PhildeFaire

Yvon Le Men

Dire le monde par la poésie ? Yvon Le Men le fait depuis toujours.

Depuis son premier livre Vie (1974), écrire et dire sont les seuls métiers d’Yvon Le Men : « L’écriture, c’est la solitude et l’absence. La scène, c’est la présence et le partage. J’ai besoin de ces deux chemins. » Depuis 1972 il a donné des récitals dans de nombreuses villes de Bretagne, de France et dans le monde. À Lannion, où il vit, il crée les soirées « Il fait un temps de poème », où il se fait le passeur des poètes et des écrivains du monde entier. Programmateur aux côtés de Michel Le Bris, il instaure dès 1997 un espace dédié à la poésie au festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo. Il est l’auteur d’une œuvre poétique importante à laquelle viennent s’ajouter dix récits, deux romans et un recueil de nouvelles. Ses poèmes, livres ou anthologies sont traduits dans une vingtaine de langues.

Goncourt de la poésie, un genre trop rarement mis à l’honneur hors les sentiers balisés, un grand voyageur des mots et superbe poète, le Breton Yvon Le Men, né en 1953 à Tréguier. « Un passeur qui prend le temps d’écouter le monde et interroge les mots. »

1978 – Centre d’Animation de la Doutre (le CAD) dans le cadre des Hootenannys (1) organisées par « La Lucarne » (Le groupe folk angevin Ellebore, Patrick Fradet (2) et moi)
Yvon Le Men vient dire ses poèmes.

Depuis plusieurs mois, j’ai croisé la route de NEVENOE (3), j’ai échangé avec Mary Lelez chargée de la promo des artistes de la coopérative et Gérard Delahaye (4) est venu se produire au CAD.

Yvon a déjà écrit 3 recueils et enregistré un disque :

Un homme qui passe (Vie, 1974)
Dehors les paysans qui refusent la misère
Ils ont habillé leurs désirs
D’une veste de velours ancienne et propre.
L’homme a levé le poing,
Dehors une main tendue,
Un regard naïf,
En dedans un cœur qui a saigné
D’une source de vie.

Faut que j’écrive sinon je m’arrête (En espoir de cause, 1975)
et j’attends demain
alors le temps mort
c’est-à-dire la mort mélangée dans la boue
du talus où il y avait autrefois des primevères
de mon cerveau où il y avait autrefois toi
j’interdis à la vie de mourir
je n’ai pas de pouvoir

l’attente
demander au voisin de l’accident
à des prières grises d’hôpital
à la couleur bleue de la gendarmerie
à rien
ils ne te connaissent pas et je ne suis pas ton père

ils ne savent pas que tu n’es peut-être pas morte
mais seulement partie…

On a marché bras à bras (Dis c’est comment la terre,1976)
On a marché bras à bras
sans rien prononcer
pour ne pas déflorer n’importe quand
cette morale des choses et des mots
orchestrée par le vent et le langage le plus simple
le plus noble.

(1) La hootenanny est un rassemblement de musiciens folk de caractère festif aux États-Unis. Ce sont Woody Guthrie et Pete Seeger qui baptisèrent ainsi leurs réunions musicales hebdomadaires à New York dans les années 1950.
La Lucarne organisera en 1977 et 1978 des rencontres (hootenanny) entre artistes en devenir ou confirmés tous les mardis soir. Des bœufs débridés, de la musique, du théâtre… et une fois par mois un concert, une représentation d’artistes connus ou en voie de reconnaissance.
J’ai le souvenir d’un mime syrien, sourd qui débarquera un de ces mardis soirs et qui embarquera tous ceux qui étaient là dans un moment d’émotions, de larmes non contenues devant tant de tendresse et de poésie exprimées.

(2) Patrick Fradet. Nos routes se sont si souvent croisées… https://www.patrickfradet.com/

(3) NEVENOE
Névénoé est une coopérative d’expression populaire et un label de musique breton, fondée par Patrick Ewen et Gérard Delahaye en 1973.
De 1973 à 1982, la coopérative a produit 13 LP et onze 45 tours de chanson, poésie, musique folklorique, jazz et rock, dont :
1973 La Faridondaine, Gérard Delahaye, NOE 30001
1973 Beggin’ I will go, Patrick Ewen, NOE 30002
1974 Musiques Celtiques pour Cornemuses, Pib Meur, NOE 30003
1975 Annkrist, Annkrist, NOE 30004
1975 Yvon Le Men, Yvon Le Men, NOE 30005
1976 Le grand cerf-volant, Gérard Delahaye, NOE 30006
1976 Basse-Danse, Melaine Favennec, NOE 30007
1976 Marc’h Gouez, Kristen Noguès, NOE 30008
1978 Le Printemps, Gérard Delahaye, NOE 30009
1978 Chansons simples et chants de longue haleine, Melaine Favennec, NOE 30010

(4) Gérard Delahaye. Nos routes se sont moins croisées mais quand même… Comment ne pas se souvenir de cette soirée à La Crilousière où nous nous retrouvâmes à une dizaine à manger et dormir dans notre refuge de 40m² dans la forêt entre Marcé et Montigné les Rairies. Gérard était accompagné de ses musiciens dont Daniel Paboeuf, Patrick Fradet était de la partie…
https://www.gerarddelahaye.fr/

Vue sur le Mont
Jamais fenêtre
ne fut si justement posée
dans le paysage

d’où
seconde après seconde
les étoiles pénétraient dans le jour
par le centre de la seconde

d’où
image après image
les lumières pénétraient dans le Mont
par le centre de la Merveille

qui disparaissait peu à peu
pas à pas, pierre à pierre
sous une autre merveille.

Jamais fenêtre n’ouvrit autant d’images
dans ce lieu
où la mer et le Mont
ont survécu
à tant de morts et de marées

Poésie 1, N°41, mars 2005 « Passeurs de Mémoire »
Le cherche-midi éditeur, 2005

L’alphabet
Quand tu apprends l’alphabet
Ne laisse pas tomber une lettre
Car si elle se blesse
Tu ne trouveras plus le mot pour appeler
Quand tu apprends l’alphabet
Et que le Z te paraît bien loin du A
Demande à ta maman une chanson
Pour finir le chemin
Quand tu apprends l’alphabet
N’oublie pas le W
Car même s’il est le plus costaud
Il ne sort pas souvent et se sent un peu triste
Quand tu apprends l’alphabet
Rappelle toi qu’avec vingt-six lettres
On peut faire beaucoup de mots
Et tu pourras les partager
Avec tes parents, tes amis, tes secrets.

Yvon Le Men, poète du bord du monde

Ouest-France Renée-Laure EUZEN. Publié le 16/06/2019

Le poète du Trégor (Côtes-d’Armor), Yvon Le Men, vient de recevoir le prix Goncourt de poésie pour l’ensemble de son œuvre. Une reconnaissance que l’artiste de 66 ans partage volontiers.

Du Trégor à la Chine, le poète Yvon Le Men balade la musique de ses mots. En novembre, il sortira d’ailleurs un disque.

Du Trégor à la Chine, le poète Yvon Le Men balade la musique de ses mots. En novembre, il sortira d’ailleurs un disque.
D’aussi loin qu’il s’en souvienne, la poésie l’a toujours habité. Yvon Le Men était enfant lorsqu’il a pris conscience de la puissance des mots.  J’avais douze ans. Je venais d’enterrer mon père. Et je me suis dit qu’il y avait forcément un lien pour relier la terre et le ciel. Pour moi, ça a été la poésie. 
Issu d’un milieu modeste, l’enfant de Sainte-Renaud, hameau niché entre Minihy-Tréguier et La Roche-Jaudy, a toujours été entouré de livres et de mots.  Par mon père, c’était davantage la tradition orale. Ma mère, elle, faisait du théâtre amateur. 
Son premier recueil, Vie, paraît lorsqu’il a 21 ans. Avec le recul, aujourd’hui, il sourit en pensant à ses textes du début… Sans pour autant les renier.  Est-ce que l’on s’améliore avec l’âge… en voilà une question. J’avoue que je n’ai pas forcément la réponse. 

Raconter plutôt que dire
Rester en marge tout en étant dans le monde, au bord, livrer  un regard décalé , tel qu’il le dit lui-même, voilà selon Yvon Le Men la place du poète. Un jour émerveillé en observant le vol d’un héron sur le Léguer depuis le chemin de halage de Lannion, un autre bouleversé de voir sa mère, au crépuscule de sa vie, avancer doucement vers la mort…  Quinze jours avant qu’elle ne décède, je lui ai dit : je t’emmène où tu veux. Elle m’a répondu : allons à Port-Blanc. On s’est assis sur un banc, sans parler pendant une heure.  Une scène qui lui inspirera ce vers Elle est assise dans ses 40 kilos devant la mer :  Je n’ai pas osé le lui dire… 
Dire, c’est d’ailleurs pour l’homme de lettres un mot qu’il n’apprécie pas.  Je préfère raconter un poème.  Les siens, comme ceux des autres. Il n’est pas avare de vers, d’où qu’ils viennent, de Finlande, de Chine ou encore d’Haïti. Mais il garde un profond attachement à son Trégor natal, et à la Bretagne qu’il parcourt régulièrement au gré de ses différents projets. La poésie l’a mené dans le quartier Maurepas à Rennes ou dans la campagne du Coglais, aux confins du Mont-Saint-Michel. Il en a d’ailleurs tiré Aux Marches de Bretagne, un recueil illustré par le dessinateur costarmoricain, Emmanuel Lepage. Au pied des tours comme en bordure des champs, il a trouvé des gens qui  ont besoin qu’on les écoute .
Loin du cliché du poète replié sur ses propres émotions, l’homme ne se cache pas son inquiétude sur l’état du monde, confronté à la montée des nationalismes et à l’égoïsme brutal des Bolsonaro, Trump, Orban…  Et pourtant, il tient à garder sa part d’enfant.  Il ne faut jamais quitter l’enfant qu’on a été. En le faisant, on souffre peut-être moins, mais on est moins vivant.

L’enfant en nous
De son enfance, il a gardé des vers qui lui ont permis de nourrir Une île en terre, le premier tome de sa trilogie, Les continents sont des radeaux perdus. Un titre qu’il porte en lui depuis une trentaine d’années, confie-t-il. Du Trégor à la Chine, au fil des trois tomes, Yvon Le Men questionne l’humanité sur son rapport à l’autre. « Va à l’étranger comme chez ton ami et chez ton ami comme à l’étranger ».
Ce vendredi, la ville de Lannion où il vit l’a honoré pour son prix. C’est avec ses amis chinois et allemand qu’Yvon Le Men a partagé ce moment. Si loin, si proche… les mots s’affranchissent des frontières. Et lui qui sillonne la France et le monde saut de quoi il parle. « Quand j’étais jeune, j’ai fait 2 000 kilomètres pour un seul vers. »
Bientôt, il reprendra la route pour sillonner la Bretagne, depuis Sainte-Tréphine.  J’ai assisté aux obsèques du chanteur Yann Fanch Kemener, lui aussi était un poète. Pour lui, j’ai dit un texte de Xavier Grall. Ce jour-là quelque 1 500 personnes étaient réunies dans la petite église. Cette image m’a bouleversé. 
Trilogie Les continents sont des radeaux perdus (Une île en terre, Le poids d’un nuage, et Un cri fendu en mille) aux éditions Bruno Doucey et Aux Marches de Bretagne illustré par Emmanuel Lepage aux éditions Dialogues.

Yvon Le Men, par Michel Le Bris

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© Eric Legret

Yvon Le Men Michel Le Bris
Ma première rencontre avec Yvon Le Men date de l’après-68 – sans doute en 1975, car venait de paraître son premier livre, chez J.-P. Oswald. C’était dans la grande cour du musée des Jacobins, bondée et en effervescence, à Morlaix. Un jeune poète, regard fiévreux, le poing brandi, soulevait la foule autour de lui, et c’était bien la première fois que je voyais un meeting où des poèmes avaient plus de force que les slogans. Le poing brandi, depuis, est devenu une main ouverte, sans que jamais il cède sur son choix d’existence : s’il est quelqu’un répondant à ce que Maurice Clavel exprimait si bien dans un petit film fameux, L’Insurrection de la vie, c’est bien lui, dont le premier recueil publié avait justement pour titre Vie.
Beau programme, dira-t-on – surtout si on l’entendait au sens strict : abandonnant ses études, n’avait-il pas fait le pari, dans la folie de mai, de « vivre en poésie » ? À comprendre dans tous les sens de « vivre », dont le plus difficile : économiquement. Et l’extraordinaire est qu’il a tenu ferme depuis, vivant de ses livres et de ses spectacles, devenu le plus grand poète de Bretagne, poète aussi du monde entier, traduit en plus de dix langues…
Vivre en poésie – cela aurait-il pu s’imaginer hors de Bretagne ? Je n’en suis pas certain, tant « Bretagne est poésie » depuis des siècles, tant l’imaginaire, ici, se nourrit du poème du monde, tant « l’être ensemble » s’y tisse de musiques et de mots. C’est pourtant un poète du soleil qui fut le déclencheur de sa vocation, Jean Malrieu, pour cette simple phrase : « Le bruit court que l’on peut être heureux. » Xavier Grall, un peu plus tard, puis l’immense Guillevic, Claude Vigée : les plus grands auront su très vite le reconnaître comme un des leurs.
Vivre en poésie, vivre de sa poésie et uniquement d’elle… Il se sera donc fait diseur, comédien, passeur de mots et de poètes, brûlant sa vie sur scène, des plus grandes aux plus petites des villages de Bretagne et d’ailleurs, loin, très loin des chapelles, des clans, des modes éphémères. Parce que pour tenir ce pari d’existence, il faut être un peu fou, certes, mais surtout d’une exigence absolue, stylistique et morale, excluant par avance affèteries postmodernistes et verbiages mondains, tissant de livre en livre une œuvre forte, originale. Nous voulions affirmer l’urgence de la poésie en ces temps de crise et combien « l’être ensemble » se nourrit de la perception d’une dimension poétique de l’être humain : poète du plus près, de soi et des autres, et poète du plus loin, Yvon Le Men, au fil des années, aura su faire du festival, dans la salle Sainte-Anne à Saint-Malo comme à Bamako, à Port-au-Prince, à Haïfa, à Rabat, à Dublin, à Sarajevo, un lieu de partage où « vivre en poésie » avec lui et ses amis poètes, le temps du festival. Et de cela je tenais, ici, à lui dire merci.

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Rainer Maria Rilke 

Rainer Maria Rilke né le 4 décembre 1875 à Prague en Bohème est le fils d’un employé des chemins de fer, Josef Rilke, et de sa femme Sophie, dite « Phia ».
Sa famille le destine très rapidement à la carrière des armes. Entre 1886 et 1891, il est placé comme pensionnaire dans les écoles militaires de St-Pölten, puis de Mährisch-Weisskirchen, dont il est renvoyé en 1891 pour inaptitude physique.
Rilke écrit déjà des poèmes et des nouvelles.

En 1895, il passe son baccalauréat à Prague et commence des études d’histoires de l’art et de littérature.
En 1896, il part pour Munich où il entreprend des études de philosophie.
En mai 1897, il rencontre Lou Andreas-Salomé, qui a alors 36 ans. Leur amour enflammé se transforme progressivement en amitié réciproque et en admiration mutuelle, jusqu’à la fin de leur vie ; elle lui fait changer son prénom de René Maria en Rainer Maria.
Il voyage en Italie puis en Russie avec Lou et son mari. Il rencontre à cette occasion, en 1899, Léon Tolstoï.

1900, Lou Andreas-Salomé et Rilke en Russie, ici avec le poète Spiridon Drozin

Rilke passe l’été 1900 à la colonie de Worpswede (Basse Saxe, Allemagne), où il rencontre la peintre Paula Modersohn-Becker et Clara Westhoff, sculptrice et ancienne élève d’Auguste Rodin.


Clara Westhoff par Paula Modersohn-Becker, 1905
En 1901, il épouse Clara Westhoff ; le couple s’installe à Westerwede, près de Worpswede et de cette union naît une fille unique, Ruth.

Entre août 1902 et juin 1903, Rilke séjourne pour la première fois à Paris, résidant 11, rue Toullier, pour y rédiger une monographie de Rodin.
Cette période est également marquée par l’angoisse et un sentiment d’oppression que Rilke ressent au contact de Paris, entre autres à la vue des hôpitaux et de la misère. Il traduira ces impressions dans Les Cahiers de Malte Laurids Brigge. Cette œuvre est considérée, aussi bien en raison de sa forme que de ses thèmes, comme le premier roman moderne de langue allemande.
De 1903 à 1904, Rilke séjourne avec Clara à Rome dans un atelier d’artiste situé dans la Villa Strohl-Fern, puis il se sépare de Clara, voyage en Suède et revient à Paris, où il devient entre 1904 et mai 1906 le secrétaire de Rodin.
De 1907 à 1910, il voyage dans toute l’Europe et au-delà, Afrique du Nord, Égypte, Berlin, Espagne, Venise, Aix-en-Provence, Arles, Avignon.
Il abandonne peu à peu la prose pour se consacrer à la poésie, plus apte selon lui à restituer les « méandres de l’âme ».

En 1910, il fait la rencontre décisive de la princesse Marie von Thurn und Taxis, dans son château de Duino, alors en territoire autrichien, sur les bords de l’Adriatique. Elle l’héberge fréquemment et devient son mécène. A Duino, il commence la rédaction de ses célèbres Élégies de Duino, considérées comme l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre.

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Rilke se trouve à Munich, comme bien des écrivains et intellectuels allemands, il exprime un certain enthousiasme pour la guerre dans les Cinq chants. Il rejette toutefois très rapidement cet élan d’enthousiasme pour déplorer cette guerre et s’enfermer dans un silence presque complet en ce qui concerne sa production poétique.
En 1916, il est mobilisé dans l’infanterie, mais revient rapidement à la vie civile. De 1914 à 1916, Rilke entretient une liaison tumultueuse avec la peintre Lou Albert-Lasard.

À partir de 1919, il s’installe en Suisse et compose plusieurs recueils de poésies en français. Sitôt arrivé, il y retrouve Baladine Klossowska, qu’il avait connue en 1907 à Paris, avec son époux, Erich Klossowski. Elle vit à présent seule à Berlin, avec ses deux fils, Pierre Klossowski et Balthazar dit Balthus (le futur peintre). Elle a onze ans de moins que lui. Ils deviennent amants. Elle s’installe en Suisse, non loin de chez lui. Rilke se prend d’affection pour les deux enfants et encourage le talent qu’ils affirmeront l’un et l’autre, en effet, à l’âge adulte.

De 1921 à sa mort en 1926, c’est à Veyras, dans le canton du Valais en Suisse, non loin de Sierre, de Grimentz et de Zinal que Rilke a trouvé refuge dans la tour de Muzot (prononcer « Muzote »), dressée au-dessus des vignes. Un petit château médiéval, un brin austère, avec sa frise singulière de pignons à redents sur le toit.
Lorsqu’il la découvre, en 1921, elle est en ruine. Un mécène, Werner Reinhardt, la loue en la faisant rénover pour lui. Sa muse, Baladine Klossowska, se charge de la décorer. Rilke y vivra cinq années. C’est là qu’il achève Les Elégies de Duino, rédige, en trois semaines de transe, Les Sonnets à Orphée ainsi que Vergers, Les Quatrains valaisans, Les Roses, Les Fenêtres, Tendres impôts à la France.

Il meurt des suites d’une leucémie le 29 décembre 1926 à la clinique de Val-Mont près de Montreux en Suisse et est inhumé à Raron, le 2 janvier 1927.

Cinq recueils sont ici regroupés : Vergers, Les Quatrains Valaisans, Les roses, Les fenêtres et Tendres impôts à la France.
Philippe Jaccottet, poète suisse amoureux de la nature, préface le recueil de ces poèmes français. Il nous apprend que Rilke dit avoir été tenté d’écrire en français pour le seul beau nom de verger et qu’en feuilletant Vergers on a l’impression de surprendre Rilke dans son travail secret de poète.
Qu’après un vide d’inspiration (la guerre, les voyages, la dépression…) Rilke dit, avec une joie étonnée et reconnaissante, que la poésie recommence, que l’excès de silence est rompu, que le souffle, que la vie lui sont rendus.
Le voici qui recommence à regarder les choses autour de lui, qui les accueille dans leur plus grande dimension et leurs échanges imperceptibles.

Goutez la simplicité de la voix de Rilke, sa justesse à dépeindre la nature et les petits détails du quotidien dans ces quelques poèmes :

Entre le masque de brume
Entre le masque de brume
et celui de verdure,
voici le moment sublime où la nature
se montre davantage que de coutume.

Ah, la belle ! Regardez son épaule
et cette claire franchise qui ose …
Bientôt de nouveau elle jouera un rôle
dans la pièce touffue que l’été compose.

C’est qu’il nous faut consentir
C’est qu’il nous faut consentir
à toutes les forces extrêmes ;
l’audace est notre problème
malgré le grand repentir.

Et puis, il arrive souvent
que ce qu’on affronte, change :
le calme devient ouragan,
l’abîme le moule d’un ange.

Ne craignons pas le détour.
Il faut que les Orgues grondent,

Tout se passe à peu près comme
Tout se passe à peu près comme
si l’on reprochait à la pomme
d’être bonne à manger.
Mais il reste d’autres dangers.

Celui de la laisser dans l’arbre,
celui de la sculpter en marbre,
et le dernier, le pire :
de lui en vouloir d’être en cire

Douce courbe le long du lierre,
Douce courbe le long du lierre,
chemin distrait qu’arrêtent des chèvres ;
belle lumière qu’un orfèvre
voudrait entourer d’une pierre.

Peuplier, à sa place juste,
qui oppose sa verticale
à la lente verdure robuste
qui s’étire et qui s’étale.

Chemins qui ne mènent nulle part
Chemins qui ne mènent nulle part
entre deux prés,
que l’on dirait avec art
de leur but détournés,

chemins qui souvent n’ont
devant eux rien d’autre en face
que le pur espace
et la saison.

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Transversale sans transgression

Je veux, comme ce sioux oglala,
marcher à travers montagnes et vallées.
Je veux, fouler le territoire d’un pas allègre,
sans barrières, ni clôtures.

Je veux, être en accord,
avec cet arbre qui est arbre,
avec cette fleur qui est fleur,
avec ce brin d’herbe, là,
avec ce bois, pas encore meurtri.

Je veux, être en accord,
avec moi-même,
Être intégré dans ce cycle de vie,
ou tout part de la terre,
pour revenir à la terre.

Je veux, que la terre que j’habite,
m’habite toute entière,
m’accepte en son sein.
Qu’elle accepte mes pas,
que pas à pas, je poursuis.

Je veux, vivre là
Et savoir pourquoi, je vis là.
Je veux que mon passage sur cette terre,
ne la marquera,
que par la chaleur avec laquelle, je l’aurai travaillée,
que par le plaisir d’avoir arpenter,
ses forêts, ses bois, ses champs ensemencés.

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Retour à la vie, dans le Baugeois

Les paysans du coin, ont une gueule
De résistants de la dernière guerre
Dans leur costume du dimanche, étriqué

Les crins-crins résonnent dans le cœur des vieux
Quand la routine des en-avant deux
Fait de nouveau flamber leurs sabots.

Café, violon, mandoline, capeline et araire
C’est maintenant les gigues d’Irlande
Qui ouvrent les oreilles des jeunes paysannes.

Ils avaient transformé la cocarde de sainteté
En communes socialisées :
Saint Philbert du peuple, Cheviré le Rouge…

Mais les pins ont remplacé
Chênes et châtaigniers
Les vaches stabulent
Et les lapins granulent

Leur terre est piétinée
De tracteurs de cent chevaux
Les armées de Napoléon n’étaient rien
La terre est maintenant brulée
Par les technocrates champêtres

Des barbus, chevelus, marginaux
Ont envahi les lieux
Ils ambitionnent de faire revivre
Leur pays

Le retour à la terre
Qu’ils disent
Celle qu’ils ont, eux
Jamais quitté.

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Prédictions pour l’année 2024

Oyé, Oyé, braves gens
Un nouveau gouvernement est né
Gageons, à l’instant
Qu’il sera tout aussi empêtré
Dans d’étranges affaires
Que les précédents

Soyons en assuré
Il prépare cette année
Comme toutes celles qui ont précédé
De nouvelles taxes sur les oies
Les cochons et autres couvées
De toutes nouvelles lois
Pour que les aveugles revoient
Que les sourds entendent de nouveau
Et que les muets s’écrient bien haut :
Bonne année

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L’univers du petit vers…

Tip, top… Tiens, la pluie…
Anfractuosité, trou, grain, motte…
Je me faufile, je m’contorsionne, je rampe et je zigzague…

Antenne gauche : R.A.S,
Antenne droite : argile, terrain collant…
Tip, top… brr, une goutte…

Je plonge, je serpente… gravier à droite…
Attention ! c’est coupant…
Hum… une miette de mon herbe grasse préférée…
Je suis le petit vers blanc… tout blanc.

Tum, tum, tum… un roulement au loin…
Tschitt… je descends…
A gauche, flip, flap
Au troisième cailloux…
Le petit trou noir, à ne pas rater…
Attention ! j’approche du territoire du vers de terre…
Tum, tum, tum… Hé…
Toujours ce roulement qui s’amplifie !!!

Oh ! Au secours…
Qu’est ce qui se passe !
A moi ! à l’aide ! Au sec…ours !!!
Un monstre… en fer…
Du caoutchouc noir au-dessus !!!

Mon domaine est retourné…
Je chavire, je tombe…eee !!!
Me v’la tout chambouler,
Je r’connais plus rien…
Y’a plein d’herbes et de cailloux nouveaux…
Y’a plus de mottes…

Complétement fou…
Ce jardinier…

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La veuve noire

La veuve noire se terre dans l’anfractuosité du mur
La source ampoulée électrique diffuse son onde d’attirance
Patiemment tissée la toile-voile enjôleuse
Attend la proie attirée
La laissant pantelante et tranquille

Ailes frémissantes, bourdonnement d’un instant
Qui s’éteint dans la jouissance repue
A l’approche menaçante
Les pattes velues et le corps luisant, se rétractent.
L’araignée survit dans sa jungle poussière

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Eternel recommencement

Dans la forêt calcinée, le grand arbre est abattu
Seul, le pied, tronc moussu, reste figé en terre
Ecorché par la tronçonneuse meurtrière
L’humidité, le mine, tout entier

Les fourmis attaquent
Galeries, creux, bosses
Du tronc à l’écorce
Tour de Babel structurée

La fourmilière s’agite
Vermisseaux, larves et graines
Les travailleuses s’affairent
Butinent, agglutinent
Pour satisfaire leur reine

Un jour, un enfant
Passant par là
Intéressé par la structure de l’écorce
L’arracha

Les fourmis paniquent
Ne reconnaissent plus, leur univers
L’une grimpe au faîte d’une paille, inutilement
A droite, le vent souffle
Les galeries sont éventrées…
Un mille-pattes dérangé,
Se cavale, effrayé

A cette perturbation
Les fourmis réagissent
Organisons nous, chères sœurs !!!
Elles s’adaptent et reconstruisent.

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