Lecture

La vie d’un simple – Emile Guillaumin

La Vie d’un simple est un livre qui vient du fond du peuple, chose bien rare, et du fond du peuple paysan, chose unique…
D’un grand-père conteur d’histoires Guillaumin tint le goût de conter, et il eut le courage d’ajouter au labeur paysan un labeur d’écrivain. Le plus bel exemple d’homme de lettres pratiquant le deuxième métier, c’est Émile Guillaumin qui le donne…
Le Bourbonnais est loin, et la rumeur parisienne nous distrait d’y connaître et d’y entendre un juste. Mais la rumeur est chose passagère, la valeur ne passe pas, et Émile Guillaumin est sûr d’occuper, dans l’histoire de notre peuple, une place où il est indispensable et seul.

Tiennon Bertin est un paysan pauvre du Bourbonnais dans l’Allier, qui se remémore sa vie, allant de la Restauration, quelques années après l’épopée napoléonienne, à la Belle Epoque au tournant du XXe siècle.
A cette période, la paysannerie des régions pauvres était tout sauf indépendante : obligée de cultiver une terre qui ne lui appartenait pas, elle vivait sous le joug des riches des villes et de leurs régisseurs. Ils lui extorquaient tous ce qu’ils pouvaient par l’intermédiaire de la rente foncière. Trop pauvres pour s’instruire, les métayers, généralement analphabètes, comptant mal, avaient bien du mal à suivre le dédale de droits et obligations qui pesaient sur leurs épaules fatiguées. Corvéables, pouvant être renvoyés à la fin du bail, au bout de trois ans, pour un mot de travers ou un regard déplaisant. Ils risquaient de devoir quitter la ferme voire un procès…

Emile Guillaumin décrit comment le statut du métayage freine tout progrès technique. Le chaulage, grande amélioration de l’époque, n’est pas autorisé par les propriétaires qui comme au XVIIIe siècle privilégie la maintenance de terrains en jachère. La suppression des jachères était supposée ruiner le sol et les propriétaires refusaient d’endosser les frais supplémentaires que ce précieux amendement allait entraîner.
Un autre fléau semble terroriser les paysans encore plus que la rapacité des bourgeois, la conscription, qui arrache les enfants aux familles, parfois pour toujours.
Pourtant, des améliorations se font jour. Tiennon, qui a su se garder depuis sa jeunesse, de la corruption des villes et qui est par ailleurs un bon soigneur de bêtes, vit mieux que ses parents et finit par accumuler 4000 francs de capital sous une pile de draps dans son armoire. Cette somme aurait probablement pu lui permettre d’acquérir la moitié de la terre pour le faire vivre, mais il la perd en la plaçant chez un financier véreux qui s’enfuit en Suisse avec le magot !
Devenu vieux, Tiennon est toujours aussi pauvre et ne pouvant plus faire valoir une ferme par lui-même, il se retrouve à la charge de ses enfants, continuant à travailler tant bien que mal, redoutant le jour où il tombera dans une nouvelle dépendance, celle de la déchéance physique précédant le cimetière.
Alors que la république s’est imposée et que la  » sociale  » pointe le bout de son nez, ulcérant les bourgeois, Tiennon sent les évolutions à venir, l’appartenance de la terre soit à la collectivité, soit à ceux qui la travaillent.

Emile Guillaumin

Emille Guillaumin, en famille, dans l’Allier qu’il refusa de quitter malgré son succès littéraire.

Auteur de La Vie d’un simple et pionnier du syndicalisme agricole, Émile Guillaumin est la voix paysanne de la première moitié du XXe siècle. Sa carrière de journaliste nous présente un véritable panorama des campagnes sur un demi-siècle. Écrivain paysan demeuré volontairement à la terre, cet autodidacte offre un regard unique sur son époque qui a vu les campagnes se transformer : guerres, exode rural, amélioration des rendements par la mécanisation et la science, développement de l’instruction…

Écrivain paysan français, Émile Guillaumin est né à la ferme de la Neverdière, à Ygrande (Allier), le 10 novembre 1873.
Il fait en tout et pour tout cinq années d’études primaires à l’école d’Ygrande avant de commencer à travailler dans la petite ferme familiale dès 1886, après sa première communion et son certificat d’études primaires.
En 1892, la famille quitte la Neverdière pour s’installer dans une autre petite ferme appartenant à son grand-père paternel. Située sur la route de Moulins à Ygrande, le lieu est aujourd’hui devenu le musée Émile-Guillaumin.
En 1893-97, il effectue ses années de service militaire obligatoire, en profitant pour lire tout ce qu’il trouve à la bibliothèque de sa caserne. Grand lecteur de romans, notamment ceux de Pierre Loti et de Charles Dickens, il commence lui-même à écrire quelques contes patoisants et poèmes rustiques.
À sa démobilisation, il redevient simple ouvrier agricole à la ferme de son grand-père paternel mais commence à publier articles, contes et poèmes dans La Quinzaine bourbonnaise et dans Le Courrier de l’Allier. Ses premiers ouvrages paraissent bientôt : Dialogues bourbonnais en 1899, Tableaux champêtres en 1901 (prix Montyon 1902 de L’Académie française), et un recueil de poèmes : Ma cueillette en 1903. Après les travaux de la ferme, « à journée faite », il commence à rédiger La Vie d’un simple pendant les veillées et les dimanches de l’hiver 1903-1904.
La Vie d’un simple est le récit biographique romancé, mais profondément réaliste et humaniste, de la vie de Tiennon Bertin, un vieux paysan voisin de ferme de l’auteur. Pour Émile Guillaumin, inspiré par la lecture du Jacquou le Croquant d’Eugène Le Roy, il s’agit alors de « montrer aux messieurs de Moulins, de Paris et d’ailleurs ce qu’est au juste une vie de métayer ». Témoin privilégié du monde rural — il est lui-même paysan dans ce terroir bourbonnais et commence déjà à s’engager activement dans le syndicalisme agricole — il rend compte de la vie quotidienne de son personnage, décrivant et analysant très finement la condition paysanne et son évolution dans la région, notamment les relations de domination entre les paysans qui cultivent la terre et leurs « maîtres » propriétaires des fermes. Son émouvant récit constitue un document exceptionnel sur la vie paysanne en France pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Publié en 1904, le livre fera d’emblée une très forte impression sur le public. Soutenu par Octave Mirbeau, Lucien Descaves, Charles-Louis Philippe et Daniel Halévy, il manquera de peu le Prix Goncourt. Pour la première fois dans l’histoire de la littérature française la vie rurale se trouve en effet évoquée dans sa sourde réalité par un petit paysan de son état. Avec cette vie d’un simple métayer surgie des profondeurs de la France éternelle à l’aube du XXe siècle, Guillaumin touche le tréfonds du monde paysan et, par-là, le peuple français tout entier dans sa force et sa faiblesse.
Avec ses droits d’auteur, Émile Guillaumin achète à proximité de la ferme paternelle trois hectares de terre où il met quelques vaches, porcs et volailles. Il y fait construire une simple petite maison où il passera le reste de sa vie. Il épouse une jeune femme de la région, Marie Chalmin.
À partir de 1905, Émile Guillaumin s’engage dans le militantisme syndical afin de défendre les métayers, les ouvriers agricoles et les petits fermiers contre les grands propriétaires fonciers. Il épaule en particulier Michel Bernard, paysan comme lui, organisateur des premières coopératives paysannes et fondateur à Bourbon-l’Archambault du premier syndicat agricole. Ensemble ils animent le syndicat local, créent la « Fédération des Travailleurs de la Terre du Bourbonnais » qui s’étend à tout le département de l’Allier, et lancent un bulletin trimestriel, Le Travailleur rural, qu’il dirigera jusqu’en 1911. Ses articles de l’époque ont été rassemblés en volume sous le titre : Six ans de luttes syndicales (publication posthume en 1977).
En 1906, paraîssent Albert Manceau adjudant et Près du sol (d’abord en feuilleton dans la Revue de Paris puis en volume chez Calmann-Lévy), et en 1909 La Peine aux chaumièresRose et sa parisienne est publié en 1907, La Peine aux chaumières (Cahiers nivernais) en 1909, Baptiste et sa femme en 1910, Le Syndicat de Baugignoux, publié en 1911 — sans doute son meilleur livre après La Vie d’un simple —, est pour lui l’occasion de dresser un bilan de l’action syndicale. Lucide, il y évoque les problèmes sociaux et ruraux du début du siècle et retrace le conflit réformisme contre syndicalisme révolutionnaire qui a traversé la « Fédération des Travailleurs de la Terre du Bourbonnais ».
Les Mailles du réseau est publié en 1912. La Guerre de 14-18 interrompt ses activités. Émile Guillaumin est mobilisé comme vaguemestre dans l’armée.
Après la guerre, il revient dans sa petite ferme d’Ygrande. Il entame une nouvelle carrière de journaliste spécialisé dans les questions rurales et collabore entre autres à Pages libresLa Revue des Deux MondeLe Peuple et L’Humanité.
En 1925, paraît Notes paysannes et villageoises. Il reçoit la Légion d’honneur sur proposition du ministre de l’Agriculture.
En 1931 paraît A tous vents sur la glèbe, puis en 1937 François Péron, enfant du peuple (Crépin-Leblond).
Retiré du syndicalisme agricole, il encourage cependant la naissance et le développement dans les années 30 de la « Confédération nationale paysanne », fondée dans l’orbite de la SFIO. En 1940, il est élu maire d’Ygrande mais, refusant de collaborer avec le régime de Vichy, il démissionne dès 1941.
Charles-Louis Philippe, mon ami paraît en 1942. La même année, il est lauréat du prix Sivet de l’Académie française (pour son œuvre poétique) du Prix Sully-Olivier de Serres (pour l’ensemble de son œuvre). Sur l’appui du manche est publié en 1949.
Émile Guillaumin décède à Ygrande le 27 septembre 1951, à l’âge de 77 ans. Il est enterré au cimetière de son village. Son dernier livre, Paysans par eux-mêmes est publié à titre posthume en 1953, suivi de quelques compilations de correspondances, contes et articles divers.
Écrivain, militant syndicaliste, journaliste mais avant tout paysan, dans toute la force du terme, Émile Guillaumin est toujours resté fidèle à son terroir bourbonnais. Il reste l’une des grandes figures rénovatrices du roman rustique français.
Jean Bruno – La République des Lettres

http://musee-emile-guillaumin.planet-allier.com

Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot : Sur les traces d’un inconnu (1798-1876) – Alain Corbin

Dans ce livre devenu un classique, Alain Corbin s’est penché sur le grouillement des disparus du XIXe siècle, en quête d’une existence ordinaire. Il a laissé au hasard absolu le soin de lui désigner un être au souvenir aboli, englouti dans la masse confuse des morts, sans chance aucune de laisser une trace dans les mémoires. Né en 1798, mort en 1876, Louis-François Pinagot, le sabotier de la Basse-Frêne, n’a jamais pris la parole et ne savait du reste ni lire ni écrire ; il représente ici le commun des mortels. Un jeu de patience infini se dessine, afin d’en reconstituer le destin – mais eut-il jamais conscience d’en avoir un ? Par cette méditation sur la disparition autant que par les méthodes d’investigation nouvelles qu’il met en œuvre, ce livre a fait date dans l’écriture de l’histoire contemporaine.

Pourquoi Pinagot, et pas un autre nom qui figure sur l’état civil ? Parce qu’il a une vie suffisamment longue (78 ans) pour rendre ce travail intéressant.
Dans un parcours en 10 chapitres, Alain Corbin reconstitue le microcosme géographique, le contexte politique, familial, l’univers mental dans lesquels le sabotier a vécu.
Pinagot appartient cependant au monde des confins, des bois, un monde plus marginal que celui des cultivateurs. Bien qu’il appartienne à la fraction la plus pauvre de sa commune, et qu’il fasse partie un temps des « indigents » exemptés de certaines taxes, on vit longtemps dans sa famille, souvent au-delà de 70 ans.
L’Orne n’est pas un pays de régime autoritaire où l’aîné hérite seul du patrimoine familial. Les écarts de richesse au sein de sa parentèle et ses relations amicales sont faibles.
L’analphabétisme reste très prégnant dans le monde rural auquel appartient Pinagot.
Les sabotiers se marient souvent à des fileuses, remplacées de plus en plus par des gantières qui travaillent pour des marchands qui sont aussi fabricants.
Les « arrangements » (contrats oraux) donnent souvent lieu à des litiges : dans la forêt, les vols de bois – bois de chauffage ou bois d’oeuvre – sont fréquents et les gardes forestiers doivent redoubler de vigilance et d’astuce pour démasquer les coupables.
Si l’Orne a été moins directement touché que d’autres départements de l’Ouest par les guerres de Vendée, les communes ont pâti néanmoins de la guerre civile et des déprédations commises par les chouans et les armées républicaines.
Les deux invasions prussiennes (1815 et 1870-1871) sont restées également dans les mémoires car elles ont donné lieu à des réquisitions de vivres, des pillages de linge et d’argenterie.
Il faut attendre les premières années du Second Empire pour que la mendicité dans le département recule de façon sensible. C’est à cette époque que Louis-François Pinagot peut acquérir une petite maison à deux ouvertures et sortir de la classe des indigents.
Quelles furent les convictions politiques de Pinagot ? Comment sa citoyenneté s’est-elle construite ? Difficile de l’estimer. Avant 1848, date de l’instauration du suffrage universel masculin, il ne peut pas voter comme le font certains membres de sa famille qui paient un cens suffisant pour le faire. Il faut attendre une pétition municipale de 1871 pour qu’Alain Corbin découvre pour la première fois la seule trace manuscrite, une croix malhabile, de la main de Alain-François Pinagot.

Cette présence dense laisse supposer la quotidienneté de micro-déplacements effectués à travers champs, selon les brèches qui se creusent dans les haies profondes. L’entraide, l’échange de services entre parents, amis ou voisins, l’éducation sentimentale alimentent ces courts déplacements qui tissent sur le bocage de subtils réseaux, plus ou moins serrés selon la qualité des relations et la teneur des sentiments.
Alain Corbin, Le monde retrouvé de Louis François Pinagot, Flammarion 1998, p 30

Alain Corbin

Alain Corbin, né en janvier 1936 à Courtomer (Orne), est un historien français spécialiste du XIXe siècle en France. Ses travaux ont considérablement fait avancer l’histoire des sensibilités dont il est un des spécialistes mondiaux.
Il suit des études à l’université de Caen où il a notamment comme professeur Pierre Vidal-Naquet. Professeur à l’université Paris I – Panthéon-Sorbonne, il a travaillé sur l’histoire sociale et l’histoire des représentations. On dit de lui qu’il est « l’historien du sensible », tant il a marqué sa discipline par son approche novatrice sur l’historicité des sens et des sensibilités.
On lui doit plusieurs ouvrages, dont Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot, sur les traces d’un inconnu, 1798-1876 (1998), biographie d’un sabotier inconnu choisi au hasard dans les archives de l’Orne. Ce travail s’inscrit dans le concept de la micro-histoire.
Par ailleurs, il a travaillé sur le désir masculin de prostitution (Les Filles de noce, 1978), l’odorat et l’imaginaire social (Le Miasme et la Jonquille, 1982), l’homme et son rapport au rivage (Le Territoire du vide, 1990), le paysage sonore dans les campagnes françaises du XIXe siècle (Les Cloches de la terre, 1994) et la création des vacances (L’Avènement des loisirs, 1996). Il a aussi publié un livre d’entretiens avec Gilles Heuré (Historien du sensible, 2000). En 2005, ses étudiants lui ont rendu hommage dans un livre collectif qui rend compte de son itinéraire historiographique : Anne-Emmanuelle Demartini et Dominique Kalifa (dir.), Imaginaire et sensibilités au XIXe siècle: études pour Alain Corbin, Paris, Créaphis, 2006.

Le monde retrouvé en vidéo

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Les romans doux-amers de Patrick Gale

Patrick Gale est un écrivain britannique né en 1962. Il est le cadet d’une famille de quatre enfants dont le père était directeur de la prison de Camp Hill sur l’Île de Wight – tradition familiale apparemment puisque le grand-père dirigeait, lui, la prison voisine de Parkhurst. Patrick Gale ne suivit pas les traces de ses ainés. Après avoir déménagé encore enfant à Londres où son père prit la tête d’une autre prison – Wandsworth – puis à Winchester, Patrick Gale décida de suivre des études d’Anglais dont il obtint le diplôme en 1983.

Patrick Gale, à la suite de ses études, ne trouva jamais, selon ses dires, de « boulot d’adulte »… Pendant trois ans il dort à droite à gauche, un soir dans un squat de Notting Hill, le lendemain dans un château en ruine en France. L’important pour lui, à ce moment-là, c’est l’écriture, il a débuté déjà la rédaction de son premier roman, et survit grâce à de petits boulots : copiste, serveur-chanteur, secrétaire, nègre pour une encyclopédie musicale ou le plus souvent critique littéraire.
Il s’installe en 1987 en Cornouailles, une région dont il tombe éperdument amoureux et où il situe l’action de tous ses livres depuis. Ecrivain reconnu et respecté, il se refuse à être étiqueté « écrivain gay en guerre contre les archaïsmes sociaux », il aborde avec beaucoup plus de finesse et de largeur de vue les frictions entre impératif du désir et morale : « le désir me fascine car il est imprévisible, par-delà la morale. »

Roman 1 : Tableaux d’une exposition

Un jour d’hiver, Rachel Kelly, peintre de renom, s’écroule en plein travail dans son atelier, laissant derrière elle une œuvre importante et une famille déchirée. Un homme, d’abord, Antony, qui fut son compagnon, son soutien, son souffre-douleur aussi ; deux fils qui ne se sont jamais sentis à la hauteur de cette mère trop douée ; une fille, Morwenna, qui a choisi de fuir… Réunis dans la demeure familiale des Cornouailles, le passé refait surface, et les secrets de Rachel s’esquissent et se ravivent. Qui était cette peintre de génie qui faisait passer l’art avant toute chose ? Et qu’est-il vraiment arrivé à Petroc, le petit dernier, le fils préféré, disparu trop tôt, dont l’ombre plane toujours sur la maison ? Quels secrets les tableaux de Rachel Kelly ont-ils encore à livrer ?

De son écriture tout en nuances, Patrick Gale nous livre une chronique familiale douce-amère autour de la figure maternelle d’une artiste peintre bohème et excentrique, dans le décor splendide de la Cornouailles.

Premières pages…

VAREUSE DE PÊCHEUR (DATE INCONNUE).
Coton. Bleu marine.
Plusieurs vareuses comme celle-ci ont été ache­tées par Rachel Kelly au fil des années qu’elle a passées à Penzance. Elle se les procurait auprès du shipchandler de Newlyn et s’en servait comme d’une blouse, pour protéger ses vêtements (encore que les taches de peinture ne semblent jamais l’avoir gênée, pas plus que le chaos dans lequel elle travaillait, comme l’attestent, derrière vous, les photographies de ses deux lieux de travail favoris.) Dans la mesure où aucun de ses ateliers n’était chauffé, il est probable que la vareuse la protégeait aussi du froid. Kelly faisait grand usage des poches – seul endroit, confia-t-elle un jour plaisamment à Wilhelmina Barns-Graham, où elle pouvait préserver ses biscuits au chocolat de la peinture (voir le dessin humoristique de la carte postale ci-dessous). Contradiction typique du personnage : Kelly, qui ne mit jamais les pieds sur un bateau de toute sa vie, méprisait la mode des fausses vareuses en coton mélangé et ne jurait que par la couleur bleu marine. Le jour de sa mort, elle portait un modèle encore plus usagé et maculé que celui-ci. C’est dans cette tenue qu’on l’enterra.

Rachel fut réveillée par un tableau, ou plutôt par l’idée d’un tableau. Sa première réaction fut d’angoisse, comme on en éprouve à être arraché au ravissement d’un rêve, et elle referma les yeux, inspirant profondément dans l’espoir de se rendormir aussitôt et de renouer le fil perdu. Mais son réveil était complet et l’état d’ébullition de son cerveau tel qu’elle n’aurait pu éviter la prise de sang et l’ordonnance que Jack Trescothick lui aurait prescrites, s’il l’avait su.
Le tableau persistait, telle l’image brûlante qu’imprime sur la rétine un objet contemplé en plein soleil. Il lui suffisait de cligner des yeux pour le revoir un court instant. Elle voyait les couleurs, percevait leur splendeur vibrante et bourdonnante, mais redoutait de les perdre en bougeant trop tôt ou en se mettant à parler.
Elle avait toujours travaillé ainsi, jeune. Ou du moins, plus jeune. Une image, les éléments d’une image lui venaient de façon soudaine, et si rien autour d’elle ne semblait les appeler, sa tâche à elle, celle de son imagination folle, était de les retenir assez longtemps pour les fixer sur le papier ou sur la toile. Elle éprouvait, à décrire le processus, une réticence superstitieuse, mais si un ami l’avait obligée à le mettre en mots elle l’aurait comparé à une dictée – en supposant qu’une image puisse se dicter – lue par un maître imprévisible qui ne consentirait peut-être pas à répéter ce qu’on n’a pas compris. Dès lors qu’elle trouvait un moyen, même grossier, de traduire l’image en se saisissant d’un pastel, d’un crayon, d’un bâton de rouge à lèvres, de n’importe quel objet lui tombant sous la main – jusqu’à la sucette verte de sa fille, un jour -, elle était presque sûre d’y avoir accès de nouveau pour pouvoir, le moment venu, la parfaire à loisir.

Contrepoint

La peintre GLUCK, née Hannah Gluckstein, qui faisait partie justement du mouvement bohème du Newlyn School à la fin des années 1910, début des années 20 est une figure de l’époque. Adoptant alors une identité d’homme sous ce pseudonyme Gluck, s’habillant en vêtements d’homme et coiffée selon la mode masculine de l’époque, elle, comme beaucoup de ses collègues, porte la vareuse du pêcheur.

Roman 2 : Une douce obscurité

Dido a neuf ans et un caractère bien trempé. Et c’est tant mieux, car la fillette a déjà eu son lot de tragédies. Orpheline, elle vit chez Eliza, sa tante, qui l’a adoptée et élevée avec son ex-mari Gyles, jusqu’à ce que le couple se sépare. Lorsque Eliza apprend que sa mère vient d’être victime d’une attaque, Dido voit l’occasion de connaître enfin sa grand-mère et convainc Eliza de se rendre en Cornouailles au chevet de la malade. Eliza est alors loin d’imaginer que ce voyage du retour va lui donner l’occasion miraculeuse de renouer avec sa propre existence. Silences, révélations et passions troubles, Patrick Gale signe un roman doux amer sur le poids des secrets et la poursuite capricieuse du bonheur.

Roman 3 : Jusqu’au dernier jour

Jusqu'au dernier jour

Bref et bouleversant, le roman des retrouvailles de deux anciens amants. Construite au fil d’une journée d’été entrecoupée de souvenirs, une love story au charme bohème et à l’excentricité tout anglaise, une chronique douce-amère sur le hasard, les rendez-vous manqués et les regrets. Au coin d’une rue, Ben tombe sur Laura. Il est médecin à l’hôpital ; elle, comptable, est revenue vivre dans la maison de son enfance. Il est marié ; elle a enchaîné les liaisons. Il veille sur son frère handicapé, Bobby ; elle prend soin de sa mère. Mais surtout, autrefois, à Oxford, lorsqu’ils étaient étudiants, Ben et Laura étaient tombés fous amoureux. Ils ne se sont pas revus depuis vingt ans. Sauront-ils saisir la seconde chance qui s’offre à eux ? Que reste-t-il de leurs amours ?

Premières pages

LAURA ÉTAIT RÉVEILLÉE DEPUIS PLUSIEURS MINUTES lorsqu’elle s’aperçut qu’il y avait un problème. Elle ouvrait toujours ses rideaux avant de se coucher, préférant être tirée lentement du sommeil par les premières lueurs du jour plutôt que d’en être arrachée par une sonnerie. (Commencer plus tard les mois d’hiver était un des rares plaisirs que lui offrait son travail de comptable free-lance.) Allongée très confortablement, elle rassembla donc doucement ses esprits – où était-elle et pourquoi ? -, huma les doux effluves du rosier Sombreuil qui lui bouchait en partie la vue sur le jardin et écouta les cris affamés des oisillons de la mésange bleue dans le nichoir à côté du rebord de fenêtre. Son esprit nota le roman américain qu’elle s’obstinait à lire malgré son manque de vertus émollientes et l’efflorescence qui empourprait le fond du verre à vin posé sur sa table de nuit. Son bien-être diminuait à mesure que les meubles et les tableaux lui rappelaient qu’elle n’était plus à Paris, mais à Winchester, que ce n’était pas sa chambre, du moins pas encore tout à fait, mais la chambre d’appoint de sa mère.
Elle venait de se dire avec un soupir rentré qu’elle l’occupait depuis assez longtemps pour qu’une telle distinction ait un arrière-goût de lâcheté, lorsqu’elle se rendit compte que le bruit de fond sur lequel se détachaient les cris des bébés mésanges bleues n’était pas, comme elle l’avait cru, le roucoulement d’une tourterelle turque, mais maman qui l’appelait du jardin.
Elle jura à mi-voix en s’apercevant qu’il n’était que six heures et demie et alla jeter un coup d’œil entre les branches du rosier. Elle jura une seconde fois, plus fort, et enfila sa robe de chambre en courant.

Suite française – Irène Némirovsky

Écrit dans le feu de l’Histoire, Suite française dépeint presque en direct l’Exode de juin 1940, qui brassa dans un désordre tragique des familles françaises de toute sorte, des plus huppées aux plus modestes. Avec bonheur, Irène Némirovsky traque les innombrables petites lâchetés et les fragiles élans de solidarité d’une population en déroute. Cocottes larguées par leur amant, grands bourgeois dégoûtés par la populace, blessés abandonnés dans des fermes engorgent les routes de France bombardées au hasard… Peu à peu l’ennemi prend possession d’un pays inerte et apeuré. Comme tant d’autres, le village de Bussy est alors contraint d’accueillir des troupes allemandes. Exacerbées par la présence de l’occupant, les tensions sociales et frustrations des habitants se réveillent…

Roman bouleversant, intimiste, implacable, dévoilant avec une extraordinaire lucidité l’âme de chaque Français pendant l’Occupation (enrichi de notes et de la correspondance d’Irène Némirovsky), Suite française ressuscite d’une plume brillante et intuitive un pan à vif de notre mémoire.

De son village de Saône-et-Loire où elle est réfugiée, Irène Némirovsky traque les innombrables petites lâchetés et les fragiles élans de solidarité d’une population en déroute. Au fil de l’écriture et de l’avancée allemande, son roman se fait le miroir inquiétant du quotidien d’un pays sous le joug, jusqu’à ce que la réalité dépasse tragiquement la fiction lors de son arrestation en juillet 1942. Ainsi la grande Histoire précipite-t-elle le destin de la romancière et, avec lui, celui de Suite française. Son manuscrit inachevé, ses notes et nombreux écrits sont confiés à ses enfants dans une précieuse valise. Des années plus tard, sa fille, Denise Epstein, en exhume le roman Suite française. Il existait cependant deux versions de la fameuse suite romanesque : une version brute, originelle, la toute première (Denoël, 2004), et puis une seconde remaniée, plus ramassée, plus aboutie, celle que l’auteure envisageait de publier.

Zouleikha ouvre les yeux

Le Roman

Nous sommes au Tatarstan, au cœur de la Russie, dans les années 30. A quinze ans, Zouleikha a été mariée à un homme bien plus âgé qu’elle. Ils ont eu quatre filles mais toutes sont mortes en bas âge. Pour son mari et sa belle-mère presque centenaire, très autoritaire, Zouleikha n’est bonne qu’à travailler. Un nouveau malheur arrive : pendant la dékoulakisation menée par Staline, le mari se fait assassiner et sa famille est expropriée. Zouleikha est déportée en Sibérie, qu’elle atteindra après un voyage en train de plusieurs mois. En chemin, elle découvre qu’elle est enceinte. Avec ses compagnons d’exil, paysans et intellectuels, chrétiens, musulmans ou athées, elle participe à l’établissement d’une colonie sur la rivière Angara, loin de toute civilisation : c’est là qu’elle donnera naissance à son fils et trouvera l’amour. Mais son éducation et ses valeurs musulmanes l’empêcheront longtemps de reconnaître cet amour, et de commencer une nouvelle vie.

L’auteur

Gouzel Iakhina
Gouzel Iakhina

Gouzel Iakhina est née en 1977 à Kazan, au Tatarstan (Russie). Elle a étudié l’anglais et l’allemand à l’université de Kazan, puis a suivi une école de cinéma à Moscou, se spécialisant dans l’écriture de scénarios. Elle a publié dans plusieurs revues littéraires, comme Neva ou Oktiabr. Zouleïkha ouvre les yeux est son premier roman. Elle vit aujourd’hui à Moscou, avec son mari et sa fille.

Récits de lecteurs

Dès les premières pages on tombe sous le charme de Zoulheikha, Yeux verts, ce petit bout de femme soumise sans aucun autre choix, peu éduquée mais sensible et délicate, qui en parallèle de sa religion musulmane est profondément attachée aux croyances païennes héritées de sa mère.
Ce n’est pas facile de contenter un esprit… L’esprit de l’étable aime le pain et les biscuits, l’esprit du portail, la coquille d’oeuf écrasée. L’esprit de la lisière, lui, aime les douceurs.
De minutieuses descriptions, comme celle de la préparation de la bania (la salle consacrée au bain rituel, située en dehors de l’isba) accompagnent l’introduction de ce livre qui va ,suite à un rêve prémonitoire, nous emmener vers une aventure longue et douloureuse dans une Russie en pleine ébullition, où sévit la dékoulakisation menée par Staline.

A travers les yeux de Zouleikha, on saisit, l’esprit des steppes, au-delà des arbres, pulsant comme des fleurs dorées, celui de la prison comme un grand organisme concentré sur l’effort de rester en vie. On visualise les peintures d’Ikonnikov, miettes de culture dans une nature la plus hostile, comme des fenêtres et des leçons d’histoire, telles que le jeune Youssouf les voit. On accompagne, le brillant docteur Leibe qui, longtemps, semble préférer le délire psychotique, tiède, aveuglant et protecteur face à tout ce qui fait mal à voir.

La dékoulakisation

Site Les Yeux du Monde – 2013

 

A partir de 1928, l’URSS mène une propagande importante pour convaincre les paysans de rejoindre kolkhozes et sovkhozes, structures présentées comme modernes, possédant des machines agricoles notamment. Ces structures permettaient, selon cette propagande, d’arracher les paysans de l’archaïsme pour se moderniser et avoir une vie meilleure. Cependant, malgré cette propagande active, on assiste à une certaine réticence de la part des paysans. Le seul moyen a donc été la contrainte…

Une affiche de propagande pour les kolkhozes Une affiche de propagande pour les kolkhozes

En décembre 1929, on estime à 13% seulement la proportion de paysans appartenant à des kolkhozes ou à des sovkhozes. Staline trouve que la collectivisation ne se fait pas assez vite. Les koulaks, c’est-à-dire ceux qui ont des grandes fermes employant des ouvriers agricoles, ont notamment du mal à accepter ce nouveau système. En décembre 1929, Staline annonce ainsi vouloir « le passage de la limitation des tendances exploiteuses des koulaks à la liquidation des koulaks en tant que classe », ce qu’approuve le Politburo en 1930. Une entreprise de liquidation des koulaks qui résistent à la collectivisation est alors lancée : c’est la dékoulakisation. Dans la réalité, tous ceux qui s’opposent à la collectivisation sont présentés comme koulaks. Or, la grande masse des paysans s’opposaient à la collectivisation. En 1930, face à la menace collectiviste, de nombreux paysans préfèrent abattre leur cheptel plutôt que de les donner aux structures collectives : plusieurs dizaines de millions de têtes sont ainsi perdues.

Pour faire face au mécontentement paysan, les expropriations et exécutions se multiplient et les camps du Goulag se remplissent. Le Goulag est une administration centrale qui dirige des camps en Sibérie ou au Kazakhstan. Souvent, les koulaks sont déportés en famille dans ces régions périphériques afin de les mettre en valeur. Ce sont les « colons spéciaux » qui, surveillés, ne peuvent quitter leur nouvelle région et travaillent dans des chantiers où la mortalité est élevée. En 1930 et 1931, on compte environ 1,8 million de victimes de la dékoulakisation. Or, ceux qui résistaient étaient souvent les paysans les plus dynamiques. Les campagnes se retrouvent à la fois décapitées et terrifiées.

Des conséquences profondes sur les résultats de l’agriculture

En 1930, l’URSS réalisant de bonnes récoltes, Staline estime que l’on peut prélever encore plus sur la production agricole afin de vendre du blé à l’étranger, notamment à l’Allemagne, contre des crédits et des machines. Ainsi, en 1931 et en 1932, les livraisons, imposées, sont de plus en plus excessives. Les kolkhozes sont soumis à des exigences extrêmes, si bien qu’ils ne peuvent plus nourrir le bétail et même les travailleurs. Par ailleurs, les kolkhozes ne peuvent plus ressemer. Cette situation aboutit à de nombreuses famines, et à l’Holodomor, qui signifie « extermination par la faim » : cette famine frappa durement le Kouban et l’Ukraine, et fit entre 2,5 et 5 millions de morts.

En 1935, la dékoulakisation est jugée comme étant achevée, les koulaks en tant que classe sociale ayant cessé d’exister.

La « dékoulakisation » dans les campagnes d’URSS

Film muet de 1928

Dans un village enneigé d’URSS, des manifestations sont organisées pour dénoncer les « Koulaks », paysans aisés et petits propriétaires s’opposant à la collectivisation des terres et refusant de satisfaire la collecte agricole.
Date de diffusion : 13 juin 1928
https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000915/la-dekoulakisation-dans-les-campagnes-d-urss-muet.html

Retour à Lemberg

Philippe Sands, né en 1960, juriste international de renom, spécialisé dans la défense des droits de l’homme, intervient, auprès de la Cour internationale de Justice, de la Cour de justice des Communautés européennes…
Compte tenu de son renom, il fut convié, il y a quelques années, à donner une conférence à l’université de droit de Lviv, en Ukraine. Cette invitation va lui donner l’occasion de plonger dans le passé de sa famille et de découvrir les liens étroits existant entre sa famille et plus particulièrement son grand-père Léon Buchholz, natif de Lemberg, avec :

  • Hersch Lauterpacht (1897-1960), professeur de droit international, originaire de Zolkiew, près de Lemberg,
  • Raphael Lemkin (1900-1959), procureur et avocat, résidant à Lemberg à partir de 1921, et
  • Hans Frank 1900-1946, ministre du IIIème Reich, avocat préféré d’Hitler.

Raphael Lemkin et Hersch Lauterpacht sont deux juristes exceptionnels, hélas, peu connu du grand public, qui ont pourtant joué un rôle déterminant dans l’évolution de la perception des crimes de guerre et de la justice internationale.
Raphael Lemkin (1900-1959) a forgé le terme « génocide« , tandis que Hersch Lauterpacht a introduit la notion juridique de « crime contre l’humanité« .
Deux concepts absolument essentiels.
Ce sont effectivement ces termes juridiques qui ont permis, en 1946, de condamner à Nuremberg, les hauts dignitaires nazis et des années plus tard, la création de la cour pénale de la Haye pour crimes de guerre, comme en ex-Yougoslavie ou au Rwanda.

Ce qui est absolument incroyable c’est qu’aussi bien Lemkin que Lauterpacht soit originaire de Lviv, la capitale de la Galicie, l’ancienne province orientale de l’Empire austro-hongrois. Endroit où est né le grand-père de Philippe Sands.

Dans ses investigations, Philippe Sands a rencontré Niklas Frank, le fils de l’avocat d’Hitler, Hans Franck qui fut aussi gouverneur-général de la Pologne occupée. De passage à Lviv,en 1942, il annonça la mise en place de « la solution finale ».
Niklas avait 7 ans lorsque son père fut jugé et pendu à Nuremberg en octobre 1946.
Il a publié un ouvrage sur ce père, ayant pour titre « Mon père : un règlement de comptes », qui est un jugement lucide, sans la moindre concession sur les exactions commises par son père.
À Philippe Sands, il a déclaré : « Mon père était juriste ; il savait ce qu’il faisait… »

Lors de son enquête, Philippe Sands découvre une série de coïncidences historiques qui le conduiront des secrets de sa famille à l’histoire universelle.
C’est, en effet, à Lemberg (Lviv) que Leon Buchholz, son grand-père, passe son enfance avant de fuir, échappant ainsi à l’Holocauste qui décima sa famille ; c’est là que Hersch Lauterpacht et Raphael Lemkin, deux juristes juifs étudient le droit dans l’entre-deux-guerres. C’est là enfin que Hans Frank, haut dignitaire nazi, annonce, en 1942, alors qu’il est Gouverneur général de Pologne, la mise en place de la « Solution finale » qui condamna à la mort des millions de Juifs. Parmi eux, les familles Lauterpacht, Lemkin et Buchholz.

Comment ne pas être troublé par cet extraordinaire témoignage, qui transcende les genres, ou s’entrecroisent, une enquête palpitante, la coïncidence troublante de retrouver les traces des quatres personnages dans une la même ville et une réflexion profonde sur le pouvoir de la mémoire.

Lviv, Lemberg, Lwów, Lvov… ville carrefour de tragédies

Ville fondée au XIIIe siècle, l’ensemble architectural de son centre historique est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Longtemps polonaise, puis autrichienne de 1772 à 1918 sous le nom de Lemberg après le premier partage de la Pologne, redevenue polonaise sous le nom de Lwów au sein de la Deuxième République de Pologne (1919-1939), annexée par la Russie, puis par l’Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale, elle est actuellement la capitale de l’oblast de Lviv en Ukraine.

Lviv est une ville hautement symbolique des différentes tragédies qu’a connu l’Europe à travers les siècles.

1386-1772 : Lwów, ville polonaise

Lwów devient une ville multi-ethnique et multiconfessionnelle à majorité polonaise, et un centre de culture, de science et de commerce. Trois archevêchés y étaient installés : l’archevêché catholique latin, l’archevêché gréco-catholique (dit uniate) et l’archevêché arménien. Au XVIe siècle, la population juive atteint le millier de personnes.

1772-1918 : Lemberg, ville autrichienne
En 1772, à la suite de la partition de la Pologne, Lwów devint Lemberg, la capitale de la province autrichienne nommée royaume de Galicie et de Lodomérie. Ce régime laissa une grande empreinte sur l’architecture de la ville. En 1776, paraît la Gazette de Léopol, un périodique en langue française, premier journal d’Ukraine. En 1784, l’université laïque fut ouverte par l’empereur Joseph II. Les cours étaient donnés en latin, allemand et polonais puis, à partir de 1786, en ukrainien.
En 1867, la Galicie, toujours rattachée à l’Autriche-Hongrie, obtint une large autonomie et les Polonais bénéficièrent de certaines libertés culturelles, dans l’administration locale et l’éducation. Un mouvement patriotique ukrainien subsistait cependant.
Après la Première Guerre mondiale, lors de l’effondrement de l’empire des Habsbourg, la population ukrainienne locale proclama Lviv comme capitale de la république populaire d’Ukraine occidentale le 1er novembre 1918.

1918-1939 : Lwów, ville polonaise à nouveau

La ville, à majorité polonaise, retourne dans le giron polonais, après une absence d’État polonais de plus d’un siècle, et ce jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, elle est alors connue à l’étranger sous son nom polonais de Lwów. Lwów avait une forte communauté juive d’expression yiddish ou allemande : en 1939, près d’un tiers de la population, soit plus de 100 000 habitants, étaient des Juifs et la ville comptait cinquante synagogues.

1939-1945 : Lwów au cœur de la Seconde Guerre mondiale

En septembre 1939, la région fut envahie par les Allemands. Après des combats acharnés des forces polonaises retranchées dans le centre-ville, la ville fut totalement encerclée par la Wehrmacht le 14 septembre 1939.

En application du pacte germano-soviétique, l’Armée rouge envahit à son tour la région le 17 septembre 1939. Au terme de ce qui sera appelé la bataille de Lwów, la garnison polonaise capitula face aux Soviétiques le 22 septembre 1939. La région fut alors annexée par l’Union soviétique et incorporée à la République socialiste soviétique d’Ukraine selon une des clauses secrètes du pacte Molotov-Ribbentrop. Au cours de la période d’occupation soviétique de septembre 1939 à juillet 1941, la population, particulièrement les Polonais, subit une politique de soviétisation (collectivisation des entreprises) et de représailles (exécutions et déportations dans les régions Est de l’URSS).

Lors de l’opération Barbarossa, la ville est occupée en juillet 1941 par les troupes allemandes, les nazis et leurs auxiliaires ukrainiens débutèrent une politique de « purification ethnique et intellectuelle » avec notamment la destruction de l’intelligentsia polonaise (et de leur famille) lors du massacre des professeurs de Lwów.

Des pogroms sont déclenchés à Lviv, les 30 juin et 25 juillet 1941, sans discontinuer durant quatre semaines, durant lesquels 4 000 Juifs sont tués. Le 30 juin, ce sont un demi-millier de Juifs, qui sont arrêtés dans la rue à des barrages de contrôle ou à leur domicile.

Sept mille arrestations sont conduites systématiquement dans les semaines suivantes. Environ trois mille des personnes interpellées sont exécutées dans le stade municipal de Lviv.

Au début de novembre 1941, les Allemands créent un ghetto au nord de la ville qu’ils rebaptisent Lemberg, comme à l’époque de l’Autriche-Hongrie. Les Einsatzgruppen assassinent des milliers de Juifs âgés ou malades pendant qu’ils traversent le pont de la rue Peltewna pour rejoindre le ghetto. En mars 1942, les Allemands débutent la déportation des Juifs vers le camp d’extermination de Bełżec. En août 1942, plus de 65 000 Juifs sont déportés du ghetto de Lemberg et exterminés. Des milliers d’autres sont envoyés dans le camp de travail forcé voisin de Janowska. Au début du mois de juin 1943, le ghetto est détruit et des milliers de Juifs sont à nouveau massacrés à cette occasion.

Le 27 juillet 1944, la Wehrmacht est définitivement chassée de la ville par l’Armée rouge.

En 1945, après des siècles de présence polonaise, la région est annexée par l’Union soviétique et les Polonais survivants sont expulsés vers l’ouest, notamment vers Wrocław (en allemand Breslau), en Basse-Silésie, région jusque-là allemande, alors rétrocédée à la Pologne.

Sans Polonais, ni Juifs, cette ville, jusque-là creuset intellectuel et pluriculturel, est vidée de sa substance et des principaux habitants qui en avaient fait la réputation.

1991 : l’Ukraine devient un État indépendant. Lwów devient Lviv

L’histoire de l’Ukraine en tant qu’État indépendant est récente. Après un très bref épisode entre 1918 et 1920 l’Ukraine n’a acquis son indépendance qu’en 1991 dans le cadre de la dissolution de l’Union soviétique.

C’est le 24 août 1991 que l’Ukraine a pris sa liberté. À l’époque, le président russe, Boris Eltsine, soucieux d’évincer Gorbatchev, s’entend avec ses homologues ukrainien et biélorusse pour démanteler l’URSS… L’indépendance ukrainienne est ratifiée par un référendum, le 1er décembre 1991, à 90 %. Le « oui » est majoritaire, y compris en Crimée et dans le Donbass.

Très vite, les premières difficultés apparaissent avec la Russie. Il faut s’entendre sur le prix du gaz livré par la Russie et surtout sur le partage de la flotte de la mer Noire, basée dans le port de Sébastopol, en Crimée. La Russie revendique l’usage de ce port militaire ; l’Ukraine veut sa part de la flotte soviétique. Kiev et Moscou s’accordent pour une location du port durant vingt-cinq ans… L’Ukraine met quatre ans pour se doter d’une nouvelle Constitution, puis d’une monnaie, la hryvnia, du nom de l’ancienne devise qui était en cours au XIe siècle dans la grande principauté de Kiev…

2004 : La « révolution orange », un pas vers l’Europe

À l’époque, l’Ukraine peine à s’affirmer et à choisir son destin. Elle est écartelée entre une partie de la population, dans le sud-est du pays, qui se sent attachée au passé soviétique, et une autre partie, plus à l’ouest, qui souhaite emboîter le pas à la Pologne pour se rapprocher de l’Europe. Ces deux camps s’affrontent une première fois en 2004, lors de la « révolution orange », une protestation qui dure deux mois, jour et nuit, en plein hiver, sur la place de l’Indépendance à Kiev. Elle porte au pouvoir le président Viktor Iouchtchenko, un pro-européen.

Sous son impulsion, l’Ukraine renoue avec ses racines et revendique de plus en plus sa culture, sa langue. Viktor Iouchtchenko ouvre également les archives de l’ancien KGB et inaugure un mémorial pour le Holodomor, la famine artificielle provoquée en 1933 par Staline qui a causé la mort de 4 à 6 millions d’Ukrainiens. Il demande que cette tragédie soit reconnue comme un « génocide ». C’est encore un sujet d’affrontement avec la Russie qui refuse le qualificatif.

2014 : Deuxième révolution : fracture entre l’Ukraine et la Russie

Puis en 2010, c’est cette fois l’est de l’Ukraine qui remporte la présidentielle : arrive au pouvoir Viktor Ianoukovitch, originaire du Donbass. Il se tourne vers la Russie qui lui propose d’intégrer une union douanière. Ce choix provoque une deuxième révolution, en novembre 2013.

La fracture s’approfondit

Sur cette même place de l’Indépendance, à Kiev, la confrontation est cette fois plus violente. Elle fait plus d’une centaine de tués. La contestation l’emporte malgré tout en février 2014, tandis que Viktor Ianoukovitch s’enfuit en Russie. Un gouvernement pro-européen s’installe à nouveau à Kiev, tandis que la Russie dénonce un « coup d’État » mené par une « junte nazie ».

De là date la véritable fracture entre la Russie et l’Ukraine. Vladimir Poutine réagit en annexant la péninsule de Crimée, au Sud, une opération rondement menée par des forces spéciales sans insignes qui s’emparent du parlement local et font voter les députés à huis clos, avant d’organiser un référendum. À l’époque, l’Ukraine se remet à peine de sa révolution et se trouve incapable de réagir. Puis, la Russie organise la déstabilisation des territoires de l’est de l’Ukraine, avec l’envoi de « volontaires armés » venus « au secours » des populations locales.

Cette fois, l’armée ukrainienne parvient à contenir les séparatistes dans un réduit, autour des villes de Donetsk et de Lougansk. La ligne de front se stabilise grâce à un accord négocié à Minsk, en février 2015, avec l’aide de François Hollande et d’Angela Merkel. Mais la guerre s’installe en Ukraine. Le long de la ligne de front qui fait 500 km, les séparatistes soutenus par la Russie échangent régulièrement des tirs avec l’armée ukrainienne.

Un État reconnu et démocratique

Malgré le coût de cette guerre, l’Ukraine reprend sa marche en avant. Elle met à terre les dernières statues de Lénine. Elle affirme clairement, désormais, son choix de consolider son indépendance et de se rapprocher de l’Europe, voire d’entrer dans l’Otan. Petro Porochenko, un riche entrepreneur, est élu président. L’Union européenne offre à Kiev un accord d’association qui lui ouvre la porte de son marché. Les Ukrainiens obtiennent de pouvoir circuler en Europe sans visa. L’économie tout entière de l’Ukraine se tourne vers l’ouest, tandis que le commerce avec la Russie se réduit. Plus de 40 % des exportations ukrainiennes vont vers l’UE aujourd’hui. Le nouveau président ukrainien élu en 2019, Volodymyr Zelensky, maintient cette orientation.

En trente et un ans d’indépendance, l’Ukraine est passée par bien des secousses. Mais elle est devenue un État reconnu internationalement, un partenaire des Européens et des États-Unis, un pays relativement stable, souvent critiqué pour son niveau de corruption, mais démocratique et où règnent la liberté d’expression et le pluralisme.

2022 : Lviv carrefour de refuge suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie

Lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, des milliers de réfugiés ukrainiens fuyant les combats se massent à Lviv pour prendre le chemin de l’exode en Pologne et vers d’autres pays européens.

Ken Follett – La trilogie du siècle

Ken Follett, né le 5 juin 1949 à Cardiff, est un écrivain spécialisé dans les romans d’espionnage et les romans historiques.

Fresque historique tout autant que saga familiale, les plus de 3 000 pages de sa Trilogie du Siècle nous font parcourir la majeure partie du XXème siècle de février 1914 à novembre 1989. Les familles vont traverser le tumulte des troubles sociaux, politiques et économiques de ce siècle. Les personnages de fiction se mêlent aux personnages réels de façon très crédible sans entamer la vérité historique.

La trilogie du Siècle

Tome 1 :
La Chute des géants

A la veille de la guerre de 1914-1918, les grandes puissances vivent leurs derniers moments d’insouciance. Bientôt la violence va déferler sur le monde. De l’Europe aux États-Unis, du fond des mines du pays de Galles aux antichambres du pouvoir soviétique, en passant par les tranchées de la Somme, cinq familles vont se croiser, s’unir, se déchirer. Passions contrariées, jeux politiques et trahisons… Cette fresque magistrale explore toute la gamme des sentiments à travers le destin de personnages exceptionnels… Billy et Ethel Williams, Lady Maud Fitzherbert, Walter von Ulrich, Gus Dewar, Grigori et Lev Pechkov vont braver les obstacles et les peurs pour s’aimer, pour survivre, pour tenter de changer le cours du monde. Entre saga historique et roman d’espionnage, intrigues amoureuses et lutte des classes, ce premier volet du Siècle, qui embrasse dix ans d’histoire, raconte une vertigineuse épopée où l’aventure et le suspense rencontrent le souffle de l’Histoire…

Tome 2 :
L’Hiver du monde

1933, Hitler s’apprête à prendre le pouvoir. L’Allemagne entame les heures les plus sombres de son histoire et va entraîner le monde entier dans la barbarie et la destruction. Les cinq familles dont nous avons fait la connaissance dans La Chute des géants vont être emportées par le tourbillon de la Seconde Guerre mondiale. Amours contrariées, douloureux secrets, tragédies, coups du sort… Des salons du Yacht-Club de Buffalo à Pearl Harbor bombardé, des sentiers des Pyrénées espagnoles à Londres sous le Blitz, de Moscou en pleine évacuation à Berlin en ruines, Boy Fitzherbert, Carla von Ulrich, Lloyd Williams, Daisy Pechkov, Gus Dewar et les autres tenteront de faire face au milieu du chaos. Entre épopée historique et roman d’espionnage, histoire d’amour et thriller politique, ce deuxième volet de la magistrale trilogie du Siècle brosse une fresque inoubliable.

Tome 3 :
Aux portes de l’éternité

1961. Les Allemands de l’Est ferment l’accès à Berlin-Ouest. La tension entre États-Unis et Union soviétique s’exacerbe. Le monde se scinde en deux blocs. Confrontées à toutes les tragédies de la fin du xxe siècle, plusieurs familles – polonaise, russe, allemande, américaine et anglaise – sont emportées dans le tumulte de ces immenses troubles sociaux, politiques et économiques. Chacun de leurs membres devra se battre et participera, à sa manière, à la formidable révolution en marche.

Peter May – Trilogie écossaise


Écrivain écossais, Peter May, né à Glasgow en 1951, habite depuis une dizaine d’années dans le Lot. Il a d’abord été journaliste avant de devenir l’un des plus brillants et prolifiques scénaristes de la télévision écossaise. Il y a quelques années, Peter May a décidé de quitter le monde de la télévision pour se consacrer à l’écriture de ses romans. Le Rouergue a publié sa série chinoise avant d’éditer la trilogie écossaise (parue d’abord dans sa traduction française avant d’être publiée, avec un immense succès, en anglais).

L’ile des chasseurs d’oiseaux

L’inspecteur Fin McLeod, meurtri par la disparition de son fils unique, est de retour sur son île natale, où un homme vient d’être assassiné. Là, chaque année, une douzaine d’hommes partent en expédition à plusieurs heures de navigation pour tuer des oiseaux nicheurs. Sur fond de traditions ancestrales d’une cruauté absolue, Peter May nous plonge au coeur de l’histoire personnelle d’un enquêteur en rupture de ban avec son passé.

L’homme de Lewis

On découvre le cadavre d’un jeune homme, miraculeusement préservé par la tourbière. Les analyses ADN relient le corps à Tormod Macdonald, le père de Marsaili, l’amour de jeunesse de Fin McLeod, et font de celui-ci le suspect n°1. C’est une course contre la montre qui s’engage alors pour découvrir la vérité : l’inspecteur principal est attendu sur l’île pour mener l’enquête et il n’épargnera pas le vieil homme, atteint de la maladie d’Alzheimer.

Le braconnier du lac perdu

Whistler était le plus brillant des amis de Fin. Le plus loyal. Par deux fois, il lui a sauvé la vie. Promis au plus bel avenir, il a pourtant refusé de quitter l’île où il vit aujourd’hui comme un vagabond. Sauvage. Asocial. Privé de la garde de sa fille unique. Or voici que Fin doit prendre en chasse les braconniers qui pillent les eaux sauvages de Lewis. Et Whistler est, d’entre tous, le plus redoutable des braconniers.

Gunnar Staalesen – Le Roman de Bergen


Gunnar Staalesen est né en 1947 à Bergen, en Norvège. C’est à la découverte des 6 volumes de la grande fresque sociale qu’il a consacrée à sa ville natale norvégienne : Le Roman de Bergen, que je vous invite.

 » L’écriture de Staalesen fait mouche, avec son sens de la narration classique et la description pointue d’un pays beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. « 

Le Roman de Bergen. 1900 L’aube, Tome 1
Le Roman de Bergen. 1900 L’aube, Tome 2

L’ébullition gagne Bergen, petite ville industrielle de Norvège, en ce jour glacial du XXe siècle naissant. Le chemin de fer se bâtit à toute allure, la famille royale est de passage et le meurtre du consul Frimann fait grand bruit parmi les notables. Tous sont fous de désir pour la sensuelle Maren Kristine Pedersen, qui a bien connu la victime. L’inspecteur Moland, pour son malheur, va succomber lui aussi…

Le rideau se lève sur Bergen dix ans après l’incendie qui l’a dévasté. Sven et Per, les fils de Christian Moland, sont devenus frères ennemis dans la grève sociale qui secoue la Norvège. Le conflit entre syndicalistes et police fait rage, et le monde s’affole, entre krach boursier et montée du fascisme. À Bergen, le vent glacial souffle toujours et une certaine  » Mlle Pedersen  » resurgit du passé…

Le Roman de Bergen. 1950 Le Zénith, Tome 3
Le Roman de Bergen. 1950 Le Zénith, Tome 4

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le ciel de Bergen s’assombrit. Le dramaturge Hjalmar Brandt se tourne vers l’Union soviétique de Staline ; Sigrid, l’épouse volage de Wilhelm Styrk, est séduite par le nazisme. Quand l’Allemagne occupe la Norvège, tous doivent choisir : la collaboration, la résistance, l’attente ou l’exil. L’enquête sur la mort du dernier amant de Mlle Pedersen est suspendue…

Le 17 mai 1945, Bergen célèbre la Libération. Bientôt, il faut juger les collaborateurs de l’occupant nazi. Vient le temps des découvertes : le rock’n’roll, les westerns, mais aussi les menaces de la guerre froide. Tandis que les enfants de la génération de 1900 prennent à bras-le-corps leur destinée et s’épanouissent dans les nouveaux quartiers, leurs parents vivent d’insondables exils intérieurs.

Le Roman de Bergen. 1999 Le Crépuscule, Tome 5
Le Roman de Bergen. 1999 Le Crépuscule, Tome 6

À Bergen, Veslemøy, onze ans, est trouvée en état de choc deux jours après sa disparition. Faute de témoins, l’enquête est suspendue. La Norvège traverse les années 1960 sur fond de guerre froide, entre crainte du conflit nucléaire et libéralisation des mœurs. Décidée à aller de l’avant, Veslemøy va devoir affronter son traumatisme, tout comme Bergen fait enfin face aux zones d’ombre de son passé.

Le soleil se couche sur un siècle de l’histoire de Bergen. Entre l’effroi lié au drame de la plate-forme pétrolière Alexander Kielland et l’espoir suscité par la chute du mur de Berlin, nul ne sait de quoi demain sera fait. Le passé, lui, révèle ses secrets aux dernières lueurs du crépuscule : la vérité sur l’affaire Veslemøy de 1962 et la résolution, cent ans après, du meurtre du consul Frimann.

L’émancipation des femmes des Deux-Sèvres sous la plume d’Ernest Pérochon

De Nêne à la Misangère des Gardiennes en passant par Marie-Rose Méchain, Lise Balzan ou Babette Rougier, sans oublier les nombreux personnages féminins de sa vingtaine de livres, Ernest Pérochon a fréquemment donné la place d’honneur à des personnages féminins dans ses romans.

Sous la plume d’Ernest Pérochon, les Deux-Sévriennes du bocage, de la plaine ou du marais s’émancipent progressivement des stéréotypes sociaux ou moraux de leur époque et prennent en main leur destin.

Geste éditions a entrepris de publier les œuvres complètes d’Ernest Pérochon (1885-1942.Le premier tome réunit quatre romans qui illustrent l’évolution de la condition féminine dans le milieu rural depuis la fin du XIXe siècle : Babette et ses frères (1939), Les Gardiennes (1924), Le Crime étrange de Lise Balzan (1929), Marie Rose Méchain (1931).

Ce premier tome relie des destins de femmes qui, au-delà de leurs différences, subissent les lois non écrites de codes sociaux dépassés. À travers l’histoire d’amour vécue par une jeune paysanne issue de la Petite Église à la fin du XIXe siècle, un récit de femmes de la terre exploitant seules l’exploitation familiale entre 1914 et 1918 et les portraits de jeunes filles issues de la bourgeoisie provinciale des années 1920, Ernest Pérochon illustre à sa manière le long combat des femmes pour leur émancipation, avec ses succès mais aussi ses échecs cruels.

Prix Goncourt en 1920 pour Nêne et auteur à succès d’une vingtaine de romans, Ernest Pérochon (1885-1942) fut tout d’abord instituteur en Deux-Sèvres et combattant de la Grande Guerre. Écrivain attaché à ses racines, son œuvre révèle aussi les préoccupations d’un homme conscient des mutations et des périls auxquels sa génération fut confrontée.

Babette et ses frères

L’action de « Babette et ses frères » se situe peu après la Guerre de 1870 et se déroule dans le milieu de le Petite Eglise en Poitou (dissidents ayant refusé le Concordat de Napoléon Ier).

La dissidente Babette est amoureuse d’un étranger athée et elle va devoir le payer très cher.

L’émotion engendrée par la lecture de cette dénonciation des violences intrafamiliales faites à l’héroïne ne peut laisser de marbre le lecteur actuel. Trop de faits divers tragiques rappellent que ces comportements d’un autre âge perdurent dans notre société. L’intégrisme religieux a le même visage et engendre les mêmes comportements quel que soit le dogme auquel il se réfère.

Extrait

« En ces cantons, tous ceux des villages avaient pris le fusil lors de la Grande Chouannerie. Tant soit la guerre mauvaise et folle, un jour, la paix vient. Les batailleurs du Bocage avaient donc fini par faire leur paix avec les Bleus. Et, depuis ce temps, personne n’avait plus bougé, hormis quelques fous. Sur le coup, pourtant, un levain de dépit était resté chez certains, notamment chez les prêtres. Ces prêtres, un peu plus tard, avaient blâmé le pape et ses évêques d’avoir accepté le marché que leur avait offert l’Empereur de Paris. Ils avaient parlé de trahison. Ils avaient dit à leurs ouailles :

Nous sommes les seuls vrais prêtres.

Et leurs ouailles les avaient écoutés.

Mais les prêtres étaient morts. Et, alors comment faire ? Il n’y avait plus qu’à rentrer tête basse,

Au giron de l’Eglise romaine. Beaucoup s’y étaient résignés. Mais il était resté quand même un certain nombre d’entêtés qui n’avaient point voulu céder. Ils formaient de petits îlots dans les paroisses. Peu à peu, la plupart de ces îlots, s’étaient effrités, avaient fondu.

Peu après la guerre contre les Prussiens, la Petite Eglise Réfractaire du Bocage ne comptait plus guère que deux milliers de fidèles. Ils habitaient presque tous en voisinage, part dans la paroisse de Fontclairin, part dans celle de Pontchâteau et des Ardriers. C’était là leur canton, en un pays très couvert, un pays d’eaux vives et de bois. Et le lieu de leur rassemblement aux jours des grandes fêtes était le village de Bellevue en la paroisse de Fontclairin.

Depuis que leurs derniers prêtres avaient gagné le Paradis, les Réfractaires, sentant leur faiblesse, se serraient autour de Bellevue. Ceux qui avaient essaimé dans les cantons voisins n’attendaient qu’une occasion pour se rapprocher des autres. C’est que la population catholique les entourait comme une grande eau. Isolés, ils se sentaient perdus, noyés. Au pays de Bellevue, ils étaient chez eux. Ils étaient à touche-touche ; ils se sentaient cœur à cœur et cela fortifiait leur courage.

Les gens d’Eglise guettaient pourtant, là comme ailleurs. Ils tâchaient de tirer à eux les moins fermes ou les plus démunis ou encore, parmi les jeunes, ceux qui se laissaient engourdir d’amour par une personne de l’autre bord.

Ils ne réussissaient pas souvent. Tous les faibles étaient déjà partis. C’était le noyau qui restait ; il ne s’émiettait pas.

« Nous sommes bons chrétiens, disaient les Réfractaires ; nous sommes catholiques mais non catholiques romains. Mieux que les autres, nous honorons Jésus et Notre Dame. Nous honorons tous les Saints ; tous ! Le Bon Dieu ne saurait nous prendre en faute. »

Ils priaient et priaient et non du bout des lèvres. Ils marquaient durement le carême, les quatre-temps, les vigiles. Ils méprisaient les catholiques pour les accommodements qu’ils cherchaient avec la régler ancienne. Eux, tout ce qui avait été ordonné, ils le faisaient. Et même ils passaient outre.

A ce prix, leur conscience était en paix. C’était leur force. »

Les gardiennes

Printemps 1915, dans l’univers rural d’un village du marais poitevin dans les Deux Sèvres.

La guerre dure depuis l’été 1914. Les derniers hommes valides d’âge mûr ont été mobilisés. Ne restent plus que les enfants, les vieux et les invalides. Les femmes doivent désormais faire face, seules aux travaux des champs, qui avant la guerre n’étaient qu’affaires d’hommes.

La grande Hortense, Francine, Léa et Solange se font les gardiennes de leur milieu rural, chargées de préserver leur patrimoine en attendant la paix. Ces femmes au quotidien extraordinaire doivent s’organiser, se mobiliser et se battre pour faire vivre les fermes. Ernest Pérochon illustre à sa manière le long combat des femmes pour leur émancipation, avec ses succès mais aussi ses échecs cruels.

Hortense Misanger, 58 ans, la grande Hortense, femme forte et énergique, dirige l’activité de 4 maisons :

– la sienne, Château-Gallé, située dans la plaine

– celle du Paridier, de sa fille Solange et du gendre Clovis

– celle de la cabane Richoix, ferme maraichine de son fils Norbert et de sa femme Léa

– la boulangerie du cousin Ravisé, veuf parti à la guerre, désormais tenue par Marguerite, 17 ans, et Lucien, 15 ans.

Deux autres fils célibataires, Georges et Constant sont dans les tranchées.

Claude, le mari d’Hortense, est usé par une vie de travail et n’arrive plus à faire face. Pour lui prêter main forte, ils vont recruter une femme à tout faire. Ce sera Francine, 20 ans, gamine de l’assistance publique…

Les deux thèmes récurrents des romans ruraux de Pérochon, la condition de la femme et l’amour impossible, atteignent dans ce livre leur summum. L’intensité mélodramatique a pour support une écriture moderne, avec un style vif qui donne envie de connaitre la suite.

« Les gardiennes » ont fait l’objet d’une adaptation au cinéma de Xavier Beauvois, avec Nathalie Baye et Laura Smet.

Les gardiennes film de Xavier Beauvois

Le crime étrange de Lise Balzan

Marie-Rose Méchain

Lise Balzan (1929) et Marie-Rose Méchain (1931), héroïnes des deux autres romans de cette réédition, incarnent chacune à leur manière l’émancipation des femmes de ce début de XXe siècle. Marie-Rose Méchain, véritable figure de la femme émancipée ressemble à s’y méprendre à l’archétype de la célèbre garçonne aux cheveux courts. Elle parvient à échapper à un destin tout tracé par son milieu social originel. A côté de cet exemple de la réussite féminine, la fragile orpheline qu’est Lise Balzan contrebalance cette idée du triomphe de la femme. Lise plonge progressivement vers la folie. Son « crime étrange », le meurtre de son beau-père, révèle les failles psychologiques laissées par la guerre à la jeune génération.

Nêne

La jeune Madeleine est gagée comme domestique chez Michel Cordier, un fermier veuf, pour s’occuper de deux enfants, Eulalie et Georges, et tenir la maison. Elle s’attache peu à peu aux enfants, allant même jusqu’à dilapider ses économies, pour qu’ils soient au moins comme les autres, et même mieux. Elle doit cependant subir les attaques du diabolique Boiseriot, ancien valet de la ferme, jaloux et catholique de surcroît. Dans une atmosphère oppressante, où trois mondes, catholiques, dissidents (réfractaires) et protestants se supportent difficilement, toujours à la limite du conflit, la situation de Madeleine se dégrade progressivement.

L’attachement, progressivement contrarié, que l’héroïne a envers les deux orphelins (de mère) de la famille de dissidents, où elle a été embauchée, est le ressort essentiel de l’intrigue. S’y ajoute les amours de son frère qui, sous l’emprise de l’alcool, perd un bras dans une machine. La dévergondée qu’il espérait épouser ira vers le père des deux orphelins…

Nêne est le deuxième roman d’Ernest Pérochon, comme « Le Chemin de plaine », il est terminé au printemps 1914. La Grande Guerre empêche la parution de ces deux titres qui ne sortent qu’en 1920. Le roman est édité localement, puis il reçoit le prix Goncourt 1920 ; ceci grâce en partie au gros travail de promotion de l’écrivain niortais et berrichon Gaston Chérau auprès des membres du jury.


Ernest Pérochon naît à Courlay, dans les Deux-Sèvres, à la ferme du Tyran. C’est le Bocage bressuirais, un pays de petites parcelles de terre médiocre, entourées de haies vives (les palisses) et reliées par des chemins creux. Les parents de Pérochon, petits propriétaires, y exploitent une borderie.

Il fréquente dans son enfance l’école publique de La Tour-Nivelle, actuellement musée-école.

Il est protestant, ou plus exactement de culture protestante, car ses deux parents sont protestants. Les Pérochon sont originaires de Saint-Jouin-de Milly près de Moncoutant, secteur très protestant. Courlay est dans une région particulière puisqu’on y côtoie aussi des catholiques, dont la religion est fortement marquée par les souvenirs de la Guerre de Vendée, et des dissidents, dits de la « Petite Église », mouvement religieux qui a refusé le concordat de 1801 signé entre Napoléon et le pape Pie VII.

Ernest Pérochon ne semble pas avoir été lui-même très religieux, en accord pour cela avec sa formation d’instituteur public. Il parle d’ailleurs parfois de sa « soutane rouge ».

Il restera cependant très attaché à sa région d’origine et aux valeurs familiales.

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