Ou êtes-vous Vous, que j’ai connu Et que je n’ai pas revu.
Je vous ai écrit des mots suaves et tentateurs Pourtant… Est-ce la contrainte ou la peur Qui m’a privé de vous ?
Mes yeux scrutateurs Essaient de suivre vos lendemains J’entends le bruit De vos mélancolies.
Ou sont ces superbes élans d’espoir, Ces fureurs de grand soir ?
Les majestés qui vous dirigent ont, sur vous, posé Leur manteau de sécurité. Sur vos destriers poussifs Ne proférez aucun son plaintif !
Les grands chênes ne sont pas complaisants Les oiseaux ne se laissent pas saisir, un instant Soyez sourds A mon discours Je laisse à votre désarroi Un doute, très étroit !
Ce matin, le jardin est tout enneigé, Les mésanges charbonnières sont affairées, à grignoter les noix proposées, Pinsons et moineaux essaient, de leur voler.
Le rouge-gorge pondéré et martial Attends un instant spécial Pour prendre part au festin A l’entrée du jardin.
Sur le pommier sentinelle L’autre mangeoire est aussi visitée De manière solennelle.
Les tomates affaissées le long des piquets Gris, vert, rouille, les branches alignées Se sont débarrassées, de la neige verglacée.
Au fond du verger, les oiseaux, plus gros Corbeaux et merlots Se disputent les meilleurs morceaux.
Réveil précipité Le chat a gratté à la porte. Je m’emporte, Je maugrée… Je ne vais pas me rendormir, Je vais peut-être lire ? A moins, que le délire, de ressassements, sans cesse vienne me punir : Je n’aurai pas dû… Si j’avais su… L’écum de l’amertume affleure à l’heur de se recoucher
Franck Courtes, né en 1964 à Paris a tout d’abord été un photographe reconnu avant de devenir écrivain. Il a travaillé comme photographe portraitiste et reporter pour Les Inrockuptibles, Libération, Télérama, Le Monde… Il a exposé au Canada, à la galerie Courtieux à Suresne, aux Rencontres d’Arles en 1998, au festival de Cannes en 2000 pour Télérama, et dans diverses expositions collectives… Il décide en 2011 d’abandonner la photographie pour se consacrer à l’écriture. Franck Courtès publie des nouvelles et des romans depuis 2013. Dans À pied d’œuvre, son dernier roman, il raconte son quotidien d’écrivain très pauvre. Sans jamais se poser en victime.
« Au même âge que mon fils, je m’étais hissé au sommet d’une meule un soir, au bord du plateau. Je dominais la vallée de l’Ourcq. La nuit approchait. Les nuages venaient de loin et j’avais un peu froid. Devant moi, la terre brune, les bois sombres, le vent dans mon dos, dessinaient les contours du bonheur, les points cardinaux d’une boussole imaginaire. J’étais un cristal de garçon.»
Comment se défait-on des fantômes du passé? Ils sont trois personnages, une mère et ses deux enfants, Mathis et Vinciane, à tenter de survivre après la mort accidentelle de Jacques. Si Mireille, inconsolable, s’est figée dans son destin de veuve d’un héros magnifié, Vinciane, elle, traverse les océans pour oublier. Quant à Mathis, prisonnier de l’image paternelle, il enchaîne les conquêtes et s’abîme dans la séduction. Tous se débattent mais le fantôme de Jacques rôde, un fantôme qui épouserait les fantasmes et les culpabilités de chacun. Mais vient un jour où il faut solder les comptes et songer à l’avenir.
Comment raconter cette impression de dépossession quand je retourne à la campagne ? Une campagne où je n’ai pas grandi mais où j’ai fait grandir en moi, lors des weekends et des vacances, la certitude que la beauté était en péril ? Inspiré par mes souvenirs, j’ai voulu dérouler les destins parallèles de deux enfants, Quentin et Gary, sur une période de trente années, dans un village situé à moins de 80 kilomètres de Paris, passé du paradis à l’enfer. Enfant sensible, Quentin aime profondément la nature ; Gary, lui, inquiète déjà par sa sauvagerie et son agressivité. En grandissant, Quentin s’éprend d’une jeune fille nommée Anne ; ils échangent leurs premières étreintes tandis que Gary s’entoure d’un gang, vole, fume et se met à écouler de la drogue fournie par les Marocains de la cité voisine, allant jusqu’à embringuer le jeune frère de Quentin.
« On peut s’aimer, s’en faire une fête, s’en vanter, l’afficher, croire qu’on a découvert le secret du bonheur, un jour les rouages se grippent. »
Les quatorze histoires qui composent ce recueil forment autant d’épisodes liés par deux thèmes communs : l’insoluble question du bonheur dans l’amour et le crépuscule de la passion. Dans cette anthologie du couple contemporain, des hommes et des femmes se débattent avec des sentiments trop grands pour eux. Inattendu, quiproquos et humour s’invitent dans le ballet qui se joue entre ces êtres qui s’attirent, s’affrontent, se blessent et se reconstruisent. Saisissant avec brio l’essence d’un couple, d’un désir, d’une impossibilité, Franck Courtès confirme ici son talent de nouvelliste.
Les copains des maisons de campagne, un jeune homme confronté à la lâcheté, un père divorcé qui s’inscrit à un jeu télévisé pour conquérir ses enfants, une jeune femme qui sacrifie tout pour courir le marathon, un bobo parisien qui contemple le monde dans un restaurant japonais.
Au cours de ces nouvelles, du cœur de la ville au cœur de la campagne, Franck Courtès déroule le fil ténu de nos vies. Il dit avec maestria ces tremblements de terre intimes et silencieux qui font basculer chacun de ses héros et qui les rendent si fragiles.
« La photographie était ma raison d’être. J’étais photographe. J’ai été extrêmement photographe, passionnément photographe, hanté par la photographie. Mon amour immodéré s’est mué en une haine qui n’a d’égale que celle d’un amant trahi. »
Franck Courtès fut photographe pendant vingt-six ans. Vingt-six années de passion, de voyages autour du monde et de rencontres, qui ont permis à celui qui fut un élève timide et rétif à l’autorité de tutoyer les plus grands. Arletty, Jean-Pierre Léaud, Jacques Demy, Iggy Pop, Michel Polnareff, Joey Starr, Karim Benzema, Jacques Derrida, Pierre Bérégovoy, Patrick Modiano : telles sont quelques-unes des personnalités que l’on croise au gré de ce récit foisonnant d’anecdotes, où Franck Courtès relate ces années au cours desquelles il s’est fait un nom. En 2011, pourtant, il a remisé ses appareils, ses pellicules et ses archives, et renoncé définitivement à être photographe. Le dégoût du star-system, les exigences de plus en plus délirantes des célébrités comme des patrons de presse, les fins mercantiles des portraits de presse et l’avènement du tout-numérique ont eu raison de sa foi. Dans ce métier, il a bien failli se perdre lui-même ; en choisissant la voie de l’écriture, il s’est retrouvé. La dernière photo est le récit de cette passion, de ce désamour et de cette renaissance.
« Entre mon métier d’écrivain et celui de manœuvre, je ne suis socialement plus rien de précis. Je suis à la misère ce que cinq heures du soir en hiver sont à l’obscurité : il fait noir mais ce n’est pas encore la nuit. »
Voici l’histoire vraie d’un photographe à succès qui abandonne tout pour se consacrer à l’écriture, et découvre la pauvreté. Récit radical où se mêlent lucidité et autodérision, À pied d’œuvre est le livre d’un homme prêt à payer sa liberté au prix fort.
Armen Lubin (1903-1974) est né à Istanbul sous le nom de Chahnour Kérestédjian. Persécuté, comme ses compatriotes arméniens, il doit quitter la Turquie à l’été 1923, devenant de fait apatride. À Paris, il fait ses premiers pas de poète français, sous l’aile d’André Salmon et de Jean Paulhan, qui le publiera chez Gallimard. Très vite atteint d’une affection tuberculeuse redoutable, le mal de Pott, il passera sa vie dans des hôpitaux et des sanatoriums de l’Assistance publique. Soutenu par ses amis, parmi lesquels Henri Thomas, Madeleine et Jean Follain, il continuera d’écrire malgré la maladie et la douleur. Méditation sur l’exil, la perte et l’écriture, Armen est aussi le récit d’une affinité, d’une rencontre entre Hélène Gestern et son sujet. D’une ampleur incomparable, ce texte nous emporte dans les méandres de deux destinées que tout oppose et qui, pourtant, se répondent. C’est la première fois qu’Hélène Gestern livre avec pudeur quelques clés de son univers romanesque.
Quelques bribes de poèmes d’Armen Lubin
Jours de famine La devanture n’est que rouge Mais elle devient couleur sang-de-bœuf Dès que sur la boutique peinte le soleil percute, On a aussitôt un Bureau de Placement pour des brutes.
Vingt-quatre brutes se suivent dans une seule journée Mais leur nombre s’était follement multiplié À cause de la famine qui était grande, qui était debout, Qui obligeait à manger avec des précautions lentes Mais comme on ne mangeait que des clous, Toujours la douleur faisait sentir sa pointe.
Et toujours on rompait les fils d’attente Vers les hauteurs du boulevard de la Tempête Où une pique en frappant à l’aveuglette Restait fichée dans une poitrine vaincue, Et toujours cela formait un angle aigu.
Les sans-patrie ont toujours tort Puisqu’ils transportent du bois mort Et campent dans de sombres garnis, Chaque mur y a ses petites hernies. Car c’est un hôtel moisi et croulant, Sur une corde se balancent des piments. Hôtel borgne dont l’oeil valide s’infecte, Hôtel où les réfugiés et leurs dialectes Se glissent par une vieille porte noircie
N’ayant plus de maison ni logis, Plus de chambre où me mettre, Je me suis fabriqué une fenêtre Sans rien autour. […]
Se sont dépouillées les vieilles amours, Mais la fenêtre dépourvue de glace Gagne les hauteurs, elle se déplace, Avec son cadre étonnant,
Qui n’est ni chair ni bois blanc, Mais qui conserve la forme exacte D’un oeil parcourant sans ciller L’espace soumis, le temps rayé.
Et je reste suspendu au cadre qui file, J’en suis la larme la plus inutile Dans la nuit fermée, dans le petit jour, Ils s’ouvrent à moi sans rien autour.