Michel-Victor Chabosseau, l’insurgé

Une naissance sous le signe impérieux d’assurer la succession

Le 19 avril 1780, tout juste dix mois après le mariage de ses parents, naît Michel-Victor Chabosseau à la ferme de la Girouardière, sur la commune de Coron.
Ses parents fondent beaucoup d’espoirs sur ce fils ainé…
Etienne, le grand-père de Michel-Victor a été une grande partie de sa vie, journalier, domestique allant de borderies en métairies pour se placer. Ce n’est que par un concours de circonstances qu’il a pu épouser sa patronne Jeanne Froger et devenir ainsi métayer.
Michel, le père de Michel-Victor vient toute juste de prendre la suite de son père à la tête de la ferme à la naissance de son fils.
Il a une conscience aigüe de la possibilité de perdre cette position sociale. Il veut enraciner, sécuriser sa famille et établir une continuité dans la transmission de la ferme. Ils ont eu tant de mal lui et son père, à ne pas être considérés comme des usurpateurs, des profiteurs, des coucous.
Par chance, le premier enfant que lui a donné sa femme Jeanne est un fils. La succession va pouvoir être assurée. Michel-Victor sera le premier des Chabosseau, à être reconnu comme un laboureur de souche, comme un natif, comme un patron.
Pour forger le caractère de son fils et de ses autres enfants, Michel est sévère avec eux et les fait trimer dur. Dès qu’ils sont en âge, ils conduisent les bêtes aux champs, ils ramassent les choux et les raves même les matins ou le froid donne l’onglet. Celui qui ne fait pas sa part de labeur est sévèrement puni. Pas de pain si le travail n’est pas fait. Une nuit dans la soupente si la punition doit être plus dure.
Cette vie de dur labeur et de réprimandes paternelles promise à Michel-Victor va bientôt prendre un tournant tout autre.

Dès l’âge de 13 ans, Michel-Victor ne va pas suivre le chemin qui lui était tracé

A 13 ans, Michel-Victor s’engage dans l’armée catholique et royale dès la première bataille de Coron, le 16 mars 1793. Fuit il son père trop rude, rêve-t-il d’aventures, est-il entrainé par d’autres ? Nous ne connaissons pas ses motivations.
Michel-Victor va suivre l’armée blanche dans tous ses combats. Quand il ne participe pas aux rassemblements, il revient à la métairie pour participer aux travaux de la ferme.
La participation de Michel-Victor à tous les soulèvements vendéens nous est connu par la demande de pension qu’il fait rédiger le 31 mai 1825, 2 jours seulement après le sacre de Charles X à Reims.

Commune de La Plaine
Armée d’Anjou et Haut Poitou
Etat de service – Chabosseau (Michel Victor) – 
A fait la guerre en 1793 et 1794 sous les ordres de feu Monsieur Henry De la Rochejacquelein Général de l’armée Royale vendéenne
En 1795 et 1796 sous les ordres de feu Monsieur Stofflet général de la susdite armée
Et en 1799 sous les ordres de Monsieur le Comte d’Autichamps et de feu Monsieur le Chevalier de Vezin
En 1815 il reprit les armes sous les ordres de Messieur De la Rochejacquelein
Nous François Cailleau chef de bataillon, Armand Debillot ancien Adjudant major de la 2ème division du 4ème corps d’armée de l’ouest et Jacques Chatet, ancien capitaine certifions que Michel Victor Chabosseau a servi sous nos ordres en qualité de soldat en 1793 jusqu’en 1796 et en 1799.
En 1815 a repris les armes au retour de l’usurpateur.
Et Michel a point quitter qu’au retour de sa Majesté Louis dix-huit. 
Je soussigné François Proust maire de la Commune de La Plaine, Canton de Vihiers, Arrondissement de Saumur, Département de Maine et Loire, certifie que Michel Victor Chabosseau cultivateur ne jouit d’aucune pension ni secours sur les fonds de l’Etat ; que ses moyens d’existance consiste de cultiver la terre pour pourvoir aux besoins de sa vie
A la mairie de La Plaine le 31 mai 1825
Proust (1)

Il quitte la ferme familiale à 20 ans, veut se marier mais ses parents s’y opposent

A tout juste 20 ans, Michel-Victor quitte la ferme familiale. Il trouve à s’embaucher comme meunier chez les parents d’un de ses compagnons d’armes sur la commune de La Plaine.
Deux ans, plus tard, il fait la connaissance de Marie Chéné, une fille de La Plaine. Ils se fréquentent et pensent bientôt à se marier… Mais quand il informe ses parents (Michel Chabosseau et Jeanne Brunet) de ce projet, ceux-ci s’opposent à ce mariage.
Michel Victor alors âgé de 25 ans, n’a plus à demander le consentement de ses parents, au regard du Code Civil Napoléonien de 1804, qui pose de nouvelles règles en matière de mariage :

  1. Conformément à l’ancienne tradition coutumière, il établit une majorité spéciale, la « majorité matrimoniale », distincte de la « majorité ordinaire » : les garçons ont besoin du consentement de leurs parents jusqu’à 25 ans et, tant qu’ils n’ont pas atteint cet âge, ils sont réputés « mineurs » quant au mariage ; pour les filles, au contraire, la « majorité matrimoniale » coïncide avec la « majorité civile », soit 21 ans. Il faut attendre la loi du 21 juin 1907 pour faire cesser cette disparité.
  2. Si les futurs époux ayant la « majorité matrimoniale » peuvent se marier sans autorisation parentale, ils n’en sont pas moins tenus par la loi de demander le « conseil » de leurs parents ou de leurs grands-parents, ou, à défaut, de leur notifier leur projet de mariage par des actes respectueux.

Sommation respectueuse puis mariage

Michel-Victor ne souhaite pas déroger à la coutume et il entend obtenir conseil de ses parents, à défaut d’obtenir leurs consentements. Mais, ses parents, principalement son père, restent sur leur position et font savoir leur opposition à ce mariage à chaque fois que leur fils vient les voir et leur demander de consentir à ce mariage.
Le 27 Floréal an XIII (17 mai 1805) il demande au notaire de Coron, Maître Patou d’adresser une sommation respectueuse à ses parents pour obtenir leurs consentements à son mariage avec Marie Chéné :

Sommation respectueuse par Michel Victor CHABOSSEAU à Michel CHABOSSEAU et Jeanne BRUNET, ses père et mère
Le 27 Floréal an XIII
Napoléon 1er par la grâce de Dieu et la constitution de l’Etat Empereur des Français et roi d’Italie à tous présentant avenir salut et avenir faisons que
Devant nous Pierre Patou notaire public résident à Coron arrondissement de Saumur Département de Maine et Loire soussigné et en présence des témoins ci-après nommés
A comparu Michel Victor Chabosseau garçon majeur âgé de 25 ans accomplis du 29 germinal dernier an XIII demeurant présentement au moulin de la Thibaudière commune de La Plaine
Issu du légitime mariage de Michel Chabosseau avec Jeanne Brunet, ses père et mère demeurant à la Petite Chèvrie commune de Coron
Lequel nous a dit que désirant depuis très longtemps se marier légalement avec Marie Chéné fille majeure demeurant avec sa mère aux Bousselières commune de La Plaine, fille probe, laborieuse, ayant de bonnes mœurs et tenant une conduite rangée et régulière qui lui a fait mériter l’estime des honnêtes gens

Et avoir plusieurs fois sollicité avec un profond respect lesdits Michel Chabosseau et Jeanne Brunet, ses père et mère de vouloir bien consentir à se qu’il épousa la dite Marie Chéné sans pouvoir obtenir leur consentement
Pourquoi désirant faire constater sa soumission et son respect envers ses dits père et mère
Acte conforme à l’article 252 arrêté le 21 ventôse de l’an XII additionnel à la loi du 26 ventôse de l’an XI il nous requiert de vouloir bien nous transporter à la métairie de la Petite Chèvrie commune de Coron au domicile de ses susdits père et mère pour leur notifier qu’il désirait instamment obtenir leur consentement pour le mariage qu’il voulait contracter avec la dite Marie Chéné et pour leur dire qu’il les suppliait très respectueusement par notre organe et notre ministère de vouloir bien donner leur adhésion
en conséquence de cette réquisition nous notaire susdit et soussigné accompagné des citoyens Nicolas David et Joseph Dominique Marie Vallée demeurant tous les deux commune de Coron
ou étant arrivés et ayant trouvés les dits Michel Chabosseau et Jeanne Brunet, sa femme nous leur avons dit que leur fils Michel Victor Chabosseau nous mande ce jourd’hui auprès d’eux par notre organe et ministère sa supplication respectueuse qu’il leur avait fait verbalement  plusieurs fois avant  ce jour et qu’il les priait et suppliait d’abandonner, par la présente de vouloir bien consentir à son mariage avec la dite Marie Chéné  en qui il a mis depuis très longtemps son amitié et qui est un parti qui lui convient
lesquels nous ont dit savoir
la dite Jeanne Brunet, sa mère que puisque Michel-Victor Chabosseau son fils paraissait absolument décidé à se marier avec la dite Marie Chéné, elle ne voulait pas plus longtemps le contrarier en refusant son consentement  pourquoi elle déclarait par la présente consentir à ce mariage
et le dit Michel Chabosseau père qui jusqu’à ce moment avait refusé son consentement à ce mariage dans l’espérance que son fils pourrait changer de sentiment et de décision  mais que voyant qu’il persévérait toujours et qu’étant majeur de 25 ans il employait envers lui le moyen que lui fournit et procure la loi pour parvenir à terminer le mariage
il déclarait par la présente consentir à ce que son fils Michel-Victor Chabosseau se maria avec la dite Marie Chéné aussitôt qu’il le voudra et qu’il le dispensait de lui faire d’autre sommation respectueuse afin d’éviter les frais
De tout ce que nous avons dit le présent acte pour valoir au dit Michel-Victor Chabosseau fils ce que de droit et de raison
Fait et passé à la métairie de la Petite Chèvrie commune de Coron le 27 Floréal An XIII en présence
des citoyens Nicolas David et Joseph Dominique Marie Vallée témoins et lecture faite les parties ont déclarer ne savoir signer
Mandons et ordonnons à tout huissier de justice de mettre la présente à exécution
A tout officier civil de la force de prêter forte quand ils se seront légalement requis
Et à tout procureurs impériaux près des tribunaux
La minute des présentes est signée David, Vallée et nous Patou notaire soussigné
Enregistré à Vihiers le 1er prairial de l’An XIII
Reçu 1 franc dix centimes
Signé Baranger pour le receveur général » (2)

Par cet acte, Michel-Victor a, enfin, obtenu les consentements de ses deux parents et le 28 mai 1805 (8 Prairial An XIII) il se marie avec Marie Chéné à La Plaine, Département de Maine et Loire :

Du 8ème jour du mois de Prairial An XIII de la république française sur les 6h du matin
Acte de mariage de Michel Victor Chabosseau meunier âgé de 25 ans né commune de Coron, Département de Maine et Loire ,demeurant en cette commune, fils de Michel Chabosseau cultivateur demeurant commune de Coron, Département de Maine et Loire et de Jeanne Brunet tout les deux consentant d’après la sommation respectueuse à eux notifier par le citoyen PATOU, notaire à Coron le 27 Floréal dernier en présence des citoyens Nicolas David et Joseph Dominique Marie Vallée enregistrée en ce lieu le 1er de ce mois
Et Marie Chéné âgée de 22 ans née et domiciliée en cette commune, Département de Maine et Loire, fille du défunt Germain Chéné, menuisier de son vivant demeurant en cette commune, Département de Maine et Loire et de Marie Egremond ici présente, ses père et mère
Ses actes préliminaires sont extraits des registres des publications de mariage faites à la mairie le 15 et le 22 Floréal dSes actes préliminaires sont extraits des registres des publications de mariage faites à la mairie le 15 et le 22 Floréal dernier entre
Michel Victor Chabosseau, meunier âgé de 25 ans, né commune de Coron, Département de Maine et Loire demeurant en cette commune, fils de Michel Chabosseau cultivateur demeurant commune de Coron, Département de Maine et Loire et de Jeanne Brunet, ses père et mère
Et Marie Chéné âgée de 22 ans née et domiciliée en cette commune Département de Maine et Loire fille du défunt Germain Chéné menuisier de son vivant demeurant en cette commune Département de Maine et Loire et de Marie Egremond ici présente, ses père et mère
Et affichés au terme de la loi le 15 et le 22 Floréal dernier
De tout informé, de tout les quatre actes, il a été donné lecture par moi officier public au terme de la loi les dits époux présent ont déclaré prendre en mariage
L’un Marie Chéné, L’autre Michel Victor Chabosseau
En présence de
Pierre Froger tisserand âgé de 69 ans demeurant en cette commune, Département de Maine et Loire, frère de l’épouse à cause de Catherine Chéné
Pierre Paquier, tisserand âgé de 35 ans, demeurant en cette commune, Département de Maine et Loire, ami de l’époux
Mathurin Brunet, bordier âgé de 45 ans, demeurant en cette commune, Département de Maine et Loire, ami des époux
Jean Brémond, bordier âgé de 26 ans, demeurant en cette commune, Département de Maine et Loire, ami des époux
C’est pourquoi, moi, Fradin, maire de cette commune, faisant ses fonctions d’officier public de l’état civil, ai prononcé qu’au nom de la loi les dits époux sont unis par le mariage et ont les dits époux et témoins déclarés ne savoir signé sauf le citoyen Paquier
Lecture donné aux parties comparantes – Signatures : Fradin et Paquier (2)

Quelle était la cause du désaccord entre Michel Victor et ses parents ?
L’engagement de Michel-Victor dans l’armée vendéenne ?
Le déshonneur que représente le fait que le fils aîné n’ai pas repris les rênes de la métairie aux côtés de ses parents ?
L’ingratitude ressentie par les parents d’avoir été délaissé par leur fils ?
L’indépendance d’esprit de Michel-Victor ?
La personnalité de Marie Chéné ?
La mésalliance que cette union représentait aux yeux des parents ?
Nous ne le saurons pas.

Michel-Victor et Marie s’installeront dans une borderie sur la commune de La Plaine où ils auront 8 enfants. Marie y décèdera le 20 janvier 1840, Michel Victor lui survivra trois ans et s’éteindra le 18 octobre 1843 à l’âge de 63 ans.

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(1) Archives Départementales du Maine et Loire, Dossiers Vendéens, 1M9/98, Demande de pension, 31 mai 1825
(2) Archives Départementales du Maine et Loire, La Plaine, Naissances, Mariages, Décès, 1792-1812, 6E240/6

Comment la ferme de La Girouardière devint le lieu de vie de la famille Chabosseau

La famille Frételière

Urbain Frételière et son épouse Perrine Rabin s’établissent à la Girouardière peu après leur mariage en novembre 1697. Ils sont les nouveaux occupants de cette métairie, d’une vingtaine d’hectares. Ils vont y élever quelques vaches et une dizaine de brebis et leur suite. Ils vont aussi y cultiver du seigle, du baillarge (de l’orge de printemps), des pois verts, des choux et des raves. Quelques pâtures sont aussi nécessaires pour nourrir le cheptel et les bœufs de labour. Le jardin et les quelques fruitiers vont apporter la base de l’autosubsistance de la famille. Les bonnes années, ils cultiveront une boisselée de lin que Perrine pourra filer.

Plan cadastral napoléonien1838
Capture d’écran Google Earth février 2022

De leur union vont naître cinq enfants, trois filles et deux garçons. Françoise, la fille ainée voit le jour en 1701, vont suivre Urbain, Louise, Perrine et Michel en 1707.

Urbain meurt le 10 janvier 1723 à l’âge de 44 ans. Ses enfants sont âgés de 22 ans pour l’ainée et de 16 ans pour le plus jeune. La famille va faire face pour maintenir la métairie en bon état de fonctionnement. C’est Michel le fils cadet, qui va finalement rester à la ferme pour succéder à ses parents. Sa mère Perrine, malade, presse son fils de se marier et associe le nouveau ménage à l’exploitation de la ferme dans le contrat qui va être établi lors du mariage. Michel se marie avec Jeanne Froger le 2 juillet 1743 et devient le chef de ménage et le nouveau métayer de la Girouardière. Perrine meurt en février 1744.

Michel et Jeanne vont donner naissance à trois filles, Jeanne née en 1745, Françoise en 1747 et Michelle en 1750. Michel qui est comme son père de constitution fragile, fait appel à des journaliers pour l’aider ou le suppléer dans les tâches les plus rudes de la ferme, en particulier pour les labours et l’ensemencement des boisselées de céréales et le ramassage des foins.

Etienne Chabosseau

Etienne Chabosseau est l’un de ces journaliers qui se place comme valet de ferme à la Toussaint. Il est le quatrième enfant de l’union de son père Mathurin et de sa mère Marie qui auront ensemble sept enfants. Juste après la mort de sa mère en juin 1741, en octobre 1741 son père se remarie avec Françoise, sa belle-mère, dont il va avoir deux autres enfants. Son père se remariera une troisième fois, à la mort de sa deuxième épouse.
Etienne, comme beaucoup d’enfant de familles nombreuses pauvres, est placé très jeune. Il sera placé puis se placera lui-même dans les borderies ou les métairies de Nuaillé, d’Yzernay ou de Coron.

Il se placera à plusieurs reprises chez les Frételière à la Girouardière. Il fallait trimer dur, la soupe était quelquefois mal beurrée mais il s’entendait bien avec ses patrons Michel et Jeanne. Comme son père, Michel Frételière meurt à 44 ans, le 21 mai 1751. Sa femme Jeanne reste seule avec ses trois filles. La situation de Jeanne est la même que celle qu’a connu sa belle-mère Perrine mais elle n’a pas de fils pour l’aider, pour reprendre la suite. Heureusement il y a Etienne, son valet de ferme, qui a l’habitude des travaux à effectuer et qui a déjà beaucoup seconder son mari, ces dernières années.

Coron Chapelle Notre Dame de Vertu
Notre Dame des Vertus

Le 5 juin 1753, Etienne Chabosseau, alors âgé de 28 ans, se marie avec sa patronne Jeanne Froger, veuve de Michel Frételière, de onze ans son ainée.

Le 15 mars 1754 Etienne vient faire baptiser leur fils Michel par le curé Frémit dans la chapelle Notre Dame des Vertus dans le bourg de Coron. Il est accompagné de Michel Goubault, son voisin de la Petite Chévrie ainsi que de sa belle sœur Marie Magdelaine Froger.
Etienne s’est installé maintenant dans la ferme à demeure et a repris le métayage de la Girouardière.
Trois ans, plus tard, Jeanne, bien qu’âgée de 43 ans donne naissance à leur fille Marie, qui décédera à l’âge de 19 ans en 1776.

Michel Chabosseau

En 1779, Michel Chabosseau a maintenant 25 ans. C’est lui, le seul fils de la famille, qui assure la plus grande partie du travail de la ferme, il panse les animaux, il laboure et ensemence les champs, il fauche les prés bas et rentre les foins.
Sa mère Jeanne s’en est allé en 1777 et son père Etienne décline de plus en plus.

Il fréquente Jeanne Brunet, une fille de Coron, qu’il rencontre à chaque assemblée, le dimanche.
Le frère de Jeanne Brunet, Martin s’est marié avec Françoise Frételière, sa demi-sœur, la deuxième fille que sa mère Jeanne a eu de son premier mariage.
Michel Chabosseau et Jeanne Brunet se marient le 21 juin 1779.
Le père Retailleau leur donne la bénédiction nuptiale en présence d’Etienne, le père de Michel, de Pierre Brunet et Renée Gourichon, les parents de Jeanne, de Martin Brunet, le frère de Jeanne, Michel et Jean Brunet, ses oncles, de Guy Denis, leur beau-frère et de Jacques Froger, l’oncle de Michel.

L’automne suivant, Etienne, le père de Michel décède, le 7 novembre 1779.
Michel et Jeanne sont maintenant les nouveaux métayers de la Girouardière. La métairie est devenue, à part entière, le lieu de vie de la famille Chabosseau.
De leur union vont naître dix enfants, les six premiers à la Girouardière, les quatre derniers à la Gourdinière ou ils s’installent en 1795.
Mais ceci est une autre histoire…

Les rêves de liberté de Victorine et de sa fille Arsène Marie

Victorine Louise Chabosseau

Victorine nait à Coron, berceau de la famille Chabosseau, le 25 février 1841. Elle a 26 ans quand elle rencontre Louis Bénétreau, qui va devenir son mari, elle est fileuse et lui tisserand. Le mariage a lieu le 19 juin 1867 alors que Victorine est enceinte de trois mois. Leur premier fils Louis Victor voit le jour le 1er décembre 1867.
Le couple ne s’entend pas mais trois autres enfants vont naître de cette union : Victor Jérémie en 1869, Marie Victorine en 1870, et Arsène Marie en 1874.
En 1881, un tailleur de pierres, Frédéric Auguste Brousseau, originaire de La Verrie en Vendée, vient à Coron effectuer des chantiers de tailles. Il a de la famille à Coron, mais elle ne peut pas l’héberger. Il trouve à se loger chez la famille Bénétreau, pendant la durée des travaux qu’il effectue.
Entre le tailleur de pierres et Victorine qui a alors 40 ans, une relation se noue. Victorine s’enfuit alors du domicile conjugal. Elle part quelques semaines puis revient et repart presqu’aussitôt après. Elle quitte son mari et ses enfants âgés alors de 14, 13,11et 7 ans.
Victorine et son tailleur de pierres trouvent à se loger dans un café-hôtel à Pontchâteau en Loire Atlantique où Frédéric a trouvé du travail. Cette situation précaire qui devait être provisoire se prolonge…En mars1883, naît un fils de cette union, Frédéric Emile Jean. Cet enfant porte le nom du mari de Victorine, Bénétreau, duquel elle n’est pas séparée.
En janvier 1884 ce fils meurt, il a 10 mois, alors que Victorine est de nouveau enceinte. Un deuxième fils voit le jour, Emile qui porte lui aussi le nom Bénétreau, le 23 mai1884, toujours dans le café-hôtel de Pontchâteau. Alors que la famille s’est installée dans le village de la Janvrais à Besné (Loire Atlantique), un troisième enfant naît en 1885, Nativa Célestine Victorine, qui porte elle aussi le nom de Bénétreau.

En 1894, Louis Bénétreau, 13 ans après le départ de Victorine, entame une procédure de divorce. Le jugement se déroule à Saumur le 15 décembre 1894. Louis Bénétreau est assisté par Me Baron, avoué. Il bénéficie de l’assistance judiciaire.
Victorine n’est, ni présente, ni représentée. Il n’y a pas eu de conciliation possible car le lieu de résidence de Victorine est inconnu.
Les motifs de la demande de divorce invoqués par Louis Bénétreau sont les suivants :

  • Le requérant a, de tout temps, eu à se plaindre de la conduite de sa femme
  • Que cette femme a eu pour amant un ouvrier habitant Coron et prenant pension chez les Bénétreau
  • Qu’une première fois, il y a treize ans, la dame Bénétreau (Victorine) abandonna le domicile conjugal pour suivre cet ouvrier
  • Qui après une absence de quelques semaines, réintégra le domicile conjugal mais pour l’abandonner de nouveau presqu’aussitôt après
  • Que depuis cette époque, elle n’a plus reparu dans le pays et n’a plus donner de ces nouvelles. Que le requérant ignore ce qu’elle est devenue.

En 1894, il ne reste plus qu’Arsène Marie, le dernier enfant du couple Louis Bénétreau – Victorine Chabosseau à vivre à Coron avec son père. Le Tribunal prononce le jugement qui suit :

  • Le divorce est prononcé au profit du mari
  • Confie aux soins et à la garde de son père, la fille mineure issue du mariage (Arsène Marie)
  • Commet un notaire pour procéder à la liquidation et au partage Condamne la dame Bénétreau (Victorine) aux dépens envers le Trésor
  • Commet un huissier pour signifier le jugement à la défaillante
  • Indique que le jugement de divorce doit être transcrit sur le registre d’Etat Civil de Coron en marge de l’acte de mariage et doit être déposé au greffe du Tribunal. 

Victorine va élever les deux enfants de sa deuxième famille. Son fils, Emile, va suivre les traces de son père (le vrai) et devenir tailleur de pierres.
Victorine décède au village de la Janvrais à Besné (Loire Atlantique), le 6 novembre 1908, à l’âge de 67 ans, sans avoir revu, ni son mari ni ses enfants de sa première famille.

Arsène Marie

Que sont devenus ses enfants de sa première famille ?
Son deuxième fils Victor Jérémie meurt adolescent.
Marie Victorine, sa première fille, va rester à Coron et se marier avec un gars du pays, qui a repris la ferme de ses parents.
Ses deux autres enfants vont quitter Coron et monter à la capitale.
C’est tout d’abord le fils ainé, Louis Victor qui monte à Paris vers 1890. Il exerce, dans les hôtels, la profession de valet de chambre. En 1898, il se marie, dans le 8ème arrondissement de Paris avec Jeanne Louise Royer, femme de chambre, originaire de Limoges. Il en divorce et se remarie, dans le 16ème arrondissement avec Maria Deschamps en juin 1932.
Sa plus jeune fille Arsène Marie, qui vivait chez son père lors de la prononciation du divorce en 1894, va suivre son frère et monter à la capitale en 1896-97. Victorine est morte en 1908, mais Arsène Marie ne l’a pas su et n’en a surement plus vraiment de souvenir, sa mère l’ayant laissé alors qu’elle avait 7 ans.
Abandonnée par sa mère, ayant vécu une vie difficile avec son père, Arsène Marie, a des rêves bien éloignés de la vie qui lui est promise en restant à Coron et une revanche à prendre sur ce que lui offre la vie… C’est ce qu’elle va faire.
En 1913, elle épouse Gabriel Kadar de Torda, prince hongrois, peintre et imprimeur d’art, elle a 39 ans et lui 54. Ils vivent ensemble au 42 rue Falguière dans le 15ème arrondissement de Paris. Mais le bottin mondain, nous indique qu’ils disposent d’un autre bien au 24 rue des Sorrières à Meudon. Arsène Marie est alors déclaré rentière.
Les témoins lors du mariage ne sont pas vraiment que des illustres inconnus :
Emile Levy, 52 ans, Editeur d’Art, Chevalier de la Légion d’honneur, 13 rue Lafayette
Marc Caviole, 48 ans, Chef de bureau du Ministère des Beaux-Arts, Chevalier de la Légion d’honneur, 133 rue de Vaugirard
Henriette Régent, 33 ans, Modèle, 55 rue du Rocher
Alice Cénard, 34 ans, Sans profession, 26 boulevard des Batignolles
Nous sommes dans le milieu de la mode et de l’art. Émile Lévy est éditeur et patron de la Librairie centrale des beaux-arts, située au 13 rue Lafayette à Paris. Il est le fondateur de la revue Art et décoration qui est au départ sous-titré « revue mensuelle d’art moderne ». Le premier numéro sort en janvier 1897 et fait 64 pages, les vignettes sont de Maurice Pillard Verneuil. Le comité de rédaction de la revue comprend : Puvis de Chavannes, Vaudremer, Eugène Grasset, Jean-Paul Laurens, Jean-Charles Cazin, Luc-Olivier Merson, Emmanuel Frémiet, Oscar Roty et Lucien Magne. Plusieurs affiches promotionnelles (extérieures et intérieures) sont produites, soit sur commande, soit à l’issue d’un concours avec appel aux lecteurs.

Alfons Mucha 1901

Claude Lorain 1898

Il édite également La Gazette du Bon Ton qui est une luxueuse revue Art-déco pour laquelle travaillèrent les meilleurs illustrateurs de l’époque.

Gabriel Kadar de Torda est illustrateur et imprimeur d’Art. C’est lui qui imprime Art et Décoration et la Gazette du Bon Ton.

Il est le « père nourricier » ( le parrain, le tuteur, dans le monde des Beaux-Arts) de Jean de Brunhoff dit  « Babar », le créateur de Babar, l’éléphant de la bande dessiné.
Si les tableaux de Jean de Brunhoff étaient bons, ils ne l’étaient pas suffisamment pour qu’il devienne un grand peintre, et il en était parfaitement conscient.
Les questions qu’il pouvait se poser sur son avenir se résolurent d’elles-mêmes, et par le plus grand des hasards : un soir d’été de 1930, Cécile de Brunhoff imagina pour Laurent et Matthieu, leurs enfants, l’histoire d’un bébé éléphant né dans la grande forêt, dont la mère est tuée par un vilain chasseur. Pris de peur, l’éléphanteau s’enfuit jusqu’à la ville, où il trouva un porte-monnaie qui lui permit d’acheter de beaux habits dans un grand magasin, puis il retourna dans la jungle après s’être bien amusé. Les deux garçons furent tellement enthousiasmés par ce conte que Jean de Brunhoff décida de l’illustrer. Mais nul ne se souvient plus pourquoi et comment le bébé éléphant prit le nom de Babar.  Source : Hachette.

 Son père Louis Bénétreau décède le 27 mars 1927 et son mari Gabriel un peu plus d’un an, plus tard, le 24 mai 1928.
Arsène Marie et ses amies, témoins de son mariage et d’autres aussi, étaient les égéries, les modèles des peintres, illustrateurs, photographes de cette époque d’effervescence de l’art et de la mode qui, par le biais des revues firent et font toujours rêver.
Arsène Marie revint à Coron avec son mari Gabriel vers 1925-1926.
Il semble que le tourbillon de la vie parisienne s’était envolé et peut-être aussi la fortune….
Arsène Marie passera le reste de sa vie à Coron et décédera à Cholet, le 23 novembre 1960, à l’âge de 86 ans.
(1)

(1) Mode à Longchamp, agence de presse Meurisse, Agence photographique, 1919, BNF-Gallica

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