Réveil précipité Le chat a gratté à la porte. Je m’emporte, Je maugrée… Je ne vais pas me rendormir, Je vais peut-être lire ? A moins, que le délire, de ressassements, sans cesse vienne me punir : Je n’aurai pas dû… Si j’avais su… L’écum de l’amertume affleure à l’heur de se recoucher
Franck Courtes, né en 1964 à Paris a tout d’abord été un photographe reconnu avant de devenir écrivain. Il a travaillé comme photographe portraitiste et reporter pour Les Inrockuptibles, Libération, Télérama, Le Monde… Il a exposé au Canada, à la galerie Courtieux à Suresne, aux Rencontres d’Arles en 1998, au festival de Cannes en 2000 pour Télérama, et dans diverses expositions collectives… Il décide en 2011 d’abandonner la photographie pour se consacrer à l’écriture. Franck Courtès publie des nouvelles et des romans depuis 2013. Dans À pied d’œuvre, son dernier roman, il raconte son quotidien d’écrivain très pauvre. Sans jamais se poser en victime.
« Au même âge que mon fils, je m’étais hissé au sommet d’une meule un soir, au bord du plateau. Je dominais la vallée de l’Ourcq. La nuit approchait. Les nuages venaient de loin et j’avais un peu froid. Devant moi, la terre brune, les bois sombres, le vent dans mon dos, dessinaient les contours du bonheur, les points cardinaux d’une boussole imaginaire. J’étais un cristal de garçon.»
Comment se défait-on des fantômes du passé? Ils sont trois personnages, une mère et ses deux enfants, Mathis et Vinciane, à tenter de survivre après la mort accidentelle de Jacques. Si Mireille, inconsolable, s’est figée dans son destin de veuve d’un héros magnifié, Vinciane, elle, traverse les océans pour oublier. Quant à Mathis, prisonnier de l’image paternelle, il enchaîne les conquêtes et s’abîme dans la séduction. Tous se débattent mais le fantôme de Jacques rôde, un fantôme qui épouserait les fantasmes et les culpabilités de chacun. Mais vient un jour où il faut solder les comptes et songer à l’avenir.
Comment raconter cette impression de dépossession quand je retourne à la campagne ? Une campagne où je n’ai pas grandi mais où j’ai fait grandir en moi, lors des weekends et des vacances, la certitude que la beauté était en péril ? Inspiré par mes souvenirs, j’ai voulu dérouler les destins parallèles de deux enfants, Quentin et Gary, sur une période de trente années, dans un village situé à moins de 80 kilomètres de Paris, passé du paradis à l’enfer. Enfant sensible, Quentin aime profondément la nature ; Gary, lui, inquiète déjà par sa sauvagerie et son agressivité. En grandissant, Quentin s’éprend d’une jeune fille nommée Anne ; ils échangent leurs premières étreintes tandis que Gary s’entoure d’un gang, vole, fume et se met à écouler de la drogue fournie par les Marocains de la cité voisine, allant jusqu’à embringuer le jeune frère de Quentin.
« On peut s’aimer, s’en faire une fête, s’en vanter, l’afficher, croire qu’on a découvert le secret du bonheur, un jour les rouages se grippent. »
Les quatorze histoires qui composent ce recueil forment autant d’épisodes liés par deux thèmes communs : l’insoluble question du bonheur dans l’amour et le crépuscule de la passion. Dans cette anthologie du couple contemporain, des hommes et des femmes se débattent avec des sentiments trop grands pour eux. Inattendu, quiproquos et humour s’invitent dans le ballet qui se joue entre ces êtres qui s’attirent, s’affrontent, se blessent et se reconstruisent. Saisissant avec brio l’essence d’un couple, d’un désir, d’une impossibilité, Franck Courtès confirme ici son talent de nouvelliste.
Les copains des maisons de campagne, un jeune homme confronté à la lâcheté, un père divorcé qui s’inscrit à un jeu télévisé pour conquérir ses enfants, une jeune femme qui sacrifie tout pour courir le marathon, un bobo parisien qui contemple le monde dans un restaurant japonais.
Au cours de ces nouvelles, du cœur de la ville au cœur de la campagne, Franck Courtès déroule le fil ténu de nos vies. Il dit avec maestria ces tremblements de terre intimes et silencieux qui font basculer chacun de ses héros et qui les rendent si fragiles.
« La photographie était ma raison d’être. J’étais photographe. J’ai été extrêmement photographe, passionnément photographe, hanté par la photographie. Mon amour immodéré s’est mué en une haine qui n’a d’égale que celle d’un amant trahi. »
Franck Courtès fut photographe pendant vingt-six ans. Vingt-six années de passion, de voyages autour du monde et de rencontres, qui ont permis à celui qui fut un élève timide et rétif à l’autorité de tutoyer les plus grands. Arletty, Jean-Pierre Léaud, Jacques Demy, Iggy Pop, Michel Polnareff, Joey Starr, Karim Benzema, Jacques Derrida, Pierre Bérégovoy, Patrick Modiano : telles sont quelques-unes des personnalités que l’on croise au gré de ce récit foisonnant d’anecdotes, où Franck Courtès relate ces années au cours desquelles il s’est fait un nom. En 2011, pourtant, il a remisé ses appareils, ses pellicules et ses archives, et renoncé définitivement à être photographe. Le dégoût du star-system, les exigences de plus en plus délirantes des célébrités comme des patrons de presse, les fins mercantiles des portraits de presse et l’avènement du tout-numérique ont eu raison de sa foi. Dans ce métier, il a bien failli se perdre lui-même ; en choisissant la voie de l’écriture, il s’est retrouvé. La dernière photo est le récit de cette passion, de ce désamour et de cette renaissance.
« Entre mon métier d’écrivain et celui de manœuvre, je ne suis socialement plus rien de précis. Je suis à la misère ce que cinq heures du soir en hiver sont à l’obscurité : il fait noir mais ce n’est pas encore la nuit. »
Voici l’histoire vraie d’un photographe à succès qui abandonne tout pour se consacrer à l’écriture, et découvre la pauvreté. Récit radical où se mêlent lucidité et autodérision, À pied d’œuvre est le livre d’un homme prêt à payer sa liberté au prix fort.
Armen Lubin (1903-1974) est né à Istanbul sous le nom de Chahnour Kérestédjian. Persécuté, comme ses compatriotes arméniens, il doit quitter la Turquie à l’été 1923, devenant de fait apatride. À Paris, il fait ses premiers pas de poète français, sous l’aile d’André Salmon et de Jean Paulhan, qui le publiera chez Gallimard. Très vite atteint d’une affection tuberculeuse redoutable, le mal de Pott, il passera sa vie dans des hôpitaux et des sanatoriums de l’Assistance publique. Soutenu par ses amis, parmi lesquels Henri Thomas, Madeleine et Jean Follain, il continuera d’écrire malgré la maladie et la douleur. Méditation sur l’exil, la perte et l’écriture, Armen est aussi le récit d’une affinité, d’une rencontre entre Hélène Gestern et son sujet. D’une ampleur incomparable, ce texte nous emporte dans les méandres de deux destinées que tout oppose et qui, pourtant, se répondent. C’est la première fois qu’Hélène Gestern livre avec pudeur quelques clés de son univers romanesque.
Quelques bribes de poèmes d’Armen Lubin
Jours de famine La devanture n’est que rouge Mais elle devient couleur sang-de-bœuf Dès que sur la boutique peinte le soleil percute, On a aussitôt un Bureau de Placement pour des brutes.
Vingt-quatre brutes se suivent dans une seule journée Mais leur nombre s’était follement multiplié À cause de la famine qui était grande, qui était debout, Qui obligeait à manger avec des précautions lentes Mais comme on ne mangeait que des clous, Toujours la douleur faisait sentir sa pointe.
Et toujours on rompait les fils d’attente Vers les hauteurs du boulevard de la Tempête Où une pique en frappant à l’aveuglette Restait fichée dans une poitrine vaincue, Et toujours cela formait un angle aigu.
Les sans-patrie ont toujours tort Puisqu’ils transportent du bois mort Et campent dans de sombres garnis, Chaque mur y a ses petites hernies. Car c’est un hôtel moisi et croulant, Sur une corde se balancent des piments. Hôtel borgne dont l’oeil valide s’infecte, Hôtel où les réfugiés et leurs dialectes Se glissent par une vieille porte noircie
N’ayant plus de maison ni logis, Plus de chambre où me mettre, Je me suis fabriqué une fenêtre Sans rien autour. […]
Se sont dépouillées les vieilles amours, Mais la fenêtre dépourvue de glace Gagne les hauteurs, elle se déplace, Avec son cadre étonnant,
Qui n’est ni chair ni bois blanc, Mais qui conserve la forme exacte D’un oeil parcourant sans ciller L’espace soumis, le temps rayé.
Et je reste suspendu au cadre qui file, J’en suis la larme la plus inutile Dans la nuit fermée, dans le petit jour, Ils s’ouvrent à moi sans rien autour.
Le long de l’eau de la rivière Galopent les chevaux couleur de pierre La lune rousse, faune échevelée Suis le cheval blanc dans son galop ailé
La gazelle alléchée par ces prouesses galantes Se vautre et se fait plus aimante. La mouche vibre à l’appel silencieux des notes L’oiseau piaffe et la croque.
La forêt mugit pour faire entendre qu’elle proteste Un souffle de vent pousse les nuages La dame des hautes cimes enrage Pliée sous son fardeau, elle part, sans un geste
Je me sens nègre blanc, Immigré togolais, arabe ou portugais Je me sens breton de souche De couches occitanes ou corses
Je suis le conteur social De cette mère édentée qui trainent ses lardons De ce lupen-prolétariat qui grouille De ces éclopés, noirs émigrés De ces prolos encagés, sortis de racines alcooliques auto-mitraillés par la grisaille chaotique De ces garnements dégoutés d’exister
Je suis la rage au ventre Aux ventres creux de ces pouilleux Sous alimentés de culture à 100 balles De ces télé-fusillés dans leurs chaises bancales
Ce sont eux, les poinçonneurs divins Qui, d’un coup de clef à molette Eurent pu trancher la tête Des banquiers véreux
Je suis le crachat, le dégoût, le vomissement Je suis le revanchard de toutes les révoltes Je suis cette appendice canularde Qui vous bave sous le nez
De tout mon cœur Je me suis battu Le gilet jaune J’ai revêtu
Sur le rond-point J’ai levé le poing J’y suis venu Et je t’ai vu
SOS amor Tu m’as conquis J’t’adores
L’automne S’est parée D’une langueur monotone De 1er degré
La nuit, Du satin blanc… C’était pour une autre vie, Ce n’était pas le moment
Lavabo 3ème porte à droite. Dans le dos Des coups de lattes.
Ne te fais pas Des nœuds Au cerveau Sacrebleu
Croque note Crois en eux Adopte Les mots bleus Ceux qui font du bien A son corps comme au tien
Ne laisse pas aller ton corps Saute à l’élastique Voleur d’amphores Au fond des criques Au pavillon des lauriers C’est maintenant qu’il faut se réveiller D’un amour aveugle Si peu partagé
Au jardin des délices Goûte à tous les épices Qu’entre tes cuisses Je me glisse
Que n’ai-je appris à skier Que n’ai-je fondu Sur ton balconnet Sans m’y être perdu
Que n’ai-je pris l’Everest Le devant et le reste Aucun express ne m’emportera Vers la félicité, vers le walhalla
Dans la généalogie Je me suis perdu Dans la géographie Des petits ensembles Des grands amphis
Malaxe l’automate Mes circuits sont niqués Y’a tout à remplacer Dans cette boite crânienne Celle qui était mienne
Paul a dit Que l’orange était bleue Mais Jacques a dit Qu’il fallait ouvrir le parapluie A Cherbourg ou ailleurs L’Asie coule à mes oreilles A Saint Jacques j’irai A Beaugency ou Orléans Pour retrouver la mémoire Sur les tombes
Bombez le torse Soldat Par l’au-delà Tu transmettras le morse Des morceaux d’histoire Disloquées, dispersées Des morceaux de mémoire A tes descendants
Magdelaine est allée De Chambéry en Russie A pied. Comment est-elle revenue Sans s’être perdue ? Elle s’est retrouvée A vendre des bondieuseries A prendre des photographies. Ne prend pas la fuite Ecrit donc la suite
Ma petite entreprise A bien connue la crise Pour s’y retrouver Dans toutes ces pensées
Soldat, sans joie Va, déguerpi L’amour t’a faussé compagnie
Ose ma jolie Ne tourne pas le dos à la vie Prends des trains à travers la plaine Affronte tes tempêtes Et comble ta quête
Impossible De te satisfaire De vaines espérances Il faut te défaire.
Hommages à Bashung, à Julie, à Magdelaine, aux disparus objets de mes recherches, à Nougaro, à Crosby et à d’autres…