est publié en 1907, La Peine aux chaumières (Cahiers nivernais) en 1909, Baptiste et sa femme en 1910, Le Syndicat de Baugignoux, publié en 1911 — sans doute son meilleur livre après La Vie d’un simple —, est pour lui l’occasion de dresser un bilan de l’action syndicale. Lucide, il y évoque les problèmes sociaux et ruraux du début du siècle et retrace le conflit réformisme contre syndicalisme révolutionnaire qui a traversé la « Fédération des Travailleurs de la Terre du Bourbonnais ».
Les Mailles du réseau est publié en 1912. La Guerre de 14-18 interrompt ses activités. Émile Guillaumin est mobilisé comme vaguemestre dans l’armée.
Après la guerre, il revient dans sa petite ferme d’Ygrande. Il entame une nouvelle carrière de journaliste spécialisé dans les questions rurales et collabore entre autres à Pages libresLa Revue des Deux MondeLe Peuple et L’Humanité.
En 1925, paraît Notes paysannes et villageoises. Il reçoit la Légion d’honneur sur proposition du ministre de l’Agriculture.
En 1931 paraît A tous vents sur la glèbe, puis en 1937 François Péron, enfant du peuple (Crépin-Leblond).
Retiré du syndicalisme agricole, il encourage cependant la naissance et le développement dans les années 30 de la « Confédération nationale paysanne », fondée dans l’orbite de la SFIO. En 1940, il est élu maire d’Ygrande mais, refusant de collaborer avec le régime de Vichy, il démissionne dès 1941.
Charles-Louis Philippe, mon ami paraît en 1942. La même année, il est lauréat du prix Sivet de l’Académie française (pour son œuvre poétique) du Prix Sully-Olivier de Serres (pour l’ensemble de son œuvre). Sur l’appui du manche est publié en 1949.
Émile Guillaumin décède à Ygrande le 27 septembre 1951, à l’âge de 77 ans. Il est enterré au cimetière de son village. Son dernier livre, Paysans par eux-mêmes est publié à titre posthume en 1953, suivi de quelques compilations de correspondances, contes et articles divers.
Écrivain, militant syndicaliste, journaliste mais avant tout paysan, dans toute la force du terme, Émile Guillaumin est toujours resté fidèle à son terroir bourbonnais. Il reste l’une des grandes figures rénovatrices du roman rustique français.
Jean Bruno – La République des Lettres

http://musee-emile-guillaumin.planet-allier.com

Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot : Sur les traces d’un inconnu (1798-1876) – Alain Corbin

Dans ce livre devenu un classique, Alain Corbin s’est penché sur le grouillement des disparus du XIXe siècle, en quête d’une existence ordinaire. Il a laissé au hasard absolu le soin de lui désigner un être au souvenir aboli, englouti dans la masse confuse des morts, sans chance aucune de laisser une trace dans les mémoires. Né en 1798, mort en 1876, Louis-François Pinagot, le sabotier de la Basse-Frêne, n’a jamais pris la parole et ne savait du reste ni lire ni écrire ; il représente ici le commun des mortels. Un jeu de patience infini se dessine, afin d’en reconstituer le destin – mais eut-il jamais conscience d’en avoir un ? Par cette méditation sur la disparition autant que par les méthodes d’investigation nouvelles qu’il met en œuvre, ce livre a fait date dans l’écriture de l’histoire contemporaine.

Pourquoi Pinagot, et pas un autre nom qui figure sur l’état civil ? Parce qu’il a une vie suffisamment longue (78 ans) pour rendre ce travail intéressant.
Dans un parcours en 10 chapitres, Alain Corbin reconstitue le microcosme géographique, le contexte politique, familial, l’univers mental dans lesquels le sabotier a vécu.
Pinagot appartient cependant au monde des confins, des bois, un monde plus marginal que celui des cultivateurs. Bien qu’il appartienne à la fraction la plus pauvre de sa commune, et qu’il fasse partie un temps des « indigents » exemptés de certaines taxes, on vit longtemps dans sa famille, souvent au-delà de 70 ans.
L’Orne n’est pas un pays de régime autoritaire où l’aîné hérite seul du patrimoine familial. Les écarts de richesse au sein de sa parentèle et ses relations amicales sont faibles.
L’analphabétisme reste très prégnant dans le monde rural auquel appartient Pinagot.
Les sabotiers se marient souvent à des fileuses, remplacées de plus en plus par des gantières qui travaillent pour des marchands qui sont aussi fabricants.
Les « arrangements » (contrats oraux) donnent souvent lieu à des litiges : dans la forêt, les vols de bois – bois de chauffage ou bois d’oeuvre – sont fréquents et les gardes forestiers doivent redoubler de vigilance et d’astuce pour démasquer les coupables.
Si l’Orne a été moins directement touché que d’autres départements de l’Ouest par les guerres de Vendée, les communes ont pâti néanmoins de la guerre civile et des déprédations commises par les chouans et les armées républicaines.
Les deux invasions prussiennes (1815 et 1870-1871) sont restées également dans les mémoires car elles ont donné lieu à des réquisitions de vivres, des pillages de linge et d’argenterie.
Il faut attendre les premières années du Second Empire pour que la mendicité dans le département recule de façon sensible. C’est à cette époque que Louis-François Pinagot peut acquérir une petite maison à deux ouvertures et sortir de la classe des indigents.
Quelles furent les convictions politiques de Pinagot ? Comment sa citoyenneté s’est-elle construite ? Difficile de l’estimer. Avant 1848, date de l’instauration du suffrage universel masculin, il ne peut pas voter comme le font certains membres de sa famille qui paient un cens suffisant pour le faire. Il faut attendre une pétition municipale de 1871 pour qu’Alain Corbin découvre pour la première fois la seule trace manuscrite, une croix malhabile, de la main de Alain-François Pinagot.

Cette présence dense laisse supposer la quotidienneté de micro-déplacements effectués à travers champs, selon les brèches qui se creusent dans les haies profondes. L’entraide, l’échange de services entre parents, amis ou voisins, l’éducation sentimentale alimentent ces courts déplacements qui tissent sur le bocage de subtils réseaux, plus ou moins serrés selon la qualité des relations et la teneur des sentiments.
Alain Corbin, Le monde retrouvé de Louis François Pinagot, Flammarion 1998, p 30

Alain Corbin

Alain Corbin, né en janvier 1936 à Courtomer (Orne), est un historien français spécialiste du XIXe siècle en France. Ses travaux ont considérablement fait avancer l’histoire des sensibilités dont il est un des spécialistes mondiaux.
Il suit des études à l’université de Caen où il a notamment comme professeur Pierre Vidal-Naquet. Professeur à l’université Paris I – Panthéon-Sorbonne, il a travaillé sur l’histoire sociale et l’histoire des représentations. On dit de lui qu’il est « l’historien du sensible », tant il a marqué sa discipline par son approche novatrice sur l’historicité des sens et des sensibilités.
On lui doit plusieurs ouvrages, dont Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot, sur les traces d’un inconnu, 1798-1876 (1998), biographie d’un sabotier inconnu choisi au hasard dans les archives de l’Orne. Ce travail s’inscrit dans le concept de la micro-histoire.
Par ailleurs, il a travaillé sur le désir masculin de prostitution (Les Filles de noce, 1978), l’odorat et l’imaginaire social (Le Miasme et la Jonquille, 1982), l’homme et son rapport au rivage (Le Territoire du vide, 1990), le paysage sonore dans les campagnes françaises du XIXe siècle (Les Cloches de la terre, 1994) et la création des vacances (L’Avènement des loisirs, 1996). Il a aussi publié un livre d’entretiens avec Gilles Heuré (Historien du sensible, 2000). En 2005, ses étudiants lui ont rendu hommage dans un livre collectif qui rend compte de son itinéraire historiographique : Anne-Emmanuelle Demartini et Dominique Kalifa (dir.), Imaginaire et sensibilités au XIXe siècle: études pour Alain Corbin, Paris, Créaphis, 2006.

Le monde retrouvé en vidéo

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