PhildeFaire

L’émancipation des femmes des Deux-Sèvres sous la plume d’Ernest Pérochon

De Nêne à la Misangère des Gardiennes en passant par Marie-Rose Méchain, Lise Balzan ou Babette Rougier, sans oublier les nombreux personnages féminins de sa vingtaine de livres, Ernest Pérochon a fréquemment donné la place d’honneur à des personnages féminins dans ses romans.

Sous la plume d’Ernest Pérochon, les Deux-Sévriennes du bocage, de la plaine ou du marais s’émancipent progressivement des stéréotypes sociaux ou moraux de leur époque et prennent en main leur destin.

Geste éditions a entrepris de publier les œuvres complètes d’Ernest Pérochon (1885-1942.Le premier tome réunit quatre romans qui illustrent l’évolution de la condition féminine dans le milieu rural depuis la fin du XIXe siècle : Babette et ses frères (1939), Les Gardiennes (1924), Le Crime étrange de Lise Balzan (1929), Marie Rose Méchain (1931).

Ce premier tome relie des destins de femmes qui, au-delà de leurs différences, subissent les lois non écrites de codes sociaux dépassés. À travers l’histoire d’amour vécue par une jeune paysanne issue de la Petite Église à la fin du XIXe siècle, un récit de femmes de la terre exploitant seules l’exploitation familiale entre 1914 et 1918 et les portraits de jeunes filles issues de la bourgeoisie provinciale des années 1920, Ernest Pérochon illustre à sa manière le long combat des femmes pour leur émancipation, avec ses succès mais aussi ses échecs cruels.

Prix Goncourt en 1920 pour Nêne et auteur à succès d’une vingtaine de romans, Ernest Pérochon (1885-1942) fut tout d’abord instituteur en Deux-Sèvres et combattant de la Grande Guerre. Écrivain attaché à ses racines, son œuvre révèle aussi les préoccupations d’un homme conscient des mutations et des périls auxquels sa génération fut confrontée.

Babette et ses frères

L’action de « Babette et ses frères » se situe peu après la Guerre de 1870 et se déroule dans le milieu de le Petite Eglise en Poitou (dissidents ayant refusé le Concordat de Napoléon Ier).

La dissidente Babette est amoureuse d’un étranger athée et elle va devoir le payer très cher.

L’émotion engendrée par la lecture de cette dénonciation des violences intrafamiliales faites à l’héroïne ne peut laisser de marbre le lecteur actuel. Trop de faits divers tragiques rappellent que ces comportements d’un autre âge perdurent dans notre société. L’intégrisme religieux a le même visage et engendre les mêmes comportements quel que soit le dogme auquel il se réfère.

Extrait

« En ces cantons, tous ceux des villages avaient pris le fusil lors de la Grande Chouannerie. Tant soit la guerre mauvaise et folle, un jour, la paix vient. Les batailleurs du Bocage avaient donc fini par faire leur paix avec les Bleus. Et, depuis ce temps, personne n’avait plus bougé, hormis quelques fous. Sur le coup, pourtant, un levain de dépit était resté chez certains, notamment chez les prêtres. Ces prêtres, un peu plus tard, avaient blâmé le pape et ses évêques d’avoir accepté le marché que leur avait offert l’Empereur de Paris. Ils avaient parlé de trahison. Ils avaient dit à leurs ouailles :

Nous sommes les seuls vrais prêtres.

Et leurs ouailles les avaient écoutés.

Mais les prêtres étaient morts. Et, alors comment faire ? Il n’y avait plus qu’à rentrer tête basse,

Au giron de l’Eglise romaine. Beaucoup s’y étaient résignés. Mais il était resté quand même un certain nombre d’entêtés qui n’avaient point voulu céder. Ils formaient de petits îlots dans les paroisses. Peu à peu, la plupart de ces îlots, s’étaient effrités, avaient fondu.

Peu après la guerre contre les Prussiens, la Petite Eglise Réfractaire du Bocage ne comptait plus guère que deux milliers de fidèles. Ils habitaient presque tous en voisinage, part dans la paroisse de Fontclairin, part dans celle de Pontchâteau et des Ardriers. C’était là leur canton, en un pays très couvert, un pays d’eaux vives et de bois. Et le lieu de leur rassemblement aux jours des grandes fêtes était le village de Bellevue en la paroisse de Fontclairin.

Depuis que leurs derniers prêtres avaient gagné le Paradis, les Réfractaires, sentant leur faiblesse, se serraient autour de Bellevue. Ceux qui avaient essaimé dans les cantons voisins n’attendaient qu’une occasion pour se rapprocher des autres. C’est que la population catholique les entourait comme une grande eau. Isolés, ils se sentaient perdus, noyés. Au pays de Bellevue, ils étaient chez eux. Ils étaient à touche-touche ; ils se sentaient cœur à cœur et cela fortifiait leur courage.

Les gens d’Eglise guettaient pourtant, là comme ailleurs. Ils tâchaient de tirer à eux les moins fermes ou les plus démunis ou encore, parmi les jeunes, ceux qui se laissaient engourdir d’amour par une personne de l’autre bord.

Ils ne réussissaient pas souvent. Tous les faibles étaient déjà partis. C’était le noyau qui restait ; il ne s’émiettait pas.

« Nous sommes bons chrétiens, disaient les Réfractaires ; nous sommes catholiques mais non catholiques romains. Mieux que les autres, nous honorons Jésus et Notre Dame. Nous honorons tous les Saints ; tous ! Le Bon Dieu ne saurait nous prendre en faute. »

Ils priaient et priaient et non du bout des lèvres. Ils marquaient durement le carême, les quatre-temps, les vigiles. Ils méprisaient les catholiques pour les accommodements qu’ils cherchaient avec la régler ancienne. Eux, tout ce qui avait été ordonné, ils le faisaient. Et même ils passaient outre.

A ce prix, leur conscience était en paix. C’était leur force. »

Les gardiennes

Printemps 1915, dans l’univers rural d’un village du marais poitevin dans les Deux Sèvres.

La guerre dure depuis l’été 1914. Les derniers hommes valides d’âge mûr ont été mobilisés. Ne restent plus que les enfants, les vieux et les invalides. Les femmes doivent désormais faire face, seules aux travaux des champs, qui avant la guerre n’étaient qu’affaires d’hommes.

La grande Hortense, Francine, Léa et Solange se font les gardiennes de leur milieu rural, chargées de préserver leur patrimoine en attendant la paix. Ces femmes au quotidien extraordinaire doivent s’organiser, se mobiliser et se battre pour faire vivre les fermes. Ernest Pérochon illustre à sa manière le long combat des femmes pour leur émancipation, avec ses succès mais aussi ses échecs cruels.

Hortense Misanger, 58 ans, la grande Hortense, femme forte et énergique, dirige l’activité de 4 maisons :

– la sienne, Château-Gallé, située dans la plaine

– celle du Paridier, de sa fille Solange et du gendre Clovis

– celle de la cabane Richoix, ferme maraichine de son fils Norbert et de sa femme Léa

– la boulangerie du cousin Ravisé, veuf parti à la guerre, désormais tenue par Marguerite, 17 ans, et Lucien, 15 ans.

Deux autres fils célibataires, Georges et Constant sont dans les tranchées.

Claude, le mari d’Hortense, est usé par une vie de travail et n’arrive plus à faire face. Pour lui prêter main forte, ils vont recruter une femme à tout faire. Ce sera Francine, 20 ans, gamine de l’assistance publique…

Les deux thèmes récurrents des romans ruraux de Pérochon, la condition de la femme et l’amour impossible, atteignent dans ce livre leur summum. L’intensité mélodramatique a pour support une écriture moderne, avec un style vif qui donne envie de connaitre la suite.

« Les gardiennes » ont fait l’objet d’une adaptation au cinéma de Xavier Beauvois, avec Nathalie Baye et Laura Smet.

Les gardiennes film de Xavier Beauvois

Le crime étrange de Lise Balzan

Marie-Rose Méchain

Lise Balzan (1929) et Marie-Rose Méchain (1931), héroïnes des deux autres romans de cette réédition, incarnent chacune à leur manière l’émancipation des femmes de ce début de XXe siècle. Marie-Rose Méchain, véritable figure de la femme émancipée ressemble à s’y méprendre à l’archétype de la célèbre garçonne aux cheveux courts. Elle parvient à échapper à un destin tout tracé par son milieu social originel. A côté de cet exemple de la réussite féminine, la fragile orpheline qu’est Lise Balzan contrebalance cette idée du triomphe de la femme. Lise plonge progressivement vers la folie. Son « crime étrange », le meurtre de son beau-père, révèle les failles psychologiques laissées par la guerre à la jeune génération.

Nêne

La jeune Madeleine est gagée comme domestique chez Michel Cordier, un fermier veuf, pour s’occuper de deux enfants, Eulalie et Georges, et tenir la maison. Elle s’attache peu à peu aux enfants, allant même jusqu’à dilapider ses économies, pour qu’ils soient au moins comme les autres, et même mieux. Elle doit cependant subir les attaques du diabolique Boiseriot, ancien valet de la ferme, jaloux et catholique de surcroît. Dans une atmosphère oppressante, où trois mondes, catholiques, dissidents (réfractaires) et protestants se supportent difficilement, toujours à la limite du conflit, la situation de Madeleine se dégrade progressivement.

L’attachement, progressivement contrarié, que l’héroïne a envers les deux orphelins (de mère) de la famille de dissidents, où elle a été embauchée, est le ressort essentiel de l’intrigue. S’y ajoute les amours de son frère qui, sous l’emprise de l’alcool, perd un bras dans une machine. La dévergondée qu’il espérait épouser ira vers le père des deux orphelins…

Nêne est le deuxième roman d’Ernest Pérochon, comme « Le Chemin de plaine », il est terminé au printemps 1914. La Grande Guerre empêche la parution de ces deux titres qui ne sortent qu’en 1920. Le roman est édité localement, puis il reçoit le prix Goncourt 1920 ; ceci grâce en partie au gros travail de promotion de l’écrivain niortais et berrichon Gaston Chérau auprès des membres du jury.


Ernest Pérochon naît à Courlay, dans les Deux-Sèvres, à la ferme du Tyran. C’est le Bocage bressuirais, un pays de petites parcelles de terre médiocre, entourées de haies vives (les palisses) et reliées par des chemins creux. Les parents de Pérochon, petits propriétaires, y exploitent une borderie.

Il fréquente dans son enfance l’école publique de La Tour-Nivelle, actuellement musée-école.

Il est protestant, ou plus exactement de culture protestante, car ses deux parents sont protestants. Les Pérochon sont originaires de Saint-Jouin-de Milly près de Moncoutant, secteur très protestant. Courlay est dans une région particulière puisqu’on y côtoie aussi des catholiques, dont la religion est fortement marquée par les souvenirs de la Guerre de Vendée, et des dissidents, dits de la « Petite Église », mouvement religieux qui a refusé le concordat de 1801 signé entre Napoléon et le pape Pie VII.

Ernest Pérochon ne semble pas avoir été lui-même très religieux, en accord pour cela avec sa formation d’instituteur public. Il parle d’ailleurs parfois de sa « soutane rouge ».

Il restera cependant très attaché à sa région d’origine et aux valeurs familiales.

L’émancipation des femmes des Deux-Sèvres sous la plume d’Ernest Pérochon Lire la suite »

Visite de la ferme du Bec Hellouin en Normandie

Brut vous emmène faire la visite de la ferme avant-gardiste du Bec-Hellouin en Normandie.

Brut nature FR vous emmène faire la visite de la ferme avant-gardiste du Bec-Hellouin en Normandie.

31/07/2019 08:57mise à jour : 03/04/2020 16:31

C’est l’une des références de l’agriculture durable en France. Brut nature FR vous emmène faire la visite de la ferme avant-gardiste du Bec-Hellouin en Normandie.

La ferme du Bec-Hellouin est une petite ferme normande qui pratique la permaculture et l’écoculture. Elle est composée d’une « mini forêt-jardin ». Une forêt-jardin, c’est un système étagé, comme une forêt naturelle, sauf que quasiment tous les végétaux sont comestibles. On y trouve une canopée, formée de petits arbres fruitiers et taillés pour qu’ils conservent leur petite taille. Il y a aussi une strate intermédiaire de buissons avec par exemple des framboisiers, groseilliers et cassissiers. Et enfin, au sol, se trouvent des plantes aromatiques.

« C’est un système très efficace d’un point de vue énergétique, parce que la lumière est captée un peu à tous les niveaux » explique Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin. « Au Bec-Hellouin, on cherche à redevenir des chasseurs-cueilleurs-paysans. C’est-à-dire, on ne laboure pas le sol, on le travaille de moins en moins et comme on a planté des milliers d’arbres et de plantes pérennes, on devient de plus en plus des cueilleurs » ajoute Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin.

La ferme du Bec-Hellouin est conçue sur le modèle d’un système bio-inspiré : « C’est un système qui prend la nature pour modèle » explique Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin. Et pour Charles Hervé-Gruyer, c’était un bon pari : « Les résultats des trois premières années ont été au-delà de nos espérances en terme de productivité. La forêt-jardin pose beaucoup moins de contraintes que le maraîchage, où il faut vraiment y être 7J/7 en saison. Elle vit sa vie largement, mais elle nous donne une abondance de bonnes choses » assure Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin.

La ferme du Bec-Hellouin cultive également des cultures légumières. Dès les premières années, Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin, découvre que « contre toute attente, travailler entièrement à la main nous permettait de gagner beaucoup en productivité ». Charles Hervé-Gruyer, assure produire autant, en terme de productivité horaire, que ses confrères qui utilisent des tracteurs.

Une étude, menée dans la ferme du Bec-Hellouin par l’INRA et AgroParisTech, a montré qu’ « en travaillant complètement à la main, avec des outils très simples, on produisait 55 euros de légumes par m2 cultivé » assure Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin. Comme les cultures prennent moins de place, Charles Hervé-Gruyer a pu planter de nombreux arbres tout autour de la ferme du Bec-Hellouin : « On a planté des milliers et des milliers d’arbres. Et pour nous, ce sont les arbres qui vont sauver la planète, du coup on est plus des arboriculteurs que des maraîchers » assure Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin.

Dans les serres, des mini-jardins créoles ont été plantés, avec des figuiers, des agrumes, et des plantes aromatiques, des fleurs qui attirent les pollinisateurs ainsi que des mares qui permettent de créer un microclimat et d’assurer la présence de pollinisateurs. « On pratique également beaucoup d’associations de cultures » ajoute Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin. Les différents végétaux se protègent mutuellement et s’entraident.

Divers animaux vivent également à la ferme du Bec-Hellouin. Le poulailler est « une sorte de centrale de compostage des déchets organiques de la serre in situ » raconte Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin. Lorsqu’ils taillent ou désherbent, ils donnent ces déchets végétaux aux poules qui en font « un super compost ». On trouve aussi une jument de trait, pour remplacer le travail moderne des moissonneuses-batteuses.

« On s’aperçoit que plus on complexifie, plus on se facilite la vie. Et ça, c’est une des grandes leçons que la nature nous donne : la nature va toujours vers des systèmes plus complexes et l’agriculture moderne, elle fait exactement l’inverse. (…) Nous, on cherche à associer étroitement les arbres, les animaux, les plantes cultivées et cette complexité permet aux services écosystémiques de s’exprimer et on intervient de moins en moins » décrit Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin. Plus besoin donc de fertiliser les sols par exemple. La ferme du Bec-Hellouin s’efforce aussi d’utiliser le moins de matériel fonctionnant au pétrole possible.

À la ferme du Bec-Hellouin, il y a également 25 mares dont un étang. « C’est pour nous un peu un lieu de ressourcement et pour notre équipe aussi et nos stagiaires. Parce que je dirais qu’une ferme comme ça, c’est beaucoup plus qu’un outil de production » explique Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin. Pour Charles Hervé-Gruyer, la ferme du Bec-Hellouin est avant tout un lieu de reconnexion à la nature, une véritable oasis de biodiversité.

« Tous les jours, on est émerveillés par ce spectacle de la vie qui se déploie et on a l’impression du coup que notre petite vie trouve un sens, c’est-à-dire qu’on peut contribuer à faire du bien à la planète. Ce type de ferme produit de la nourriture, elle produit du lien social, elle produit de la joie, elle produit des connaissances et elle produit aussi du sens quelque part » conclut Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin. Il aimerait que leur ferme donne « à des milliers de gens l’envie de créer leur propre lieu (…) partout, il y aura des fermes, des jardins, des forêts-jardins et par petits points, par petites touches, on va peut-être arriver à guérir la Terre. C’est mon rêve » lance Charles Hervé-Gruyer.

La ferme du Bec Hellouin, un modèle au niveau mondial

Visite de la ferme du Bec Hellouin en Normandie Lire la suite »

Bruno Latour : “L’écologie, c’est LA question existentielle de notre temps”

TELERAMA Weronika Zarachowicz Publié le 23/01/22

Bruno Latour, philosophe : “Tant que les écologistes continueront à chérir leur marginalité, ils seront incapables de définir la politique à leur manière.”
ROBERT jean-francois / jean-francois robert

Bruno Latour, philosophe : “Tant que les écologistes continueront à chérir leur marginalité, ils seront incapables de définir la politique à leur manière.”

L’écologie, nouvelle lutte des classes ? Pour le philosophe, il est temps de sortir de la logique productiviste. Et temps pour les écologistes d’oser, enfin, prendre le pouvoir.

Quel est le point commun entre le méga succès de Netflix Don’t Look Up : Déni cosmique, fable décapante sur une société inconsciente du désastre climatique qui la menace… et le dernier essai de Bruno Latour, sociologue, anthropologue et philosophe des sciences, souvent présenté comme l’un des penseurs les plus lus et les plus cités à travers le monde ? « On fait le même boulot, on tente de mobiliser contre la catastrophe. Même si je ne prétends pas être aussi efficace que Leonardo DiCaprio pour travailler les esprits et les affects… » Son Mémo sur la nouvelle classe écologique, coécrit avec le doctorant en sociologie Nikolaj Schultz, annonce en tout cas la couleur : l’écologie, c’est la nouvelle lutte des classes ; et pour gagner la bataille, il est urgent de « faire émerger une classe écologique consciente et fière d’elle-même », comme l’énonce le sous-titre. Un texte incisif, percutant, en soixante-seize points « à discuter et annoter » et qui arrive à point pour la campagne présidentielle.

Cela fait un peu peur, écrivez-vous, de réutiliser le terme de « classe ». Pourquoi l’avoir choisi ? 
Même si la notion de classe a été utilisée par d’autres que Marx, par exemple le sociologue Norbert Elias, elle reste très connotée et charrie beaucoup de confusions. C’est faire allusion à une tradition associée au marxisme et à tout un ensemble de luttes et de violences du xxe siècle. Vous êtes avec qui, et contre qui ? Voilà la question politique fondamentale qu’a proposée la lutte des classes, pour décrire comment les gens se répartissent entre leurs alliés et leurs adversaires. Utiliser ce terme permet d’établir une continuité avec des imaginaires politiques. Mais nous sommes dans une autre configuration historique, et la lutte des classes, qui a tout organisé autour de la production et de la répartition de ses fruits, a oublié les limites des conditions matérielles de la planète. Il faut donc faire « dériver » ce mot, comme pas mal d’autres…

“Ce changement d’horizon est un renversement violent, et non une « transition ». Il est articulé autour d’un point central : le maintien des conditions d’« habitabilité » de la planète.”

Par exemple ? 
Écologie ! Ce n’est pas un enjeu ou un domaine parmi d’autres, tels l’économie ou le social. C’est LA question existentielle de notre temps, qui porte sur l’ensemble de ce qui fait le collectif humain, des éléments économiques, spirituels, artistiques, affectifs qui constituent la vie. Et ce changement d’horizon est un renversement violent, et non une « transition ». Il est articulé autour d’un point central : le maintien des conditions d’« habitabilité » de la planète. Autrement dit, peut-on encore vivre dans un monde habitable, alors que nous modifions la composition de l’atmosphère et que nous comprenons enfin que nous vivons entremêlés à toutes sortes d’autres vivants ? Qu’est-ce que cela change pour notre conception du progrès ? De la modernité ? Et comment maintenir un idéal de liberté quand on doit apprendre à dépendre ? On voit avec le Covid que c’est compliqué de dépendre des virus des uns et des autres — ce qu’on savait pourtant depuis un moment. Mais dépendre de l’oxygène, du sable, du lithium, des abeilles, etc. : comment faire ? La liberté, l’émancipation, valeurs mobilisatrices par excellence, sont remises en cause, et ce serait bien si on avait un autre terme qu’écologie pour parler de cela. Malheureusement, il n’y en a pas. Il faut faire avec les mots qu’on a.

Et avec une écologie politique qui peine à convaincre…
Nous n’avons toujours pas le niveau de discussion nécessaire pour une vie politique orientée par l’écologie ou ce que j’appelle « la condition terrestre » : quel genre de société voulons-nous, sur quel genre de Terre ? Bien sûr, d’innombrables activistes, scientifiques, chercheurs, artistes, paysans, jardiniers empoignent ces questions. Mais ce n’est pas rassemblé dans un grand ensemble cohérent. Depuis ses débuts, le socialisme a travaillé toutes les questions que nous listons dans le Mémo, pour transformer les esprits, les affects, les paysages, les arts… Ce travail, tant idéologique que juridique ou culturel, n’est pas fait par les partis écologistes, qui vivent sur un répertoire très important de pratiques, sans pour autant définir leur système de valeurs, leur vision du monde. Or dans la lutte politique, c’est très embêtant de ne pas avoir la maîtrise de l’idéologie.

Bruno Latour : “Le film ‘Don’t Look up' me fait penser au ‘Docteur Folamour', de Kubrick. Mais quand je l’ai vu en 1964, on riait, même si on riait jaune.”
Jean-Francois Robert/Modds

Bruno Latour : “Le film ‘Don’t Look up’ me fait penser au ‘Docteur Folamour’, de Kubrick. Mais quand je l’ai vu en 1964, on riait, même si on riait jaune.”

Il faut du temps pour cela, et les partis écolos sont très récents…
C’est tout le tragique de la situation actuelle : nous manquons cruellement de temps, tout en ayant besoin comme jamais de ce travail de réflexion. Son absence explique, en partie, l’indifférence inquiète et embarrassée dans laquelle beaucoup de gens sont coincés. L’immense majorité a beau avoir compris que le monde a changé — la prise de conscience depuis cinq ans est fulgurante —, elle ne sait pas comment traduire son angoisse et sa culpabilité en mobilisation.

”La politique arrive toujours après.”

Parce que ce n’est toujours pas une question politique ?
La politique arrive toujours après ; c’est la mise en forme d’une longue série de transformations — affectives, esthétiques, juridiques, existentielles… —, d’une lutte acharnée des idées. Pour inventer le libéralisme, pour construire cette fiction de l’individu calculateur et autonome, pour embarquer les classes anciennes dans le développement de la production et faire miroiter ces promesses de liberté, de développement infini, il a fallu trois siècles de travail des penseurs, des idéologues, des artistes ! Il suffit de voir la
façon dont la littérature ou la peinture ont accompagné l’invention du libéralisme, ou le monopole que la gauche exerce dans la culture, pour comprendre combien l’écologie manque de ressources. C’est comme si, puisqu’ils s’occupent de la nature, les écolos pouvaient délaisser la culture… Pourtant il va bien falloir travailler les affects sur toutes ces idées de prospérité, de dépendance, d’habitabilité, et c’est une sacrée bataille culturelle !

Vous dites aussi que la nouvelle classe écologique n’est pas assez fière d’elle-même ?
« Fierté », c’est un terme qu’introduit Norbert Elias pour expliquer comment la bourgeoisie s’est mise à la place de l’aristocratie. Ne pas se sentir dépendante des positions politiques qui ont été établies par les autres, cela fait partie du dispositif. Je passe pas mal de temps à regarder les films des meetings de Georges Marchais, François Mitterrand ou François Hollande : il y a une unité, évidemment de projet, mais il y a aussi un très fort sentiment de fierté, celui d’être dans « le sens de l’Histoire », comme on disait. Les partis écolos sont récents, mais il est temps qu’ils deviennent adultes et clament fièrement : voilà le nouveau sens de l’Histoire !

“Définir ses ennemis, c’est essentiel.”

Pourquoi l’écologie politique ne s’assume-t-elle pas ?
Cela s’explique en grande partie par le fait que l’écologie est née dans les marges, depuis la fin de la guerre, avec des penseurs et des précurseurs qui ont décidé de « sortir du système », comme on dit… Aujourd’hui, ces marginaux sont devenus centraux parce qu’ils ont pointé du doigt LA question pour la survie de tous. Ce changement est très compliqué pour des gens qui se voient toujours comme marginaux et qui, brusquement, s’aperçoivent qu’ils peuvent devenir la majorité et doivent répondre à de nouvelles questions : que fait-on de la conquête du pouvoir ? Qu’est-ce qu’un État de l’écologisation, tout comme il y a eu un État de la reconstruction, un État de la modernisation, un État (très secoué) de la globalisation ? Et qu’est-ce qu’une Europe écologique ? Tant que les écologistes continueront à chérir leur marginalité, ils seront incapables de définir la politique à leur manière et de repérer l’ensemble des alliés mais aussi des adversaires. Car définir ses ennemis, c’est essentiel.

Justement, on vous reproche de « pleurnicher le vivant », pour reprendre les termes de l’économiste Frédéric Lordon, et de ne pas désigner les responsables…
La prolifération de réflexions sur la nature est souvent dépolitisée, je suis d’accord. Mais on connaît parfaitement les deux cents méchants charbonniers-pétroliers ! La clarification est publique : de plus en plus d’institutions refusent de financer les énergies fossiles ; la responsabilité des plus riches dans le changement climatique est amplement documentée (lire le Rapport sur les inégalités mondiales 2022, codirigé par Lucas Chancel, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, Gabriel Zucman) ; on a plein de propositions efficaces d’impôts sur l’usage du CO2, sur la fortune des multimilliardaires. Le défi n’est plus de désigner mais de rassembler des gens décidés à en tirer les conséquences concrètes. Or le pétrole, c’est aussi nos voitures, nos pulls en polyester, nos steaks saignants… Nous sommes victimes et complices, à différentes échelles. Si un parti écologique était élu à la présidentielle, quelles populations suivraient des mesures, forcément difficiles, à même d’attaquer sérieusement ces charbonniers-pétroliers ? Il faut des gens derrière.

”Quittons les batailles et la sociologie du xxsiècle !”

Pour la première fois, vous dites clairement que l’écologie est de gauche. Est-elle anticapitaliste ? 
Je veux bien parler d’« anticapitalisme », mais cela ne clarifie pas beaucoup les choses, d’autant que Marx n’utilise jamais le terme de capitalisme — il parle de « capitalistes ». Et surtout, nous ne sommes plus dans la même histoire. Quittons les batailles et la sociologie du xxsiècle ! Aujourd’hui, il s’agit de comprendre que la production seule ne définit plus notre horizon, et que notre obsession pour la production destructrice… nous détruit. Ce que l’on ne capture pas avec la notion de « capitalisme », c’est que la bataille porte sur l’économie : non pas la discipline économique, qui sert à faire des comptes, mais celle avec un grand E, cette idéologie qui conçoit les relations humaines uniquement en termes de ressources et nous vend la croissance comme seul moyen de prospérer. Voilà pourquoi cette bataille s’inscrit dans l’histoire de la gauche émancipatrice, au sens de Karl Polanyi : le véritable défi, c’est la résistance à l’économisation, par tous les moyens. Le monde n’est pas fait de relations économiques !

“La gauche a tout perdu, il faut se réarmer autrement.”

Mais comment se « déséconomiser » ?
Refaire une société est ce qu’il y a de plus compliqué, surtout quand elle a été défaite par ces forces puissantes qu’on appelle « néolibérales ». La gauche a tout perdu, il faut se réarmer autrement et poser en termes de valeurs des questions qui sont posées en termes d’économie. On le voit avec la crise de l’hôpital, de l’enseignement : ces sujets ne sont pas valorisés parce que la question de la valeur n’est pas considérée comme prioritaire. Pourquoi ne paierait-on pas mieux les professeurs, les infirmières ? Pourquoi l’hôpital est vu comme une dépense et pas un bien commun ? Qu’est-ce qui est important ? C’est quoi, la prospérité ? Le merveilleux livre de David Graeber et David Wengrow Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité montre que des tas de sociétés se sont organisées en dehors de toute économisation. L’intérêt de cet effroyable Covid, c’est qu’il nous fait considérer les choses différemment et nous questionner : qu’est-ce qu’une vie bonne ? Le phénomène de « la grande démission » — ces millions d’ouvriers et d’employés qui quittent leur travail et n’en cherchent plus, depuis le début de la pandémie, aux États-Unis et ailleurs — est quand même drôlement intéressant. Bref, l’histoire n’est pas finie. En plus, tout le monde a vu Don’t Look Up sur Netflix, et a pris un coup sur la tête…

“Don’t Look Up” sur Netflix, quand le cinéma alerte sur l’état de la planète

C’est votre cas ? 
J’ai d’abord trouvé le film caricatural, et la métaphore de la comète qui s’écrase contre la Terre, mal choisie : pour parler du réchauffement, pourquoi faut-il parler d’autre chose que du réchauffement ? Le changement climatique n’est pas un ennemi extérieur, c’est quelque chose de très intime, qui est inséré partout et qui est déjà en marche ! Mais après une longue discussion avec mon fils, je l’ai revu et j’ai changé d’avis. Le film m’a fait penser au Docteur Folamour, de Stanley Kubrick, où il est aussi question d’une catastrophe annoncée — un holocauste nucléaire. Mais quand je l’ai vu en 1964, on riait, même si on riait jaune. Rien à voir avec Don’t Look Up. Comme l’a parfaitement résumé une serveuse de restaurant avec laquelle j’ai discuté du film : « Si ça se trouve, c’est ce qui va se passer bientôt. » Et personne ne trouve ça drôle. Adam McKay a capté le sérieux de la situation, qui fait que le film est profondément perturbant et, en ce sens, très efficace. Beaucoup de climatologues, d’ailleurs, se sentent soulagés, et disent : c’est moi, c’est nous, c’est ce qui nous arrive.

“Elon Musk, Jeff Bezos, Richard Branson nous envoient ce simple message : la planète va mal, on se tire, démerdez-vous !”

Un anéantissement général de l’espèce humaine ? 
Sauf que le meilleur personnage du film, l’hypercapitaliste complètement dans l’esprit du temps, affreux mélange d’infantilisme, d’imaginaire technique et d’arrogance totale, s’en sort. Il organise sa fuite. Comme, aujourd’hui, Elon Musk, Jeff Bezos et les autres clowns richissimes et narcissiques qui s’offrent des virées dans l’espace. On est loin de John Glenn et Youri Gagarine : pour nous, les garçons blancs des années 1960 — je ne sais pas s’ils ont fait le même effet aux filles —, ils étaient des pionniers de l’évolution humaine. Glenn et Gagarine avaient des sourires de fierté, pleins de la confiance d’avoir derrière eux une civilisation. Les sourires, ou plutôt les rictus de tous ces cinglés d’Elon Musk, de Jeff Bezos ou de Richard Branson, nous envoient un tout autre message : la planète va mal, on se tire, démerdez-vous !

Alors, tout est foutu ?
Ce n’est pas mon boulot d’être catastrophiste. Notre livre est honnête, puisque nous disons : voilà soixante-seize grosses difficultés, n’espérez pas y échapper. Mais ça ne veut pas dire que la situation ne peut pas changer. C’est même le contraire, si ces questions sont enfin prises au sérieux, comme ont été pris au sérieux, pendant les périodes libérale et socialiste, des tas de problèmes métaphysiques, économiques, culturels. Bien sûr, le temps presse. Mais en attendant, les mouvements d’extrême droite avancent, ceux qu’on appelle poliment les « illibéraux » et qui sont en fait néofascistes 1 : ils trouvent les termes qui suscitent des affects d’adhésion, qui mobilisent autour de visions archaïques et irréalistes du territoire, de peuples fermés sur eux-mêmes… Dire que nous n’avons plus le temps de réfléchir, c’est leur laisser toute la place.

1 Appellant à une régénération sociétale et culturelle par l’invocation d’un âge d’or, la restauration de valeurs et de hiérarchies archaïques, le retour au droit naturel, le nationalisme, un autoritarisme revendiqué aux dépens de l’Etat de droit, etc.

BRUNO LATOUR EN QUELQUES DATES
1947 
Naissance à Beaune.
1972 Agrégation de philosophie.
1991 Parution de Nous n’avons jamais été modernes.
2006-2017 Professeur à Sciences po, à la tête du Médialab et du programme d’expérimentation en arts et politique (Speap).
2013 Prix Holberg pour ses travaux sur la modernité.
2015 Parution de Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique.

À lire 
Mémo sur la nouvelle classe écologique, de Bruno Latour et Nikolaj Schultz, éd. Les Empêcheurs de tourner en rond, 96 p., 14 €.

Bruno Latour : “L’écologie, c’est LA question existentielle de notre temps” Lire la suite »

Michel-Victor Chabosseau, l’insurgé

Une naissance sous le signe impérieux d’assurer la succession

Le 19 avril 1780, tout juste dix mois après le mariage de ses parents, naît Michel-Victor Chabosseau à la ferme de la Girouardière, sur la commune de Coron.
Ses parents fondent beaucoup d’espoirs sur ce fils ainé…
Etienne, le grand-père de Michel-Victor a été une grande partie de sa vie, journalier, domestique allant de borderies en métairies pour se placer. Ce n’est que par un concours de circonstances qu’il a pu épouser sa patronne Jeanne Froger et devenir ainsi métayer.
Michel, le père de Michel-Victor vient toute juste de prendre la suite de son père à la tête de la ferme à la naissance de son fils.
Il a une conscience aigüe de la possibilité de perdre cette position sociale. Il veut enraciner, sécuriser sa famille et établir une continuité dans la transmission de la ferme. Ils ont eu tant de mal lui et son père, à ne pas être considérés comme des usurpateurs, des profiteurs, des coucous.
Par chance, le premier enfant que lui a donné sa femme Jeanne est un fils. La succession va pouvoir être assurée. Michel-Victor sera le premier des Chabosseau, à être reconnu comme un laboureur de souche, comme un natif, comme un patron.
Pour forger le caractère de son fils et de ses autres enfants, Michel est sévère avec eux et les fait trimer dur. Dès qu’ils sont en âge, ils conduisent les bêtes aux champs, ils ramassent les choux et les raves même les matins ou le froid donne l’onglet. Celui qui ne fait pas sa part de labeur est sévèrement puni. Pas de pain si le travail n’est pas fait. Une nuit dans la soupente si la punition doit être plus dure.
Cette vie de dur labeur et de réprimandes paternelles promise à Michel-Victor va bientôt prendre un tournant tout autre.

Dès l’âge de 13 ans, Michel-Victor ne va pas suivre le chemin qui lui était tracé

A 13 ans, Michel-Victor s’engage dans l’armée catholique et royale dès la première bataille de Coron, le 16 mars 1793. Fuit il son père trop rude, rêve-t-il d’aventures, est-il entrainé par d’autres ? Nous ne connaissons pas ses motivations.
Michel-Victor va suivre l’armée blanche dans tous ses combats. Quand il ne participe pas aux rassemblements, il revient à la métairie pour participer aux travaux de la ferme.
La participation de Michel-Victor à tous les soulèvements vendéens nous est connu par la demande de pension qu’il fait rédiger le 31 mai 1825, 2 jours seulement après le sacre de Charles X à Reims.

Commune de La Plaine
Armée d’Anjou et Haut Poitou
Etat de service – Chabosseau (Michel Victor) – 
A fait la guerre en 1793 et 1794 sous les ordres de feu Monsieur Henry De la Rochejacquelein Général de l’armée Royale vendéenne
En 1795 et 1796 sous les ordres de feu Monsieur Stofflet général de la susdite armée
Et en 1799 sous les ordres de Monsieur le Comte d’Autichamps et de feu Monsieur le Chevalier de Vezin
En 1815 il reprit les armes sous les ordres de Messieur De la Rochejacquelein
Nous François Cailleau chef de bataillon, Armand Debillot ancien Adjudant major de la 2ème division du 4ème corps d’armée de l’ouest et Jacques Chatet, ancien capitaine certifions que Michel Victor Chabosseau a servi sous nos ordres en qualité de soldat en 1793 jusqu’en 1796 et en 1799.
En 1815 a repris les armes au retour de l’usurpateur.
Et Michel a point quitter qu’au retour de sa Majesté Louis dix-huit. 
Je soussigné François Proust maire de la Commune de La Plaine, Canton de Vihiers, Arrondissement de Saumur, Département de Maine et Loire, certifie que Michel Victor Chabosseau cultivateur ne jouit d’aucune pension ni secours sur les fonds de l’Etat ; que ses moyens d’existance consiste de cultiver la terre pour pourvoir aux besoins de sa vie
A la mairie de La Plaine le 31 mai 1825
Proust (1)

Il quitte la ferme familiale à 20 ans, veut se marier mais ses parents s’y opposent

A tout juste 20 ans, Michel-Victor quitte la ferme familiale. Il trouve à s’embaucher comme meunier chez les parents d’un de ses compagnons d’armes sur la commune de La Plaine.
Deux ans, plus tard, il fait la connaissance de Marie Chéné, une fille de La Plaine. Ils se fréquentent et pensent bientôt à se marier… Mais quand il informe ses parents (Michel Chabosseau et Jeanne Brunet) de ce projet, ceux-ci s’opposent à ce mariage.
Michel Victor alors âgé de 25 ans, n’a plus à demander le consentement de ses parents, au regard du Code Civil Napoléonien de 1804, qui pose de nouvelles règles en matière de mariage :

  1. Conformément à l’ancienne tradition coutumière, il établit une majorité spéciale, la « majorité matrimoniale », distincte de la « majorité ordinaire » : les garçons ont besoin du consentement de leurs parents jusqu’à 25 ans et, tant qu’ils n’ont pas atteint cet âge, ils sont réputés « mineurs » quant au mariage ; pour les filles, au contraire, la « majorité matrimoniale » coïncide avec la « majorité civile », soit 21 ans. Il faut attendre la loi du 21 juin 1907 pour faire cesser cette disparité.
  2. Si les futurs époux ayant la « majorité matrimoniale » peuvent se marier sans autorisation parentale, ils n’en sont pas moins tenus par la loi de demander le « conseil » de leurs parents ou de leurs grands-parents, ou, à défaut, de leur notifier leur projet de mariage par des actes respectueux.

Sommation respectueuse puis mariage

Michel-Victor ne souhaite pas déroger à la coutume et il entend obtenir conseil de ses parents, à défaut d’obtenir leurs consentements. Mais, ses parents, principalement son père, restent sur leur position et font savoir leur opposition à ce mariage à chaque fois que leur fils vient les voir et leur demander de consentir à ce mariage.
Le 27 Floréal an XIII (17 mai 1805) il demande au notaire de Coron, Maître Patou d’adresser une sommation respectueuse à ses parents pour obtenir leurs consentements à son mariage avec Marie Chéné :

Sommation respectueuse par Michel Victor CHABOSSEAU à Michel CHABOSSEAU et Jeanne BRUNET, ses père et mère
Le 27 Floréal an XIII
Napoléon 1er par la grâce de Dieu et la constitution de l’Etat Empereur des Français et roi d’Italie à tous présentant avenir salut et avenir faisons que
Devant nous Pierre Patou notaire public résident à Coron arrondissement de Saumur Département de Maine et Loire soussigné et en présence des témoins ci-après nommés
A comparu Michel Victor Chabosseau garçon majeur âgé de 25 ans accomplis du 29 germinal dernier an XIII demeurant présentement au moulin de la Thibaudière commune de La Plaine
Issu du légitime mariage de Michel Chabosseau avec Jeanne Brunet, ses père et mère demeurant à la Petite Chèvrie commune de Coron
Lequel nous a dit que désirant depuis très longtemps se marier légalement avec Marie Chéné fille majeure demeurant avec sa mère aux Bousselières commune de La Plaine, fille probe, laborieuse, ayant de bonnes mœurs et tenant une conduite rangée et régulière qui lui a fait mériter l’estime des honnêtes gens

Et avoir plusieurs fois sollicité avec un profond respect lesdits Michel Chabosseau et Jeanne Brunet, ses père et mère de vouloir bien consentir à se qu’il épousa la dite Marie Chéné sans pouvoir obtenir leur consentement
Pourquoi désirant faire constater sa soumission et son respect envers ses dits père et mère
Acte conforme à l’article 252 arrêté le 21 ventôse de l’an XII additionnel à la loi du 26 ventôse de l’an XI il nous requiert de vouloir bien nous transporter à la métairie de la Petite Chèvrie commune de Coron au domicile de ses susdits père et mère pour leur notifier qu’il désirait instamment obtenir leur consentement pour le mariage qu’il voulait contracter avec la dite Marie Chéné et pour leur dire qu’il les suppliait très respectueusement par notre organe et notre ministère de vouloir bien donner leur adhésion
en conséquence de cette réquisition nous notaire susdit et soussigné accompagné des citoyens Nicolas David et Joseph Dominique Marie Vallée demeurant tous les deux commune de Coron
ou étant arrivés et ayant trouvés les dits Michel Chabosseau et Jeanne Brunet, sa femme nous leur avons dit que leur fils Michel Victor Chabosseau nous mande ce jourd’hui auprès d’eux par notre organe et ministère sa supplication respectueuse qu’il leur avait fait verbalement  plusieurs fois avant  ce jour et qu’il les priait et suppliait d’abandonner, par la présente de vouloir bien consentir à son mariage avec la dite Marie Chéné  en qui il a mis depuis très longtemps son amitié et qui est un parti qui lui convient
lesquels nous ont dit savoir
la dite Jeanne Brunet, sa mère que puisque Michel-Victor Chabosseau son fils paraissait absolument décidé à se marier avec la dite Marie Chéné, elle ne voulait pas plus longtemps le contrarier en refusant son consentement  pourquoi elle déclarait par la présente consentir à ce mariage
et le dit Michel Chabosseau père qui jusqu’à ce moment avait refusé son consentement à ce mariage dans l’espérance que son fils pourrait changer de sentiment et de décision  mais que voyant qu’il persévérait toujours et qu’étant majeur de 25 ans il employait envers lui le moyen que lui fournit et procure la loi pour parvenir à terminer le mariage
il déclarait par la présente consentir à ce que son fils Michel-Victor Chabosseau se maria avec la dite Marie Chéné aussitôt qu’il le voudra et qu’il le dispensait de lui faire d’autre sommation respectueuse afin d’éviter les frais
De tout ce que nous avons dit le présent acte pour valoir au dit Michel-Victor Chabosseau fils ce que de droit et de raison
Fait et passé à la métairie de la Petite Chèvrie commune de Coron le 27 Floréal An XIII en présence
des citoyens Nicolas David et Joseph Dominique Marie Vallée témoins et lecture faite les parties ont déclarer ne savoir signer
Mandons et ordonnons à tout huissier de justice de mettre la présente à exécution
A tout officier civil de la force de prêter forte quand ils se seront légalement requis
Et à tout procureurs impériaux près des tribunaux
La minute des présentes est signée David, Vallée et nous Patou notaire soussigné
Enregistré à Vihiers le 1er prairial de l’An XIII
Reçu 1 franc dix centimes
Signé Baranger pour le receveur général » (2)

Par cet acte, Michel-Victor a, enfin, obtenu les consentements de ses deux parents et le 28 mai 1805 (8 Prairial An XIII) il se marie avec Marie Chéné à La Plaine, Département de Maine et Loire :

Du 8ème jour du mois de Prairial An XIII de la république française sur les 6h du matin
Acte de mariage de Michel Victor Chabosseau meunier âgé de 25 ans né commune de Coron, Département de Maine et Loire ,demeurant en cette commune, fils de Michel Chabosseau cultivateur demeurant commune de Coron, Département de Maine et Loire et de Jeanne Brunet tout les deux consentant d’après la sommation respectueuse à eux notifier par le citoyen PATOU, notaire à Coron le 27 Floréal dernier en présence des citoyens Nicolas David et Joseph Dominique Marie Vallée enregistrée en ce lieu le 1er de ce mois
Et Marie Chéné âgée de 22 ans née et domiciliée en cette commune, Département de Maine et Loire, fille du défunt Germain Chéné, menuisier de son vivant demeurant en cette commune, Département de Maine et Loire et de Marie Egremond ici présente, ses père et mère
Ses actes préliminaires sont extraits des registres des publications de mariage faites à la mairie le 15 et le 22 Floréal dSes actes préliminaires sont extraits des registres des publications de mariage faites à la mairie le 15 et le 22 Floréal dernier entre
Michel Victor Chabosseau, meunier âgé de 25 ans, né commune de Coron, Département de Maine et Loire demeurant en cette commune, fils de Michel Chabosseau cultivateur demeurant commune de Coron, Département de Maine et Loire et de Jeanne Brunet, ses père et mère
Et Marie Chéné âgée de 22 ans née et domiciliée en cette commune Département de Maine et Loire fille du défunt Germain Chéné menuisier de son vivant demeurant en cette commune Département de Maine et Loire et de Marie Egremond ici présente, ses père et mère
Et affichés au terme de la loi le 15 et le 22 Floréal dernier
De tout informé, de tout les quatre actes, il a été donné lecture par moi officier public au terme de la loi les dits époux présent ont déclaré prendre en mariage
L’un Marie Chéné, L’autre Michel Victor Chabosseau
En présence de
Pierre Froger tisserand âgé de 69 ans demeurant en cette commune, Département de Maine et Loire, frère de l’épouse à cause de Catherine Chéné
Pierre Paquier, tisserand âgé de 35 ans, demeurant en cette commune, Département de Maine et Loire, ami de l’époux
Mathurin Brunet, bordier âgé de 45 ans, demeurant en cette commune, Département de Maine et Loire, ami des époux
Jean Brémond, bordier âgé de 26 ans, demeurant en cette commune, Département de Maine et Loire, ami des époux
C’est pourquoi, moi, Fradin, maire de cette commune, faisant ses fonctions d’officier public de l’état civil, ai prononcé qu’au nom de la loi les dits époux sont unis par le mariage et ont les dits époux et témoins déclarés ne savoir signé sauf le citoyen Paquier
Lecture donné aux parties comparantes – Signatures : Fradin et Paquier (2)

Quelle était la cause du désaccord entre Michel Victor et ses parents ?
L’engagement de Michel-Victor dans l’armée vendéenne ?
Le déshonneur que représente le fait que le fils aîné n’ai pas repris les rênes de la métairie aux côtés de ses parents ?
L’ingratitude ressentie par les parents d’avoir été délaissé par leur fils ?
L’indépendance d’esprit de Michel-Victor ?
La personnalité de Marie Chéné ?
La mésalliance que cette union représentait aux yeux des parents ?
Nous ne le saurons pas.

Michel-Victor et Marie s’installeront dans une borderie sur la commune de La Plaine où ils auront 8 enfants. Marie y décèdera le 20 janvier 1840, Michel Victor lui survivra trois ans et s’éteindra le 18 octobre 1843 à l’âge de 63 ans.

__________________________________________________________________________________________________________

(1) Archives Départementales du Maine et Loire, Dossiers Vendéens, 1M9/98, Demande de pension, 31 mai 1825
(2) Archives Départementales du Maine et Loire, La Plaine, Naissances, Mariages, Décès, 1792-1812, 6E240/6

Michel-Victor Chabosseau, l’insurgé Lire la suite »

Comment la ferme de La Girouardière devint le lieu de vie de la famille Chabosseau

La famille Frételière

Urbain Frételière et son épouse Perrine Rabin s’établissent à la Girouardière peu après leur mariage en novembre 1697. Ils sont les nouveaux occupants de cette métairie, d’une vingtaine d’hectares. Ils vont y élever quelques vaches et une dizaine de brebis et leur suite. Ils vont aussi y cultiver du seigle, du baillarge (de l’orge de printemps), des pois verts, des choux et des raves. Quelques pâtures sont aussi nécessaires pour nourrir le cheptel et les bœufs de labour. Le jardin et les quelques fruitiers vont apporter la base de l’autosubsistance de la famille. Les bonnes années, ils cultiveront une boisselée de lin que Perrine pourra filer.

Plan cadastral napoléonien1838
Capture d’écran Google Earth février 2022

De leur union vont naître cinq enfants, trois filles et deux garçons. Françoise, la fille ainée voit le jour en 1701, vont suivre Urbain, Louise, Perrine et Michel en 1707.

Urbain meurt le 10 janvier 1723 à l’âge de 44 ans. Ses enfants sont âgés de 22 ans pour l’ainée et de 16 ans pour le plus jeune. La famille va faire face pour maintenir la métairie en bon état de fonctionnement. C’est Michel le fils cadet, qui va finalement rester à la ferme pour succéder à ses parents. Sa mère Perrine, malade, presse son fils de se marier et associe le nouveau ménage à l’exploitation de la ferme dans le contrat qui va être établi lors du mariage. Michel se marie avec Jeanne Froger le 2 juillet 1743 et devient le chef de ménage et le nouveau métayer de la Girouardière. Perrine meurt en février 1744.

Michel et Jeanne vont donner naissance à trois filles, Jeanne née en 1745, Françoise en 1747 et Michelle en 1750. Michel qui est comme son père de constitution fragile, fait appel à des journaliers pour l’aider ou le suppléer dans les tâches les plus rudes de la ferme, en particulier pour les labours et l’ensemencement des boisselées de céréales et le ramassage des foins.

Etienne Chabosseau

Etienne Chabosseau est l’un de ces journaliers qui se place comme valet de ferme à la Toussaint. Il est le quatrième enfant de l’union de son père Mathurin et de sa mère Marie qui auront ensemble sept enfants. Juste après la mort de sa mère en juin 1741, en octobre 1741 son père se remarie avec Françoise, sa belle-mère, dont il va avoir deux autres enfants. Son père se remariera une troisième fois, à la mort de sa deuxième épouse.
Etienne, comme beaucoup d’enfant de familles nombreuses pauvres, est placé très jeune. Il sera placé puis se placera lui-même dans les borderies ou les métairies de Nuaillé, d’Yzernay ou de Coron.

Il se placera à plusieurs reprises chez les Frételière à la Girouardière. Il fallait trimer dur, la soupe était quelquefois mal beurrée mais il s’entendait bien avec ses patrons Michel et Jeanne. Comme son père, Michel Frételière meurt à 44 ans, le 21 mai 1751. Sa femme Jeanne reste seule avec ses trois filles. La situation de Jeanne est la même que celle qu’a connu sa belle-mère Perrine mais elle n’a pas de fils pour l’aider, pour reprendre la suite. Heureusement il y a Etienne, son valet de ferme, qui a l’habitude des travaux à effectuer et qui a déjà beaucoup seconder son mari, ces dernières années.

Coron Chapelle Notre Dame de Vertu
Notre Dame des Vertus

Le 5 juin 1753, Etienne Chabosseau, alors âgé de 28 ans, se marie avec sa patronne Jeanne Froger, veuve de Michel Frételière, de onze ans son ainée.

Le 15 mars 1754 Etienne vient faire baptiser leur fils Michel par le curé Frémit dans la chapelle Notre Dame des Vertus dans le bourg de Coron. Il est accompagné de Michel Goubault, son voisin de la Petite Chévrie ainsi que de sa belle sœur Marie Magdelaine Froger.
Etienne s’est installé maintenant dans la ferme à demeure et a repris le métayage de la Girouardière.
Trois ans, plus tard, Jeanne, bien qu’âgée de 43 ans donne naissance à leur fille Marie, qui décédera à l’âge de 19 ans en 1776.

Michel Chabosseau

En 1779, Michel Chabosseau a maintenant 25 ans. C’est lui, le seul fils de la famille, qui assure la plus grande partie du travail de la ferme, il panse les animaux, il laboure et ensemence les champs, il fauche les prés bas et rentre les foins.
Sa mère Jeanne s’en est allé en 1777 et son père Etienne décline de plus en plus.

Il fréquente Jeanne Brunet, une fille de Coron, qu’il rencontre à chaque assemblée, le dimanche.
Le frère de Jeanne Brunet, Martin s’est marié avec Françoise Frételière, sa demi-sœur, la deuxième fille que sa mère Jeanne a eu de son premier mariage.
Michel Chabosseau et Jeanne Brunet se marient le 21 juin 1779.
Le père Retailleau leur donne la bénédiction nuptiale en présence d’Etienne, le père de Michel, de Pierre Brunet et Renée Gourichon, les parents de Jeanne, de Martin Brunet, le frère de Jeanne, Michel et Jean Brunet, ses oncles, de Guy Denis, leur beau-frère et de Jacques Froger, l’oncle de Michel.

L’automne suivant, Etienne, le père de Michel décède, le 7 novembre 1779.
Michel et Jeanne sont maintenant les nouveaux métayers de la Girouardière. La métairie est devenue, à part entière, le lieu de vie de la famille Chabosseau.
De leur union vont naître dix enfants, les six premiers à la Girouardière, les quatre derniers à la Gourdinière ou ils s’installent en 1795.
Mais ceci est une autre histoire…

Comment la ferme de La Girouardière devint le lieu de vie de la famille Chabosseau Lire la suite »

Les rêves de liberté de Victorine et de sa fille Arsène Marie

Victorine Louise Chabosseau

Victorine nait à Coron, berceau de la famille Chabosseau, le 25 février 1841. Elle a 26 ans quand elle rencontre Louis Bénétreau, qui va devenir son mari, elle est fileuse et lui tisserand. Le mariage a lieu le 19 juin 1867 alors que Victorine est enceinte de trois mois. Leur premier fils Louis Victor voit le jour le 1er décembre 1867.
Le couple ne s’entend pas mais trois autres enfants vont naître de cette union : Victor Jérémie en 1869, Marie Victorine en 1870, et Arsène Marie en 1874.
En 1881, un tailleur de pierres, Frédéric Auguste Brousseau, originaire de La Verrie en Vendée, vient à Coron effectuer des chantiers de tailles. Il a de la famille à Coron, mais elle ne peut pas l’héberger. Il trouve à se loger chez la famille Bénétreau, pendant la durée des travaux qu’il effectue.
Entre le tailleur de pierres et Victorine qui a alors 40 ans, une relation se noue. Victorine s’enfuit alors du domicile conjugal. Elle part quelques semaines puis revient et repart presqu’aussitôt après. Elle quitte son mari et ses enfants âgés alors de 14, 13,11et 7 ans.
Victorine et son tailleur de pierres trouvent à se loger dans un café-hôtel à Pontchâteau en Loire Atlantique où Frédéric a trouvé du travail. Cette situation précaire qui devait être provisoire se prolonge…En mars1883, naît un fils de cette union, Frédéric Emile Jean. Cet enfant porte le nom du mari de Victorine, Bénétreau, duquel elle n’est pas séparée.
En janvier 1884 ce fils meurt, il a 10 mois, alors que Victorine est de nouveau enceinte. Un deuxième fils voit le jour, Emile qui porte lui aussi le nom Bénétreau, le 23 mai1884, toujours dans le café-hôtel de Pontchâteau. Alors que la famille s’est installée dans le village de la Janvrais à Besné (Loire Atlantique), un troisième enfant naît en 1885, Nativa Célestine Victorine, qui porte elle aussi le nom de Bénétreau.

En 1894, Louis Bénétreau, 13 ans après le départ de Victorine, entame une procédure de divorce. Le jugement se déroule à Saumur le 15 décembre 1894. Louis Bénétreau est assisté par Me Baron, avoué. Il bénéficie de l’assistance judiciaire.
Victorine n’est, ni présente, ni représentée. Il n’y a pas eu de conciliation possible car le lieu de résidence de Victorine est inconnu.
Les motifs de la demande de divorce invoqués par Louis Bénétreau sont les suivants :

  • Le requérant a, de tout temps, eu à se plaindre de la conduite de sa femme
  • Que cette femme a eu pour amant un ouvrier habitant Coron et prenant pension chez les Bénétreau
  • Qu’une première fois, il y a treize ans, la dame Bénétreau (Victorine) abandonna le domicile conjugal pour suivre cet ouvrier
  • Qui après une absence de quelques semaines, réintégra le domicile conjugal mais pour l’abandonner de nouveau presqu’aussitôt après
  • Que depuis cette époque, elle n’a plus reparu dans le pays et n’a plus donner de ces nouvelles. Que le requérant ignore ce qu’elle est devenue.

En 1894, il ne reste plus qu’Arsène Marie, le dernier enfant du couple Louis Bénétreau – Victorine Chabosseau à vivre à Coron avec son père. Le Tribunal prononce le jugement qui suit :

  • Le divorce est prononcé au profit du mari
  • Confie aux soins et à la garde de son père, la fille mineure issue du mariage (Arsène Marie)
  • Commet un notaire pour procéder à la liquidation et au partage Condamne la dame Bénétreau (Victorine) aux dépens envers le Trésor
  • Commet un huissier pour signifier le jugement à la défaillante
  • Indique que le jugement de divorce doit être transcrit sur le registre d’Etat Civil de Coron en marge de l’acte de mariage et doit être déposé au greffe du Tribunal. 

Victorine va élever les deux enfants de sa deuxième famille. Son fils, Emile, va suivre les traces de son père (le vrai) et devenir tailleur de pierres.
Victorine décède au village de la Janvrais à Besné (Loire Atlantique), le 6 novembre 1908, à l’âge de 67 ans, sans avoir revu, ni son mari ni ses enfants de sa première famille.

Arsène Marie

Que sont devenus ses enfants de sa première famille ?
Son deuxième fils Victor Jérémie meurt adolescent.
Marie Victorine, sa première fille, va rester à Coron et se marier avec un gars du pays, qui a repris la ferme de ses parents.
Ses deux autres enfants vont quitter Coron et monter à la capitale.
C’est tout d’abord le fils ainé, Louis Victor qui monte à Paris vers 1890. Il exerce, dans les hôtels, la profession de valet de chambre. En 1898, il se marie, dans le 8ème arrondissement de Paris avec Jeanne Louise Royer, femme de chambre, originaire de Limoges. Il en divorce et se remarie, dans le 16ème arrondissement avec Maria Deschamps en juin 1932.
Sa plus jeune fille Arsène Marie, qui vivait chez son père lors de la prononciation du divorce en 1894, va suivre son frère et monter à la capitale en 1896-97. Victorine est morte en 1908, mais Arsène Marie ne l’a pas su et n’en a surement plus vraiment de souvenir, sa mère l’ayant laissé alors qu’elle avait 7 ans.
Abandonnée par sa mère, ayant vécu une vie difficile avec son père, Arsène Marie, a des rêves bien éloignés de la vie qui lui est promise en restant à Coron et une revanche à prendre sur ce que lui offre la vie… C’est ce qu’elle va faire.
En 1913, elle épouse Gabriel Kadar de Torda, prince hongrois, peintre et imprimeur d’art, elle a 39 ans et lui 54. Ils vivent ensemble au 42 rue Falguière dans le 15ème arrondissement de Paris. Mais le bottin mondain, nous indique qu’ils disposent d’un autre bien au 24 rue des Sorrières à Meudon. Arsène Marie est alors déclaré rentière.
Les témoins lors du mariage ne sont pas vraiment que des illustres inconnus :
Emile Levy, 52 ans, Editeur d’Art, Chevalier de la Légion d’honneur, 13 rue Lafayette
Marc Caviole, 48 ans, Chef de bureau du Ministère des Beaux-Arts, Chevalier de la Légion d’honneur, 133 rue de Vaugirard
Henriette Régent, 33 ans, Modèle, 55 rue du Rocher
Alice Cénard, 34 ans, Sans profession, 26 boulevard des Batignolles
Nous sommes dans le milieu de la mode et de l’art. Émile Lévy est éditeur et patron de la Librairie centrale des beaux-arts, située au 13 rue Lafayette à Paris. Il est le fondateur de la revue Art et décoration qui est au départ sous-titré « revue mensuelle d’art moderne ». Le premier numéro sort en janvier 1897 et fait 64 pages, les vignettes sont de Maurice Pillard Verneuil. Le comité de rédaction de la revue comprend : Puvis de Chavannes, Vaudremer, Eugène Grasset, Jean-Paul Laurens, Jean-Charles Cazin, Luc-Olivier Merson, Emmanuel Frémiet, Oscar Roty et Lucien Magne. Plusieurs affiches promotionnelles (extérieures et intérieures) sont produites, soit sur commande, soit à l’issue d’un concours avec appel aux lecteurs.

Alfons Mucha 1901

Claude Lorain 1898

Il édite également La Gazette du Bon Ton qui est une luxueuse revue Art-déco pour laquelle travaillèrent les meilleurs illustrateurs de l’époque.

Gabriel Kadar de Torda est illustrateur et imprimeur d’Art. C’est lui qui imprime Art et Décoration et la Gazette du Bon Ton.

Il est le « père nourricier » ( le parrain, le tuteur, dans le monde des Beaux-Arts) de Jean de Brunhoff dit  « Babar », le créateur de Babar, l’éléphant de la bande dessiné.
Si les tableaux de Jean de Brunhoff étaient bons, ils ne l’étaient pas suffisamment pour qu’il devienne un grand peintre, et il en était parfaitement conscient.
Les questions qu’il pouvait se poser sur son avenir se résolurent d’elles-mêmes, et par le plus grand des hasards : un soir d’été de 1930, Cécile de Brunhoff imagina pour Laurent et Matthieu, leurs enfants, l’histoire d’un bébé éléphant né dans la grande forêt, dont la mère est tuée par un vilain chasseur. Pris de peur, l’éléphanteau s’enfuit jusqu’à la ville, où il trouva un porte-monnaie qui lui permit d’acheter de beaux habits dans un grand magasin, puis il retourna dans la jungle après s’être bien amusé. Les deux garçons furent tellement enthousiasmés par ce conte que Jean de Brunhoff décida de l’illustrer. Mais nul ne se souvient plus pourquoi et comment le bébé éléphant prit le nom de Babar.  Source : Hachette.

 Son père Louis Bénétreau décède le 27 mars 1927 et son mari Gabriel un peu plus d’un an, plus tard, le 24 mai 1928.
Arsène Marie et ses amies, témoins de son mariage et d’autres aussi, étaient les égéries, les modèles des peintres, illustrateurs, photographes de cette époque d’effervescence de l’art et de la mode qui, par le biais des revues firent et font toujours rêver.
Arsène Marie revint à Coron avec son mari Gabriel vers 1925-1926.
Il semble que le tourbillon de la vie parisienne s’était envolé et peut-être aussi la fortune….
Arsène Marie passera le reste de sa vie à Coron et décédera à Cholet, le 23 novembre 1960, à l’âge de 86 ans.
(1)

(1) Mode à Longchamp, agence de presse Meurisse, Agence photographique, 1919, BNF-Gallica

Les rêves de liberté de Victorine et de sa fille Arsène Marie Lire la suite »

Retour en haut