Retour à Lemberg

Philippe Sands, né en 1960, juriste international de renom, spécialisé dans la défense des droits de l’homme, intervient, auprès de la Cour internationale de Justice, de la Cour de justice des Communautés européennes…
Compte tenu de son renom, il fut convié, il y a quelques années, à donner une conférence à l’université de droit de Lviv, en Ukraine. Cette invitation va lui donner l’occasion de plonger dans le passé de sa famille et de découvrir les liens étroits existant entre sa famille et plus particulièrement son grand-père Léon Buchholz, natif de Lemberg, avec :

  • Hersch Lauterpacht (1897-1960), professeur de droit international, originaire de Zolkiew, près de Lemberg,
  • Raphael Lemkin (1900-1959), procureur et avocat, résidant à Lemberg à partir de 1921, et
  • Hans Frank 1900-1946, ministre du IIIème Reich, avocat préféré d’Hitler.

Raphael Lemkin et Hersch Lauterpacht sont deux juristes exceptionnels, hélas, peu connu du grand public, qui ont pourtant joué un rôle déterminant dans l’évolution de la perception des crimes de guerre et de la justice internationale.
Raphael Lemkin (1900-1959) a forgé le terme « génocide« , tandis que Hersch Lauterpacht a introduit la notion juridique de « crime contre l’humanité« .
Deux concepts absolument essentiels.
Ce sont effectivement ces termes juridiques qui ont permis, en 1946, de condamner à Nuremberg, les hauts dignitaires nazis et des années plus tard, la création de la cour pénale de la Haye pour crimes de guerre, comme en ex-Yougoslavie ou au Rwanda.

Ce qui est absolument incroyable c’est qu’aussi bien Lemkin que Lauterpacht soit originaire de Lviv, la capitale de la Galicie, l’ancienne province orientale de l’Empire austro-hongrois. Endroit où est né le grand-père de Philippe Sands.

Dans ses investigations, Philippe Sands a rencontré Niklas Frank, le fils de l’avocat d’Hitler, Hans Franck qui fut aussi gouverneur-général de la Pologne occupée. De passage à Lviv,en 1942, il annonça la mise en place de « la solution finale ».
Niklas avait 7 ans lorsque son père fut jugé et pendu à Nuremberg en octobre 1946.
Il a publié un ouvrage sur ce père, ayant pour titre « Mon père : un règlement de comptes », qui est un jugement lucide, sans la moindre concession sur les exactions commises par son père.
À Philippe Sands, il a déclaré : « Mon père était juriste ; il savait ce qu’il faisait… »

Lors de son enquête, Philippe Sands découvre une série de coïncidences historiques qui le conduiront des secrets de sa famille à l’histoire universelle.
C’est, en effet, à Lemberg (Lviv) que Leon Buchholz, son grand-père, passe son enfance avant de fuir, échappant ainsi à l’Holocauste qui décima sa famille ; c’est là que Hersch Lauterpacht et Raphael Lemkin, deux juristes juifs étudient le droit dans l’entre-deux-guerres. C’est là enfin que Hans Frank, haut dignitaire nazi, annonce, en 1942, alors qu’il est Gouverneur général de Pologne, la mise en place de la « Solution finale » qui condamna à la mort des millions de Juifs. Parmi eux, les familles Lauterpacht, Lemkin et Buchholz.

Comment ne pas être troublé par cet extraordinaire témoignage, qui transcende les genres, ou s’entrecroisent, une enquête palpitante, la coïncidence troublante de retrouver les traces des quatres personnages dans une la même ville et une réflexion profonde sur le pouvoir de la mémoire.

Lviv, Lemberg, Lwów, Lvov… ville carrefour de tragédies

Ville fondée au XIIIe siècle, l’ensemble architectural de son centre historique est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Longtemps polonaise, puis autrichienne de 1772 à 1918 sous le nom de Lemberg après le premier partage de la Pologne, redevenue polonaise sous le nom de Lwów au sein de la Deuxième République de Pologne (1919-1939), annexée par la Russie, puis par l’Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale, elle est actuellement la capitale de l’oblast de Lviv en Ukraine.

Lviv est une ville hautement symbolique des différentes tragédies qu’a connu l’Europe à travers les siècles.

1386-1772 : Lwów, ville polonaise

Lwów devient une ville multi-ethnique et multiconfessionnelle à majorité polonaise, et un centre de culture, de science et de commerce. Trois archevêchés y étaient installés : l’archevêché catholique latin, l’archevêché gréco-catholique (dit uniate) et l’archevêché arménien. Au XVIe siècle, la population juive atteint le millier de personnes.

1772-1918 : Lemberg, ville autrichienne
En 1772, à la suite de la partition de la Pologne, Lwów devint Lemberg, la capitale de la province autrichienne nommée royaume de Galicie et de Lodomérie. Ce régime laissa une grande empreinte sur l’architecture de la ville. En 1776, paraît la Gazette de Léopol, un périodique en langue française, premier journal d’Ukraine. En 1784, l’université laïque fut ouverte par l’empereur Joseph II. Les cours étaient donnés en latin, allemand et polonais puis, à partir de 1786, en ukrainien.
En 1867, la Galicie, toujours rattachée à l’Autriche-Hongrie, obtint une large autonomie et les Polonais bénéficièrent de certaines libertés culturelles, dans l’administration locale et l’éducation. Un mouvement patriotique ukrainien subsistait cependant.
Après la Première Guerre mondiale, lors de l’effondrement de l’empire des Habsbourg, la population ukrainienne locale proclama Lviv comme capitale de la république populaire d’Ukraine occidentale le 1er novembre 1918.

1918-1939 : Lwów, ville polonaise à nouveau

La ville, à majorité polonaise, retourne dans le giron polonais, après une absence d’État polonais de plus d’un siècle, et ce jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, elle est alors connue à l’étranger sous son nom polonais de Lwów. Lwów avait une forte communauté juive d’expression yiddish ou allemande : en 1939, près d’un tiers de la population, soit plus de 100 000 habitants, étaient des Juifs et la ville comptait cinquante synagogues.

1939-1945 : Lwów au cœur de la Seconde Guerre mondiale

En septembre 1939, la région fut envahie par les Allemands. Après des combats acharnés des forces polonaises retranchées dans le centre-ville, la ville fut totalement encerclée par la Wehrmacht le 14 septembre 1939.

En application du pacte germano-soviétique, l’Armée rouge envahit à son tour la région le 17 septembre 1939. Au terme de ce qui sera appelé la bataille de Lwów, la garnison polonaise capitula face aux Soviétiques le 22 septembre 1939. La région fut alors annexée par l’Union soviétique et incorporée à la République socialiste soviétique d’Ukraine selon une des clauses secrètes du pacte Molotov-Ribbentrop. Au cours de la période d’occupation soviétique de septembre 1939 à juillet 1941, la population, particulièrement les Polonais, subit une politique de soviétisation (collectivisation des entreprises) et de représailles (exécutions et déportations dans les régions Est de l’URSS).

Lors de l’opération Barbarossa, la ville est occupée en juillet 1941 par les troupes allemandes, les nazis et leurs auxiliaires ukrainiens débutèrent une politique de « purification ethnique et intellectuelle » avec notamment la destruction de l’intelligentsia polonaise (et de leur famille) lors du massacre des professeurs de Lwów.

Des pogroms sont déclenchés à Lviv, les 30 juin et 25 juillet 1941, sans discontinuer durant quatre semaines, durant lesquels 4 000 Juifs sont tués. Le 30 juin, ce sont un demi-millier de Juifs, qui sont arrêtés dans la rue à des barrages de contrôle ou à leur domicile.

Sept mille arrestations sont conduites systématiquement dans les semaines suivantes. Environ trois mille des personnes interpellées sont exécutées dans le stade municipal de Lviv.

Au début de novembre 1941, les Allemands créent un ghetto au nord de la ville qu’ils rebaptisent Lemberg, comme à l’époque de l’Autriche-Hongrie. Les Einsatzgruppen assassinent des milliers de Juifs âgés ou malades pendant qu’ils traversent le pont de la rue Peltewna pour rejoindre le ghetto. En mars 1942, les Allemands débutent la déportation des Juifs vers le camp d’extermination de Bełżec. En août 1942, plus de 65 000 Juifs sont déportés du ghetto de Lemberg et exterminés. Des milliers d’autres sont envoyés dans le camp de travail forcé voisin de Janowska. Au début du mois de juin 1943, le ghetto est détruit et des milliers de Juifs sont à nouveau massacrés à cette occasion.

Le 27 juillet 1944, la Wehrmacht est définitivement chassée de la ville par l’Armée rouge.

En 1945, après des siècles de présence polonaise, la région est annexée par l’Union soviétique et les Polonais survivants sont expulsés vers l’ouest, notamment vers Wrocław (en allemand Breslau), en Basse-Silésie, région jusque-là allemande, alors rétrocédée à la Pologne.

Sans Polonais, ni Juifs, cette ville, jusque-là creuset intellectuel et pluriculturel, est vidée de sa substance et des principaux habitants qui en avaient fait la réputation.

1991 : l’Ukraine devient un État indépendant. Lwów devient Lviv

L’histoire de l’Ukraine en tant qu’État indépendant est récente. Après un très bref épisode entre 1918 et 1920 l’Ukraine n’a acquis son indépendance qu’en 1991 dans le cadre de la dissolution de l’Union soviétique.

C’est le 24 août 1991 que l’Ukraine a pris sa liberté. À l’époque, le président russe, Boris Eltsine, soucieux d’évincer Gorbatchev, s’entend avec ses homologues ukrainien et biélorusse pour démanteler l’URSS… L’indépendance ukrainienne est ratifiée par un référendum, le 1er décembre 1991, à 90 %. Le « oui » est majoritaire, y compris en Crimée et dans le Donbass.

Très vite, les premières difficultés apparaissent avec la Russie. Il faut s’entendre sur le prix du gaz livré par la Russie et surtout sur le partage de la flotte de la mer Noire, basée dans le port de Sébastopol, en Crimée. La Russie revendique l’usage de ce port militaire ; l’Ukraine veut sa part de la flotte soviétique. Kiev et Moscou s’accordent pour une location du port durant vingt-cinq ans… L’Ukraine met quatre ans pour se doter d’une nouvelle Constitution, puis d’une monnaie, la hryvnia, du nom de l’ancienne devise qui était en cours au XIe siècle dans la grande principauté de Kiev…

2004 : La « révolution orange », un pas vers l’Europe

À l’époque, l’Ukraine peine à s’affirmer et à choisir son destin. Elle est écartelée entre une partie de la population, dans le sud-est du pays, qui se sent attachée au passé soviétique, et une autre partie, plus à l’ouest, qui souhaite emboîter le pas à la Pologne pour se rapprocher de l’Europe. Ces deux camps s’affrontent une première fois en 2004, lors de la « révolution orange », une protestation qui dure deux mois, jour et nuit, en plein hiver, sur la place de l’Indépendance à Kiev. Elle porte au pouvoir le président Viktor Iouchtchenko, un pro-européen.

Sous son impulsion, l’Ukraine renoue avec ses racines et revendique de plus en plus sa culture, sa langue. Viktor Iouchtchenko ouvre également les archives de l’ancien KGB et inaugure un mémorial pour le Holodomor, la famine artificielle provoquée en 1933 par Staline qui a causé la mort de 4 à 6 millions d’Ukrainiens. Il demande que cette tragédie soit reconnue comme un « génocide ». C’est encore un sujet d’affrontement avec la Russie qui refuse le qualificatif.

2014 : Deuxième révolution : fracture entre l’Ukraine et la Russie

Puis en 2010, c’est cette fois l’est de l’Ukraine qui remporte la présidentielle : arrive au pouvoir Viktor Ianoukovitch, originaire du Donbass. Il se tourne vers la Russie qui lui propose d’intégrer une union douanière. Ce choix provoque une deuxième révolution, en novembre 2013.

La fracture s’approfondit

Sur cette même place de l’Indépendance, à Kiev, la confrontation est cette fois plus violente. Elle fait plus d’une centaine de tués. La contestation l’emporte malgré tout en février 2014, tandis que Viktor Ianoukovitch s’enfuit en Russie. Un gouvernement pro-européen s’installe à nouveau à Kiev, tandis que la Russie dénonce un « coup d’État » mené par une « junte nazie ».

De là date la véritable fracture entre la Russie et l’Ukraine. Vladimir Poutine réagit en annexant la péninsule de Crimée, au Sud, une opération rondement menée par des forces spéciales sans insignes qui s’emparent du parlement local et font voter les députés à huis clos, avant d’organiser un référendum. À l’époque, l’Ukraine se remet à peine de sa révolution et se trouve incapable de réagir. Puis, la Russie organise la déstabilisation des territoires de l’est de l’Ukraine, avec l’envoi de « volontaires armés » venus « au secours » des populations locales.

Cette fois, l’armée ukrainienne parvient à contenir les séparatistes dans un réduit, autour des villes de Donetsk et de Lougansk. La ligne de front se stabilise grâce à un accord négocié à Minsk, en février 2015, avec l’aide de François Hollande et d’Angela Merkel. Mais la guerre s’installe en Ukraine. Le long de la ligne de front qui fait 500 km, les séparatistes soutenus par la Russie échangent régulièrement des tirs avec l’armée ukrainienne.

Un État reconnu et démocratique

Malgré le coût de cette guerre, l’Ukraine reprend sa marche en avant. Elle met à terre les dernières statues de Lénine. Elle affirme clairement, désormais, son choix de consolider son indépendance et de se rapprocher de l’Europe, voire d’entrer dans l’Otan. Petro Porochenko, un riche entrepreneur, est élu président. L’Union européenne offre à Kiev un accord d’association qui lui ouvre la porte de son marché. Les Ukrainiens obtiennent de pouvoir circuler en Europe sans visa. L’économie tout entière de l’Ukraine se tourne vers l’ouest, tandis que le commerce avec la Russie se réduit. Plus de 40 % des exportations ukrainiennes vont vers l’UE aujourd’hui. Le nouveau président ukrainien élu en 2019, Volodymyr Zelensky, maintient cette orientation.

En trente et un ans d’indépendance, l’Ukraine est passée par bien des secousses. Mais elle est devenue un État reconnu internationalement, un partenaire des Européens et des États-Unis, un pays relativement stable, souvent critiqué pour son niveau de corruption, mais démocratique et où règnent la liberté d’expression et le pluralisme.

2022 : Lviv carrefour de refuge suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie

Lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, des milliers de réfugiés ukrainiens fuyant les combats se massent à Lviv pour prendre le chemin de l’exode en Pologne et vers d’autres pays européens.

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Albertine sur la photo – 2ème chapitre  

Dans le 1er chapitre nous avons pu déterminer qu’Albertine avait été photographiée en 1920-1922 devant la devanture de la boulangerie Rifflet rue Saugé à Thouars.

La famille Cochard tenait-elle comme la légende familiale le suggère un commerce rue Saugé et non Porte au Prévost comme évoqué ? un café ?

La rue Saugé en 1910

Sur cette carte postale datée de 1910, deux commerces apparaissent : le café-restaurant Normand et la boutique E.DIACRE.

Sur l’acte de naissance d’Alexandre Louis Rifflet, les deux témoins sont des voisins du boulanger Rifflet :
Anselme Grandin, 59 ans exerçant la profession de sellier et
Eugène Normand, 46 ans, exerçant celle de cafetier ; le patron du café-restaurant Normand de la carte postale.

Emile Diacre tenait quant à lui, un commerce en vins et spiritueux. C’est dans son arrière-boutique qu’est conçu en 1926, un nouvel apéritif purement thouarsais, le Duhomard. Il s’agit d’un quinquina au nom évocateur d’une blague faite à Emile Diacre en 1922 à Massais.

Lors de la naissance des jumeaux Louis et Joseph Rifflet en mars 1910 ce sont d’autres voisins qui sont témoins :
Gustave Moreau, 41 ans, tailleur et
Léon Paindessous, 45ans propriétaire
Ainsi que, lors du décès de Louis, a deux mois, en mai 1910 :
Charles Gabot, 25 ans, sellier et
Georges Guilbault, 22 ans, charcutier (un prédécesseur de la famille Fuzeau)

La rue Saugé en 1920

Sur cette autre carte postale datée de 1920, nous voyons les mêmes commerces et un commerce de sellerie-bourrellerie en premier. Le commerce d’Emile Diacre semble être resté à l’identique mais le café-restaurant ne s’appelle plus le café Normand.

Origine du nom de la rue Saugé
La rue porte le nom de Saugé, en référence à Guillaume Saugé, un huissier venu de Niort en 1820. En 1822, Saugé prend part à l’insurrection organisée et portée par le Général Berton. Les conspirateurs de cette fameuse « affaire Berton » sont jugés à Poitiers. La sentence de la cour d’appel de Poitiers les condamne à la peine de mort. Berton est exécuté à Poitiers mais Saugé et un autre conspirateur nommé Jaglin sont guillotinés place Saint-Médard le 7 octobre. Avant de mourir, Saugé poussera ce cri : Vive la République !

Revenons au portrait de ma grand-mère Albertine sur la photo

Elle est vêtue d’une jupe longue, d’un corsage à rayures, recouverts d’un grand tablier. Elle porte des espadrilles aux pieds et une peau d’animal sur les épaules.
Une tenue bien peu adaptée à un rôle de vendeuse au sein de la boulangerie.
Nous ne pouvons émettre que des hypothèses :
Elle faisait le ménage au sein de la boulangerie…
Elle était venue rendre une visite impromptue à ses amies vendeuses dans la boulangerie…
Elle participait aux travaux du café (l’ancien café Normand) tenu par ses parents en face de la boulangerie et se trouvait là lors de la prise de vue…
En l’état de mes investigations… je n’en sais rien…

Qu’est devenue la boulangerie ?

Au recensement de 1936 rue Saugé

Ce n’est plus la famille Rifflet qui tient la boulangerie mais la famille Taudière. Georges Guilbault tient toujours la charcuterie voisine.

Sur cette capture d’écran de janvier 2021 le commerce du 10 Rue Saugé àThouars existe toujours. Le dernier boulanger s’appelait B. Meunier. La boulangerie a fermé il y a 15-20 ans.
L’immeuble où se situait l’ancienne charcuterie Fuzeau a été déconstruit.

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Albertine sur la photo – 1er chapitre

Ma grand-mère Albertine est l’une des descendantes de la tribu Cochard, dont les membres furent signataires du cahier de doléances des Cerqueux (extrême sud du Maine-et-Loire), combattants de l’armée vendéenne puis membres de la Petite Eglise lors la Révolution puis de l’arrivée au pouvoir de Napoléon.
Née en 1902 à Voultegon (Nord des Deux-Sèvres), elle est la deuxième fille de Jean-Baptiste Cochard et d’Augustine Charrier.

Les parents d’Albertine : Jean Baptiste Cochard et Augustine Charrier

Jean-Baptiste Cochard
Jean-Baptiste et Augustine lors du mariage de Georges et d’Albertine en 1926
Augustine « la grand-mère Cochard » de ma petite enfance

Ses parents se sont mariés le 18 avril 1899, à Voultegon, lors d’un double mariage, le leur et celui de la sœur de Jean Baptiste, Agnès Cochard avec le cousin d’Augustine, Auguste Charrier.
Au recensement de 1901, Jean Baptiste Cochard est valet de ferme chez le fermier Billy.
Augustine est lingère, leur fille Marie Louise a 9 mois (née le 22 juin1900).
La famille habite dans le bourg de Voultegon à côté d’une autre sœur de Jean Baptiste, Arsène Elise.
Au recensement de 1906, Jean Baptiste et Augustine habitent toujours le bourg. Jean Baptiste est domestique chez le fermier Gendron. Leur deuxième fille, Albertine, ma grand-mère, née le 15 mars 1902, complète la famille.
La famille viendra, après la première guerre mondiale, habitée à Thouars pour y exercer des travaux moins pénibles que ceux liés à l’agriculture.

Où habite la famille Cochard à son arrivée à Thouars ?

La légende familiale raconte que mon grand-père Georges aurait rencontré sa femme Albertine Cochard dans le commerce que tenait ses parents à Thouars. De quel commerce s’agissait-il ? Où était-il situé ? D’une manière vague, il se serait agi d’un café, rue Porte au Prévost… Pas de trace de ce café dans les archives familiales… mais une photo de ma grand-mère devant un commerce…

Ma grand-mère Albertine qui, de toute évidence (au vu d’autres photos en ma possession), est la personne située à l’extrême gauche de la photo, étant née en 1902, la photo ne peut avoir été prise que vers 1920 – 1922. Albertine serait, alors, âgée de 18 – 20 ans.

De quel commerce s’agit-il ? Où est (était)-il situé ? En dehors de ma grand-mère Albertine, qui sont les autres personnes présentes sur la photo ?

Sur le fronton du commerce, une indication : L . RIFFLET, commençons les recherches de ce côté-là.

Derrière la vitrine, des pains… pas de doute c’est une boulangerie…
A ma requête « Louis Rifflet » (j’ai supposé que le L, pouvait être celui de Louis), le fichier des décès de 1970 à nos jours établit par l’INSEE me livre une piste :

Alexandre Louis Gabriel Rifflet né le 11 octobre 1907 à Thouars, décédé le 24 novembre 1993 à Boulogne Billancourt.

En 1920-1922 Alexandre Louis Rifflet était âgé de 13-15 ans. C’est peut-être lui qui se trouve le plus à droite sur la photo, si c’est bien la famille Rifflet qui correspond à ma recherche…

Pour en savoir plus, recherchons son acte de naissance :

Le père d’Alexandre Louis Rifflet, se prénomme Louis Marie et il exerce la profession de boulanger lors de la naissance en 1907. La piste semble la bonne. Il semble probable que la deuxième personne sur la droite, l’homme à la casquette, les deux mains sur les hanches, soit le boulanger thouarsais Louis-Marie Rifflet.

Pour savoir qui sont les deux femmes au centre de la photo, je vais mener mes recherches dans deux directions :
l’une d’entre-elle, peut-elle être, la sœur d’Albertine, Marie-Louise ? l’une d’entre-elle, peut-elle être, madame Rifflet ? une fille du boulanger ?

Les inconnues de la photo
Albertine debout, Marie-Louise assise, 1920

Après comparaison des photos représentant Marie-Louise jeune avec la photo des personnages devant la boulangerie, j’ai pu déterminer, qu’aucune des deux femmes n’était Marie-Louise. Il me fallait connaître la famille Rifflet pour aller plus loin.

J’ai tout d’abord réussi à trouver l’acte de naissance de Louis-Marie Rifflet, né à La Pouëze (Maine-et-Loire) le 10 novembre 1879 dans une famille de cultivateurs, propriétaire de leur terre.
Cet acte me donne une autre indication précieuse, la date du mariage de Louis-Marie Rifflet, le 26 novembre 1904 avec Charlotte-Alexandrine-Nathalie-Joséphine Perdriau à Saint Georges sur Loire (Maine-et-Loire).

Combien ce couple a-t-il eu d’enfants ? a-t-il eu des filles ? où habitait la famille entre 1904, la date du mariage et 1920-1922, la date présumée de la photo ?

Le recensement de 1906 apporte une réponse.
Louis-Marie Rifflet, sa femme
Charlotte-Alexandrine-Nathalie-Joséphine Perdriau et leur ouvrier boulanger Aristide Raballaud habitent rue Saugé à Thouars !!!

Nathalie Perdriau-Rifflet est née en 1881 à Saint Georges sur Loire. De deux ans, la cadette, de son mari, elle ne peut pas être l’une des deux femmes de la photo. Les deux femmes semblent avoir moins de 40 ans, âge qu’avait madame Rifflet en 1920-1922.
Un autre élément va venir corroborer cette hypothèse. Le 6 janvier 1918, un jugement de divorce est prononcé entre Louis-Marie Rifflet et sa femme Charlotte-Alexandrine-Nathalie-Joséphine Perdriau à Bressuire (Deux-Sèvres). En 1920-1922, elle n’est plus aux côtés de son mari à la boulangerie.

Le couple a-t-il eu d’autres enfants ? des filles ?

Les tables décennales des naissances de 1903-1912 et de 1913-1922 à Thouars ne donnent qu’un résultat : la naissance d’Alexandre Louis en 1907 et de deux jumeaux en mars 1910, Louis et Joseph.

Louis décède, deux mois après sa naissance, en mai 1910. Son frère jumeau Joseph lui survivra et décèdera le 28 février 1979 à Neuilly sur Seine.

Les deux femmes, au centre de la photo, restent des inconnues. Ce n’est pas, ma grand-tante Marie-Louise, ce n’est pas Madame Rifflet, ni une fille de ce couple.
Il est plausible de penser que ces deux personnes étaient des vendeuses de la boulangerie dont j’ignore l’identité.

A ce stade de mes recherches, aucune piste répond aux questions :
Où habite la famille Cochard à son arrivée à Thouars ?

Tient-elle un commerce ? et si oui lequel ?

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1922-1923, Georges fait son service militaire au Maroc, 1ère étape décisive de son ascension sociale

La mobilisation

Le 13 février 1922, Georges Chabosseau, mon grand-père, a 20 ans. Il est mobilisé au bureau de recrutement de Niort avec le grade de 2ème classe. Sur le fascicule de mobilisation, il est indiqué qu’il habite Louzy et exerce la profession d’entrepreneur de transports.

Il est affecté au Centre de mobilisation du Train quartier Langlois (la caserne Verneau, aujourd’hui) à Angers. Il rejoint ensuite Bordeaux pour embarquer, destination Casablanca au Maroc.

La traversée Bordeaux – Casablanca

Ces photographies sur plaques de verre ont été réalisées par Jean Thomas lors de sa traversée Bordeaux – Casablanca sur le Figuig en Mars 1922. Elles retracent, à l’identique, le parcours de Georges à son arrivée au Maroc.

Originaire de Saint Paul sur Sauve, village situé au nord-ouest de Toulouse, Jean Thomas est un scientifique-explorateur. Né le 14 juin 1890, Jean Thomas, après des études scientifiques est gravement blessé durant la guerre de 1914. En voiture ou side-car il accomplit des missions d’exploration au Maroc et dans toute l’Afrique Française de 1922 à 1931 pour le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris, et pour l’Illustration et le Ministère des Colonies.
Le Maroc constitue la première mission scientifique exploratoire de Jean Thomas.
Du 14 mars au 4 août 1922, il étudie les pêcheries en vue de leur développement possible.
Les photographies sur plaques de verre prises par Jean Thomas lors de sa traversée sur le Figuig en mars 1922 et celles de son débarquement à Casablanca

Le débarquement à Casablanca

Pourquoi Georges fait-il son service militaire au Maroc ?

L’histoire du protectorat français au Maroc

Au milieu du XIXe siècle, les routes méditerranéennes prennent une nouvelle importance pour les grands Etats européens. En 1856, un traité de commerce, ouvre le Maroc aux produits européens.  En 1863, une convention franco-marocaine voit le jour. Pour la France, le Maroc était très important à cause de sa position stratégique.  Pour développer ses ambitions économiques et territoriales, la France désirait créer un ensemble nord-africain homogène, sous son autorité.

Au début du XXe siècle, le Maroc s’endette de plus en plus envers l’Europe et particulièrement envers la France. En 1912, l’accord de Fès plaça le Maroc sous un protectorat. Le traité du protectorat divise le Maroc en zone française, espagnole, et internationale à Tanger.  
Pendant quatorze ans, le protectorat s’incarna dans la forte personnalité du Maréchal Lyautey, premier résident général (1912-1925) qui fit œuvre de conquête, d’organisation et de mise en valeur. Le ralliement des tribus, au nom du sultan, s’obtint en usant de diplomatie à l’égard des grands caïds ou en effectuant des opérations militaires.  

Pendant son protectorat, la France a imposé plusieurs réformes qui visent en premier lieu à affaiblir l’impact de l’islam dans le pays, notamment chez les populations berbérophones et rurales, en supprimant ou en diminuant les lois de l’islam tout en leur substituant une justice à la française. Une partie du secteur agricole se tourne vers une agriculture moderne orientée vers l’exportation. Tandis que l’artisanat traditionnel connaît des difficultés, une industrie basée d’abord sur la richesse minière du pays se développe. Ces transformations entraînent d’importants mouvements de population à l’intérieur du Maroc (exode rural) et le développement d’un important centre économique sur la côte atlantique : Casablanca.

Georges est affecté au 123ème Escadron du Train des Equipages Automobiles à Casablanca

Le Train des Equipages

En 1807, dans le fracas des combats napoléoniens, le Train des Equipages naissant est en charge du seul transport de la farine, du pain, de la viande et du fourrage.
Les transports de ravitaillement, exclusivement hippomobiles jusqu’en 1914, constituent toujours le centre des activités du Train des Equipages au début du XXe siècle.
Lors de la motorisation des armées, le camion devient l’outil de base de ravitaillements plus variés, massifs et urgents. Transporteur de vivres, d’effets, de munitions et d’équipements, le soldat du Train devient, alors, aussi chargé de l’acheminement des troupes

Le Train automobile du Maroc 1920-1923

Avec ses moyens libérés par la fin de la Grande Guerre, Lyautey reprend ses opérations de pacification interrompues par manque de moyens.

De 1920 à 1921, les compagnies et convois auxiliaires assurent vers les postes un service très chargé et prennent part de façon incessante aux convois de ravitaillement. Les colonnes de pacification et l’installation de nouveaux postes exigent également des moyens importants du Train.
Les comptes rendus parlent peu du Train automobile bien qu’il soit arrivé en cours d’opérations. Contraint de n’utiliser que les routes empierrées ou les pistes en parfait état, les camions du Train sont écartés des opérations de toutes premières lignes. Dispensé de certains périls, le Tringlot automobile essuie fréquemment le coup de fusil de pillards qui attaque bien entendu quand le moteur crée des difficultés. Il n’en demeure pas moins qu’en transportant les troupes et le ravitaillement jusqu’au bout extrême des routes empierrées, le Train automobile a largement contribué à la victoire sur la dissidence.

Le 123e Escadron

Entièrement automobile, le 123e Escadron basé à Casablanca est créé le 1er janvier 1921. Ses compagnies sont ventilées à Casablanca pour la 1ère et la 4ème, à Fez pour la 2e, à Meknès pour la 3e. L’escadron participe aux opérations de pacification du Maroc.
Au plus fort de la campagne l’Escadron comprend 23 officiers, 1200 sous-officiers, conducteurs et ouvriers, des véhicules légers et 150 camions.
Chaque compagnie est spécialisée, 1ère : triage et exploitation, la 2ème : transports sur Fez, Oujda, Taza, la 3ème : transports sur Meknès et Midelt, la 4 ème : transports sur Marrakech, Tadla, Agadir.
En mars et avril, le 123ème Escadron reçoit 120 camions en renfort. En mai, le commandement envoie au Maroc, la 162e compagnie du 14e Escadron de métropole avec 100 camions. Le tonnage transporté est impressionnant compte tenu des matériels employés, 73000 tonnes en 4 mois et 30000 hommes.

Georges fait son service militaire au sein de la 1ère compagnie du 123ème Escadron du Train des Equipages Automobiles

Georges obtient le permis de conduire. Arrivé simple soldat, il est tout d’abord mécanicien monteur, puis il est chauffeur de camion et enfin il devient le chauffeur du colonel.









Georges obtient son permis de conduire militaire le 16 août 1922. Il est autorisé à conduire les camions militaires Berliet et Ford et les véhicules de tourisme.

Bien qu’il soit affecté à la 1ère compagnie dont la mission est le triage et l’exploitation Georges a été en mission à Agadir avec son « copain » Henri Guindon comme les photos ci-dessous nous l’indiquent.

Souvenir d’Agadir 1922-1923

Avec mon copain H Guindon, devant la voiture du colonel et lors de son départ

La démobilisation et le retour en France

Georges termine son service militaire au Maroc en août 1923. Il embarque pour son retour à Cablanca le 16 août 1923. Il est démobilisé le 7 novembre 1923 après avoir bénéficié de 56 jours de permission. Il est de retour à Louzy puis à Thouars.

Il obtient le Certificat de Bonne Conduite.

Georges a franchi un cap, il a amélioré ses compétences en lecture et écriture et a acquis des connaissances en mécanique et en conduite. Et puis, il a commencé à réaliser ses ambitions. Entré à l’armée simple bidasse, il finit chauffeur du colonel.

1922-1923, Georges fait son service militaire au Maroc, 1ère étape décisive de son ascension sociale Lire la suite »

KAFÛ

Kafū Nagai, de son vrai nom, Sōkichi Nagai, est un écrivain et nouvelliste japonais né à Tokyo, le 04 décembre1879, mort à Ichikawa, le 30 avril1959. Il est reconnu pour ses œuvres décrivant le Tōkyō du XXe siècle, et particulièrement le monde de la prostitution et des geishas.

Biographie

Kafū, né à Tokyo, au numéro 45 de la Kanetomi-chō, dans l’arrondissement de Koishikawa, est le fils de Kyūichirō Nagai, bureaucrate et homme d’affaires qui devint célèbre plus tard pour ses poèmes en style chinois. Kafū est l’aîné de trois frères et sœurs. Lors de la naissance de son frère en 1883, il est envoyé dans la famille de sa mère puis rentre chez lui en 1886 lors de son entrée à l’école secondaire.
En 1891, il intègre une école privée de langue anglaise à Tōkyō. Toutefois, il passera de nombreux mois entre 1894 et 1895 à l’hôpital d’Odawara, sans doute atteint de la tuberculose.
À l’âge de dix-sept ans (1896), bien qu’échouant aux examens d’entrée à l’université, il est diplômé de son école. Cette même année, il commence l’étude des poèmes chinois et entame une longue série de visites dans le quartier chaud de Yoshiwara (à Tōkyō).
Plus tard, il rend visite à son père à Shanghai qui y est employé par la compagnie Nippon Yusen. Il rentre à l’automne et devient employé dans le département de langue chinoise d’une université de langues étrangères. En 1898, Kafū commence à écrire de courtes nouvelles. Dans le même temps, il étudie avec Ryūrō Hirotsu. Deux ans plus tard, il publie quelques nouvelles après avoir quitté son poste à l’université. Il trouve par la suite un poste de journaliste et commence l’étude du français.
En 1902, il séjourne aux États-Unis et en France où il travaille pour le compte de l’ambassade du Japon et du muséum culturel de la préfecture de Kanagawa. Cela lui permet de publier Amerika monogatari (« contes américains ») et Furansu monogatari (« contes français »).

Du côté des saules et des fleurs

« Les saules et les fleurs », comprendre les hommes et les femmes, c’est ainsi que l’on nommait les quartiers geishas, à Tôkyô au début du siècle. Roman d’amour et de jalousies compliquées autour de la belle Komayo, au parfum nostalgique, dans l’intimité des maisons de plaisir. Kafû y décrit les intrigues, les jeux érotiques, les manoeuvres d’amour et d’argent entre amants et geishas : autour de la belle Komayo, acteurs, musiciens, parasites ou amoureux veules se croisent et se déchirent.
C’est aussi l’évocation du Japon ancien que Kafû dépeint avec la cruauté et la tendresse d’un amoureux de ce monde qu’il voyait disparaître avec amertume.

Interminablement la pluie

Interminablement la pluie par Nagai

« Interminablement la pluie est sans conteste l’un des chefs-d’oeuvre, non seulement de l’oeuvre de Kafû, mais de la littérature japonaise de l’entre-deux-guerre » écrivait Pierre Faure.
Par petites touches de confidences esquissées en dissertations sur les plaisirs de la vie, dans un lyrisme contenu, Kafû verse au coeur du lecteur un univers fait de poésie et d’élégance classique, d’érudition et de rêveries inépuisables.
Attentif à mille détails, à d’éphémères intimités, au timbre d’une voix, à des jeux de lumière au détour d’un regard ou d’un souvenir, il décrit avec amour et nostalgie ce Japon ancien, ce monde fugitif du plaisir que Pierre Faure, son interprète idéal, nous fait partager.

Voitures de nuit

Chantre du quartier des plaisirs, Nagaï Kafû (1879-1959) est l’un des écrivains japonais les plus anticonventionnels de sa génération. Ayant appris en France, au début du siècle, le goût des libertés, il refusera son concours à l’association des écrivains japonais d’orientation fasciste, émettant le voeu d’être enterré au cimetière des prostituées et ne cessant jusqu’à sa mort (viveur impénitent) de fréquenter les petites danseuses d’Asajusa qu’il a su dépeindre dans ses romans et ses nouvelles bien dignes des estampes d’Hiroshige et Kunisada qu’il admirait tant.

Critique par Youness Bousenna Publié le 25/03/2020 dans Télérama

De son style moelleux, Nagaï Kafû nous promène de séductions en amourettes, où sourd sa nostalgie d’un Japon traditionnel en déclin.
Il ne faut pas trop se laisser bercer par le style badin de Nagaï Kafû (1879-1959). Le nouvelliste, figure importante des lettres japonaises du début du XXe siècle, ne raconte aucune histoire extraordinaire : seulement le marivaudage entre la bonne société de Tokyo et les geishas de son quartier chaud. Avec son style moelleux et un érotisme contenu, l’air de ne rien dire de plus que la simplicité d’une scène, Kafû nous promène de séductions en amourettes, de petites histoires du quotidien en destins sans relief. Pourtant, la pudeur de sa plume ne doit pas dérober les vérités que ce moraliste nous (dé)voile.
Car les six nouvelles de Voitures de nuit, parues autour de 1930, révèlent par petites touches la réalité souterraine des rapports entre hommes et femmes. Kafû met en scène des personnages presque toujours similaires : des geishas libres d’esprit, émancipées des pesanteurs sociales, et des notables bien sous tous rapports. Mais la fréquentation de ces femmes insaisissables fait dérailler la vie si convenable de ces derniers, excitant leurs pulsions jusqu’à parfois transformer en crime leur obsession de posséder – ainsi, dans la nouvelle L’Hortensia, Kimika finit poignardée par un amant jaloux. Kafû se fait aussi le critique discret de son Tokyo natal, qu’il voit changer. La métropole est devenue la capitale d’un Japon qui s’occidentalise à grande vitesse. Le séisme et le gigantesque incendie qui ont ravagé la ville en 1923 forment un motif présent au second plan de chaque nouvelle. Et à travers lequel Kafû signifie, sans la souligner, sa nostalgie d’un Japon traditionnel enseveli par la modernité.

Trois-raisons-de-relire-Kafu-Article-Telerama-04-2020

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Yasushi Inoué

Yasushi Inoué est un romancier japonais, né à Asahikawa , le 06 mai 1907, mort à Tokyo , le 29 janvier 1991.

Biographie

Fils d’un chirurgien militaire souvent muté, il est pendant un temps élevé par la maîtresse de son arrière grand-père, une ancienne geisha qu’il appelle grand-mère, alors qu’elle est étrangère à la famille Inoué. Il racontera plus tard cette enfance dans son roman autobiographique « Shirobamba ». Il est un pratiquant assidu du judo (ceinture noire).

Il écrit des poèmes dès 1929. Après des études en philosophie à Kyoto et une thèse sur Paul Valéry, il se lance dans la littérature en publiant des poèmes et nouvelles dans des magazines, puis dans le journalisme, carrière entrecoupée par le service militaire (1937-1938).

En 1949, il publie « Le fusil de chasse » et se fait connaître grâce à une nouvelle récompensée la même année par le prestigieux Prix Akutagawa : « Combats de taureaux ». Il se met ensuite à publier un grand nombre de romans et de nouvelles dont les thèmes sont souvent historiques et minutieusement documentés, comme « La Tuile de Tenpyō » (1957) « Le loup bleu » – roman sur Gengis Khan (1959) ou « Le Maître de thé » (1981).

En 1964, il est élu à l’Académie des Arts et préside l’Association littéraire japonaise de 1969 à 1972. Il reçoit l’Ordre National du Mérite en 1976. Il est également élu vice-président du PEN Club International en 1984.

Certaines de ses œuvres ont été adaptées au cinéma. « Le Sabre des Takeda » (en 1953) est adapté par Hiroshi Inagaki. « Asunarô » est adapté en 1955 par Akira Kurosawa et filmé par Hiromichi Horikawa. « Le Maître de thé » inspira Kei Kumai pour son film « La Mort d’un maître de thé » en 1989 qui obtint un Lion d’argent au Festival du film de Venise.

Le fusil de chasse

« A bout de forces, trop fatiguée pour bouger le petit doigt je laissai machinalement mon regard s’attacher à ton reflet sur la vitre. Tu avais fini de frotter le canon et tu remontais la culasse, que tu avais également nettoyée. Alors tu levas et abaissas plusieurs fois le fusil en épaulant à chaque fois. Mais peu après le fusil ne bougea plus. Tu l’appuyas fermement contre ton épaule et tu visas, en fermant un oeil. Je me rendis compte que le canon était manifestement dirigé vers mon dos. »

Le Fusil de chasse, ou les multiples facettes d’une impossible passion. Trois lettres, adressées au même homme par trois femmes différentes, forment la texture tragique de ce récit singulier. Au départ, une banale histoire d’adultère. A l’arrivée, l’une des plus belles histoires d’amour de la littérature contemporaine. Avec une formidable économie de moyens, dans une langue subtilement dépouillée, Yasushi Inoué donne la version éternelle du couple maudit.

Le combat de taureaux

Voici cinq nouvelles réunies par Yasushi Inoué lui-même parmi ses préférées. Combat de taureaux, qui reçut à sa parution le Prix Akutagawa, a placé Yasushi Inoué au premier rang de la scène littéraire japonaise. Avec Le Pic Kobandai de facture plus classique, nous remontons dans le temps, à travers le thème du suicide de deux amants.

Dans les trois autres récits, Yasushi Inoué nous parle de sa propre famille et surtout de quelques personnages marginaux qu’il affectionne particulièrement – une cousine qui aimait trop séduire ou la maîtresse de son arrière-grand-père qui, pour ne pas être chassée, avait littéralement pris en otage l’enfant que lui, Inoué, était alors.

Le faussaire

Le faussaire par Inoué

Le Faussaire est conté par un journaliste qui s’engage à écrire la biographie d’un des peintres les plus brillants de son temps. Les recherches qu’il entreprend dévient sans cesse vers un être mystérieux qui a laissé derrière lui de nombreuses imitations du grand maître. Qui est le faussaire ?

Cette question finit par passionner le narrateur bien plus que la vie du célèbre artiste. Le puzzle se recompose peu à peu, et l’on découvre comment un être ordinaire a été broyé par sa rencontre avec un génie. Le second récit propose une réflexion sur l’exil oscillant entre gravité et humour.

Une ancienne légende raconte qu’autrefois les vieilles femmes étaient abandonnées sur le mont Obasuté. C’est à travers le prisme de cette fable que l’auteur analyse sa propre histoire familiale.

Pleine Lune retrace l’ascension et la chute d’un homme d’affaires. L’écrivain, dans une langue simple et dépouillée, nous révèle toute la solitude et la faiblesse d’un personnage assoiffé de pouvoir.

Les chemins du désert

Les chemins du désert par Inoué

Au début du XIe siècle, un jeune Chinois, Xingte, s’en va vers l’ouest à la recherche d’un peuple en guerre contre la Chine des Song, les Xixia. Enrôlé de force dans l’armée Xixia, Xingte va participer aux batailles qui se déroulent dans des territoires immenses, contre les Chinois, les Ouighours, les Turfans, etc.

Mais cette aventure, de bataille en bataille, dans la violence inouïe de la guerre, dans le décor inhumain des déserts sans fin, est aussi la longue quête de l’homme devant le mystère de la vie.

Poussé par l’amour d’une princesse Ouighoure, Xingte emprunte une route difficile et va rencontrer deux hommes qui seront à la fois ses compagnons et ses ennemis. Mais leurs chemins, un instant réunis, vont se séparer, et chacun s’en ira vers son destin au plus profond des déserts.

Roman d’aventures et voyage initiatique qui n’est pas sans évoquer Le Désert des Tartares de Buzzati, Les chemins du désert est aussi un jeu avec l’Histoire. L’auteur a pris comme point de départ la découverte, au début du XXe siècle des grottes de Dun Huang, à l’ouest de la Chine.

Elles contenaient plus de vingt mille documents bouddhistes datant d’avant le XIe siècle. Personne n’a jamais expliqué le mystère de leur origine, et c’est cette histoire inconnue que nous raconte Yasushi Inoué dans Les chemins du désert.

La favorite

L’histoire des tragiques amours de l’empereur Siuan-tsong et de Yang Kouei-fei est aussi célèbre en Chine que celle de Tristan et Yseult en Occident. Cet empereur de la dynastie T’ang a réellement existé : il régna sur la Chine de 712 à 756, accompagné seize ans durant par la  » Précieuse épouse  » Yang Kouei-fei.

Dans ce livre, qui se lit comme un roman d’aventures, c’est la Chine médiévale qui s’anime avec le talent d’Inoue, sur la toile de fond de la vie luxueuse et insouciante du palais et des intrigues autour de ministres sanguinaires, de généraux ambitieux, d’eunuques intrigants ou de concubines habiles.

En arrière-plan des enjeux du pouvoir, les incursions barbares aux frontières cernent la Cour d’un danger toujours pressant qui se rapproche inexorablement jusqu’au dramatique dénouement.

Roman historique donc, où l’on reconnaît, comme dans les autres œuvres d’Inoue, un constant souci d’exactitude et de vérité qui nous fait entrer de plain-pied dans un huitième siècle chinois d’une étonnante actualité.

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Yasunari Kawabata

Yasunari Kawabata , né le 11 juin 1899 à Osaka et mort le 16 avril 1972 à Zushi, est un écrivain japonais, prix Nobel de littérature en 1968 pour son roman “Pays de neige”.

Considéré comme un écrivain majeur du XXe siècle et obsédé par la quête du beau, la solitude et la mort, il a écrit en particulier des récits très courts, d’un dépouillement stylistique extrême, regroupés plus tard en recueils, mais ses œuvres les plus connues internationalement sont ses romans comme Pays de neige (1935-1947), Le Grondement de la montagne (1954), Les Belles Endormies (1960-1961) ou Kyôto (1962).

L'écrivain japonais Yasunari Kawabata (1899 - 1972), ici en 1968. L’écrivain japonais Yasunari Kawabata (1899 – 1972), ici en 1968.
Crédits : Bernard Krisher/Pix/Michael Ochs Archives – Getty

Biographie

Yasunari Kawabata est un écrivain japonais considéré comme un écrivain majeur du XXe siècle.

Second enfant d’une famille de notable, Yasunari Kawabata a une sœur aînée. Son père exerce le métier de médecin. C’est un homme cultivé, se passionnant pour la poésie et la peinture. Mais, atteint de tuberculose, il décède un an après la naissance de Yasunari ; tout comme la mère de celui-ci quelques temps plus tard, des suites de la même maladie. Yasunari est alors confié à ses grands- parents paternels. Son grand-père réalise des investissements hasardeux qui le conduisent à la ruine.

Malgré tous ces évènements, les jeunes années de Yasunari se passent tranquillement. Cependant, l’angoisse et les frayeurs qu’il relate dans ses récits commencent à le hanter.

En 1915, alors qu’il a perdu ses grands-parents, ainsi que sa sœur, il est envoyé dans la pension du lycée de Ibaragi. En 1916, il y fait la connaissance de Kiyono, un camarade de chambrée, avec lequel il se lie intimement (« mon amour homosexuel »). Parti vivre à Tokyo en 1917, Yasunari entretient avec son amant une importante correspondance, qui dure jusqu’en 1921. Il racontera cette histoire dans L’adolescent (1948).

En 1919, il évolue au sein d’un cercle littéraire, qui tient débat dans un café à la mode. Il y rencontre Hatsuyo (Michiko dans ses récits), une jeune serveuse de quatorze ans, qu’il finit par épouser. Mais, celle-ci décide de rompre un mois après leur mariage.

Hatsuyo devient sa muse, son idéal de femme qui hante son écriture. Ce n’est que douze ans plus tard, en la revoyant que le charme semble se rompre définitivement. Déçu, l’artiste doute et se remet en question.

En 1924, il fonde avec des amis le journal littéraire « Bungei Jidai » (l’âge artistique), point de départ de l’école des « néo-perceptionistes », qui s’oppose au naturalisme populaire et au mouvement littéraire prolétarien.

En 1948, il devient Président du Pen Club japonais (association d’écrivains internationale) et en 1954 il est élu membre de l’Académie Japonaise des Arts.

En 1968, il reçoit le prix Nobel de littérature, devenant ainsi le premier écrivain nippon à obtenir cette distinction. Obsédé par la quête du beau, la solitude et la mort, il a écrit en particulier des récits très courts, d’un dépouillement stylistique extrême.

À la suite du suicide de plusieurs de ses amis (notamment Mishima), il se prononce contre le suicide. Pourtant, Yasunari Kawabata finit par se suicider. Il ne laisse ni explication ni testament.


Pays de neige

À trois reprises, Shimamura se retire dans une petite station thermale, au cœur des montagnes, pour y vivre un amour fou en même temps qu’une purification. Chaque image a un sens, l’empire des signes se révèle à la fois net et suggéré. Le spectacle des bois d’érable à l’approche de l’automne désigne à l’homme sa propre fragilité.
« Le rideau des montagnes, à l’arrière-plan, déployait déjà les riches teintes de l’automne sous le soleil couchant, ses rousseurs et ses rouilles, devant lesquelles, pour Shimamura, cette unique touche d’un vert timide, paradoxalement, prenait la teinte même de la mort. »

Les belles endormies

Dans quel monde entrait le vieil Eguchi lorsqu’il franchit le seuil des Belles Endormies ? Ce roman, publié en 1961, décrit la quête des vieillards en mal de plaisirs. Dans une mystérieuse demeure, ils viennent passer une nuit aux côtés d’adolescentes endormies sous l’effet de puissants narcotiques.
Pour Eguchi, ces nuits passées dans la chambre des voluptés lui permettront de se ressouvenir des femmes de sa jeunesse, et de se plonger dans de longues méditations. Pour atteindre, qui sait ? au seuil de la mort, à la douceur de l’enfance et au pardon de ses fautes.

Le grondement de la montagne

Dans l’air inerte d’une nuit d’été, un vieil homme entend – ou croit entendre – le grondement de la montagne. Ce rugissement venu du cœur de la Terre, lui seul semble le percevoir comme la révélation de sa fin prochaine. Notable en apparence calme et rangé, le vieil homme cache une personnalité hypersensible, inquiète, troublée par une vie intérieure agitée. Seules les splendeurs fugitives de la nature, les arabesques émouvantes des oiseaux et la silhouette blanche et délicate de sa jeune belle-fille parviennent à le distraire de son obsession et de son angoisse. Avec Le Grondement de la montagne, l’écrivain confronte son personnage, hanté par la vieillesse, la mort, le rêve impossible d’un érotisme lumineux, aux grands moments de sa vie, à ses déceptions, à ses échecs, à l’écoulement des saisons ou à la beauté éphémère d’un cerisier en fleur par un matin d’hiver.

La danseuse d’Izu

Yasunari Kawabata ne révéla peut-être jamais aussi bien que dans les cinq nouvelles de La Danseuse d’Izu la poésie, l’élégance, le raffinement exquis et la cruauté du Japon.
Est-ce là ce « délicat remue-ménage de l’âme » dont parlait le romancier et critique Jean Freustié ? Chacun de ces récits semble porter en lui une ombre douloureuse qui est comme la face cachée de la destinée.
Un vieillard s’enlise dans la compagnie d’oiseaux, un invalide contemple le monde dans un miroir, et ce miroir lui renvoie d’abord son propre visage dans une sorte de tête à tête avec la mort…
Rechercher le bonheur est aussi vain et aussi désespéré qu’apprivoiser une jeune danseuse, un couple de roitelets ou le reflet de la lune dans l’eau. Voici cinq textes limpides et mélancoliques, aussi pudiques sans doute dans l’expression que troublants dans les thèmes.

Tristesse et beauté

Chez Kawabata, les beautés élégiaques, qui se laissent dépouiller, abandonner, prostituer, éviscérer par amour, préparent en silence l’avènement des beautés pernicieuses, ces petits démons qui exécuteront autour du mâle la danse de la mort. Dans Tristesse et beauté, la mort esquisse ses premiers pas pendant que sonnent les cloches de fin d’année dans les monastères de Kyôto. Oki, le romancier vieillissant, cherche à revoir un ancien amour. Elle avait seize ans, lui plus de trente. Au lendemain de la rupture, elle avait trouvé refuge chez les fous, lui dans l’écriture d’un roman qui devait lui apporter argent et gloire. En sortant de chez les fous, elle choisit de ne plus se donner qu’à l’art et devint peintre renommé. Un quart de siècle plus tard, il tente de renouer avec le passé. Mais le destin a placé aux côtés de la femme peintre une élève de dix-sept ans, diaboliquement belle et diaboliquement dévouée à son professeur.

Kyôto

L’entente entre la nature et l’homme trouve sans doute son accomplissement dans Kyôto. Deux jumelles ont été séparées à leur naissance. Elevées dans des milieux différents, l’une à la ville, l’autre dans la montagne, vont-elles pouvoir se rejoindre, adultes, et se comprendre ? Au-delà de cette histoire limpide et bouleversante, c’est l’affrontement du Japon traditionnel et du Japon qui s’américanise chaque jour davantage, qui est ici mis en scène.
Ecrit en 1962, Kyôto est sans doute l’œuvre qui exprime le plus profondément le déchirement métaphysique et psychologique de l’écrivain japonais.

Le maître du tournoi de go

La plupart des professionnels du Go aiment aussi d’autres jeux, mais la passion du Maître présentait un caractère particulier : l’incapacité de jouer tranquillement, en laissant les choses suivre leur cours. Sa patience, son endurance s’avéraient infinies. Il jouait jour et nuit, pris par une obsession qui devenait troublante. Il s’agissait peut-être moins de dissiper des idées noires ou de charmer son ennui que d’une sorte d’abandon total au démon du jeu.

Chronique d’Asakusa

Leurs yeux se cherchèrent et au moment où leurs regards allaient se fondre, les bras de l’homme l’attirèrent vers lui et il posa son visage sur la jeune femme.
Imbécile ! dit Yumiko en repoussant la bouche de l’homme de la paume de sa main droite. Les dents n’étaient-elles pas teintées par le poison des pilules que Yumiko lui avait enfoncées dans la bouche ? Elles avaient fondu en libérant le liquide.
Décidément, tu n’es qu’un imbécile !
Akagi blêmit soudain et s’effondra.
Chronique d’Asakusa, ou la banale histoire de Yumiko, une jeune femme qui voulait croire aux merveilles de l’amour dans le Tokyo des années 30.

Les servantes d’auberge

Les Servantes d'auberge par Kawabata

Ici, la vie quotidienne de jeunes prostituées, pensionnaires d’une maison close dans une petite ville d’eaux ; là, les errances intérieures d’une femme frigide ; mais aussi, les vicissitudes sentimentales d’un homme obsédé par l’image d’une morte.
Trois récits, trois nouvelles qui se développent sur trois registres littéraires différents et qui témoignent des grandes orientations de l’oeuvre de Kawabata. La subtile peinture des sentiments et des sensations dans Illusions de cristal. La poésie et la palette colorée des saisons dans Les Servantes d’auberge. Les tours inquiétants d’une passion étrange dans Le Pourvoyeur de cadavres.

Nuée d’oiseaux blancs

Nuée d'oiseaux blancs par Kawabata

Ce qui distingue Kawabata, ce sensualiste, c’est d’arriver à envelopper ses personnages d’une sorte de buée légère et tendre tout en gardant au récit une ligne très lisse, très nette, il fait naître d’étranges rapports entre ses amants…
Ses romans sont dominés par le blanc et nous sommes gagnés par cet éblouissement, par cette lumière incomparable, à ce point que nous avons tendance à oublier un fait majeur : le blanc, s’il est au Japon, comme en Occident, le symbole de la pureté.
Il est aussi la couleur funéraire, et pour bien comprendre Kawabata, il faut sans cesse penser que la vie, et la vie la plus physiquement amoureuse, la plus sensuelle, comporte toujours cet arrière-plan métaphysique le destin mortel de l’homme, jamais nommé et cependant apparent.

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Ode à Odessa

Proshchai Odessa

Cette chanson yiddish-ukrainienne « Proshchai Odessa » a été chantée par Pesakh Burstein.
Elle est ici combinée avec un Ukrayinish Kek-Vok recueilli par Yale Strom.
Vocal : Olga Avigail Mieleszczuk, violin : Daniel Hoffman, clarinet : Ittai Binnun, accordion : Ofer Malchin, contrabass : Yehonatan Levi

Oh Odessa, au revoir Odessa,
Tu vas tellement me manquer,
Je ne t’oublierai jamais,
Adieu mes amis,
Crions ensemble :
Maman Odessa, je t’aime tellement !

Histoire d’Odessa

Bribes d’histoire avant le XIXe siècle

Dans l’Antiquité, la région d’Odessa était peuplée par les Scythes et les Daces, et colonisée par les Grecs comme toute cette partie des côtes de la mer Noire.
Après la grande invasion mongole de 1241, la région devient un territoire des Tatars.
Les Ottomans inclurent la région et les Tatars islamisés dans leur Empire vers le XVIe siècle.
Durant la guerre russo-ottomane, de 1787 à 1791, les Cosaques conquirent les positions tatares, une centaine de maisons en pierre furent construites. Dans les années suivantes, des pêcheurs et marchands pontiques s’y installèrent et Catherine II de Russie choisit le nom d’Odessa en souvenir de la colonie grecque d’Odessos.

XIXe siècle

Fondée en 1795, Odessa eut son heure de gloire dans la seconde moitié du XIXe siècle.
Le duc Armand-Emmanuel du Plessis de Richelieu est considéré comme l’un des pères fondateurs de la ville. Ayant fui la Révolution française, il servit dans l’armée russe contre les Ottomans.
Il exerça d’abord la fonction de maire d’Odessa, de 1803 à 1805, puis celle de gouverneur d’Odessa et de Nouvelle-Russie de 1805 à 1814.
On lui attribue le tracé de la ville et l’organisation de ses aménagements et de ses infrastructures. Il fut assisté de son aide de camp, son beau-frère, Louis-Victor-Léon de Rochechouart. Il organisa une quarantaine courageuse pendant une épidémie de choléra qui contribua à sa renommée.
Il fut ensuite le Premier ministre de Louis XVIII à son retour en France.
Le duc fit agrandir le port par lequel s’effectuait l’exportation de blé vers Marseille. C’est à son initiative, mais après son départ, que fut fondé le lycée Richelieu, établissement d’élite de la Russie impériale, en 1817.

Au cours de la guerre de Crimée, de 1853 à 1856, Odessa fut bombardée par les marines britannique, ottomane et française.
L’augmentation du commerce entraîna la croissance d’Odessa, qui devint le port d’exportation de céréales le plus important de l’Empire russe. En 1866, la ville fut reliée par rail à Kiev et Kharkov ainsi qu’à Chișinău et Iași en Moldavie.
La famille de Léon Tolstoï possédait un hôtel particulier en ville qui peut encore être visité.
La plupart des maisons urbaines du XIXe siècle sont construites en pierre calcaire extraite des carrières des environs.
Au cours du XIXe siècle, une grande migration venant de Pologne en a fait la ville la plus juive des grandes villes de l’Empire russe.

Les révolutions russes de 1905 et de 1917

En 1905, Odessa est le théâtre d’événements révolutionnaires et d’un soulèvement d’ouvriers soutenus par l’équipage du cuirassé Potemkine pendant la révolution de 1905. Cette mutinerie inspire en 1925 le film de Sergueï Eisenstein, Le Cuirassé Potemkine.

Dans la foulée de la révolution de Février en 1917, se constitue le 15 mars 1917 une Rada (un conseil) autonome, présidée par l’historien Mykhaïlo Hrouchevsky. Ce conseil manifeste son opposition au coup d’État bolchévik en octobre comme les autres conseils d’Ukraine. Le 19 novembre la République populaire ukrainienne est proclamée.
Les bolcheviks refusent de reconnaître cette république et fondent une série de républiques : la République populaire ukrainienne des soviets (dans l’est), la république soviétique de Donetsk-Krivoï-Rog, la république socialiste soviétique de Crimée et, à Odessa, la république soviétique d’Odessa.
Mais, ne parvenant pas à maintenir son contrôle au-delà des environs immédiats de la ville, la république soviétique d’Odessa est contrainte de composer avec le pouvoir central ukrainien.
Le traité de Brest-Litovsk, signé entre les Empires centraux et la Russie bolchévique livre à l’Empire allemand les pays baltes, la Biélorussie et la République populaire ukrainienne que Lénine ne parvenait pas à contrôler.
En 1919, la ville est occupée par les forces navales françaises de l’amiral Amet venues y soutenir les armées blanches, mais les marins communistes se mutinent et l’intervention est un échec.
La guerre civile y reprend de plus belle entre, chacun pour soi, les Ukrainiens nationalistes, les Russes « blancs » tsaristes, les Ukrainiens anarchistes, et « l’Armée rouge » bolchévique qui, en 1920, prend définitivement le contrôle d’Odessa, désormais intégrée à la république socialiste soviétique d’Ukraine, membre en 1922 de l’URSS.

1941-1944 : les massacres d’Odessa

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, de 1941 à 1944, Odessa fut occupée par les forces armées roumaines alors alliées de l’Allemagne nazie et souffrit d’importants dommages.
Avant-guerre, la plus importante communauté juive d’Union soviétique, soit 133 000 personnes d’après le recensement de 1926, y vivait. Après l’attaque des forces de l’Axe contre l’URSS le 22 juin 1941, environ 45 % de cette communauté put s’enfuir vers l’intérieur de l’Union soviétique, mais quatre mois plus tard, plus de 75 000 Juifs se trouvaient encore en ville lorsqu’elle fut occupée. Le 22 octobre 1941.
Six jours après l’entrée des troupes roumaines dans la ville, un attentat tua le général Ioan Glogojeanu, commandant d’Odessa, ainsi qu’une grande partie de son état-major, faisant une quarantaine de morts.
Le soir même, le gouvernement roumain accusa l’ensemble des Juifs odessites d’en être les instigateurs et ordonna des « représailles implacables ». Vingt minutes plus tard, le nouveau commandant d’Odessa, le général Trestioreanu, annonça qu’il allait pendre les Juifs et les communistes sur les places publiques.
Pendant la nuit, cinq mille personnes furent exécutées.
Le 23 octobre, dix-neuf mille Juifs furent exécutés et leurs cadavres arrosés d’essence et brûlés.

Le maréchal Antonescu, dictateur et Premier ministre roumain de 1941-1944, donna l’ordre de tuer deux cents communistes pour chaque officier victime de la bombe et cent pour chaque soldat.
Le 24 octobre au soir, les Juifs emprisonnés furent transportés en dehors de la ville et fusillés devant des fossés anti-chars par groupe de quarante ou cinquante. L’opération se révélant trop lente, les cinq mille Juifs restants furent enfermés dans trois entrepôts et mitraillés. Puis les entrepôts furent incendiés le 25 octobre, jour de l’enterrement des militaires victimes de l’attentat du 22 octobre. La plupart des hommes juifs d’Odessa furent ainsi massacrés.
Le 1er novembre, la ville ne comptait plus que 33 885 Juifs, essentiellement des femmes et des enfants qui vivaient terrorisés dans le ghetto de Moldavanka.
Le 10 avril 1942, il ne restait plus à Odessa que 703 Juifs.
Odessa fut finalement libérée par l’Armée rouge en avril 1944 lors de l’offensive Dniepr-Carpates. Ce fut l’une des quatre premières villes à recevoir le titre de ville héros en 1945.

Odessa depuis 1945

Après la guerre, la ville en partie ruinée et dépeuplée, souffre à nouveau d’une famine, celle de 1946-1947, et la terreur rouge stalinienne n’y cesse qu’à partir de 1956, après la déstalinisation. La situation une fois normalisée, la ville se développa énormément pendant les années 1960 et 1970.
Au cours des années 1970 puis 1990, la majorité des Juifs odessites, revenus des autres régions d’URSS où ils avaient pu échapper à la Shoah, émigrèrent vers Israël, vers les États-Unis et vers l’Europe de l’Ouest. L’émigration vers Moscou et Léningrad fut aussi très importante, formant de vraies communautés. Regroupés à New York, d’autres Juifs odessites ont valu à leur quartier américain le surnom de « Little Odessa ». Après leur départ, la population recensée de la ville se déclara aux deux- tiers ukrainienne, et russe pour un tiers.

Incendie criminel à Odessa en 2014

En mai 2014, la ville est en proie à de graves troubles entre Ukrainiens partisans du gouvernement central de Kiev, et russophones partisans de la « Nouvelle-Russie ». À la suite de la mort d’un militant pro-Kiev abattu dans le centre-ville lors de graves altercations entre supporteurs d’équipes de football, les partisans russophones, pourchassés par les partisans du gouvernement central de Kiev, se retranchent à l’intérieur de la maison des Syndicats, où un incendie se déclare par suite des jets de cocktails Molotov. Une quarantaine de personnes sont mortes asphyxiées ou brûlées vives le soir du 2 mai 2014.

Pouchkine

De 1823 à 1824, le poète russe Alexandre Pouchkine y fut envoyé en exil. Dans ses lettres, il écrivit qu’Odessa était une ville où « On peut sentir l’Europe. L’on y parle le français et il y a des journaux et des magazines européens à lire. »

Ivan Aïvazovski (1817-1900), Alexandre Pouchkine sur les bords de la Mer Noire (1868) Ivan Aïvazovski (1817-1900), Alexandre Pouchkine sur les bords de la Mer Noire (1868)
Crédits : Musée Pouchkine, Moscou / Fine Art Images / Heritages Images – Getty

Poèmes de Pouchkine

Lorsque j’erre, songeur, au-delà du faubourg (1836)

Lorsque j’erre, songeur, au-delà du faubourg,
Au cimetière urbain je passe faire un tour :
Les grilles des enclos, colonnettes et dalles
Qui abritent les morts de notre capitale
Pourrissant l’un sur l’autre au milieu des marais,
Hôtes gloutons et froids d’un trop maigre banquet ;
Mausolées commerçants, monuments fonctionnaires,
Fantaisies à trois sous d’un sculpteur de misère,
Avec leurs inscriptions en prose ou mal rimées
Sur le rang et le cœur d’un mari bien-aimé ;
Larmes enamourées sur la mort d’un jocrisse,
Urnes de plâtre gris que le malfrat dévisse,
Et ces tombeaux glissants qui attendent encor,
Bâillant jusqu’au matin, qu’on leur offre leur corps, –
Et tout cela me navre et tout cela m’oppresse
Et me remplit le cœur d’une affreuse tristesse –
Au diable ! fuir et fuir ! …

Alexandre Pouchkine, dans le recueil Le Soleil d’Alexandre, paru aux éditions Actes Sud, Traduction d’André Markowicz.

L’OPRITCHNIK

(Titre des compagnons, des « mameloucks » d’Ivan le Terrible.)

Quelle nuit ! Une gelée craquante : pas un nuage ! La voûte bleue du ciel, comme une couverture brodée, est pailletée d’étoiles. Partout le silence dans les maisons ; des verrous avec de lourds cadenas barrant les portes, le peuple repose. Les tumultes du trafic se sont calmés et les chiens de garde, dans les cours, aboient en faisant sonner leur chaîne retentissante.

Moscou, d’un bout à l’autre, dort avec tranquillité, oublieux des angoisses de la terreur ; et la place publique est là, qui, dans le vague des ténèbres, regorge des supplices d’hier. Partout on voit les restes des tourments : ici, un cadavre fendu en deux d’un seul coup ; là, un poteau, là des fourches, là des chaudrons à moitié pleins de poix figée ; ailleurs, un billot renversé, plus loin des crocs de fer se dressent, des tas de cendres fument encore, mêlées d’ossements ; des hommes, que traversent des pals, noircissent tout rigides et ratatinés.

Qui est là ? À qui ce cheval traversant d’un galop furieux la place terrible ? Qui siffle, qui parle haut dans la nuit sombre ? Quel est cet homme ? Un vaillant opritchnik. Il se hâte, il se précipite à un rendez-vous d’amour. Le désir fait bouillonner ses veines ; il dit : « Mon brave, mon fidèle cheval, vole comme une flèche, vite, plus vite encore ! » Mais l’ardent animal, en faisant bondir sa crinière tressée, tout à coup s’arrête : devant lui, entre deux poteaux, sur une traverse de chêne, se balance un cadavre. Le cavalier veut passer dessous … Mais le cheval se cabre sous le fouet, s’ébroue, renâcle et se rejette en arrière. « Où vas-tu, mon vaillant cheval ? que crains-tu ? qu’as-tu donc ? N’ai-je pas hier ici galopé avec toi, n’avons-nous pas foulé aux pieds, pleins tous les deux d’un zèle vengeur, les méchants traîtres au Czar ? N’est-ce pas leur sang qui a lavé tes sabots de fer ? Tu ne les reconnais donc plus à présent ? Mon bon cheval, mon brave cheval, allons ! pars ! en avant ! » — Et le cheval, frémissant, passe comme un tourbillon sous les pieds du cadavre.

Texte établi par la Bibliothèque russe et slave
Traduction d’Ivan Tourgueniev et Gustave Flaubert, parue dans La République des Lettres, 1876

Statue de Pouchkine à Odessa

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Ame brisée – Akira Mizubayashi

« Rei éprouva comme une brûlure d’estomac, une chaleur acide, à la fois intense et diffuse, qui vous monte à la gorge. Un énorme bloc d’émotions glacées se mettait à fondre peu à peu sous l’effet de cette chaleur intérieure dormante. Le temps se défossilisait, recommençait à trembler. »

Tokyo, 1938. Quatre musiciens amateurs passionnés de musique classique occidentale se réunissent régulièrement au Centre culturel pour répéter. Autour du Japonais Yu, professeur d’anglais, trois étudiants chinois, Yanfen, Cheng et Kang, restés au Japon, malgré la guerre dans laquelle la politique expansionniste de l’Empire est en train de plonger l’Asie. Un jour, la répétition est brutalement interrompue par l’irruption de soldats. Le violon de Yu est brisé par un militaire, le quatuor sino-japonais est embarqué, soupçonné de comploter contre le pays. Dissimulé dans une armoire, Rei, le fils de Yu, onze ans, a assisté à la scène. Il ne reverra jamais plus son père… L’enfant échappe à la violence des militaires grâce au lieutenant Kurokami qui, loin de le dénoncer lorsqu’il le découvre dans sa cachette, lui confie le violon détruit. Cet événement constitue pour Rei la blessure première qui marquera toute sa vie… Dans ce roman au charme délicat, Akira Mizubayashi explore la question du souvenir, du déracinement et du deuil impossible. On y retrouve les thèmes chers à l’auteur d’Une langue venue d’ailleurs : la littérature et la musique, deux formes de l’art qui, s’approfondissant au fil du temps jusqu’à devenir la matière même de la vie, défient la mort.

Schubert String Quartet No. 13 Rosamunde
I. Allegro ma non troppo

Tesla Quartet : Ross Snyder & Michelle Lie, violons ; Edwin Kaplan, alto ; Serafim Smigelskiy, violoncelle

Schubert : Quatuor n° 13 en la mineur D. 804  » Rosamunde »
III. Minuetto, Allegretto,

Quatuor Ardeo : Carole Petitdemange, Mi-sa Yang (violons), Yuko Hara (alto) & Joëlle Martinez (violoncelle)
interprètent le 3e mouvement (Minuetto, Allegretto, Trio) du Quatuor n° 13 en la mineur D. 804  » Rosamunde » de Franz Schubert.
Extrait de l’émission Soirée spéciale France Musique sur son 21 enregistrée le 13 janvier 2021 au Studio 104 de la Maison de la Radio.

Johann Sebastian Bach : Gavotte en Rondeau from the Partita for solo violin No. 3 in E major, BWV 1006

Gil Shaham, violin
Encore recorded at a concert of the Berliner Philharmoniker, 10

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