Lecture

Le Cimetière des Livres oubliés

Sous a plume de Carlos Ruiz Zafón, Barcelone la Superbe, aussi torturée qu’envoûtante, nous livre la vie de personnages obnubilés par la littérature qui gravitent autour de la librairie Sempere & fils. Qu’ils soient libraires, lecteurs, éditeurs ou écrivains, leurs âmes sont liées à celles des livres dont ils ont la charge.

Plus que le théâtre d’une série d’intrigues, Barcelone est un personnage à part entière. Elle enveloppe les protagonistes des mystères dont elle regorge ; leur dévoile et dissimule ses secrets; les cache quand ils sont pourchassés; les console de la misère dans laquelle ils sont parfois plongée; les retient captifs dans les prisons qu’elle possède. Face à la violence dont elle est la proie, Barcelone se révèle dangereuse, corrompue et imprévisible. Elle nous entraine avec elle dans un sinistre labyrinthe d’intrigues où les livres sont des portes vers des mondes en implosion.

La mythique librairie Catalonia de Barcelone, fondée en 1924, ou on pouvait lire « Le monde est gouverné par les livres » est le lieu central de la saga de Carlos Ruiz Zafón : « Le cimetière des livres oubliés ».

La saga se déroule à Barcelone entre 1920 et 1970. Le premier tome « du cimetière des livres oubliés »
« l’Ombre du Vent », sorti en 2004, est un immense succès. Un véritable phénomène traduit dans plus de 40 langues, publié dans une cinquantaine de pays et couronné de nombreux prix internationaux. Suivront, en 2009 « Le Jeu de l’Ange », puis en 2012 « Le Prisonnier du Ciel » et « le Labyrinthe des esprits » en 2016.

L’Ombre du vent : Le Cimetière des Livres oubliés 1 
Daniele Sempere a presque onze ans lorsqu’il pénètre pour la première fois dans un lieu secret nommé “Le Cimetière des Livres oubliés”. Il doit, dans cette bibliothèque labyrinthique, aller à la rencontre du texte qui l’accompagnera tout au long de sa vie. Mais il va apprendre qu’on ne choisit pas un livre, c’est lui qui nous adopte. Élevé au rang de classique contemporain, “L’Ombre du vent” est une quête, celle de la littérature, intimement liée à la vie, mais toujours plus forte que celle-ci.

Le Jeu de l’ange : Le Cimetière des Livres oubliés 2
Dans la Barcelone des années 1920, un jeune écrivain éperdument amoureux accepte un mystérieux contrat avec un éditeur parisien, sans se douter que cela va le conduire à mettre en danger la vie des personnes qui lui sont chères. Paru cinq ans après “L’Ombre du vent”, ce deuxième volume de la saga ne constitue pas la suite du premier volume, mais ce qui le précède, vingt ans plus tôt.

Le Prisonnier du Ciel : Le Cimetière des Livres oubliés 3 
Dans la Barcelone de 1957, sous un matin de plomb et de givre du mois de décembre, Daniel reçoit la visite d’un étrange inconnu qui lui offre, pour l’achat d’une vieille édition du « Comte de Monte-Cristo », une somme démesurée. Plus inquiétant, il laisse le précieux ouvrage accompagné de quelques mots menaçants à l’encontre de Fermín.
Interrogé par Daniel, celui-ci va alors plonger dans les abîmes d’un passé qu’il aurait préféré oublier : la prison de Montjuïc dans laquelle il faillit trouver la mort en 1939, les mensonges qu’il fallut inventer, les ombres auxquelles il crut échapper. Désormais, les fantômes oubliés semblent crier vengeance.
En conteur haletant, Zafón poursuit son hommage à cette obsession qui s’insinue partout, à chaque coin de rue, cette fièvre qui habite ses héros maudits : la littérature comme seule compagne viable.

Le Labyrinthe des esprits : Le Cimetière des Livres oubliés 4
Dans la Barcelone des années de plomb, la disparition d’un ministre va déchaîner une cascade d’assassinats. Face à la propagande et à la terreur, se dresse Alicia Gris, une jeune femme déterminée et fragile, qui se joue à merveille des labyrinthes, des miroirs et des masques.
Sur sa route, elle va croiser Daniel Sempere, qui n’est plus ce petit garçon des travées du Cimetière des Livres oubliés, mais un adulte empli de tristesse et de colère incapable de se défaire de l’ombre qui plane au-dessus de la disparition de sa mère.
Alicia Gris va cependant bouleverser son quotidien et celui de ses proches en lui permettant d’accéder enfin à la vérité, et à l’accomplissement de son destin. Un final grandiose à cette merveilleuse histoire qui jusqu’au bout n’aura pas dérogé à son ambition première : rendre hommage à la littérature qui nous fait vivre.

Carlos Ruiz Zafón

Carlos Ruiz Zafón a grandi dans le quartier de la Sagrada Familia à Barcelone. Fils d’une mère au foyer et d’un père agent d’assurances, le petit Carlos est élevé dans un milieu populaire mais n’en oublie pas pour autant d’être curieux.

Autodidacte, il se passionne pour la musique, les livres, les maths, la photo. A 8 ans, il pond ses premières historiettes. A 14 ans, il écrit son premier roman. L’école l’ennuie. Carlos collabore à un magazine, intègre aussi une compagnie de théâtre puis débarque dans le milieu de la pub au milieu des années 80. Pris dans le tourbillon du business, il décide pourtant de tout lâcher. En 1993, il quitte sa ville natale et s’envole pour Los Angeles. Scénariste et écrivain, il vit entre Barcelone et Los Angeles.
Le 19 juin 2020, à 55 ans, il décède d’un cancer dans sa résidence de Los Angeles.

Lire et aimer « Le Cimetière des Livres oubliés », c’est se sentir instinctivement attiré par Barcelone. Les lecteurs veulent voir les lieux décrits dans l’Ombre du Vent ce qui incitera Carlos Ruiz Zafón à participer à la rédaction d’un guide de « Promenades dans la Barcelone de l’Ombre du vent ».
Il a également écrit « la Trilogie de la Brume » (Le Prince de la brume, Le Palais de Minuit, Les Lumières de septembre) et « Marina », un roman isolé sorti en 1993.

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Le médecin d’Ispahan

Londres, en l’an 1021. Orphelin, Rob J. Cole, neuf ans, est recueilli par un barbier-chirurgien et devient son apprenti. Ensemble, ils sillonnent l’Angleterre. C’est une époque où l’on brûle les sorcières, où la vie est dure et la mort vite venue…
Mais Rob n’a qu’une idée en tête : devenir médecin et il a un terrible don : il sent si un patient va mourir lorsqu’il lui prend la main.

Ayant appris qu’on peut étudier sérieusement la médecine chez les Arabes, Rob n’hésite pas et, à vingt ans, le voilà qui traverse l’Europe pour gagner l’Orient. Comme chez les Arabes on n’admet pas les chrétiens, il va se faire passer pour juif…

Le Médecin d’Ispahan est un formidable roman d’aventures. C’est l’histoire d’un homme enflammé d’une passion dévorante : vaincre la mort et la maladie, guérir. Pour atteindre son but, il fuira la brutalité et l’ignorance de l’Angleterre du Xie siècle, traversera tout un continent pour découvrir la cour de Perse, le monde étonnant des universités arabes et la chaude sensualité des palais d’Ispahan.

En filigrane, Le Médecin d’Ispahan est la magnifique histoire d’un amour que rien ne parvient à détruire.

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Une femme à Berlin

Une femme à Berlin (allemand : Eine Frau in Berlin) est un témoignage autobiographique d’une jeune Allemande sous la forme d’un journal allant du 20 avril au 22 juin 1945. Il relate, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la chute du Troisième Reich et la prise de la ville de Berlin par l’Armée rouge, dont les soldats se livrent à cette occasion à des exactions et meurtres dont des viols de guerre massifs pendant plusieurs mois, et dont la jeune femme est victime à plusieurs reprises.

Le témoignage

Le texte décrit la vie quotidienne des Berlinois, notamment des femmes, au printemps 1945, tout près de la fin de la Seconde Guerre mondiale. La population est dans l’attente et l’angoisse de l’arrivée imminente des troupes soviétiques, et les habitants sont livrés à eux-mêmes dans le chaos de la débâcle allemande, l’État allemand — le Troisième Reich — étant sur le point de capituler. Les habitants, conscients de la profonde ire animant les troupes soviétiques à leur égard, notamment engendrée à la suite de l’invasion de leur pays en juin 1941 et à la profusion de crimes de guerre alors perpétrés en URSS par les instances nazies de 1941 à 1944, sont tenaillés tant par la faim que par la peur et entièrement mobilisés par la recherche du minimum vital.

Après la capitulation allemande le 8 mai 1945, l’occupation soviétique se révèle rapidement être un cauchemar pour les femmes, victimes de violences sexuelles perpétrées par les soldats de l’Armée rouge. On estime que cent mille femmes ont été violées pour la seule ville de Berlin durant cette période.

Cependant, malgré l’horreur, l’auteure développe son témoignage avec une certaine rationalité : elle n’exprime aucune haine à l’égard de l’occupant et parvient, malgré la souffrance, les humiliations et le traumatisme à faire la part des choses, non sans sarcasme. Avec un regard acéré, elle montre l’ampleur du ressentiment de ses compatriotes à l’égard d’Adolf Hitler, mais aussi les petites et grandes mesquineries qui révèlent la véritable nature des uns et des autres lorsque l’ordre social est bouleversé. En particulier, au moment de l’arrivée des soldats dans la ville, elle évoque son étonnement de découvrir des femmes parmi les sous-officiers de l’Armée rouge, étrangeté pour elle de la condition féminine en URSS là où les femmes sous le Troisième Reich évoluaient dans des limites continuatrices du triptyque des 3K. (Kinder, Küche, Kirche. « Enfants, cuisine, église », rôles traditionnels dévolus aux femmes sous l’empire allemand et le Troisième Reich.)

L’auteure étant libre de ses opinions — aucun compagnon ou membre de sa famille à ses côtés, elle indique à son entourage dans les abris qu’elle « prend juste des notes » et aux Soviétiques qu’elle perfectionne son russe — cet écrit préfigure donc, malgré sa diffusion décalée auprès du public allemand, la période du réalisme en littérature qui va succéder à l’effondrement de l’idéologie politique dominante l’année 1945.

Personnages principaux

La narratrice

La narratrice, qui ne donne pas son nom dans son récit, est une jeune femme qui décrit sa vie dans son journal et témoigne des événements auxquels elle assiste pendant huit semaines : la bataille de Berlin, la chute du Troisième Reich puis l’occupation de l’Allemagne par les Soviétiques. Elle se présente comme salariée d’une maison d’édition, a longuement voyagé en Europe durant sa jeunesse et maîtrise les bases de différentes langues, dont le russe et le français. Elle se décrit comme une « blondinette de trente-ans toujours habillée du même manteau d’hiver ». D’abord domiciliée dans un appartement abandonné, elle se réfugie chez une veuve lorsque le domicile de cette dernière est endommagé. Elle souffre d’abord de la faim, puis des bombardements, devant se terrer dans des abris anti-aériens. Après l’arrivée des troupes soviétiques — à la suite de leur victoire dans la bataille de Berlin — de nombreux soldats de l’Armée rouge lui font subir de très fréquents viols collectifs, sans que personne n’intervienne pour elle, ni pour les autres femmes victimes. De fait, terrorisée et humiliée, elle recherche la « protection » d’un haut-gradé de l’armée occupante afin de devenir sa « chasse gardée », tout en y trouvant un moyen d’avoir accès à de la nourriture. Une fois l’Armée rouge restructurée et le départ des Soviétiques des quartiers civils de Berlin, elle fait partie des femmes des ruines, ayant pour tâche de reconstruire la capitale.

La veuve

Femme de 50 ans qui a eu une vie aisée avant la guerre, la veuve recueille la narratrice et partage son appartement avec elle et son sous-locataire, monsieur Pauli. Ayant elle aussi été victime d’un viol, elle montre de l’empathie envers la narratrice et développe une certaine complicité avec elle. Toute autant préoccupée par sa survie que les autres Berlinois, elle est reconnaissante de la nourriture apportée par les Soviétiques et tente d’arrondir les angles quand les événements s’aggravent. Sous la pression de monsieur Pauli, elle demande à la narratrice de déménager une fois les Soviétiques partis, et qu’elle n’amène plus de nourriture qu’elle récupérait auprès des militaires.

Monsieur Pauli

Sous-locataire de la veuve, cet homme rentre de la guerre et dit souffrir de névralgie, ce que la narratrice pense être en réalité une névrose de guerre. Bien qu’étant censé être le « protecteur » des deux femmes avec qui il partage un appartement, il n’empêche pas leurs viols. Comptable de profession, il sympathise avec les Soviétiques durant leur séjour et demande à la veuve de faire partir la narratrice une fois qu’elle ne ramène plus de nourriture.

Petka

Petka est l’un des premiers soldats soviétiques ayant violé la narratrice. Par la suite, il débute un harcèlement envers elle, exprimant combien il l’aime et son désir de l’épouser. Une fois l’arrivée de gradés dans l’appartement de la narratrice, il n’éprouve plus que haine envers elle, et, étant porté sur l’alcool, a de nombreux accès de violence envers elle.

Anatol

Anatol est un lieutenant soviétique d’origine ukrainienne, et le premier gradé que la narratrice a débusqué afin de mettre fin aux viols massifs dont elle était victime. Décrit comme grand et fort, facilement « manœuvrable » bien que violent, il est exploitant laitier dans le civil.

Le maïor

Homme aimable et réservé, alors qu’il désire avoir une relation sexuelle avec la narratrice, le maïor (major, en russe : Майор) met un point d’honneur à savoir si elle le désire et à préciser vouloir partir si ce n’était pas le cas. La narratrice accepte, car Anatol a été muté et qu’elle a toujours besoin d’une « protection ». Il fournit les habitants de l’appartement en nombreux moyens de subsistance et reste jusqu’au départ des troupes.

Gerd

Gerd est le fiancé de la narratrice parti à la guerre. Son souvenir est une des rares sources de réconfort pour la narratrice. Cependant, une fois rentré à Berlin après le retrait des troupes soviétiques des quartiers civils, il ne supporte pas le témoignage de la narratrice et des autres femmes à propos de leurs viols, les qualifiant de « chiennes impudiques ». Il quitte la ville sans que la narratrice sache s’il reviendra un jour.

L’auteure : Marta Hillers

Marta Hillers en 1931.

Marta Hillers est une journaliste allemande, née le 26 mai 1911 à Krefeld (Empire allemand) et morte le 16 juin 2001 à Bâle (Suisse). Elle est principalement connue pour avoir été l’auteur d’un récit autobiographique intitulé Une femme à Berlin (Eine Frau in Berlin) dans lequel elle raconte la vie quotidienne à Berlin au début de l’occupation soviétique, notamment du point de vue des femmes, victimes d’innombrables exactions et viols.

Biographie

Marta Hillers étudie à la Sorbonne, puis effectue de nombreux voyages dans toute l’Europe. Outre l’allemand, sa langue natale, elle maîtrise le français et le russe.
Elle se trouve à Berlin en 1945 et doit faire face à l’occupation par l’Armée Rouge.
Les mémoires de Marta Hillers, Une femme à Berlin, sont publiés pour la première fois en 1954, en anglais et de façon anonyme. Son journal a été écrit pendant la chute de Berlin.
Marta Hillers se marie dans les années 1950, déménage en Suisse dans la région francophone de Genève, abandonne le journalisme, après avoir au préalable publié de nouveau son journal en allemand en 1959. Cette publication déclenche une controverse, compte tenu de son utilisation possible à des fins de propagande en pleine guerre froide. Toutefois, l’ouvrage ne se vend pas bien et est très critiqué.
Ayant été accusée de bafouer l’honneur des femmes allemandes, Marta Hillers refuse toute nouvelle publication de son journal.
Ce n’est qu’après sa mort — survenue en juin 2001 — qu’Une femme à Berlin peut de nouveau être publié. Il devient un best-seller en 2003, grâce à l’intérêt grandissant porté soixante ans après aux conditions sociales de l’époque.
L’ouvrage rend compte de l’indiscutable étendue des viols commis à Berlin, comme l’attestent par ailleurs les documents hospitaliers de l’époque, qui à eux seuls mentionnent environ cent mille cas. Il est estimé que deux millions de femmes en Allemagne subirent des viols durant la période d’occupation par l’Armée Rouge.
En 2008, un film d’une durée de 131 minutes, dont le scénario est directement inspiré de son journal, Anonyma – Eine Frau in Berlin, sort en salles.
Une femme à Berlin est la seule œuvre littéraire connue de Marta Hillers.

Femmes des ruines

Berlin, juillet 1946. Des femmes déblaient la Jägerstraße.

Les femmes étant la grande majorité de la population civile demeurant à Berlin, elles sont réquisitionnées au déblaiement des ruines et à divers travaux de soutien. La narratrice, travaillant à la fois dans une usine et à la blanchisserie pour soldats, tout en étant victime du trauma du viol et à l’incertitude sur son avenir.

En 1945, 30 % de la ville de Berlin est en ruines, et la quasi-totalité des bâtiments sont gravement endommagés. Le nombre de femmes des ruines ayant reconstruit la capitale allemande est estimé à soixante mille.

Berlin, enlèvement de décombres
Berlin, enlèvement de décombres Auteur : KHALDEI Yevgeny Efim
Des Femmes enlèvent les décombres dans une rue de Berlin
Des Femmes enlèvent les décombres dans une rue de Berlin Auteur : ITTENBACH Max

C’est deux mois à peine après la fin de la guerre, en juillet, qu’Yevgeny Efim Khaldei a saisi Berlin, enlèvement de décombres. Célèbre photoreporter russe, il a suivi la progression des troupes soviétiques en Allemagne, leur entrée dans Berlin, mais également le quotidien de la capitale durant des premières semaines d’occupation.
Le cliché montre une scène devenue habituelle pour les civils berlinois : organisés en plusieurs files et munis quelques outils (pelles et sceaux), ces derniers sont occupés à déblayer les ruines. Hommes, femmes et enfants s’occupent ici dans le calme d’une véritable butte formée par les décombres, tâchant de récupérer les briques encore entières (entreposées au premier plan en bout de file).

Si elle reprend le même motif que l’image précédente, Des femmes enlèvent des décombres dans une rue de Berlin, présente cependant plusieurs différences intéressantes avec celle-ci. D’une part, elle n’est pas l’œuvre d’un photographe appartenant au camp des vainqueurs mais d’un photographe allemand, Max Ittenbach. Prise en 1949 (les stigmates de 1945 sont encore bien présents dans la ville à cette période), elle met en scène un groupe exclusivement féminin qui, quatre ans après la fin de la guerre, poursuit le travail de déblaiement. L’enlèvement des décombres est en effet à un stade plus avancé que sur le cliché précédent : la route est assez dégagée, propre et praticable.

Des femmes enlèvent des décombres dans une rue de Berlin permet de rappeler le rôle particulier des femmes dans cet épisode de reconstruction. Avec autant d’hommes morts, prisonniers ou blessés à la guerre, c’est bien ces dernières, appelées rapidement « femmes des ruines » (ou « femmes des décombres ») qui sont dans les premiers temps chargées de remettre la ville en état, en déblayant les ruines, édifiant des montagnes de gravats, puis en rétablissant ce qui peut l’être.

Soldats de l’armée rouge à Berlin en 1945

Des soldats de l’Armée rouge se battent dans les rues de Berlin en 1945

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L'œil de Courtès - Livres Hebdo

Franck Courtès – écrivain

Franck Courtes, né en 1964 à Paris a tout d’abord été un photographe reconnu avant de devenir écrivain.
Il a travaillé comme photographe portraitiste et reporter pour Les Inrockuptibles, Libération, Télérama, Le Monde… Il a exposé au Canada, à la galerie Courtieux à Suresne, aux Rencontres d’Arles en 1998, au festival de Cannes en 2000 pour Télérama, et dans diverses expositions collectives…
Il décide en 2011 d’abandonner la photographie pour se consacrer à l’écriture.
Franck Courtès publie des nouvelles et des romans depuis 2013.
Dans À pied d’œuvre, son dernier roman, il raconte son quotidien d’écrivain très pauvre. Sans jamais se poser en victime.

Franck Courtès – la vie en mode précaire – 5/09/2023 – ARTE – 28 minutes

Les ouvrages de Franck Courtès

Toute ressemblance avec le père (Littérature française) par [Franck Courtès]

« Au même âge que mon fils, je m’étais hissé au sommet d’une meule un soir, au bord du plateau. Je dominais la vallée de l’Ourcq. La nuit approchait. Les nuages venaient de loin et j’avais un peu froid. Devant moi, la terre brune, les bois sombres, le vent dans mon dos, dessinaient les contours du bonheur, les points cardinaux d’une boussole imaginaire. J’étais un cristal de garçon.»

Comment se défait-on des fantômes du passé?
Ils sont trois personnages, une mère et ses deux enfants, Mathis et Vinciane, à tenter de survivre après la mort accidentelle de Jacques. Si Mireille, inconsolable, s’est figée dans son destin de veuve d’un héros magnifié, Vinciane, elle, traverse les océans pour oublier. Quant à Mathis, prisonnier de l’image paternelle, il enchaîne les conquêtes et s’abîme dans la séduction. Tous se débattent mais le fantôme de Jacques rôde, un fantôme qui épouserait les fantasmes et les culpabilités de chacun.
Mais vient un jour où il faut solder les comptes et songer à l’avenir.

Sur une majeure partie de la France (Littérature française) par [Franck Courtès]

Comment raconter cette impression de dépossession quand je retourne à la campagne ? Une campagne où je n’ai pas grandi mais où j’ai fait grandir en moi, lors des weekends et des vacances, la certitude que la beauté était en péril ?
Inspiré par mes souvenirs, j’ai voulu dérouler les destins parallèles de deux enfants, Quentin et Gary, sur une période de trente années, dans un village situé à moins de 80 kilomètres de Paris, passé du paradis à l’enfer.
Enfant sensible, Quentin aime profondément la nature ; Gary, lui, inquiète déjà par sa sauvagerie et son agressivité. En grandissant, Quentin s’éprend d’une jeune fille nommée Anne ; ils échangent leurs premières étreintes tandis que Gary s’entoure d’un gang, vole, fume et se met à écouler de la drogue fournie par les Marocains de la cité voisine, allant jusqu’à embringuer le jeune frère de Quentin.

Les liens sacrés du mariage par [Franck Courtès]

« On peut s’aimer, s’en faire une fête, s’en vanter, l’afficher, croire qu’on a découvert le secret du bonheur, un jour les rouages se grippent. »

Les quatorze histoires qui composent ce recueil forment autant d’épisodes liés par deux thèmes communs : l’insoluble question du bonheur dans l’amour et le crépuscule de la passion. Dans cette anthologie du couple contemporain, des hommes et des femmes se débattent avec des sentiments trop grands pour eux. Inattendu, quiproquos et humour s’invitent dans le ballet qui se joue entre ces êtres qui s’attirent, s’affrontent, se blessent et se reconstruisent.
Saisissant avec brio l’essence d’un couple, d’un désir, d’une impossibilité, Franck Courtès confirme ici son talent de nouvelliste.

Autorisation de pratiquer la course à pied (Littérature française) par [Franck Courtès]

Les copains des maisons de campagne, un jeune homme confronté à la lâcheté, un père divorcé qui s’inscrit à un jeu télévisé pour conquérir ses enfants, une jeune femme qui sacrifie tout pour courir le marathon, un bobo parisien qui contemple le monde dans un restaurant japonais. 

Au cours de ces nouvelles, du cœur de la ville au cœur de la campagne, Franck Courtès déroule le fil ténu de nos vies. Il dit avec maestria ces tremblements de terre intimes et silencieux qui font basculer chacun de ses héros et qui les rendent si fragiles.

La dernière photo (Littérature française) par [Franck Courtès]

« La photographie était ma raison d’être. J’étais photographe. J’ai été extrêmement photographe, passionnément photographe, hanté par la photographie.
Mon amour immodéré s’est mué en une haine qui n’a d’égale que celle d’un amant trahi.  »
 
Franck Courtès fut photographe pendant vingt-six ans. Vingt-six années de passion, de voyages autour du monde et de rencontres, qui ont permis à celui qui fut un élève timide et rétif à l’autorité de tutoyer les plus grands. Arletty, Jean-Pierre Léaud, Jacques Demy, Iggy Pop, Michel Polnareff, Joey Starr, Karim Benzema, Jacques Derrida, Pierre Bérégovoy, Patrick Modiano : telles sont quelques-unes des personnalités que l’on croise au gré de ce récit foisonnant d’anecdotes, où Franck Courtès relate ces années au cours desquelles il s’est fait un nom.
En 2011, pourtant, il a remisé ses appareils, ses pellicules et ses archives, et renoncé définitivement à être photographe. Le dégoût du star-system, les exigences de plus en plus délirantes des célébrités comme des patrons de presse, les fins mercantiles des portraits de presse et l’avènement du tout-numérique ont eu raison de sa foi. Dans ce métier, il a bien failli se perdre lui-même ; en choisissant la voie de l’écriture, il s’est retrouvé. 
La dernière photo est le récit de cette passion, de ce désamour et de cette renaissance.

À pied d'œuvre par [Franck Courtès]

« Entre mon métier d’écrivain et celui de manœuvre, je ne suis socialement plus rien de précis. Je suis à la misère ce que cinq heures du soir en hiver sont à l’obscurité : il fait noir mais ce n’est pas encore la nuit. »

Voici l’histoire vraie d’un photographe à succès qui abandonne tout pour se consacrer à l’écriture, et découvre la pauvreté. Récit radical où se mêlent lucidité et autodérision, À pied d’œuvre est le livre d’un homme prêt à payer sa liberté au prix fort.

Franck Courtès – écrivain Lire la suite »

Image de couverture de Armen

Armen Lubin – L’exil et l’écriture

Armen Lubin (1903-1974) est né à Istanbul sous le nom de Chahnour Kérestédjian. Persécuté, comme ses compatriotes arméniens, il doit quitter la Turquie à l’été 1923, devenant de fait apatride. À Paris, il fait ses premiers pas de poète français, sous l’aile d’André Salmon et de Jean Paulhan, qui le publiera chez Gallimard. Très vite atteint d’une affection tuberculeuse redoutable, le mal de Pott, il passera sa vie dans des hôpitaux et des sanatoriums de l’Assistance publique. Soutenu par ses amis, parmi lesquels Henri Thomas, Madeleine et Jean Follain, il continuera d’écrire malgré la maladie et la douleur.
Méditation sur l’exil, la perte et l’écriture, Armen est aussi le récit d’une affinité, d’une rencontre entre Hélène Gestern et son sujet. D’une ampleur incomparable, ce texte nous emporte dans les méandres de deux destinées que tout oppose et qui, pourtant, se répondent. C’est la première fois qu’Hélène Gestern livre avec pudeur quelques clés de son univers romanesque.

Quelques bribes de poèmes d’Armen Lubin

Jours de famine
La devanture n’est que rouge
Mais elle devient couleur sang-de-bœuf
Dès que sur la boutique peinte le soleil percute,
On a aussitôt un Bureau de Placement pour des brutes.

Vingt-quatre brutes se suivent dans une seule journée
Mais leur nombre s’était follement multiplié
À cause de la famine qui était grande, qui était debout,
Qui obligeait à manger avec des précautions lentes
Mais comme on ne mangeait que des clous,
Toujours la douleur faisait sentir sa pointe.

Et toujours on rompait les fils d’attente
Vers les hauteurs du boulevard de la Tempête
Où une pique en frappant à l’aveuglette
Restait fichée dans une poitrine vaincue,
Et toujours cela formait un angle aigu.

In Le passager clandestin, © Poésie/Gallimard, 2005

Les sans-patrie ont toujours tort
Puisqu’ils transportent du bois mort
Et campent dans de sombres garnis,
Chaque mur y a ses petites hernies.
Car c’est un hôtel moisi et croulant,
Sur une corde se balancent des piments.
Hôtel borgne dont l’oeil valide s’infecte,
Hôtel où les réfugiés et leurs dialectes
Se glissent par une vieille porte noircie

N’ayant plus de maison ni logis,
Plus de chambre où me mettre,
Je me suis fabriqué une fenêtre
Sans rien autour. […]

Se sont dépouillées les vieilles amours,
Mais la fenêtre dépourvue de glace
Gagne les hauteurs, elle se déplace,
Avec son cadre étonnant,

Qui n’est ni chair ni bois blanc,
Mais qui conserve la forme exacte
D’un oeil parcourant sans ciller
L’espace soumis, le temps rayé.

Et je reste suspendu au cadre qui file,
J’en suis la larme la plus inutile
Dans la nuit fermée, dans le petit jour,
Ils s’ouvrent à moi sans rien autour.

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La vie d’un simple – Emile Guillaumin

La Vie d’un simple est un livre qui vient du fond du peuple, chose bien rare, et du fond du peuple paysan, chose unique…
D’un grand-père conteur d’histoires Guillaumin tint le goût de conter, et il eut le courage d’ajouter au labeur paysan un labeur d’écrivain. Le plus bel exemple d’homme de lettres pratiquant le deuxième métier, c’est Émile Guillaumin qui le donne…
Le Bourbonnais est loin, et la rumeur parisienne nous distrait d’y connaître et d’y entendre un juste. Mais la rumeur est chose passagère, la valeur ne passe pas, et Émile Guillaumin est sûr d’occuper, dans l’histoire de notre peuple, une place où il est indispensable et seul.

Tiennon Bertin est un paysan pauvre du Bourbonnais dans l’Allier, qui se remémore sa vie, allant de la Restauration, quelques années après l’épopée napoléonienne, à la Belle Epoque au tournant du XXe siècle.
A cette période, la paysannerie des régions pauvres était tout sauf indépendante : obligée de cultiver une terre qui ne lui appartenait pas, elle vivait sous le joug des riches des villes et de leurs régisseurs. Ils lui extorquaient tous ce qu’ils pouvaient par l’intermédiaire de la rente foncière. Trop pauvres pour s’instruire, les métayers, généralement analphabètes, comptant mal, avaient bien du mal à suivre le dédale de droits et obligations qui pesaient sur leurs épaules fatiguées. Corvéables, pouvant être renvoyés à la fin du bail, au bout de trois ans, pour un mot de travers ou un regard déplaisant. Ils risquaient de devoir quitter la ferme voire un procès…

Emile Guillaumin décrit comment le statut du métayage freine tout progrès technique. Le chaulage, grande amélioration de l’époque, n’est pas autorisé par les propriétaires qui comme au XVIIIe siècle privilégie la maintenance de terrains en jachère. La suppression des jachères était supposée ruiner le sol et les propriétaires refusaient d’endosser les frais supplémentaires que ce précieux amendement allait entraîner.
Un autre fléau semble terroriser les paysans encore plus que la rapacité des bourgeois, la conscription, qui arrache les enfants aux familles, parfois pour toujours.
Pourtant, des améliorations se font jour. Tiennon, qui a su se garder depuis sa jeunesse, de la corruption des villes et qui est par ailleurs un bon soigneur de bêtes, vit mieux que ses parents et finit par accumuler 4000 francs de capital sous une pile de draps dans son armoire. Cette somme aurait probablement pu lui permettre d’acquérir la moitié de la terre pour le faire vivre, mais il la perd en la plaçant chez un financier véreux qui s’enfuit en Suisse avec le magot !
Devenu vieux, Tiennon est toujours aussi pauvre et ne pouvant plus faire valoir une ferme par lui-même, il se retrouve à la charge de ses enfants, continuant à travailler tant bien que mal, redoutant le jour où il tombera dans une nouvelle dépendance, celle de la déchéance physique précédant le cimetière.
Alors que la république s’est imposée et que la  » sociale  » pointe le bout de son nez, ulcérant les bourgeois, Tiennon sent les évolutions à venir, l’appartenance de la terre soit à la collectivité, soit à ceux qui la travaillent.

Emile Guillaumin

Emille Guillaumin, en famille, dans l’Allier qu’il refusa de quitter malgré son succès littéraire.

Auteur de La Vie d’un simple et pionnier du syndicalisme agricole, Émile Guillaumin est la voix paysanne de la première moitié du XXe siècle. Sa carrière de journaliste nous présente un véritable panorama des campagnes sur un demi-siècle. Écrivain paysan demeuré volontairement à la terre, cet autodidacte offre un regard unique sur son époque qui a vu les campagnes se transformer : guerres, exode rural, amélioration des rendements par la mécanisation et la science, développement de l’instruction…

Écrivain paysan français, Émile Guillaumin est né à la ferme de la Neverdière, à Ygrande (Allier), le 10 novembre 1873.
Il fait en tout et pour tout cinq années d’études primaires à l’école d’Ygrande avant de commencer à travailler dans la petite ferme familiale dès 1886, après sa première communion et son certificat d’études primaires.
En 1892, la famille quitte la Neverdière pour s’installer dans une autre petite ferme appartenant à son grand-père paternel. Située sur la route de Moulins à Ygrande, le lieu est aujourd’hui devenu le musée Émile-Guillaumin.
En 1893-97, il effectue ses années de service militaire obligatoire, en profitant pour lire tout ce qu’il trouve à la bibliothèque de sa caserne. Grand lecteur de romans, notamment ceux de Pierre Loti et de Charles Dickens, il commence lui-même à écrire quelques contes patoisants et poèmes rustiques.
À sa démobilisation, il redevient simple ouvrier agricole à la ferme de son grand-père paternel mais commence à publier articles, contes et poèmes dans La Quinzaine bourbonnaise et dans Le Courrier de l’Allier. Ses premiers ouvrages paraissent bientôt : Dialogues bourbonnais en 1899, Tableaux champêtres en 1901 (prix Montyon 1902 de L’Académie française), et un recueil de poèmes : Ma cueillette en 1903. Après les travaux de la ferme, « à journée faite », il commence à rédiger La Vie d’un simple pendant les veillées et les dimanches de l’hiver 1903-1904.
La Vie d’un simple est le récit biographique romancé, mais profondément réaliste et humaniste, de la vie de Tiennon Bertin, un vieux paysan voisin de ferme de l’auteur. Pour Émile Guillaumin, inspiré par la lecture du Jacquou le Croquant d’Eugène Le Roy, il s’agit alors de « montrer aux messieurs de Moulins, de Paris et d’ailleurs ce qu’est au juste une vie de métayer ». Témoin privilégié du monde rural — il est lui-même paysan dans ce terroir bourbonnais et commence déjà à s’engager activement dans le syndicalisme agricole — il rend compte de la vie quotidienne de son personnage, décrivant et analysant très finement la condition paysanne et son évolution dans la région, notamment les relations de domination entre les paysans qui cultivent la terre et leurs « maîtres » propriétaires des fermes. Son émouvant récit constitue un document exceptionnel sur la vie paysanne en France pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Publié en 1904, le livre fera d’emblée une très forte impression sur le public. Soutenu par Octave Mirbeau, Lucien Descaves, Charles-Louis Philippe et Daniel Halévy, il manquera de peu le Prix Goncourt. Pour la première fois dans l’histoire de la littérature française la vie rurale se trouve en effet évoquée dans sa sourde réalité par un petit paysan de son état. Avec cette vie d’un simple métayer surgie des profondeurs de la France éternelle à l’aube du XXe siècle, Guillaumin touche le tréfonds du monde paysan et, par-là, le peuple français tout entier dans sa force et sa faiblesse.
Avec ses droits d’auteur, Émile Guillaumin achète à proximité de la ferme paternelle trois hectares de terre où il met quelques vaches, porcs et volailles. Il y fait construire une simple petite maison où il passera le reste de sa vie. Il épouse une jeune femme de la région, Marie Chalmin.
À partir de 1905, Émile Guillaumin s’engage dans le militantisme syndical afin de défendre les métayers, les ouvriers agricoles et les petits fermiers contre les grands propriétaires fonciers. Il épaule en particulier Michel Bernard, paysan comme lui, organisateur des premières coopératives paysannes et fondateur à Bourbon-l’Archambault du premier syndicat agricole. Ensemble ils animent le syndicat local, créent la « Fédération des Travailleurs de la Terre du Bourbonnais » qui s’étend à tout le département de l’Allier, et lancent un bulletin trimestriel, Le Travailleur rural, qu’il dirigera jusqu’en 1911. Ses articles de l’époque ont été rassemblés en volume sous le titre : Six ans de luttes syndicales (publication posthume en 1977).
En 1906, paraîssent Albert Manceau adjudant et Près du sol (d’abord en feuilleton dans la Revue de Paris puis en volume chez Calmann-Lévy), et en 1909 La Peine aux chaumièresRose et sa parisienne est publié en 1907, La Peine aux chaumières (Cahiers nivernais) en 1909, Baptiste et sa femme en 1910, Le Syndicat de Baugignoux, publié en 1911 — sans doute son meilleur livre après La Vie d’un simple —, est pour lui l’occasion de dresser un bilan de l’action syndicale. Lucide, il y évoque les problèmes sociaux et ruraux du début du siècle et retrace le conflit réformisme contre syndicalisme révolutionnaire qui a traversé la « Fédération des Travailleurs de la Terre du Bourbonnais ».
Les Mailles du réseau est publié en 1912. La Guerre de 14-18 interrompt ses activités. Émile Guillaumin est mobilisé comme vaguemestre dans l’armée.
Après la guerre, il revient dans sa petite ferme d’Ygrande. Il entame une nouvelle carrière de journaliste spécialisé dans les questions rurales et collabore entre autres à Pages libresLa Revue des Deux MondeLe Peuple et L’Humanité.
En 1925, paraît Notes paysannes et villageoises. Il reçoit la Légion d’honneur sur proposition du ministre de l’Agriculture.
En 1931 paraît A tous vents sur la glèbe, puis en 1937 François Péron, enfant du peuple (Crépin-Leblond).
Retiré du syndicalisme agricole, il encourage cependant la naissance et le développement dans les années 30 de la « Confédération nationale paysanne », fondée dans l’orbite de la SFIO. En 1940, il est élu maire d’Ygrande mais, refusant de collaborer avec le régime de Vichy, il démissionne dès 1941.
Charles-Louis Philippe, mon ami paraît en 1942. La même année, il est lauréat du prix Sivet de l’Académie française (pour son œuvre poétique) du Prix Sully-Olivier de Serres (pour l’ensemble de son œuvre). Sur l’appui du manche est publié en 1949.
Émile Guillaumin décède à Ygrande le 27 septembre 1951, à l’âge de 77 ans. Il est enterré au cimetière de son village. Son dernier livre, Paysans par eux-mêmes est publié à titre posthume en 1953, suivi de quelques compilations de correspondances, contes et articles divers.
Écrivain, militant syndicaliste, journaliste mais avant tout paysan, dans toute la force du terme, Émile Guillaumin est toujours resté fidèle à son terroir bourbonnais. Il reste l’une des grandes figures rénovatrices du roman rustique français.
Jean Bruno – La République des Lettres

http://musee-emile-guillaumin.planet-allier.com

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Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot : Sur les traces d’un inconnu (1798-1876) – Alain Corbin

Dans ce livre devenu un classique, Alain Corbin s’est penché sur le grouillement des disparus du XIXe siècle, en quête d’une existence ordinaire. Il a laissé au hasard absolu le soin de lui désigner un être au souvenir aboli, englouti dans la masse confuse des morts, sans chance aucune de laisser une trace dans les mémoires. Né en 1798, mort en 1876, Louis-François Pinagot, le sabotier de la Basse-Frêne, n’a jamais pris la parole et ne savait du reste ni lire ni écrire ; il représente ici le commun des mortels. Un jeu de patience infini se dessine, afin d’en reconstituer le destin – mais eut-il jamais conscience d’en avoir un ? Par cette méditation sur la disparition autant que par les méthodes d’investigation nouvelles qu’il met en œuvre, ce livre a fait date dans l’écriture de l’histoire contemporaine.

Pourquoi Pinagot, et pas un autre nom qui figure sur l’état civil ? Parce qu’il a une vie suffisamment longue (78 ans) pour rendre ce travail intéressant.
Dans un parcours en 10 chapitres, Alain Corbin reconstitue le microcosme géographique, le contexte politique, familial, l’univers mental dans lesquels le sabotier a vécu.
Pinagot appartient cependant au monde des confins, des bois, un monde plus marginal que celui des cultivateurs. Bien qu’il appartienne à la fraction la plus pauvre de sa commune, et qu’il fasse partie un temps des « indigents » exemptés de certaines taxes, on vit longtemps dans sa famille, souvent au-delà de 70 ans.
L’Orne n’est pas un pays de régime autoritaire où l’aîné hérite seul du patrimoine familial. Les écarts de richesse au sein de sa parentèle et ses relations amicales sont faibles.
L’analphabétisme reste très prégnant dans le monde rural auquel appartient Pinagot.
Les sabotiers se marient souvent à des fileuses, remplacées de plus en plus par des gantières qui travaillent pour des marchands qui sont aussi fabricants.
Les « arrangements » (contrats oraux) donnent souvent lieu à des litiges : dans la forêt, les vols de bois – bois de chauffage ou bois d’oeuvre – sont fréquents et les gardes forestiers doivent redoubler de vigilance et d’astuce pour démasquer les coupables.
Si l’Orne a été moins directement touché que d’autres départements de l’Ouest par les guerres de Vendée, les communes ont pâti néanmoins de la guerre civile et des déprédations commises par les chouans et les armées républicaines.
Les deux invasions prussiennes (1815 et 1870-1871) sont restées également dans les mémoires car elles ont donné lieu à des réquisitions de vivres, des pillages de linge et d’argenterie.
Il faut attendre les premières années du Second Empire pour que la mendicité dans le département recule de façon sensible. C’est à cette époque que Louis-François Pinagot peut acquérir une petite maison à deux ouvertures et sortir de la classe des indigents.
Quelles furent les convictions politiques de Pinagot ? Comment sa citoyenneté s’est-elle construite ? Difficile de l’estimer. Avant 1848, date de l’instauration du suffrage universel masculin, il ne peut pas voter comme le font certains membres de sa famille qui paient un cens suffisant pour le faire. Il faut attendre une pétition municipale de 1871 pour qu’Alain Corbin découvre pour la première fois la seule trace manuscrite, une croix malhabile, de la main de Alain-François Pinagot.

Cette présence dense laisse supposer la quotidienneté de micro-déplacements effectués à travers champs, selon les brèches qui se creusent dans les haies profondes. L’entraide, l’échange de services entre parents, amis ou voisins, l’éducation sentimentale alimentent ces courts déplacements qui tissent sur le bocage de subtils réseaux, plus ou moins serrés selon la qualité des relations et la teneur des sentiments.
Alain Corbin, Le monde retrouvé de Louis François Pinagot, Flammarion 1998, p 30

Alain Corbin

Alain Corbin, né en janvier 1936 à Courtomer (Orne), est un historien français spécialiste du XIXe siècle en France. Ses travaux ont considérablement fait avancer l’histoire des sensibilités dont il est un des spécialistes mondiaux.
Il suit des études à l’université de Caen où il a notamment comme professeur Pierre Vidal-Naquet. Professeur à l’université Paris I – Panthéon-Sorbonne, il a travaillé sur l’histoire sociale et l’histoire des représentations. On dit de lui qu’il est « l’historien du sensible », tant il a marqué sa discipline par son approche novatrice sur l’historicité des sens et des sensibilités.
On lui doit plusieurs ouvrages, dont Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot, sur les traces d’un inconnu, 1798-1876 (1998), biographie d’un sabotier inconnu choisi au hasard dans les archives de l’Orne. Ce travail s’inscrit dans le concept de la micro-histoire.
Par ailleurs, il a travaillé sur le désir masculin de prostitution (Les Filles de noce, 1978), l’odorat et l’imaginaire social (Le Miasme et la Jonquille, 1982), l’homme et son rapport au rivage (Le Territoire du vide, 1990), le paysage sonore dans les campagnes françaises du XIXe siècle (Les Cloches de la terre, 1994) et la création des vacances (L’Avènement des loisirs, 1996). Il a aussi publié un livre d’entretiens avec Gilles Heuré (Historien du sensible, 2000). En 2005, ses étudiants lui ont rendu hommage dans un livre collectif qui rend compte de son itinéraire historiographique : Anne-Emmanuelle Demartini et Dominique Kalifa (dir.), Imaginaire et sensibilités au XIXe siècle: études pour Alain Corbin, Paris, Créaphis, 2006.

Le monde retrouvé en vidéo

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Les romans doux-amers de Patrick Gale

Patrick Gale est un écrivain britannique né en 1962. Il est le cadet d’une famille de quatre enfants dont le père était directeur de la prison de Camp Hill sur l’Île de Wight – tradition familiale apparemment puisque le grand-père dirigeait, lui, la prison voisine de Parkhurst. Patrick Gale ne suivit pas les traces de ses ainés. Après avoir déménagé encore enfant à Londres où son père prit la tête d’une autre prison – Wandsworth – puis à Winchester, Patrick Gale décida de suivre des études d’Anglais dont il obtint le diplôme en 1983.

Patrick Gale, à la suite de ses études, ne trouva jamais, selon ses dires, de « boulot d’adulte »… Pendant trois ans il dort à droite à gauche, un soir dans un squat de Notting Hill, le lendemain dans un château en ruine en France. L’important pour lui, à ce moment-là, c’est l’écriture, il a débuté déjà la rédaction de son premier roman, et survit grâce à de petits boulots : copiste, serveur-chanteur, secrétaire, nègre pour une encyclopédie musicale ou le plus souvent critique littéraire.
Il s’installe en 1987 en Cornouailles, une région dont il tombe éperdument amoureux et où il situe l’action de tous ses livres depuis. Ecrivain reconnu et respecté, il se refuse à être étiqueté « écrivain gay en guerre contre les archaïsmes sociaux », il aborde avec beaucoup plus de finesse et de largeur de vue les frictions entre impératif du désir et morale : « le désir me fascine car il est imprévisible, par-delà la morale. »

Roman 1 : Tableaux d’une exposition

Un jour d’hiver, Rachel Kelly, peintre de renom, s’écroule en plein travail dans son atelier, laissant derrière elle une œuvre importante et une famille déchirée. Un homme, d’abord, Antony, qui fut son compagnon, son soutien, son souffre-douleur aussi ; deux fils qui ne se sont jamais sentis à la hauteur de cette mère trop douée ; une fille, Morwenna, qui a choisi de fuir… Réunis dans la demeure familiale des Cornouailles, le passé refait surface, et les secrets de Rachel s’esquissent et se ravivent. Qui était cette peintre de génie qui faisait passer l’art avant toute chose ? Et qu’est-il vraiment arrivé à Petroc, le petit dernier, le fils préféré, disparu trop tôt, dont l’ombre plane toujours sur la maison ? Quels secrets les tableaux de Rachel Kelly ont-ils encore à livrer ?

De son écriture tout en nuances, Patrick Gale nous livre une chronique familiale douce-amère autour de la figure maternelle d’une artiste peintre bohème et excentrique, dans le décor splendide de la Cornouailles.

Premières pages…

VAREUSE DE PÊCHEUR (DATE INCONNUE).
Coton. Bleu marine.
Plusieurs vareuses comme celle-ci ont été ache­tées par Rachel Kelly au fil des années qu’elle a passées à Penzance. Elle se les procurait auprès du shipchandler de Newlyn et s’en servait comme d’une blouse, pour protéger ses vêtements (encore que les taches de peinture ne semblent jamais l’avoir gênée, pas plus que le chaos dans lequel elle travaillait, comme l’attestent, derrière vous, les photographies de ses deux lieux de travail favoris.) Dans la mesure où aucun de ses ateliers n’était chauffé, il est probable que la vareuse la protégeait aussi du froid. Kelly faisait grand usage des poches – seul endroit, confia-t-elle un jour plaisamment à Wilhelmina Barns-Graham, où elle pouvait préserver ses biscuits au chocolat de la peinture (voir le dessin humoristique de la carte postale ci-dessous). Contradiction typique du personnage : Kelly, qui ne mit jamais les pieds sur un bateau de toute sa vie, méprisait la mode des fausses vareuses en coton mélangé et ne jurait que par la couleur bleu marine. Le jour de sa mort, elle portait un modèle encore plus usagé et maculé que celui-ci. C’est dans cette tenue qu’on l’enterra.

Rachel fut réveillée par un tableau, ou plutôt par l’idée d’un tableau. Sa première réaction fut d’angoisse, comme on en éprouve à être arraché au ravissement d’un rêve, et elle referma les yeux, inspirant profondément dans l’espoir de se rendormir aussitôt et de renouer le fil perdu. Mais son réveil était complet et l’état d’ébullition de son cerveau tel qu’elle n’aurait pu éviter la prise de sang et l’ordonnance que Jack Trescothick lui aurait prescrites, s’il l’avait su.
Le tableau persistait, telle l’image brûlante qu’imprime sur la rétine un objet contemplé en plein soleil. Il lui suffisait de cligner des yeux pour le revoir un court instant. Elle voyait les couleurs, percevait leur splendeur vibrante et bourdonnante, mais redoutait de les perdre en bougeant trop tôt ou en se mettant à parler.
Elle avait toujours travaillé ainsi, jeune. Ou du moins, plus jeune. Une image, les éléments d’une image lui venaient de façon soudaine, et si rien autour d’elle ne semblait les appeler, sa tâche à elle, celle de son imagination folle, était de les retenir assez longtemps pour les fixer sur le papier ou sur la toile. Elle éprouvait, à décrire le processus, une réticence superstitieuse, mais si un ami l’avait obligée à le mettre en mots elle l’aurait comparé à une dictée – en supposant qu’une image puisse se dicter – lue par un maître imprévisible qui ne consentirait peut-être pas à répéter ce qu’on n’a pas compris. Dès lors qu’elle trouvait un moyen, même grossier, de traduire l’image en se saisissant d’un pastel, d’un crayon, d’un bâton de rouge à lèvres, de n’importe quel objet lui tombant sous la main – jusqu’à la sucette verte de sa fille, un jour -, elle était presque sûre d’y avoir accès de nouveau pour pouvoir, le moment venu, la parfaire à loisir.

Contrepoint

La peintre GLUCK, née Hannah Gluckstein, qui faisait partie justement du mouvement bohème du Newlyn School à la fin des années 1910, début des années 20 est une figure de l’époque. Adoptant alors une identité d’homme sous ce pseudonyme Gluck, s’habillant en vêtements d’homme et coiffée selon la mode masculine de l’époque, elle, comme beaucoup de ses collègues, porte la vareuse du pêcheur.

Roman 2 : Une douce obscurité

Dido a neuf ans et un caractère bien trempé. Et c’est tant mieux, car la fillette a déjà eu son lot de tragédies. Orpheline, elle vit chez Eliza, sa tante, qui l’a adoptée et élevée avec son ex-mari Gyles, jusqu’à ce que le couple se sépare. Lorsque Eliza apprend que sa mère vient d’être victime d’une attaque, Dido voit l’occasion de connaître enfin sa grand-mère et convainc Eliza de se rendre en Cornouailles au chevet de la malade. Eliza est alors loin d’imaginer que ce voyage du retour va lui donner l’occasion miraculeuse de renouer avec sa propre existence. Silences, révélations et passions troubles, Patrick Gale signe un roman doux amer sur le poids des secrets et la poursuite capricieuse du bonheur.

Roman 3 : Jusqu’au dernier jour

Jusqu'au dernier jour

Bref et bouleversant, le roman des retrouvailles de deux anciens amants. Construite au fil d’une journée d’été entrecoupée de souvenirs, une love story au charme bohème et à l’excentricité tout anglaise, une chronique douce-amère sur le hasard, les rendez-vous manqués et les regrets. Au coin d’une rue, Ben tombe sur Laura. Il est médecin à l’hôpital ; elle, comptable, est revenue vivre dans la maison de son enfance. Il est marié ; elle a enchaîné les liaisons. Il veille sur son frère handicapé, Bobby ; elle prend soin de sa mère. Mais surtout, autrefois, à Oxford, lorsqu’ils étaient étudiants, Ben et Laura étaient tombés fous amoureux. Ils ne se sont pas revus depuis vingt ans. Sauront-ils saisir la seconde chance qui s’offre à eux ? Que reste-t-il de leurs amours ?

Premières pages

LAURA ÉTAIT RÉVEILLÉE DEPUIS PLUSIEURS MINUTES lorsqu’elle s’aperçut qu’il y avait un problème. Elle ouvrait toujours ses rideaux avant de se coucher, préférant être tirée lentement du sommeil par les premières lueurs du jour plutôt que d’en être arrachée par une sonnerie. (Commencer plus tard les mois d’hiver était un des rares plaisirs que lui offrait son travail de comptable free-lance.) Allongée très confortablement, elle rassembla donc doucement ses esprits – où était-elle et pourquoi ? -, huma les doux effluves du rosier Sombreuil qui lui bouchait en partie la vue sur le jardin et écouta les cris affamés des oisillons de la mésange bleue dans le nichoir à côté du rebord de fenêtre. Son esprit nota le roman américain qu’elle s’obstinait à lire malgré son manque de vertus émollientes et l’efflorescence qui empourprait le fond du verre à vin posé sur sa table de nuit. Son bien-être diminuait à mesure que les meubles et les tableaux lui rappelaient qu’elle n’était plus à Paris, mais à Winchester, que ce n’était pas sa chambre, du moins pas encore tout à fait, mais la chambre d’appoint de sa mère.
Elle venait de se dire avec un soupir rentré qu’elle l’occupait depuis assez longtemps pour qu’une telle distinction ait un arrière-goût de lâcheté, lorsqu’elle se rendit compte que le bruit de fond sur lequel se détachaient les cris des bébés mésanges bleues n’était pas, comme elle l’avait cru, le roucoulement d’une tourterelle turque, mais maman qui l’appelait du jardin.
Elle jura à mi-voix en s’apercevant qu’il n’était que six heures et demie et alla jeter un coup d’œil entre les branches du rosier. Elle jura une seconde fois, plus fort, et enfila sa robe de chambre en courant.

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Suite française – Irène Némirovsky

Écrit dans le feu de l’Histoire, Suite française dépeint presque en direct l’Exode de juin 1940, qui brassa dans un désordre tragique des familles françaises de toute sorte, des plus huppées aux plus modestes. Avec bonheur, Irène Némirovsky traque les innombrables petites lâchetés et les fragiles élans de solidarité d’une population en déroute. Cocottes larguées par leur amant, grands bourgeois dégoûtés par la populace, blessés abandonnés dans des fermes engorgent les routes de France bombardées au hasard… Peu à peu l’ennemi prend possession d’un pays inerte et apeuré. Comme tant d’autres, le village de Bussy est alors contraint d’accueillir des troupes allemandes. Exacerbées par la présence de l’occupant, les tensions sociales et frustrations des habitants se réveillent…

Roman bouleversant, intimiste, implacable, dévoilant avec une extraordinaire lucidité l’âme de chaque Français pendant l’Occupation (enrichi de notes et de la correspondance d’Irène Némirovsky), Suite française ressuscite d’une plume brillante et intuitive un pan à vif de notre mémoire.

De son village de Saône-et-Loire où elle est réfugiée, Irène Némirovsky traque les innombrables petites lâchetés et les fragiles élans de solidarité d’une population en déroute. Au fil de l’écriture et de l’avancée allemande, son roman se fait le miroir inquiétant du quotidien d’un pays sous le joug, jusqu’à ce que la réalité dépasse tragiquement la fiction lors de son arrestation en juillet 1942. Ainsi la grande Histoire précipite-t-elle le destin de la romancière et, avec lui, celui de Suite française. Son manuscrit inachevé, ses notes et nombreux écrits sont confiés à ses enfants dans une précieuse valise. Des années plus tard, sa fille, Denise Epstein, en exhume le roman Suite française. Il existait cependant deux versions de la fameuse suite romanesque : une version brute, originelle, la toute première (Denoël, 2004), et puis une seconde remaniée, plus ramassée, plus aboutie, celle que l’auteure envisageait de publier.

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Zouleikha ouvre les yeux

Le Roman

Nous sommes au Tatarstan, au cœur de la Russie, dans les années 30. A quinze ans, Zouleikha a été mariée à un homme bien plus âgé qu’elle. Ils ont eu quatre filles mais toutes sont mortes en bas âge. Pour son mari et sa belle-mère presque centenaire, très autoritaire, Zouleikha n’est bonne qu’à travailler. Un nouveau malheur arrive : pendant la dékoulakisation menée par Staline, le mari se fait assassiner et sa famille est expropriée. Zouleikha est déportée en Sibérie, qu’elle atteindra après un voyage en train de plusieurs mois. En chemin, elle découvre qu’elle est enceinte. Avec ses compagnons d’exil, paysans et intellectuels, chrétiens, musulmans ou athées, elle participe à l’établissement d’une colonie sur la rivière Angara, loin de toute civilisation : c’est là qu’elle donnera naissance à son fils et trouvera l’amour. Mais son éducation et ses valeurs musulmanes l’empêcheront longtemps de reconnaître cet amour, et de commencer une nouvelle vie.

L’auteur

Gouzel Iakhina
Gouzel Iakhina

Gouzel Iakhina est née en 1977 à Kazan, au Tatarstan (Russie). Elle a étudié l’anglais et l’allemand à l’université de Kazan, puis a suivi une école de cinéma à Moscou, se spécialisant dans l’écriture de scénarios. Elle a publié dans plusieurs revues littéraires, comme Neva ou Oktiabr. Zouleïkha ouvre les yeux est son premier roman. Elle vit aujourd’hui à Moscou, avec son mari et sa fille.

Récits de lecteurs

Dès les premières pages on tombe sous le charme de Zoulheikha, Yeux verts, ce petit bout de femme soumise sans aucun autre choix, peu éduquée mais sensible et délicate, qui en parallèle de sa religion musulmane est profondément attachée aux croyances païennes héritées de sa mère.
Ce n’est pas facile de contenter un esprit… L’esprit de l’étable aime le pain et les biscuits, l’esprit du portail, la coquille d’oeuf écrasée. L’esprit de la lisière, lui, aime les douceurs.
De minutieuses descriptions, comme celle de la préparation de la bania (la salle consacrée au bain rituel, située en dehors de l’isba) accompagnent l’introduction de ce livre qui va ,suite à un rêve prémonitoire, nous emmener vers une aventure longue et douloureuse dans une Russie en pleine ébullition, où sévit la dékoulakisation menée par Staline.

A travers les yeux de Zouleikha, on saisit, l’esprit des steppes, au-delà des arbres, pulsant comme des fleurs dorées, celui de la prison comme un grand organisme concentré sur l’effort de rester en vie. On visualise les peintures d’Ikonnikov, miettes de culture dans une nature la plus hostile, comme des fenêtres et des leçons d’histoire, telles que le jeune Youssouf les voit. On accompagne, le brillant docteur Leibe qui, longtemps, semble préférer le délire psychotique, tiède, aveuglant et protecteur face à tout ce qui fait mal à voir.

La dékoulakisation

Site Les Yeux du Monde – 2013

 

A partir de 1928, l’URSS mène une propagande importante pour convaincre les paysans de rejoindre kolkhozes et sovkhozes, structures présentées comme modernes, possédant des machines agricoles notamment. Ces structures permettaient, selon cette propagande, d’arracher les paysans de l’archaïsme pour se moderniser et avoir une vie meilleure. Cependant, malgré cette propagande active, on assiste à une certaine réticence de la part des paysans. Le seul moyen a donc été la contrainte…

Une affiche de propagande pour les kolkhozes Une affiche de propagande pour les kolkhozes

En décembre 1929, on estime à 13% seulement la proportion de paysans appartenant à des kolkhozes ou à des sovkhozes. Staline trouve que la collectivisation ne se fait pas assez vite. Les koulaks, c’est-à-dire ceux qui ont des grandes fermes employant des ouvriers agricoles, ont notamment du mal à accepter ce nouveau système. En décembre 1929, Staline annonce ainsi vouloir « le passage de la limitation des tendances exploiteuses des koulaks à la liquidation des koulaks en tant que classe », ce qu’approuve le Politburo en 1930. Une entreprise de liquidation des koulaks qui résistent à la collectivisation est alors lancée : c’est la dékoulakisation. Dans la réalité, tous ceux qui s’opposent à la collectivisation sont présentés comme koulaks. Or, la grande masse des paysans s’opposaient à la collectivisation. En 1930, face à la menace collectiviste, de nombreux paysans préfèrent abattre leur cheptel plutôt que de les donner aux structures collectives : plusieurs dizaines de millions de têtes sont ainsi perdues.

Pour faire face au mécontentement paysan, les expropriations et exécutions se multiplient et les camps du Goulag se remplissent. Le Goulag est une administration centrale qui dirige des camps en Sibérie ou au Kazakhstan. Souvent, les koulaks sont déportés en famille dans ces régions périphériques afin de les mettre en valeur. Ce sont les « colons spéciaux » qui, surveillés, ne peuvent quitter leur nouvelle région et travaillent dans des chantiers où la mortalité est élevée. En 1930 et 1931, on compte environ 1,8 million de victimes de la dékoulakisation. Or, ceux qui résistaient étaient souvent les paysans les plus dynamiques. Les campagnes se retrouvent à la fois décapitées et terrifiées.

Des conséquences profondes sur les résultats de l’agriculture

En 1930, l’URSS réalisant de bonnes récoltes, Staline estime que l’on peut prélever encore plus sur la production agricole afin de vendre du blé à l’étranger, notamment à l’Allemagne, contre des crédits et des machines. Ainsi, en 1931 et en 1932, les livraisons, imposées, sont de plus en plus excessives. Les kolkhozes sont soumis à des exigences extrêmes, si bien qu’ils ne peuvent plus nourrir le bétail et même les travailleurs. Par ailleurs, les kolkhozes ne peuvent plus ressemer. Cette situation aboutit à de nombreuses famines, et à l’Holodomor, qui signifie « extermination par la faim » : cette famine frappa durement le Kouban et l’Ukraine, et fit entre 2,5 et 5 millions de morts.

En 1935, la dékoulakisation est jugée comme étant achevée, les koulaks en tant que classe sociale ayant cessé d’exister.

La « dékoulakisation » dans les campagnes d’URSS

Film muet de 1928

Dans un village enneigé d’URSS, des manifestations sont organisées pour dénoncer les « Koulaks », paysans aisés et petits propriétaires s’opposant à la collectivisation des terres et refusant de satisfaire la collecte agricole.
Date de diffusion : 13 juin 1928
https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000915/la-dekoulakisation-dans-les-campagnes-d-urss-muet.html

Zouleikha ouvre les yeux Lire la suite »

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