Les rêves de liberté de Victorine et de sa fille Arsène Marie

Victorine Louise Chabosseau

Victorine nait à Coron, berceau de la famille Chabosseau, le 25 février 1841. Elle a 26 ans quand elle rencontre Louis Bénétreau, qui va devenir son mari, elle est fileuse et lui tisserand. Le mariage a lieu le 19 juin 1867 alors que Victorine est enceinte de trois mois. Leur premier fils Louis Victor voit le jour le 1er décembre 1867.
Le couple ne s’entend pas mais trois autres enfants vont naître de cette union : Victor Jérémie en 1869, Marie Victorine en 1870, et Arsène Marie en 1874.
En 1881, un tailleur de pierres, Frédéric Auguste Brousseau, originaire de La Verrie en Vendée, vient à Coron effectuer des chantiers de tailles. Il a de la famille à Coron, mais elle ne peut pas l’héberger. Il trouve à se loger chez la famille Bénétreau, pendant la durée des travaux qu’il effectue.
Entre le tailleur de pierres et Victorine qui a alors 40 ans, une relation se noue. Victorine s’enfuit alors du domicile conjugal. Elle part quelques semaines puis revient et repart presqu’aussitôt après. Elle quitte son mari et ses enfants âgés alors de 14, 13,11et 7 ans.
Victorine et son tailleur de pierres trouvent à se loger dans un café-hôtel à Pontchâteau en Loire Atlantique où Frédéric a trouvé du travail. Cette situation précaire qui devait être provisoire se prolonge…En mars1883, naît un fils de cette union, Frédéric Emile Jean. Cet enfant porte le nom du mari de Victorine, Bénétreau, duquel elle n’est pas séparée.
En janvier 1884 ce fils meurt, il a 10 mois, alors que Victorine est de nouveau enceinte. Un deuxième fils voit le jour, Emile qui porte lui aussi le nom Bénétreau, le 23 mai1884, toujours dans le café-hôtel de Pontchâteau. Alors que la famille s’est installée dans le village de la Janvrais à Besné (Loire Atlantique), un troisième enfant naît en 1885, Nativa Célestine Victorine, qui porte elle aussi le nom de Bénétreau.

En 1894, Louis Bénétreau, 13 ans après le départ de Victorine, entame une procédure de divorce. Le jugement se déroule à Saumur le 15 décembre 1894. Louis Bénétreau est assisté par Me Baron, avoué. Il bénéficie de l’assistance judiciaire.
Victorine n’est, ni présente, ni représentée. Il n’y a pas eu de conciliation possible car le lieu de résidence de Victorine est inconnu.
Les motifs de la demande de divorce invoqués par Louis Bénétreau sont les suivants :

  • Le requérant a, de tout temps, eu à se plaindre de la conduite de sa femme
  • Que cette femme a eu pour amant un ouvrier habitant Coron et prenant pension chez les Bénétreau
  • Qu’une première fois, il y a treize ans, la dame Bénétreau (Victorine) abandonna le domicile conjugal pour suivre cet ouvrier
  • Qui après une absence de quelques semaines, réintégra le domicile conjugal mais pour l’abandonner de nouveau presqu’aussitôt après
  • Que depuis cette époque, elle n’a plus reparu dans le pays et n’a plus donner de ces nouvelles. Que le requérant ignore ce qu’elle est devenue.

En 1894, il ne reste plus qu’Arsène Marie, le dernier enfant du couple Louis Bénétreau – Victorine Chabosseau à vivre à Coron avec son père. Le Tribunal prononce le jugement qui suit :

  • Le divorce est prononcé au profit du mari
  • Confie aux soins et à la garde de son père, la fille mineure issue du mariage (Arsène Marie)
  • Commet un notaire pour procéder à la liquidation et au partage Condamne la dame Bénétreau (Victorine) aux dépens envers le Trésor
  • Commet un huissier pour signifier le jugement à la défaillante
  • Indique que le jugement de divorce doit être transcrit sur le registre d’Etat Civil de Coron en marge de l’acte de mariage et doit être déposé au greffe du Tribunal. 

Victorine va élever les deux enfants de sa deuxième famille. Son fils, Emile, va suivre les traces de son père (le vrai) et devenir tailleur de pierres.
Victorine décède au village de la Janvrais à Besné (Loire Atlantique), le 6 novembre 1908, à l’âge de 67 ans, sans avoir revu, ni son mari ni ses enfants de sa première famille.

Arsène Marie

Que sont devenus ses enfants de sa première famille ?
Son deuxième fils Victor Jérémie meurt adolescent.
Marie Victorine, sa première fille, va rester à Coron et se marier avec un gars du pays, qui a repris la ferme de ses parents.
Ses deux autres enfants vont quitter Coron et monter à la capitale.
C’est tout d’abord le fils ainé, Louis Victor qui monte à Paris vers 1890. Il exerce, dans les hôtels, la profession de valet de chambre. En 1898, il se marie, dans le 8ème arrondissement de Paris avec Jeanne Louise Royer, femme de chambre, originaire de Limoges. Il en divorce et se remarie, dans le 16ème arrondissement avec Maria Deschamps en juin 1932.
Sa plus jeune fille Arsène Marie, qui vivait chez son père lors de la prononciation du divorce en 1894, va suivre son frère et monter à la capitale en 1896-97. Victorine est morte en 1908, mais Arsène Marie ne l’a pas su et n’en a surement plus vraiment de souvenir, sa mère l’ayant laissé alors qu’elle avait 7 ans.
Abandonnée par sa mère, ayant vécu une vie difficile avec son père, Arsène Marie, a des rêves bien éloignés de la vie qui lui est promise en restant à Coron et une revanche à prendre sur ce que lui offre la vie… C’est ce qu’elle va faire.
En 1913, elle épouse Gabriel Kadar de Torda, prince hongrois, peintre et imprimeur d’art, elle a 39 ans et lui 54. Ils vivent ensemble au 42 rue Falguière dans le 15ème arrondissement de Paris. Mais le bottin mondain, nous indique qu’ils disposent d’un autre bien au 24 rue des Sorrières à Meudon. Arsène Marie est alors déclaré rentière.
Les témoins lors du mariage ne sont pas vraiment que des illustres inconnus :
Emile Levy, 52 ans, Editeur d’Art, Chevalier de la Légion d’honneur, 13 rue Lafayette
Marc Caviole, 48 ans, Chef de bureau du Ministère des Beaux-Arts, Chevalier de la Légion d’honneur, 133 rue de Vaugirard
Henriette Régent, 33 ans, Modèle, 55 rue du Rocher
Alice Cénard, 34 ans, Sans profession, 26 boulevard des Batignolles
Nous sommes dans le milieu de la mode et de l’art. Émile Lévy est éditeur et patron de la Librairie centrale des beaux-arts, située au 13 rue Lafayette à Paris. Il est le fondateur de la revue Art et décoration qui est au départ sous-titré « revue mensuelle d’art moderne ». Le premier numéro sort en janvier 1897 et fait 64 pages, les vignettes sont de Maurice Pillard Verneuil. Le comité de rédaction de la revue comprend : Puvis de Chavannes, Vaudremer, Eugène Grasset, Jean-Paul Laurens, Jean-Charles Cazin, Luc-Olivier Merson, Emmanuel Frémiet, Oscar Roty et Lucien Magne. Plusieurs affiches promotionnelles (extérieures et intérieures) sont produites, soit sur commande, soit à l’issue d’un concours avec appel aux lecteurs.

Alfons Mucha 1901

Claude Lorain 1898

Il édite également La Gazette du Bon Ton qui est une luxueuse revue Art-déco pour laquelle travaillèrent les meilleurs illustrateurs de l’époque.

Gabriel Kadar de Torda est illustrateur et imprimeur d’Art. C’est lui qui imprime Art et Décoration et la Gazette du Bon Ton.

Il est le « père nourricier » ( le parrain, le tuteur, dans le monde des Beaux-Arts) de Jean de Brunhoff dit  « Babar », le créateur de Babar, l’éléphant de la bande dessiné.
Si les tableaux de Jean de Brunhoff étaient bons, ils ne l’étaient pas suffisamment pour qu’il devienne un grand peintre, et il en était parfaitement conscient.
Les questions qu’il pouvait se poser sur son avenir se résolurent d’elles-mêmes, et par le plus grand des hasards : un soir d’été de 1930, Cécile de Brunhoff imagina pour Laurent et Matthieu, leurs enfants, l’histoire d’un bébé éléphant né dans la grande forêt, dont la mère est tuée par un vilain chasseur. Pris de peur, l’éléphanteau s’enfuit jusqu’à la ville, où il trouva un porte-monnaie qui lui permit d’acheter de beaux habits dans un grand magasin, puis il retourna dans la jungle après s’être bien amusé. Les deux garçons furent tellement enthousiasmés par ce conte que Jean de Brunhoff décida de l’illustrer. Mais nul ne se souvient plus pourquoi et comment le bébé éléphant prit le nom de Babar.  Source : Hachette.

 Son père Louis Bénétreau décède le 27 mars 1927 et son mari Gabriel un peu plus d’un an, plus tard, le 24 mai 1928.
Arsène Marie et ses amies, témoins de son mariage et d’autres aussi, étaient les égéries, les modèles des peintres, illustrateurs, photographes de cette époque d’effervescence de l’art et de la mode qui, par le biais des revues firent et font toujours rêver.
Arsène Marie revint à Coron avec son mari Gabriel vers 1925-1926.
Il semble que le tourbillon de la vie parisienne s’était envolé et peut-être aussi la fortune….
Arsène Marie passera le reste de sa vie à Coron et décédera à Cholet, le 23 novembre 1960, à l’âge de 86 ans.
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(1) Mode à Longchamp, agence de presse Meurisse, Agence photographique, 1919, BNF-Gallica

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