Ken Follett – La trilogie du siècle

Ken Follett, né le 5 juin 1949 à Cardiff, est un écrivain spécialisé dans les romans d’espionnage et les romans historiques.

Fresque historique tout autant que saga familiale, les plus de 3 000 pages de sa Trilogie du Siècle nous font parcourir la majeure partie du XXème siècle de février 1914 à novembre 1989. Les familles vont traverser le tumulte des troubles sociaux, politiques et économiques de ce siècle. Les personnages de fiction se mêlent aux personnages réels de façon très crédible sans entamer la vérité historique.

La trilogie du Siècle

Tome 1 :
La Chute des géants

A la veille de la guerre de 1914-1918, les grandes puissances vivent leurs derniers moments d’insouciance. Bientôt la violence va déferler sur le monde. De l’Europe aux États-Unis, du fond des mines du pays de Galles aux antichambres du pouvoir soviétique, en passant par les tranchées de la Somme, cinq familles vont se croiser, s’unir, se déchirer. Passions contrariées, jeux politiques et trahisons… Cette fresque magistrale explore toute la gamme des sentiments à travers le destin de personnages exceptionnels… Billy et Ethel Williams, Lady Maud Fitzherbert, Walter von Ulrich, Gus Dewar, Grigori et Lev Pechkov vont braver les obstacles et les peurs pour s’aimer, pour survivre, pour tenter de changer le cours du monde. Entre saga historique et roman d’espionnage, intrigues amoureuses et lutte des classes, ce premier volet du Siècle, qui embrasse dix ans d’histoire, raconte une vertigineuse épopée où l’aventure et le suspense rencontrent le souffle de l’Histoire…

Tome 2 :
L’Hiver du monde

1933, Hitler s’apprête à prendre le pouvoir. L’Allemagne entame les heures les plus sombres de son histoire et va entraîner le monde entier dans la barbarie et la destruction. Les cinq familles dont nous avons fait la connaissance dans La Chute des géants vont être emportées par le tourbillon de la Seconde Guerre mondiale. Amours contrariées, douloureux secrets, tragédies, coups du sort… Des salons du Yacht-Club de Buffalo à Pearl Harbor bombardé, des sentiers des Pyrénées espagnoles à Londres sous le Blitz, de Moscou en pleine évacuation à Berlin en ruines, Boy Fitzherbert, Carla von Ulrich, Lloyd Williams, Daisy Pechkov, Gus Dewar et les autres tenteront de faire face au milieu du chaos. Entre épopée historique et roman d’espionnage, histoire d’amour et thriller politique, ce deuxième volet de la magistrale trilogie du Siècle brosse une fresque inoubliable.

Tome 3 :
Aux portes de l’éternité

1961. Les Allemands de l’Est ferment l’accès à Berlin-Ouest. La tension entre États-Unis et Union soviétique s’exacerbe. Le monde se scinde en deux blocs. Confrontées à toutes les tragédies de la fin du xxe siècle, plusieurs familles – polonaise, russe, allemande, américaine et anglaise – sont emportées dans le tumulte de ces immenses troubles sociaux, politiques et économiques. Chacun de leurs membres devra se battre et participera, à sa manière, à la formidable révolution en marche.

Peter May – Trilogie écossaise


Écrivain écossais, Peter May, né à Glasgow en 1951, habite depuis une dizaine d’années dans le Lot. Il a d’abord été journaliste avant de devenir l’un des plus brillants et prolifiques scénaristes de la télévision écossaise. Il y a quelques années, Peter May a décidé de quitter le monde de la télévision pour se consacrer à l’écriture de ses romans. Le Rouergue a publié sa série chinoise avant d’éditer la trilogie écossaise (parue d’abord dans sa traduction française avant d’être publiée, avec un immense succès, en anglais).

L’ile des chasseurs d’oiseaux

L’inspecteur Fin McLeod, meurtri par la disparition de son fils unique, est de retour sur son île natale, où un homme vient d’être assassiné. Là, chaque année, une douzaine d’hommes partent en expédition à plusieurs heures de navigation pour tuer des oiseaux nicheurs. Sur fond de traditions ancestrales d’une cruauté absolue, Peter May nous plonge au coeur de l’histoire personnelle d’un enquêteur en rupture de ban avec son passé.

L’homme de Lewis

On découvre le cadavre d’un jeune homme, miraculeusement préservé par la tourbière. Les analyses ADN relient le corps à Tormod Macdonald, le père de Marsaili, l’amour de jeunesse de Fin McLeod, et font de celui-ci le suspect n°1. C’est une course contre la montre qui s’engage alors pour découvrir la vérité : l’inspecteur principal est attendu sur l’île pour mener l’enquête et il n’épargnera pas le vieil homme, atteint de la maladie d’Alzheimer.

Le braconnier du lac perdu

Whistler était le plus brillant des amis de Fin. Le plus loyal. Par deux fois, il lui a sauvé la vie. Promis au plus bel avenir, il a pourtant refusé de quitter l’île où il vit aujourd’hui comme un vagabond. Sauvage. Asocial. Privé de la garde de sa fille unique. Or voici que Fin doit prendre en chasse les braconniers qui pillent les eaux sauvages de Lewis. Et Whistler est, d’entre tous, le plus redoutable des braconniers.

Gunnar Staalesen – Le Roman de Bergen


Gunnar Staalesen est né en 1947 à Bergen, en Norvège. C’est à la découverte des 6 volumes de la grande fresque sociale qu’il a consacrée à sa ville natale norvégienne : Le Roman de Bergen, que je vous invite.

 » L’écriture de Staalesen fait mouche, avec son sens de la narration classique et la description pointue d’un pays beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. « 

Le Roman de Bergen. 1900 L’aube, Tome 1
Le Roman de Bergen. 1900 L’aube, Tome 2

L’ébullition gagne Bergen, petite ville industrielle de Norvège, en ce jour glacial du XXe siècle naissant. Le chemin de fer se bâtit à toute allure, la famille royale est de passage et le meurtre du consul Frimann fait grand bruit parmi les notables. Tous sont fous de désir pour la sensuelle Maren Kristine Pedersen, qui a bien connu la victime. L’inspecteur Moland, pour son malheur, va succomber lui aussi…

Le rideau se lève sur Bergen dix ans après l’incendie qui l’a dévasté. Sven et Per, les fils de Christian Moland, sont devenus frères ennemis dans la grève sociale qui secoue la Norvège. Le conflit entre syndicalistes et police fait rage, et le monde s’affole, entre krach boursier et montée du fascisme. À Bergen, le vent glacial souffle toujours et une certaine  » Mlle Pedersen  » resurgit du passé…

Le Roman de Bergen. 1950 Le Zénith, Tome 3
Le Roman de Bergen. 1950 Le Zénith, Tome 4

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le ciel de Bergen s’assombrit. Le dramaturge Hjalmar Brandt se tourne vers l’Union soviétique de Staline ; Sigrid, l’épouse volage de Wilhelm Styrk, est séduite par le nazisme. Quand l’Allemagne occupe la Norvège, tous doivent choisir : la collaboration, la résistance, l’attente ou l’exil. L’enquête sur la mort du dernier amant de Mlle Pedersen est suspendue…

Le 17 mai 1945, Bergen célèbre la Libération. Bientôt, il faut juger les collaborateurs de l’occupant nazi. Vient le temps des découvertes : le rock’n’roll, les westerns, mais aussi les menaces de la guerre froide. Tandis que les enfants de la génération de 1900 prennent à bras-le-corps leur destinée et s’épanouissent dans les nouveaux quartiers, leurs parents vivent d’insondables exils intérieurs.

Le Roman de Bergen. 1999 Le Crépuscule, Tome 5
Le Roman de Bergen. 1999 Le Crépuscule, Tome 6

À Bergen, Veslemøy, onze ans, est trouvée en état de choc deux jours après sa disparition. Faute de témoins, l’enquête est suspendue. La Norvège traverse les années 1960 sur fond de guerre froide, entre crainte du conflit nucléaire et libéralisation des mœurs. Décidée à aller de l’avant, Veslemøy va devoir affronter son traumatisme, tout comme Bergen fait enfin face aux zones d’ombre de son passé.

Le soleil se couche sur un siècle de l’histoire de Bergen. Entre l’effroi lié au drame de la plate-forme pétrolière Alexander Kielland et l’espoir suscité par la chute du mur de Berlin, nul ne sait de quoi demain sera fait. Le passé, lui, révèle ses secrets aux dernières lueurs du crépuscule : la vérité sur l’affaire Veslemøy de 1962 et la résolution, cent ans après, du meurtre du consul Frimann.

Dixit Dominus Georg Friedrich Haendel 1707

En 1706, Haendel entame un voyage de trois ans en Italie qui le conduira à Rome, Florence, Naples et Venise. C’est à Rome, en avril 1707, qu’il achève la composition de son Dixit Dominus.

Désirant probablement impressionner ses protecteurs et bienfaiteurs romains (dont plusieurs cardinaux) qui l’avaient accueilli malgré sa confession luthérienne, Haendel, alors âgé de 22 ans, compose une œuvre originale qui, tout en rappelant certaines compositions chorales de Vivaldi, lui permet de faire une entrée remarquée sur la scène musicale. Elle touche si profondément les autorités religieuses que celles-ci lui proposent de se convertir au catholicisme, ce qu’il décline poliment.

La structure de l’œuvre, qui alterne ou conjugue chœurs et arias pour solistes (2 sopranos, contre-ténor, 2 ténors, basse) afin de souligner le contenu émotionnel du psaume, en fait une sorte de cantate sacrée en huit parties.

L’un des premiers grands disques de John Eliot Gardiner ! Le chef d’orchestre britannique enregistre en 1978 pour le label Erato le « Dixit Dominus » de Haendel, avec le Monteverdi Choir et le Monteverdi Orchestra, ancêtre des English Baroque Soloists. Une belle version, dynamique et épurée.

Marche pour la cérémonie des turcs Le bourgeois gentilhomme Jean-Baptiste Lully 1670

Ce divertissement fut composé pour la représentation d’une pièce de Molière « Le bourgeois gentilhomme » (commandée par le Roi Louis XIV). Il s’agit d’une musique de ballet. Le rythme que l’on entend est typique (rythme pointé : un peu « pompeux ») et représente la marche du Roi Soleil, Louis XIV.

Giovanni Battista Lulli, Marche pour la Cérémonie des Turcs, Le Bourgeois Gentilhomme
Modo Antiquo, Federico Maria Sardelli
François de Rudder, récitant
Concert du 16 mai 2009, Sala Luca Giordano, Palazzo Medici Riccardi, Florence

Au théâtre

Comédie-ballet de Molière, avec la musique de Lully
Mise en scène de Jérôme Deschamps
Direction musicale Marc Minkowski, Thibault Noally,
David Dewaste (en alternance)
en partenariat avec Les Musiciens du Louvre

Le Bourgeois gentilhomme Jérôme DeschampsDernière comédie-ballet créée par Molière et Jean-Baptiste Lully en 1670, le Bourgeois Gentilhomme est certainement le chef-d’œuvre de ce genre hybride. … Jérôme Deschamps s’empare des aventures de Monsieur Jourdain, ce bourgeois qui s’ennuie et désire s’élever par la culture.

Air des Sauvages Les Indes galantes Jean Philippe Rameau 1735



Les Indes Galantes
Jean Philippe Rameau
Air des Sauvages
1735

Cet air célèbre est tiré des Indes Galantes, le premier des six opéras – ballet qu’écrivit Jean Philippe Rameau en 1735. La scène « Les Sauvages » est à la fin de l’œuvre et voit la réconciliation entre les colonisateurs et les colonisés avec le calumet de la paix !

Les Sauvages – Les Indes Galantes – Jean Philippe Rameau
Les Arts Florissants – William Christie

Les Sauvages – Les Indes Galantes – Jean Philippe Rameau
Clément Cogitore

L’émancipation des femmes des Deux-Sèvres sous la plume d’Ernest Pérochon

De Nêne à la Misangère des Gardiennes en passant par Marie-Rose Méchain, Lise Balzan ou Babette Rougier, sans oublier les nombreux personnages féminins de sa vingtaine de livres, Ernest Pérochon a fréquemment donné la place d’honneur à des personnages féminins dans ses romans.

Sous la plume d’Ernest Pérochon, les Deux-Sévriennes du bocage, de la plaine ou du marais s’émancipent progressivement des stéréotypes sociaux ou moraux de leur époque et prennent en main leur destin.

Geste éditions a entrepris de publier les œuvres complètes d’Ernest Pérochon (1885-1942.Le premier tome réunit quatre romans qui illustrent l’évolution de la condition féminine dans le milieu rural depuis la fin du XIXe siècle : Babette et ses frères (1939), Les Gardiennes (1924), Le Crime étrange de Lise Balzan (1929), Marie Rose Méchain (1931).

Ce premier tome relie des destins de femmes qui, au-delà de leurs différences, subissent les lois non écrites de codes sociaux dépassés. À travers l’histoire d’amour vécue par une jeune paysanne issue de la Petite Église à la fin du XIXe siècle, un récit de femmes de la terre exploitant seules l’exploitation familiale entre 1914 et 1918 et les portraits de jeunes filles issues de la bourgeoisie provinciale des années 1920, Ernest Pérochon illustre à sa manière le long combat des femmes pour leur émancipation, avec ses succès mais aussi ses échecs cruels.

Prix Goncourt en 1920 pour Nêne et auteur à succès d’une vingtaine de romans, Ernest Pérochon (1885-1942) fut tout d’abord instituteur en Deux-Sèvres et combattant de la Grande Guerre. Écrivain attaché à ses racines, son œuvre révèle aussi les préoccupations d’un homme conscient des mutations et des périls auxquels sa génération fut confrontée.

Babette et ses frères

L’action de « Babette et ses frères » se situe peu après la Guerre de 1870 et se déroule dans le milieu de le Petite Eglise en Poitou (dissidents ayant refusé le Concordat de Napoléon Ier).

La dissidente Babette est amoureuse d’un étranger athée et elle va devoir le payer très cher.

L’émotion engendrée par la lecture de cette dénonciation des violences intrafamiliales faites à l’héroïne ne peut laisser de marbre le lecteur actuel. Trop de faits divers tragiques rappellent que ces comportements d’un autre âge perdurent dans notre société. L’intégrisme religieux a le même visage et engendre les mêmes comportements quel que soit le dogme auquel il se réfère.

Extrait

« En ces cantons, tous ceux des villages avaient pris le fusil lors de la Grande Chouannerie. Tant soit la guerre mauvaise et folle, un jour, la paix vient. Les batailleurs du Bocage avaient donc fini par faire leur paix avec les Bleus. Et, depuis ce temps, personne n’avait plus bougé, hormis quelques fous. Sur le coup, pourtant, un levain de dépit était resté chez certains, notamment chez les prêtres. Ces prêtres, un peu plus tard, avaient blâmé le pape et ses évêques d’avoir accepté le marché que leur avait offert l’Empereur de Paris. Ils avaient parlé de trahison. Ils avaient dit à leurs ouailles :

Nous sommes les seuls vrais prêtres.

Et leurs ouailles les avaient écoutés.

Mais les prêtres étaient morts. Et, alors comment faire ? Il n’y avait plus qu’à rentrer tête basse,

Au giron de l’Eglise romaine. Beaucoup s’y étaient résignés. Mais il était resté quand même un certain nombre d’entêtés qui n’avaient point voulu céder. Ils formaient de petits îlots dans les paroisses. Peu à peu, la plupart de ces îlots, s’étaient effrités, avaient fondu.

Peu après la guerre contre les Prussiens, la Petite Eglise Réfractaire du Bocage ne comptait plus guère que deux milliers de fidèles. Ils habitaient presque tous en voisinage, part dans la paroisse de Fontclairin, part dans celle de Pontchâteau et des Ardriers. C’était là leur canton, en un pays très couvert, un pays d’eaux vives et de bois. Et le lieu de leur rassemblement aux jours des grandes fêtes était le village de Bellevue en la paroisse de Fontclairin.

Depuis que leurs derniers prêtres avaient gagné le Paradis, les Réfractaires, sentant leur faiblesse, se serraient autour de Bellevue. Ceux qui avaient essaimé dans les cantons voisins n’attendaient qu’une occasion pour se rapprocher des autres. C’est que la population catholique les entourait comme une grande eau. Isolés, ils se sentaient perdus, noyés. Au pays de Bellevue, ils étaient chez eux. Ils étaient à touche-touche ; ils se sentaient cœur à cœur et cela fortifiait leur courage.

Les gens d’Eglise guettaient pourtant, là comme ailleurs. Ils tâchaient de tirer à eux les moins fermes ou les plus démunis ou encore, parmi les jeunes, ceux qui se laissaient engourdir d’amour par une personne de l’autre bord.

Ils ne réussissaient pas souvent. Tous les faibles étaient déjà partis. C’était le noyau qui restait ; il ne s’émiettait pas.

« Nous sommes bons chrétiens, disaient les Réfractaires ; nous sommes catholiques mais non catholiques romains. Mieux que les autres, nous honorons Jésus et Notre Dame. Nous honorons tous les Saints ; tous ! Le Bon Dieu ne saurait nous prendre en faute. »

Ils priaient et priaient et non du bout des lèvres. Ils marquaient durement le carême, les quatre-temps, les vigiles. Ils méprisaient les catholiques pour les accommodements qu’ils cherchaient avec la régler ancienne. Eux, tout ce qui avait été ordonné, ils le faisaient. Et même ils passaient outre.

A ce prix, leur conscience était en paix. C’était leur force. »

Les gardiennes

Printemps 1915, dans l’univers rural d’un village du marais poitevin dans les Deux Sèvres.

La guerre dure depuis l’été 1914. Les derniers hommes valides d’âge mûr ont été mobilisés. Ne restent plus que les enfants, les vieux et les invalides. Les femmes doivent désormais faire face, seules aux travaux des champs, qui avant la guerre n’étaient qu’affaires d’hommes.

La grande Hortense, Francine, Léa et Solange se font les gardiennes de leur milieu rural, chargées de préserver leur patrimoine en attendant la paix. Ces femmes au quotidien extraordinaire doivent s’organiser, se mobiliser et se battre pour faire vivre les fermes. Ernest Pérochon illustre à sa manière le long combat des femmes pour leur émancipation, avec ses succès mais aussi ses échecs cruels.

Hortense Misanger, 58 ans, la grande Hortense, femme forte et énergique, dirige l’activité de 4 maisons :

– la sienne, Château-Gallé, située dans la plaine

– celle du Paridier, de sa fille Solange et du gendre Clovis

– celle de la cabane Richoix, ferme maraichine de son fils Norbert et de sa femme Léa

– la boulangerie du cousin Ravisé, veuf parti à la guerre, désormais tenue par Marguerite, 17 ans, et Lucien, 15 ans.

Deux autres fils célibataires, Georges et Constant sont dans les tranchées.

Claude, le mari d’Hortense, est usé par une vie de travail et n’arrive plus à faire face. Pour lui prêter main forte, ils vont recruter une femme à tout faire. Ce sera Francine, 20 ans, gamine de l’assistance publique…

Les deux thèmes récurrents des romans ruraux de Pérochon, la condition de la femme et l’amour impossible, atteignent dans ce livre leur summum. L’intensité mélodramatique a pour support une écriture moderne, avec un style vif qui donne envie de connaitre la suite.

« Les gardiennes » ont fait l’objet d’une adaptation au cinéma de Xavier Beauvois, avec Nathalie Baye et Laura Smet.

Les gardiennes film de Xavier Beauvois

Le crime étrange de Lise Balzan

Marie-Rose Méchain

Lise Balzan (1929) et Marie-Rose Méchain (1931), héroïnes des deux autres romans de cette réédition, incarnent chacune à leur manière l’émancipation des femmes de ce début de XXe siècle. Marie-Rose Méchain, véritable figure de la femme émancipée ressemble à s’y méprendre à l’archétype de la célèbre garçonne aux cheveux courts. Elle parvient à échapper à un destin tout tracé par son milieu social originel. A côté de cet exemple de la réussite féminine, la fragile orpheline qu’est Lise Balzan contrebalance cette idée du triomphe de la femme. Lise plonge progressivement vers la folie. Son « crime étrange », le meurtre de son beau-père, révèle les failles psychologiques laissées par la guerre à la jeune génération.

Nêne

La jeune Madeleine est gagée comme domestique chez Michel Cordier, un fermier veuf, pour s’occuper de deux enfants, Eulalie et Georges, et tenir la maison. Elle s’attache peu à peu aux enfants, allant même jusqu’à dilapider ses économies, pour qu’ils soient au moins comme les autres, et même mieux. Elle doit cependant subir les attaques du diabolique Boiseriot, ancien valet de la ferme, jaloux et catholique de surcroît. Dans une atmosphère oppressante, où trois mondes, catholiques, dissidents (réfractaires) et protestants se supportent difficilement, toujours à la limite du conflit, la situation de Madeleine se dégrade progressivement.

L’attachement, progressivement contrarié, que l’héroïne a envers les deux orphelins (de mère) de la famille de dissidents, où elle a été embauchée, est le ressort essentiel de l’intrigue. S’y ajoute les amours de son frère qui, sous l’emprise de l’alcool, perd un bras dans une machine. La dévergondée qu’il espérait épouser ira vers le père des deux orphelins…

Nêne est le deuxième roman d’Ernest Pérochon, comme « Le Chemin de plaine », il est terminé au printemps 1914. La Grande Guerre empêche la parution de ces deux titres qui ne sortent qu’en 1920. Le roman est édité localement, puis il reçoit le prix Goncourt 1920 ; ceci grâce en partie au gros travail de promotion de l’écrivain niortais et berrichon Gaston Chérau auprès des membres du jury.


Ernest Pérochon naît à Courlay, dans les Deux-Sèvres, à la ferme du Tyran. C’est le Bocage bressuirais, un pays de petites parcelles de terre médiocre, entourées de haies vives (les palisses) et reliées par des chemins creux. Les parents de Pérochon, petits propriétaires, y exploitent une borderie.

Il fréquente dans son enfance l’école publique de La Tour-Nivelle, actuellement musée-école.

Il est protestant, ou plus exactement de culture protestante, car ses deux parents sont protestants. Les Pérochon sont originaires de Saint-Jouin-de Milly près de Moncoutant, secteur très protestant. Courlay est dans une région particulière puisqu’on y côtoie aussi des catholiques, dont la religion est fortement marquée par les souvenirs de la Guerre de Vendée, et des dissidents, dits de la « Petite Église », mouvement religieux qui a refusé le concordat de 1801 signé entre Napoléon et le pape Pie VII.

Ernest Pérochon ne semble pas avoir été lui-même très religieux, en accord pour cela avec sa formation d’instituteur public. Il parle d’ailleurs parfois de sa « soutane rouge ».

Il restera cependant très attaché à sa région d’origine et aux valeurs familiales.

Visite de la ferme du Bec Hellouin en Normandie

Brut vous emmène faire la visite de la ferme avant-gardiste du Bec-Hellouin en Normandie.

Brut nature FR vous emmène faire la visite de la ferme avant-gardiste du Bec-Hellouin en Normandie.

31/07/2019 08:57mise à jour : 03/04/2020 16:31

C’est l’une des références de l’agriculture durable en France. Brut nature FR vous emmène faire la visite de la ferme avant-gardiste du Bec-Hellouin en Normandie.

La ferme du Bec-Hellouin est une petite ferme normande qui pratique la permaculture et l’écoculture. Elle est composée d’une « mini forêt-jardin ». Une forêt-jardin, c’est un système étagé, comme une forêt naturelle, sauf que quasiment tous les végétaux sont comestibles. On y trouve une canopée, formée de petits arbres fruitiers et taillés pour qu’ils conservent leur petite taille. Il y a aussi une strate intermédiaire de buissons avec par exemple des framboisiers, groseilliers et cassissiers. Et enfin, au sol, se trouvent des plantes aromatiques.

« C’est un système très efficace d’un point de vue énergétique, parce que la lumière est captée un peu à tous les niveaux » explique Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin. « Au Bec-Hellouin, on cherche à redevenir des chasseurs-cueilleurs-paysans. C’est-à-dire, on ne laboure pas le sol, on le travaille de moins en moins et comme on a planté des milliers d’arbres et de plantes pérennes, on devient de plus en plus des cueilleurs » ajoute Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin.

La ferme du Bec-Hellouin est conçue sur le modèle d’un système bio-inspiré : « C’est un système qui prend la nature pour modèle » explique Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin. Et pour Charles Hervé-Gruyer, c’était un bon pari : « Les résultats des trois premières années ont été au-delà de nos espérances en terme de productivité. La forêt-jardin pose beaucoup moins de contraintes que le maraîchage, où il faut vraiment y être 7J/7 en saison. Elle vit sa vie largement, mais elle nous donne une abondance de bonnes choses » assure Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin.

La ferme du Bec-Hellouin cultive également des cultures légumières. Dès les premières années, Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin, découvre que « contre toute attente, travailler entièrement à la main nous permettait de gagner beaucoup en productivité ». Charles Hervé-Gruyer, assure produire autant, en terme de productivité horaire, que ses confrères qui utilisent des tracteurs.

Une étude, menée dans la ferme du Bec-Hellouin par l’INRA et AgroParisTech, a montré qu’ « en travaillant complètement à la main, avec des outils très simples, on produisait 55 euros de légumes par m2 cultivé » assure Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin. Comme les cultures prennent moins de place, Charles Hervé-Gruyer a pu planter de nombreux arbres tout autour de la ferme du Bec-Hellouin : « On a planté des milliers et des milliers d’arbres. Et pour nous, ce sont les arbres qui vont sauver la planète, du coup on est plus des arboriculteurs que des maraîchers » assure Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin.

Dans les serres, des mini-jardins créoles ont été plantés, avec des figuiers, des agrumes, et des plantes aromatiques, des fleurs qui attirent les pollinisateurs ainsi que des mares qui permettent de créer un microclimat et d’assurer la présence de pollinisateurs. « On pratique également beaucoup d’associations de cultures » ajoute Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin. Les différents végétaux se protègent mutuellement et s’entraident.

Divers animaux vivent également à la ferme du Bec-Hellouin. Le poulailler est « une sorte de centrale de compostage des déchets organiques de la serre in situ » raconte Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin. Lorsqu’ils taillent ou désherbent, ils donnent ces déchets végétaux aux poules qui en font « un super compost ». On trouve aussi une jument de trait, pour remplacer le travail moderne des moissonneuses-batteuses.

« On s’aperçoit que plus on complexifie, plus on se facilite la vie. Et ça, c’est une des grandes leçons que la nature nous donne : la nature va toujours vers des systèmes plus complexes et l’agriculture moderne, elle fait exactement l’inverse. (…) Nous, on cherche à associer étroitement les arbres, les animaux, les plantes cultivées et cette complexité permet aux services écosystémiques de s’exprimer et on intervient de moins en moins » décrit Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin. Plus besoin donc de fertiliser les sols par exemple. La ferme du Bec-Hellouin s’efforce aussi d’utiliser le moins de matériel fonctionnant au pétrole possible.

À la ferme du Bec-Hellouin, il y a également 25 mares dont un étang. « C’est pour nous un peu un lieu de ressourcement et pour notre équipe aussi et nos stagiaires. Parce que je dirais qu’une ferme comme ça, c’est beaucoup plus qu’un outil de production » explique Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin. Pour Charles Hervé-Gruyer, la ferme du Bec-Hellouin est avant tout un lieu de reconnexion à la nature, une véritable oasis de biodiversité.

« Tous les jours, on est émerveillés par ce spectacle de la vie qui se déploie et on a l’impression du coup que notre petite vie trouve un sens, c’est-à-dire qu’on peut contribuer à faire du bien à la planète. Ce type de ferme produit de la nourriture, elle produit du lien social, elle produit de la joie, elle produit des connaissances et elle produit aussi du sens quelque part » conclut Charles Hervé-Gruyer, cofondateur de la ferme du Bec-Hellouin. Il aimerait que leur ferme donne « à des milliers de gens l’envie de créer leur propre lieu (…) partout, il y aura des fermes, des jardins, des forêts-jardins et par petits points, par petites touches, on va peut-être arriver à guérir la Terre. C’est mon rêve » lance Charles Hervé-Gruyer.

La ferme du Bec Hellouin, un modèle au niveau mondial

Bruno Latour : “L’écologie, c’est LA question existentielle de notre temps”

TELERAMA Weronika Zarachowicz Publié le 23/01/22

Bruno Latour, philosophe : “Tant que les écologistes continueront à chérir leur marginalité, ils seront incapables de définir la politique à leur manière.”
ROBERT jean-francois / jean-francois robert

Bruno Latour, philosophe : “Tant que les écologistes continueront à chérir leur marginalité, ils seront incapables de définir la politique à leur manière.”

L’écologie, nouvelle lutte des classes ? Pour le philosophe, il est temps de sortir de la logique productiviste. Et temps pour les écologistes d’oser, enfin, prendre le pouvoir.

Quel est le point commun entre le méga succès de Netflix Don’t Look Up : Déni cosmique, fable décapante sur une société inconsciente du désastre climatique qui la menace… et le dernier essai de Bruno Latour, sociologue, anthropologue et philosophe des sciences, souvent présenté comme l’un des penseurs les plus lus et les plus cités à travers le monde ? « On fait le même boulot, on tente de mobiliser contre la catastrophe. Même si je ne prétends pas être aussi efficace que Leonardo DiCaprio pour travailler les esprits et les affects… » Son Mémo sur la nouvelle classe écologique, coécrit avec le doctorant en sociologie Nikolaj Schultz, annonce en tout cas la couleur : l’écologie, c’est la nouvelle lutte des classes ; et pour gagner la bataille, il est urgent de « faire émerger une classe écologique consciente et fière d’elle-même », comme l’énonce le sous-titre. Un texte incisif, percutant, en soixante-seize points « à discuter et annoter » et qui arrive à point pour la campagne présidentielle.

Cela fait un peu peur, écrivez-vous, de réutiliser le terme de « classe ». Pourquoi l’avoir choisi ? 
Même si la notion de classe a été utilisée par d’autres que Marx, par exemple le sociologue Norbert Elias, elle reste très connotée et charrie beaucoup de confusions. C’est faire allusion à une tradition associée au marxisme et à tout un ensemble de luttes et de violences du xxe siècle. Vous êtes avec qui, et contre qui ? Voilà la question politique fondamentale qu’a proposée la lutte des classes, pour décrire comment les gens se répartissent entre leurs alliés et leurs adversaires. Utiliser ce terme permet d’établir une continuité avec des imaginaires politiques. Mais nous sommes dans une autre configuration historique, et la lutte des classes, qui a tout organisé autour de la production et de la répartition de ses fruits, a oublié les limites des conditions matérielles de la planète. Il faut donc faire « dériver » ce mot, comme pas mal d’autres…

“Ce changement d’horizon est un renversement violent, et non une « transition ». Il est articulé autour d’un point central : le maintien des conditions d’« habitabilité » de la planète.”

Par exemple ? 
Écologie ! Ce n’est pas un enjeu ou un domaine parmi d’autres, tels l’économie ou le social. C’est LA question existentielle de notre temps, qui porte sur l’ensemble de ce qui fait le collectif humain, des éléments économiques, spirituels, artistiques, affectifs qui constituent la vie. Et ce changement d’horizon est un renversement violent, et non une « transition ». Il est articulé autour d’un point central : le maintien des conditions d’« habitabilité » de la planète. Autrement dit, peut-on encore vivre dans un monde habitable, alors que nous modifions la composition de l’atmosphère et que nous comprenons enfin que nous vivons entremêlés à toutes sortes d’autres vivants ? Qu’est-ce que cela change pour notre conception du progrès ? De la modernité ? Et comment maintenir un idéal de liberté quand on doit apprendre à dépendre ? On voit avec le Covid que c’est compliqué de dépendre des virus des uns et des autres — ce qu’on savait pourtant depuis un moment. Mais dépendre de l’oxygène, du sable, du lithium, des abeilles, etc. : comment faire ? La liberté, l’émancipation, valeurs mobilisatrices par excellence, sont remises en cause, et ce serait bien si on avait un autre terme qu’écologie pour parler de cela. Malheureusement, il n’y en a pas. Il faut faire avec les mots qu’on a.

Et avec une écologie politique qui peine à convaincre…
Nous n’avons toujours pas le niveau de discussion nécessaire pour une vie politique orientée par l’écologie ou ce que j’appelle « la condition terrestre » : quel genre de société voulons-nous, sur quel genre de Terre ? Bien sûr, d’innombrables activistes, scientifiques, chercheurs, artistes, paysans, jardiniers empoignent ces questions. Mais ce n’est pas rassemblé dans un grand ensemble cohérent. Depuis ses débuts, le socialisme a travaillé toutes les questions que nous listons dans le Mémo, pour transformer les esprits, les affects, les paysages, les arts… Ce travail, tant idéologique que juridique ou culturel, n’est pas fait par les partis écologistes, qui vivent sur un répertoire très important de pratiques, sans pour autant définir leur système de valeurs, leur vision du monde. Or dans la lutte politique, c’est très embêtant de ne pas avoir la maîtrise de l’idéologie.

Bruno Latour : “Le film ‘Don’t Look up' me fait penser au ‘Docteur Folamour', de Kubrick. Mais quand je l’ai vu en 1964, on riait, même si on riait jaune.”
Jean-Francois Robert/Modds

Bruno Latour : “Le film ‘Don’t Look up’ me fait penser au ‘Docteur Folamour’, de Kubrick. Mais quand je l’ai vu en 1964, on riait, même si on riait jaune.”

Il faut du temps pour cela, et les partis écolos sont très récents…
C’est tout le tragique de la situation actuelle : nous manquons cruellement de temps, tout en ayant besoin comme jamais de ce travail de réflexion. Son absence explique, en partie, l’indifférence inquiète et embarrassée dans laquelle beaucoup de gens sont coincés. L’immense majorité a beau avoir compris que le monde a changé — la prise de conscience depuis cinq ans est fulgurante —, elle ne sait pas comment traduire son angoisse et sa culpabilité en mobilisation.

”La politique arrive toujours après.”

Parce que ce n’est toujours pas une question politique ?
La politique arrive toujours après ; c’est la mise en forme d’une longue série de transformations — affectives, esthétiques, juridiques, existentielles… —, d’une lutte acharnée des idées. Pour inventer le libéralisme, pour construire cette fiction de l’individu calculateur et autonome, pour embarquer les classes anciennes dans le développement de la production et faire miroiter ces promesses de liberté, de développement infini, il a fallu trois siècles de travail des penseurs, des idéologues, des artistes ! Il suffit de voir la
façon dont la littérature ou la peinture ont accompagné l’invention du libéralisme, ou le monopole que la gauche exerce dans la culture, pour comprendre combien l’écologie manque de ressources. C’est comme si, puisqu’ils s’occupent de la nature, les écolos pouvaient délaisser la culture… Pourtant il va bien falloir travailler les affects sur toutes ces idées de prospérité, de dépendance, d’habitabilité, et c’est une sacrée bataille culturelle !

Vous dites aussi que la nouvelle classe écologique n’est pas assez fière d’elle-même ?
« Fierté », c’est un terme qu’introduit Norbert Elias pour expliquer comment la bourgeoisie s’est mise à la place de l’aristocratie. Ne pas se sentir dépendante des positions politiques qui ont été établies par les autres, cela fait partie du dispositif. Je passe pas mal de temps à regarder les films des meetings de Georges Marchais, François Mitterrand ou François Hollande : il y a une unité, évidemment de projet, mais il y a aussi un très fort sentiment de fierté, celui d’être dans « le sens de l’Histoire », comme on disait. Les partis écolos sont récents, mais il est temps qu’ils deviennent adultes et clament fièrement : voilà le nouveau sens de l’Histoire !

“Définir ses ennemis, c’est essentiel.”

Pourquoi l’écologie politique ne s’assume-t-elle pas ?
Cela s’explique en grande partie par le fait que l’écologie est née dans les marges, depuis la fin de la guerre, avec des penseurs et des précurseurs qui ont décidé de « sortir du système », comme on dit… Aujourd’hui, ces marginaux sont devenus centraux parce qu’ils ont pointé du doigt LA question pour la survie de tous. Ce changement est très compliqué pour des gens qui se voient toujours comme marginaux et qui, brusquement, s’aperçoivent qu’ils peuvent devenir la majorité et doivent répondre à de nouvelles questions : que fait-on de la conquête du pouvoir ? Qu’est-ce qu’un État de l’écologisation, tout comme il y a eu un État de la reconstruction, un État de la modernisation, un État (très secoué) de la globalisation ? Et qu’est-ce qu’une Europe écologique ? Tant que les écologistes continueront à chérir leur marginalité, ils seront incapables de définir la politique à leur manière et de repérer l’ensemble des alliés mais aussi des adversaires. Car définir ses ennemis, c’est essentiel.

Justement, on vous reproche de « pleurnicher le vivant », pour reprendre les termes de l’économiste Frédéric Lordon, et de ne pas désigner les responsables…
La prolifération de réflexions sur la nature est souvent dépolitisée, je suis d’accord. Mais on connaît parfaitement les deux cents méchants charbonniers-pétroliers ! La clarification est publique : de plus en plus d’institutions refusent de financer les énergies fossiles ; la responsabilité des plus riches dans le changement climatique est amplement documentée (lire le Rapport sur les inégalités mondiales 2022, codirigé par Lucas Chancel, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, Gabriel Zucman) ; on a plein de propositions efficaces d’impôts sur l’usage du CO2, sur la fortune des multimilliardaires. Le défi n’est plus de désigner mais de rassembler des gens décidés à en tirer les conséquences concrètes. Or le pétrole, c’est aussi nos voitures, nos pulls en polyester, nos steaks saignants… Nous sommes victimes et complices, à différentes échelles. Si un parti écologique était élu à la présidentielle, quelles populations suivraient des mesures, forcément difficiles, à même d’attaquer sérieusement ces charbonniers-pétroliers ? Il faut des gens derrière.

”Quittons les batailles et la sociologie du xxsiècle !”

Pour la première fois, vous dites clairement que l’écologie est de gauche. Est-elle anticapitaliste ? 
Je veux bien parler d’« anticapitalisme », mais cela ne clarifie pas beaucoup les choses, d’autant que Marx n’utilise jamais le terme de capitalisme — il parle de « capitalistes ». Et surtout, nous ne sommes plus dans la même histoire. Quittons les batailles et la sociologie du xxsiècle ! Aujourd’hui, il s’agit de comprendre que la production seule ne définit plus notre horizon, et que notre obsession pour la production destructrice… nous détruit. Ce que l’on ne capture pas avec la notion de « capitalisme », c’est que la bataille porte sur l’économie : non pas la discipline économique, qui sert à faire des comptes, mais celle avec un grand E, cette idéologie qui conçoit les relations humaines uniquement en termes de ressources et nous vend la croissance comme seul moyen de prospérer. Voilà pourquoi cette bataille s’inscrit dans l’histoire de la gauche émancipatrice, au sens de Karl Polanyi : le véritable défi, c’est la résistance à l’économisation, par tous les moyens. Le monde n’est pas fait de relations économiques !

“La gauche a tout perdu, il faut se réarmer autrement.”

Mais comment se « déséconomiser » ?
Refaire une société est ce qu’il y a de plus compliqué, surtout quand elle a été défaite par ces forces puissantes qu’on appelle « néolibérales ». La gauche a tout perdu, il faut se réarmer autrement et poser en termes de valeurs des questions qui sont posées en termes d’économie. On le voit avec la crise de l’hôpital, de l’enseignement : ces sujets ne sont pas valorisés parce que la question de la valeur n’est pas considérée comme prioritaire. Pourquoi ne paierait-on pas mieux les professeurs, les infirmières ? Pourquoi l’hôpital est vu comme une dépense et pas un bien commun ? Qu’est-ce qui est important ? C’est quoi, la prospérité ? Le merveilleux livre de David Graeber et David Wengrow Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité montre que des tas de sociétés se sont organisées en dehors de toute économisation. L’intérêt de cet effroyable Covid, c’est qu’il nous fait considérer les choses différemment et nous questionner : qu’est-ce qu’une vie bonne ? Le phénomène de « la grande démission » — ces millions d’ouvriers et d’employés qui quittent leur travail et n’en cherchent plus, depuis le début de la pandémie, aux États-Unis et ailleurs — est quand même drôlement intéressant. Bref, l’histoire n’est pas finie. En plus, tout le monde a vu Don’t Look Up sur Netflix, et a pris un coup sur la tête…

“Don’t Look Up” sur Netflix, quand le cinéma alerte sur l’état de la planète

C’est votre cas ? 
J’ai d’abord trouvé le film caricatural, et la métaphore de la comète qui s’écrase contre la Terre, mal choisie : pour parler du réchauffement, pourquoi faut-il parler d’autre chose que du réchauffement ? Le changement climatique n’est pas un ennemi extérieur, c’est quelque chose de très intime, qui est inséré partout et qui est déjà en marche ! Mais après une longue discussion avec mon fils, je l’ai revu et j’ai changé d’avis. Le film m’a fait penser au Docteur Folamour, de Stanley Kubrick, où il est aussi question d’une catastrophe annoncée — un holocauste nucléaire. Mais quand je l’ai vu en 1964, on riait, même si on riait jaune. Rien à voir avec Don’t Look Up. Comme l’a parfaitement résumé une serveuse de restaurant avec laquelle j’ai discuté du film : « Si ça se trouve, c’est ce qui va se passer bientôt. » Et personne ne trouve ça drôle. Adam McKay a capté le sérieux de la situation, qui fait que le film est profondément perturbant et, en ce sens, très efficace. Beaucoup de climatologues, d’ailleurs, se sentent soulagés, et disent : c’est moi, c’est nous, c’est ce qui nous arrive.

“Elon Musk, Jeff Bezos, Richard Branson nous envoient ce simple message : la planète va mal, on se tire, démerdez-vous !”

Un anéantissement général de l’espèce humaine ? 
Sauf que le meilleur personnage du film, l’hypercapitaliste complètement dans l’esprit du temps, affreux mélange d’infantilisme, d’imaginaire technique et d’arrogance totale, s’en sort. Il organise sa fuite. Comme, aujourd’hui, Elon Musk, Jeff Bezos et les autres clowns richissimes et narcissiques qui s’offrent des virées dans l’espace. On est loin de John Glenn et Youri Gagarine : pour nous, les garçons blancs des années 1960 — je ne sais pas s’ils ont fait le même effet aux filles —, ils étaient des pionniers de l’évolution humaine. Glenn et Gagarine avaient des sourires de fierté, pleins de la confiance d’avoir derrière eux une civilisation. Les sourires, ou plutôt les rictus de tous ces cinglés d’Elon Musk, de Jeff Bezos ou de Richard Branson, nous envoient un tout autre message : la planète va mal, on se tire, démerdez-vous !

Alors, tout est foutu ?
Ce n’est pas mon boulot d’être catastrophiste. Notre livre est honnête, puisque nous disons : voilà soixante-seize grosses difficultés, n’espérez pas y échapper. Mais ça ne veut pas dire que la situation ne peut pas changer. C’est même le contraire, si ces questions sont enfin prises au sérieux, comme ont été pris au sérieux, pendant les périodes libérale et socialiste, des tas de problèmes métaphysiques, économiques, culturels. Bien sûr, le temps presse. Mais en attendant, les mouvements d’extrême droite avancent, ceux qu’on appelle poliment les « illibéraux » et qui sont en fait néofascistes 1 : ils trouvent les termes qui suscitent des affects d’adhésion, qui mobilisent autour de visions archaïques et irréalistes du territoire, de peuples fermés sur eux-mêmes… Dire que nous n’avons plus le temps de réfléchir, c’est leur laisser toute la place.

1 Appellant à une régénération sociétale et culturelle par l’invocation d’un âge d’or, la restauration de valeurs et de hiérarchies archaïques, le retour au droit naturel, le nationalisme, un autoritarisme revendiqué aux dépens de l’Etat de droit, etc.

BRUNO LATOUR EN QUELQUES DATES
1947 
Naissance à Beaune.
1972 Agrégation de philosophie.
1991 Parution de Nous n’avons jamais été modernes.
2006-2017 Professeur à Sciences po, à la tête du Médialab et du programme d’expérimentation en arts et politique (Speap).
2013 Prix Holberg pour ses travaux sur la modernité.
2015 Parution de Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique.

À lire 
Mémo sur la nouvelle classe écologique, de Bruno Latour et Nikolaj Schultz, éd. Les Empêcheurs de tourner en rond, 96 p., 14 €.

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