Femmes

Zouleikha ouvre les yeux

Le Roman

Nous sommes au Tatarstan, au cœur de la Russie, dans les années 30. A quinze ans, Zouleikha a été mariée à un homme bien plus âgé qu’elle. Ils ont eu quatre filles mais toutes sont mortes en bas âge. Pour son mari et sa belle-mère presque centenaire, très autoritaire, Zouleikha n’est bonne qu’à travailler. Un nouveau malheur arrive : pendant la dékoulakisation menée par Staline, le mari se fait assassiner et sa famille est expropriée. Zouleikha est déportée en Sibérie, qu’elle atteindra après un voyage en train de plusieurs mois. En chemin, elle découvre qu’elle est enceinte. Avec ses compagnons d’exil, paysans et intellectuels, chrétiens, musulmans ou athées, elle participe à l’établissement d’une colonie sur la rivière Angara, loin de toute civilisation : c’est là qu’elle donnera naissance à son fils et trouvera l’amour. Mais son éducation et ses valeurs musulmanes l’empêcheront longtemps de reconnaître cet amour, et de commencer une nouvelle vie.

L’auteur

Gouzel Iakhina
Gouzel Iakhina

Gouzel Iakhina est née en 1977 à Kazan, au Tatarstan (Russie). Elle a étudié l’anglais et l’allemand à l’université de Kazan, puis a suivi une école de cinéma à Moscou, se spécialisant dans l’écriture de scénarios. Elle a publié dans plusieurs revues littéraires, comme Neva ou Oktiabr. Zouleïkha ouvre les yeux est son premier roman. Elle vit aujourd’hui à Moscou, avec son mari et sa fille.

Récits de lecteurs

Dès les premières pages on tombe sous le charme de Zoulheikha, Yeux verts, ce petit bout de femme soumise sans aucun autre choix, peu éduquée mais sensible et délicate, qui en parallèle de sa religion musulmane est profondément attachée aux croyances païennes héritées de sa mère.
Ce n’est pas facile de contenter un esprit… L’esprit de l’étable aime le pain et les biscuits, l’esprit du portail, la coquille d’oeuf écrasée. L’esprit de la lisière, lui, aime les douceurs.
De minutieuses descriptions, comme celle de la préparation de la bania (la salle consacrée au bain rituel, située en dehors de l’isba) accompagnent l’introduction de ce livre qui va ,suite à un rêve prémonitoire, nous emmener vers une aventure longue et douloureuse dans une Russie en pleine ébullition, où sévit la dékoulakisation menée par Staline.

A travers les yeux de Zouleikha, on saisit, l’esprit des steppes, au-delà des arbres, pulsant comme des fleurs dorées, celui de la prison comme un grand organisme concentré sur l’effort de rester en vie. On visualise les peintures d’Ikonnikov, miettes de culture dans une nature la plus hostile, comme des fenêtres et des leçons d’histoire, telles que le jeune Youssouf les voit. On accompagne, le brillant docteur Leibe qui, longtemps, semble préférer le délire psychotique, tiède, aveuglant et protecteur face à tout ce qui fait mal à voir.

La dékoulakisation

Site Les Yeux du Monde – 2013

 

A partir de 1928, l’URSS mène une propagande importante pour convaincre les paysans de rejoindre kolkhozes et sovkhozes, structures présentées comme modernes, possédant des machines agricoles notamment. Ces structures permettaient, selon cette propagande, d’arracher les paysans de l’archaïsme pour se moderniser et avoir une vie meilleure. Cependant, malgré cette propagande active, on assiste à une certaine réticence de la part des paysans. Le seul moyen a donc été la contrainte…

Une affiche de propagande pour les kolkhozes Une affiche de propagande pour les kolkhozes

En décembre 1929, on estime à 13% seulement la proportion de paysans appartenant à des kolkhozes ou à des sovkhozes. Staline trouve que la collectivisation ne se fait pas assez vite. Les koulaks, c’est-à-dire ceux qui ont des grandes fermes employant des ouvriers agricoles, ont notamment du mal à accepter ce nouveau système. En décembre 1929, Staline annonce ainsi vouloir « le passage de la limitation des tendances exploiteuses des koulaks à la liquidation des koulaks en tant que classe », ce qu’approuve le Politburo en 1930. Une entreprise de liquidation des koulaks qui résistent à la collectivisation est alors lancée : c’est la dékoulakisation. Dans la réalité, tous ceux qui s’opposent à la collectivisation sont présentés comme koulaks. Or, la grande masse des paysans s’opposaient à la collectivisation. En 1930, face à la menace collectiviste, de nombreux paysans préfèrent abattre leur cheptel plutôt que de les donner aux structures collectives : plusieurs dizaines de millions de têtes sont ainsi perdues.

Pour faire face au mécontentement paysan, les expropriations et exécutions se multiplient et les camps du Goulag se remplissent. Le Goulag est une administration centrale qui dirige des camps en Sibérie ou au Kazakhstan. Souvent, les koulaks sont déportés en famille dans ces régions périphériques afin de les mettre en valeur. Ce sont les « colons spéciaux » qui, surveillés, ne peuvent quitter leur nouvelle région et travaillent dans des chantiers où la mortalité est élevée. En 1930 et 1931, on compte environ 1,8 million de victimes de la dékoulakisation. Or, ceux qui résistaient étaient souvent les paysans les plus dynamiques. Les campagnes se retrouvent à la fois décapitées et terrifiées.

Des conséquences profondes sur les résultats de l’agriculture

En 1930, l’URSS réalisant de bonnes récoltes, Staline estime que l’on peut prélever encore plus sur la production agricole afin de vendre du blé à l’étranger, notamment à l’Allemagne, contre des crédits et des machines. Ainsi, en 1931 et en 1932, les livraisons, imposées, sont de plus en plus excessives. Les kolkhozes sont soumis à des exigences extrêmes, si bien qu’ils ne peuvent plus nourrir le bétail et même les travailleurs. Par ailleurs, les kolkhozes ne peuvent plus ressemer. Cette situation aboutit à de nombreuses famines, et à l’Holodomor, qui signifie « extermination par la faim » : cette famine frappa durement le Kouban et l’Ukraine, et fit entre 2,5 et 5 millions de morts.

En 1935, la dékoulakisation est jugée comme étant achevée, les koulaks en tant que classe sociale ayant cessé d’exister.

La « dékoulakisation » dans les campagnes d’URSS

Film muet de 1928

Dans un village enneigé d’URSS, des manifestations sont organisées pour dénoncer les « Koulaks », paysans aisés et petits propriétaires s’opposant à la collectivisation des terres et refusant de satisfaire la collecte agricole.
Date de diffusion : 13 juin 1928
https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000915/la-dekoulakisation-dans-les-campagnes-d-urss-muet.html

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Femmes d’Anjou, sortez de l’ombre

Femmes d’Anjou, sortez de l’ombre
Du Moyen Âge à nos jours
240 biographies de Femmes d’Anjou, 250 illustrations et encadrés, pour vous faire découvrir par thématique ces Femmes d’Anjou.

Université Angevine du Temps Libre – UATL
Editions du Petit Pavé

Des femmes angevines qui ont marqué leur époque dans les arts, la littérature, la vie politique, la résistance, la vie culturelle, religieuse, ou tout simplement la vie de tous les jours. Au fil de votre lecture, vous croiserez Aliénor d’Aquitaine, La Mathie, qui reçut Henri IV dans son jeu de paume du Pélican, ou encore La Belle Angevine, dont le mariage a été entériné par le Pape !!! Charlotte Blouin à laquelle de nombreux malentendants sont toujours reconnaissants. Des femmes qui se sont illustrées pendant les Guerres de Vendée, des Résistantes de la Guerre 1939-1945 comme Marie Talet, ou au siècle dernier, des femmes célèbres dans la vie artistique comme Gaby Morlay… la vie politique comme Ginette Leroux, première femme députée en Anjou ! et combien d’autres qui n’ont jamais renoncé à aller jusqu’au bout de leurs engagements. Quelques noms de femmes d’exception, glanés ici et là, ont contribué à faire connaître en leur temps ce beau pays d’Anjou.

L’Université Angevine du Temps Libre (UATL) est une association loi 1901 ouverte à tous les seniors
Son but est de lutter contre l’Isolement, l’Inactivité et le sentiment d’Inutilité dans un esprit d’échange en développant la curiosité et l’acquisition de connaissances. Elle propose plus de 300 activités chaque année ainsi que des conférences, des voyages et une bibliothèque. Fonctionnant, sur la base du bénévolat, elle compte 400 bénévoles animant les ateliers et 3200 adhérents.

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Filles-mères et assistance publique en Deux-Sèvres (1904-1944) – Marie-Danièle Lenne

Marie-Danièle Lenne

Marie-Danièle Lenne est titulaire d’un Master 2 d’Histoire et recherche de l’Université d’Angers, d’un Master 2 de Sociologie et Ethnologie et d’un Diplôme Universitaire de Responsable de Formation. Ancienne enseignante vacataire à l’Université d’Angers, (IUT Carrières sociales) et Assistance Sociale à l’Education Nationale, elle est depuis peu retraitée. Son domaine de recherche concerne principalement l’histoire de l’enfance, des femmes au xixe et xxe siècle et des politiques sociales, éducatives et économiques qui s’y rapportent. Elle est adhérente à la SHAAPT (Société d’Histoire, des Arts et d’Archéologie du Pays Thouarsais) pour laquelle, elle a effectué des conférences. Ce livre est issu de son mémoire de master d’Histoire.

Entre 1904 et 1944, 700 enfants, environ, sont recueillis chaque année par l’Assistance publique des Deux-Sèvres. La grande majorité d’entre eux sont des enfants abandonnés et illégitimes. Leurs mères désignées par le vocable « fille-mère » sont jeunes et sont elles-mêmes « abandonnées » : rejetées par leurs familles, congédiées par leurs patrons, délaissées par le père de l’enfant… Les inspecteurs du service des enfants assistés, fonctionnaires et serviteurs de la Troisième République, forts de leur conviction d’oeuvrer pour le « bien public » vont, par leur politique d’assistance, tenter de réduire le nombre d’abandons en proposant les secours votés dans le cadre de la loi du 27 juin 1904 et ainsi agir pour le redressement moral de la fille-mère. Considérées par la société comme de « pauvres filles » ou filles aux « moeurs légères », elles subissent l’opprobre. Leurs courriers adressés à l’inspecteur révèlent une toute autre réalité. Ignorantes de la loi, elles sont cependant sûres de leur droit de mère et vont parfois même tenter de le faire valoir, en contestant certaines décisions de l’inspecteur.

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Conditions de vie des femmes de ma famille 1750-1800

La majorité

La majorité avait été fixée par l’édit royal de février 1556 qui stipulait que les garçons jusqu’à 30 ans, et les filles jusqu’à 25 ans, ne pouvaient se marier sans le consentement de leurs parents ou de leurs ascendants. Au-dessus de ces âges, les futurs époux devaient toujours requérir le consentement par des « sommations respectueuses ». Deux étaient exigées avant de pouvoir passer outre à un refus.
L’ordonnance de Blois de 1579 décidait que tout curé qui célébrait un mariage sans le consentement des familles des futurs époux pouvait être puni pour le crime de rapt, ayant consacré une union « clandestine ». Une déclaration de 1639 privait de leurs droits successoraux les enfants qui s’étaient unis par un tel mariage.

Etude des conditions de vie de mes ancêtres

Sur les 77 femmes prises en compte pour l’analyse statistique, 41 ont moins de 25 ans soit 53%. Ce qui explique que dans de très nombreux actes de mariages, il est indiqué : « fille mineure de… ». De même pour les garçons qui devaient eux avoir 30 ans.

Mortalité prématurée

Le rôle assigné aux femmes pour assurer la continuité sociale, avoir de nombreux enfants, se conjugue à de mauvaises conditions sanitaires, entrainant une mortalité prématurée des femmes. Cette situation est illustrée par les exemples trouvés dans l’étude de la vie de mes ancêtres :

Les trois épouses de Pierre Cochard 1723 -1796
1ère épouse : Marie Madeleine GOUPIL
Elle donne naissance à 8 enfants en 17 ans
Elle décède à 40 ans des suites de son dernier accouchement
2ème épouse : Marie Jeanne AUGEREAU
Elle a 4 enfants en 6 ans
Elle décède 3 ans après la naissance de son dernier enfant à l’âge de 30 ans
3ème épouse : Mathurine CHARBONNIER
Elle a 28 ans quand elle se marie avec Pierre Cochard qui en a 52
Elle va avoir 6 enfants en 15 ans
Elle décède à 43 ans des suites de son dernier accouchement

Les deux épouses de François Cochard 1748-1823
1ère épouse : Marie VIGNEAU
Elle donne naissance à 3 enfants en 13 ans de mariage
Elle décède à 33 ans quelques mois après son dernier accouchement
2ème épouse : Marie CHAPEAU
Elle a 8 enfants en 9 ans
Elle sera mariée 40 ans et décédera à l’âge de 62 ans

Les deux épouses de Joseph Gellé 1714-1788
1ère épouse : Perrine METAIS
Elle donne naissance à 4 enfants en 12 ans de mariage
Elle décède à 45 ans des suites de son dernier accouchement
2ème épouse : Marie CIVRAIS
Elle a 4 enfants en 7 ans
Elle sera mariée 26 ans et décédera à l’âge de 56 ans

Les trois épouses de Joseph Gellé 1755-1809
1ère épouse : Marie Rose BEVILLE
Elle donne naissance à 6 enfants en 9 ans
Elle décède à 34 ans des suites de son dernier accouchement
2ème épouse : Marie SAUVESTRE
Elle se marie à 33 ans et décède 2 ans plus tard sans avoir eu d’enfant
3ème épouse : Marie CHALON
Elle se marie à 34 ans
Elle va avoir 2 enfants en 3 ans
Elle décède à 62 ans après 28 ans de mariage

Une mortalité infantile forte, une mortalité féminine surreprésentée dans les tranches d’âge de 25 à 45 ans.

Sur les 273 décès pris en compte pour l’analyse statistique, 29 ont lieu entre 0 et 4 ans soit 10,6% de l’échantillon, 4 entre 5 et 9 ans, 8 entre 10 et 14 ans, 2 entre 15 et 19 ans, 6 entre 20 et 24 ans, 49 décès interviennent avant l’âge de 25 ans soit 18% de l’échantillon.
La mortalité féminine est surreprésentée dans les tranches d’âge de 25 à 45 ans, très probablement pour les raisons évoquées précédemment, le décès suite à un accouchement.

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L’émancipation des femmes des Deux-Sèvres sous la plume d’Ernest Pérochon

De Nêne à la Misangère des Gardiennes en passant par Marie-Rose Méchain, Lise Balzan ou Babette Rougier, sans oublier les nombreux personnages féminins de sa vingtaine de livres, Ernest Pérochon a fréquemment donné la place d’honneur à des personnages féminins dans ses romans.

Sous la plume d’Ernest Pérochon, les Deux-Sévriennes du bocage, de la plaine ou du marais s’émancipent progressivement des stéréotypes sociaux ou moraux de leur époque et prennent en main leur destin.

Geste éditions a entrepris de publier les œuvres complètes d’Ernest Pérochon (1885-1942.Le premier tome réunit quatre romans qui illustrent l’évolution de la condition féminine dans le milieu rural depuis la fin du XIXe siècle : Babette et ses frères (1939), Les Gardiennes (1924), Le Crime étrange de Lise Balzan (1929), Marie Rose Méchain (1931).

Ce premier tome relie des destins de femmes qui, au-delà de leurs différences, subissent les lois non écrites de codes sociaux dépassés. À travers l’histoire d’amour vécue par une jeune paysanne issue de la Petite Église à la fin du XIXe siècle, un récit de femmes de la terre exploitant seules l’exploitation familiale entre 1914 et 1918 et les portraits de jeunes filles issues de la bourgeoisie provinciale des années 1920, Ernest Pérochon illustre à sa manière le long combat des femmes pour leur émancipation, avec ses succès mais aussi ses échecs cruels.

Prix Goncourt en 1920 pour Nêne et auteur à succès d’une vingtaine de romans, Ernest Pérochon (1885-1942) fut tout d’abord instituteur en Deux-Sèvres et combattant de la Grande Guerre. Écrivain attaché à ses racines, son œuvre révèle aussi les préoccupations d’un homme conscient des mutations et des périls auxquels sa génération fut confrontée.

Babette et ses frères

L’action de « Babette et ses frères » se situe peu après la Guerre de 1870 et se déroule dans le milieu de le Petite Eglise en Poitou (dissidents ayant refusé le Concordat de Napoléon Ier).

La dissidente Babette est amoureuse d’un étranger athée et elle va devoir le payer très cher.

L’émotion engendrée par la lecture de cette dénonciation des violences intrafamiliales faites à l’héroïne ne peut laisser de marbre le lecteur actuel. Trop de faits divers tragiques rappellent que ces comportements d’un autre âge perdurent dans notre société. L’intégrisme religieux a le même visage et engendre les mêmes comportements quel que soit le dogme auquel il se réfère.

Extrait

« En ces cantons, tous ceux des villages avaient pris le fusil lors de la Grande Chouannerie. Tant soit la guerre mauvaise et folle, un jour, la paix vient. Les batailleurs du Bocage avaient donc fini par faire leur paix avec les Bleus. Et, depuis ce temps, personne n’avait plus bougé, hormis quelques fous. Sur le coup, pourtant, un levain de dépit était resté chez certains, notamment chez les prêtres. Ces prêtres, un peu plus tard, avaient blâmé le pape et ses évêques d’avoir accepté le marché que leur avait offert l’Empereur de Paris. Ils avaient parlé de trahison. Ils avaient dit à leurs ouailles :

Nous sommes les seuls vrais prêtres.

Et leurs ouailles les avaient écoutés.

Mais les prêtres étaient morts. Et, alors comment faire ? Il n’y avait plus qu’à rentrer tête basse,

Au giron de l’Eglise romaine. Beaucoup s’y étaient résignés. Mais il était resté quand même un certain nombre d’entêtés qui n’avaient point voulu céder. Ils formaient de petits îlots dans les paroisses. Peu à peu, la plupart de ces îlots, s’étaient effrités, avaient fondu.

Peu après la guerre contre les Prussiens, la Petite Eglise Réfractaire du Bocage ne comptait plus guère que deux milliers de fidèles. Ils habitaient presque tous en voisinage, part dans la paroisse de Fontclairin, part dans celle de Pontchâteau et des Ardriers. C’était là leur canton, en un pays très couvert, un pays d’eaux vives et de bois. Et le lieu de leur rassemblement aux jours des grandes fêtes était le village de Bellevue en la paroisse de Fontclairin.

Depuis que leurs derniers prêtres avaient gagné le Paradis, les Réfractaires, sentant leur faiblesse, se serraient autour de Bellevue. Ceux qui avaient essaimé dans les cantons voisins n’attendaient qu’une occasion pour se rapprocher des autres. C’est que la population catholique les entourait comme une grande eau. Isolés, ils se sentaient perdus, noyés. Au pays de Bellevue, ils étaient chez eux. Ils étaient à touche-touche ; ils se sentaient cœur à cœur et cela fortifiait leur courage.

Les gens d’Eglise guettaient pourtant, là comme ailleurs. Ils tâchaient de tirer à eux les moins fermes ou les plus démunis ou encore, parmi les jeunes, ceux qui se laissaient engourdir d’amour par une personne de l’autre bord.

Ils ne réussissaient pas souvent. Tous les faibles étaient déjà partis. C’était le noyau qui restait ; il ne s’émiettait pas.

« Nous sommes bons chrétiens, disaient les Réfractaires ; nous sommes catholiques mais non catholiques romains. Mieux que les autres, nous honorons Jésus et Notre Dame. Nous honorons tous les Saints ; tous ! Le Bon Dieu ne saurait nous prendre en faute. »

Ils priaient et priaient et non du bout des lèvres. Ils marquaient durement le carême, les quatre-temps, les vigiles. Ils méprisaient les catholiques pour les accommodements qu’ils cherchaient avec la régler ancienne. Eux, tout ce qui avait été ordonné, ils le faisaient. Et même ils passaient outre.

A ce prix, leur conscience était en paix. C’était leur force. »

Les gardiennes

Printemps 1915, dans l’univers rural d’un village du marais poitevin dans les Deux Sèvres.

La guerre dure depuis l’été 1914. Les derniers hommes valides d’âge mûr ont été mobilisés. Ne restent plus que les enfants, les vieux et les invalides. Les femmes doivent désormais faire face, seules aux travaux des champs, qui avant la guerre n’étaient qu’affaires d’hommes.

La grande Hortense, Francine, Léa et Solange se font les gardiennes de leur milieu rural, chargées de préserver leur patrimoine en attendant la paix. Ces femmes au quotidien extraordinaire doivent s’organiser, se mobiliser et se battre pour faire vivre les fermes. Ernest Pérochon illustre à sa manière le long combat des femmes pour leur émancipation, avec ses succès mais aussi ses échecs cruels.

Hortense Misanger, 58 ans, la grande Hortense, femme forte et énergique, dirige l’activité de 4 maisons :

– la sienne, Château-Gallé, située dans la plaine

– celle du Paridier, de sa fille Solange et du gendre Clovis

– celle de la cabane Richoix, ferme maraichine de son fils Norbert et de sa femme Léa

– la boulangerie du cousin Ravisé, veuf parti à la guerre, désormais tenue par Marguerite, 17 ans, et Lucien, 15 ans.

Deux autres fils célibataires, Georges et Constant sont dans les tranchées.

Claude, le mari d’Hortense, est usé par une vie de travail et n’arrive plus à faire face. Pour lui prêter main forte, ils vont recruter une femme à tout faire. Ce sera Francine, 20 ans, gamine de l’assistance publique…

Les deux thèmes récurrents des romans ruraux de Pérochon, la condition de la femme et l’amour impossible, atteignent dans ce livre leur summum. L’intensité mélodramatique a pour support une écriture moderne, avec un style vif qui donne envie de connaitre la suite.

« Les gardiennes » ont fait l’objet d’une adaptation au cinéma de Xavier Beauvois, avec Nathalie Baye et Laura Smet.

Les gardiennes film de Xavier Beauvois

Le crime étrange de Lise Balzan

Marie-Rose Méchain

Lise Balzan (1929) et Marie-Rose Méchain (1931), héroïnes des deux autres romans de cette réédition, incarnent chacune à leur manière l’émancipation des femmes de ce début de XXe siècle. Marie-Rose Méchain, véritable figure de la femme émancipée ressemble à s’y méprendre à l’archétype de la célèbre garçonne aux cheveux courts. Elle parvient à échapper à un destin tout tracé par son milieu social originel. A côté de cet exemple de la réussite féminine, la fragile orpheline qu’est Lise Balzan contrebalance cette idée du triomphe de la femme. Lise plonge progressivement vers la folie. Son « crime étrange », le meurtre de son beau-père, révèle les failles psychologiques laissées par la guerre à la jeune génération.

Nêne

La jeune Madeleine est gagée comme domestique chez Michel Cordier, un fermier veuf, pour s’occuper de deux enfants, Eulalie et Georges, et tenir la maison. Elle s’attache peu à peu aux enfants, allant même jusqu’à dilapider ses économies, pour qu’ils soient au moins comme les autres, et même mieux. Elle doit cependant subir les attaques du diabolique Boiseriot, ancien valet de la ferme, jaloux et catholique de surcroît. Dans une atmosphère oppressante, où trois mondes, catholiques, dissidents (réfractaires) et protestants se supportent difficilement, toujours à la limite du conflit, la situation de Madeleine se dégrade progressivement.

L’attachement, progressivement contrarié, que l’héroïne a envers les deux orphelins (de mère) de la famille de dissidents, où elle a été embauchée, est le ressort essentiel de l’intrigue. S’y ajoute les amours de son frère qui, sous l’emprise de l’alcool, perd un bras dans une machine. La dévergondée qu’il espérait épouser ira vers le père des deux orphelins…

Nêne est le deuxième roman d’Ernest Pérochon, comme « Le Chemin de plaine », il est terminé au printemps 1914. La Grande Guerre empêche la parution de ces deux titres qui ne sortent qu’en 1920. Le roman est édité localement, puis il reçoit le prix Goncourt 1920 ; ceci grâce en partie au gros travail de promotion de l’écrivain niortais et berrichon Gaston Chérau auprès des membres du jury.


Ernest Pérochon naît à Courlay, dans les Deux-Sèvres, à la ferme du Tyran. C’est le Bocage bressuirais, un pays de petites parcelles de terre médiocre, entourées de haies vives (les palisses) et reliées par des chemins creux. Les parents de Pérochon, petits propriétaires, y exploitent une borderie.

Il fréquente dans son enfance l’école publique de La Tour-Nivelle, actuellement musée-école.

Il est protestant, ou plus exactement de culture protestante, car ses deux parents sont protestants. Les Pérochon sont originaires de Saint-Jouin-de Milly près de Moncoutant, secteur très protestant. Courlay est dans une région particulière puisqu’on y côtoie aussi des catholiques, dont la religion est fortement marquée par les souvenirs de la Guerre de Vendée, et des dissidents, dits de la « Petite Église », mouvement religieux qui a refusé le concordat de 1801 signé entre Napoléon et le pape Pie VII.

Ernest Pérochon ne semble pas avoir été lui-même très religieux, en accord pour cela avec sa formation d’instituteur public. Il parle d’ailleurs parfois de sa « soutane rouge ».

Il restera cependant très attaché à sa région d’origine et aux valeurs familiales.

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Les rêves de liberté de Victorine et de sa fille Arsène Marie

Victorine Louise Chabosseau

Victorine nait à Coron, berceau de la famille Chabosseau, le 25 février 1841. Elle a 26 ans quand elle rencontre Louis Bénétreau, qui va devenir son mari, elle est fileuse et lui tisserand. Le mariage a lieu le 19 juin 1867 alors que Victorine est enceinte de trois mois. Leur premier fils Louis Victor voit le jour le 1er décembre 1867.
Le couple ne s’entend pas mais trois autres enfants vont naître de cette union : Victor Jérémie en 1869, Marie Victorine en 1870, et Arsène Marie en 1874.
En 1881, un tailleur de pierres, Frédéric Auguste Brousseau, originaire de La Verrie en Vendée, vient à Coron effectuer des chantiers de tailles. Il a de la famille à Coron, mais elle ne peut pas l’héberger. Il trouve à se loger chez la famille Bénétreau, pendant la durée des travaux qu’il effectue.
Entre le tailleur de pierres et Victorine qui a alors 40 ans, une relation se noue. Victorine s’enfuit alors du domicile conjugal. Elle part quelques semaines puis revient et repart presqu’aussitôt après. Elle quitte son mari et ses enfants âgés alors de 14, 13,11et 7 ans.
Victorine et son tailleur de pierres trouvent à se loger dans un café-hôtel à Pontchâteau en Loire Atlantique où Frédéric a trouvé du travail. Cette situation précaire qui devait être provisoire se prolonge…En mars1883, naît un fils de cette union, Frédéric Emile Jean. Cet enfant porte le nom du mari de Victorine, Bénétreau, duquel elle n’est pas séparée.
En janvier 1884 ce fils meurt, il a 10 mois, alors que Victorine est de nouveau enceinte. Un deuxième fils voit le jour, Emile qui porte lui aussi le nom Bénétreau, le 23 mai1884, toujours dans le café-hôtel de Pontchâteau. Alors que la famille s’est installée dans le village de la Janvrais à Besné (Loire Atlantique), un troisième enfant naît en 1885, Nativa Célestine Victorine, qui porte elle aussi le nom de Bénétreau.

En 1894, Louis Bénétreau, 13 ans après le départ de Victorine, entame une procédure de divorce. Le jugement se déroule à Saumur le 15 décembre 1894. Louis Bénétreau est assisté par Me Baron, avoué. Il bénéficie de l’assistance judiciaire.
Victorine n’est, ni présente, ni représentée. Il n’y a pas eu de conciliation possible car le lieu de résidence de Victorine est inconnu.
Les motifs de la demande de divorce invoqués par Louis Bénétreau sont les suivants :

  • Le requérant a, de tout temps, eu à se plaindre de la conduite de sa femme
  • Que cette femme a eu pour amant un ouvrier habitant Coron et prenant pension chez les Bénétreau
  • Qu’une première fois, il y a treize ans, la dame Bénétreau (Victorine) abandonna le domicile conjugal pour suivre cet ouvrier
  • Qui après une absence de quelques semaines, réintégra le domicile conjugal mais pour l’abandonner de nouveau presqu’aussitôt après
  • Que depuis cette époque, elle n’a plus reparu dans le pays et n’a plus donner de ces nouvelles. Que le requérant ignore ce qu’elle est devenue.

En 1894, il ne reste plus qu’Arsène Marie, le dernier enfant du couple Louis Bénétreau – Victorine Chabosseau à vivre à Coron avec son père. Le Tribunal prononce le jugement qui suit :

  • Le divorce est prononcé au profit du mari
  • Confie aux soins et à la garde de son père, la fille mineure issue du mariage (Arsène Marie)
  • Commet un notaire pour procéder à la liquidation et au partage Condamne la dame Bénétreau (Victorine) aux dépens envers le Trésor
  • Commet un huissier pour signifier le jugement à la défaillante
  • Indique que le jugement de divorce doit être transcrit sur le registre d’Etat Civil de Coron en marge de l’acte de mariage et doit être déposé au greffe du Tribunal. 

Victorine va élever les deux enfants de sa deuxième famille. Son fils, Emile, va suivre les traces de son père (le vrai) et devenir tailleur de pierres.
Victorine décède au village de la Janvrais à Besné (Loire Atlantique), le 6 novembre 1908, à l’âge de 67 ans, sans avoir revu, ni son mari ni ses enfants de sa première famille.

Arsène Marie

Que sont devenus ses enfants de sa première famille ?
Son deuxième fils Victor Jérémie meurt adolescent.
Marie Victorine, sa première fille, va rester à Coron et se marier avec un gars du pays, qui a repris la ferme de ses parents.
Ses deux autres enfants vont quitter Coron et monter à la capitale.
C’est tout d’abord le fils ainé, Louis Victor qui monte à Paris vers 1890. Il exerce, dans les hôtels, la profession de valet de chambre. En 1898, il se marie, dans le 8ème arrondissement de Paris avec Jeanne Louise Royer, femme de chambre, originaire de Limoges. Il en divorce et se remarie, dans le 16ème arrondissement avec Maria Deschamps en juin 1932.
Sa plus jeune fille Arsène Marie, qui vivait chez son père lors de la prononciation du divorce en 1894, va suivre son frère et monter à la capitale en 1896-97. Victorine est morte en 1908, mais Arsène Marie ne l’a pas su et n’en a surement plus vraiment de souvenir, sa mère l’ayant laissé alors qu’elle avait 7 ans.
Abandonnée par sa mère, ayant vécu une vie difficile avec son père, Arsène Marie, a des rêves bien éloignés de la vie qui lui est promise en restant à Coron et une revanche à prendre sur ce que lui offre la vie… C’est ce qu’elle va faire.
En 1913, elle épouse Gabriel Kadar de Torda, prince hongrois, peintre et imprimeur d’art, elle a 39 ans et lui 54. Ils vivent ensemble au 42 rue Falguière dans le 15ème arrondissement de Paris. Mais le bottin mondain, nous indique qu’ils disposent d’un autre bien au 24 rue des Sorrières à Meudon. Arsène Marie est alors déclaré rentière.
Les témoins lors du mariage ne sont pas vraiment que des illustres inconnus :
Emile Levy, 52 ans, Editeur d’Art, Chevalier de la Légion d’honneur, 13 rue Lafayette
Marc Caviole, 48 ans, Chef de bureau du Ministère des Beaux-Arts, Chevalier de la Légion d’honneur, 133 rue de Vaugirard
Henriette Régent, 33 ans, Modèle, 55 rue du Rocher
Alice Cénard, 34 ans, Sans profession, 26 boulevard des Batignolles
Nous sommes dans le milieu de la mode et de l’art. Émile Lévy est éditeur et patron de la Librairie centrale des beaux-arts, située au 13 rue Lafayette à Paris. Il est le fondateur de la revue Art et décoration qui est au départ sous-titré « revue mensuelle d’art moderne ». Le premier numéro sort en janvier 1897 et fait 64 pages, les vignettes sont de Maurice Pillard Verneuil. Le comité de rédaction de la revue comprend : Puvis de Chavannes, Vaudremer, Eugène Grasset, Jean-Paul Laurens, Jean-Charles Cazin, Luc-Olivier Merson, Emmanuel Frémiet, Oscar Roty et Lucien Magne. Plusieurs affiches promotionnelles (extérieures et intérieures) sont produites, soit sur commande, soit à l’issue d’un concours avec appel aux lecteurs.

Alfons Mucha 1901

Claude Lorain 1898

Il édite également La Gazette du Bon Ton qui est une luxueuse revue Art-déco pour laquelle travaillèrent les meilleurs illustrateurs de l’époque.

Gabriel Kadar de Torda est illustrateur et imprimeur d’Art. C’est lui qui imprime Art et Décoration et la Gazette du Bon Ton.

Il est le « père nourricier » ( le parrain, le tuteur, dans le monde des Beaux-Arts) de Jean de Brunhoff dit  « Babar », le créateur de Babar, l’éléphant de la bande dessiné.
Si les tableaux de Jean de Brunhoff étaient bons, ils ne l’étaient pas suffisamment pour qu’il devienne un grand peintre, et il en était parfaitement conscient.
Les questions qu’il pouvait se poser sur son avenir se résolurent d’elles-mêmes, et par le plus grand des hasards : un soir d’été de 1930, Cécile de Brunhoff imagina pour Laurent et Matthieu, leurs enfants, l’histoire d’un bébé éléphant né dans la grande forêt, dont la mère est tuée par un vilain chasseur. Pris de peur, l’éléphanteau s’enfuit jusqu’à la ville, où il trouva un porte-monnaie qui lui permit d’acheter de beaux habits dans un grand magasin, puis il retourna dans la jungle après s’être bien amusé. Les deux garçons furent tellement enthousiasmés par ce conte que Jean de Brunhoff décida de l’illustrer. Mais nul ne se souvient plus pourquoi et comment le bébé éléphant prit le nom de Babar.  Source : Hachette.

 Son père Louis Bénétreau décède le 27 mars 1927 et son mari Gabriel un peu plus d’un an, plus tard, le 24 mai 1928.
Arsène Marie et ses amies, témoins de son mariage et d’autres aussi, étaient les égéries, les modèles des peintres, illustrateurs, photographes de cette époque d’effervescence de l’art et de la mode qui, par le biais des revues firent et font toujours rêver.
Arsène Marie revint à Coron avec son mari Gabriel vers 1925-1926.
Il semble que le tourbillon de la vie parisienne s’était envolé et peut-être aussi la fortune….
Arsène Marie passera le reste de sa vie à Coron et décédera à Cholet, le 23 novembre 1960, à l’âge de 86 ans.
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(1) Mode à Longchamp, agence de presse Meurisse, Agence photographique, 1919, BNF-Gallica

Les rêves de liberté de Victorine et de sa fille Arsène Marie Lire la suite »

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