L’Education Sexuelle – Jean Marestan

Je m’apprêtais à faire du tri et à me débarrasser de vieux livres chinés ou hérités quand ma curiosité me fit feuilleter ce livre : L’Education Sexuelle écrit par Jean Marestan, édité en 1934.
Je m’attendais à quelque livre moralisateur, prônant l’hygiène et les bonnes mœurs…
Qu’elle ne fût pas ma surprise…

C’est tout d’abord des citations de Montaigne qui attirèrent mon regard et m’incitèrent à prolonger ma lecture :
« Qu’a donc fait aux hommes l’action génitale, si naturelle et si nécessaire, pour la proscrire et la fuir, pour n’oser en parler sans vergogne et pour l’exclure des conversations ? On prononce hardiment les mots tuer, voler, trahir, commettre un adultère, etc… et l’acte qui donne la vie à un être, on ose le prononcer !… O fausse chasteté ! honteuse hypocrisie ! »
« Ne sont-ils pas bien brûtes ceux qui nomment brutal l’acte qui leur a donné le jour ? »

Quelques extraits vous permettront de juger que ce livre était bien au contraire d’une modernité émancipatrice :

Peu après l’apparition de la puberté, les voluptés de l’amour deviennent pour l’appareil génital un besoin aussi pressant que les aliments pour l’estomac, et il n’y a que les gens atteints d’imperfection, d’atrophie ou d’absence des organes génitaux qui puissent rester, sans menace de troubles plus ou moins graves, strictement fidèles aux vœux de la continence absolue. (…)

C’est dans l’absurde et féroce loi de Moïse (opprobre jeté, sur les relations sexuelles légales, sur l’enfantement ou la femme la plus chaste est présentée, de par sa fonction procréatrice, comme un être de perdition…) qu’il faut chercher la genèse des sentiments d’horreur pour tout ce qui a trait à l’amour sexuel, sentiments dont s’inspirent, aujourd’hui encore, les moralistes officiels de la plupart des nations civilisées. (…)
Cet étrange code de morale né près de dix-huit cents ans avant Jésus-Christ, devait avoir sur le christianisme d’abord, sur le catholicisme ensuite, et sur les coutumes des sociétés qui leur furent soumises, une répercussion profonde. (…)
Ainsi la tradition veut que Jésus reçût le jour d’une vierge qui avait obstinément refusé les caresses de son époux, et qui conçut sans étreinte, fécondée par l’Esprit Saint. On ne pouvait admettre que le Fils de l’Homme n’eût pas de mère ; on ne pouvait pas plus reconnaître qu’il fût né, comme le commun des mortels, des suites d’un acte jugé impur. Mais c’était nettement glorifier la virginité aux dépens de la maternité et montrer même au sein du mariage religieux, la consommation des épousailles comme une souillure. (…)

Aussi est-il souverainement injuste de faire honte aux individus, particulièrement aux femmes comme c’est la coutume, d’avoir des passions sexuelles fortes, et de les soumettre pour cela à la réprobation. (…)
Le degré de civilisation des peuples se mesure à l’importance et au respect accordés à la femme dans la vie publique. Il appartient à la société de proclamer l’égalité entière des sexes. (…)
S’il est un droit imprescriptible, c’est celui de disposer entièrement de soi. (…)

Mes recherches sur ce livre et son auteur m’apprirent que la première édition de ce livre eut lieu en 1910…

Mais qui était donc ce Jean Marestan ?

1905

Jean Marestan, de son vrai nom Gaston Havard, né le 5 mai 1874 à Liège (Belgique), mort le 31 mai 1951 à Marseille (Bouches-du-Rhône), aurait été le fils naturel d’un médecin belge ; la famille de sa mère, une Française musicienne et peintre, s’était exilée après la guerre franco-allemande.
Des revers de fortune l’obligèrent à interrompre des études médicales et il vint à Paris, attiré par les lettres. Il s’installa sur la Butte Montmartre et fréquenta les ateliers de peintres, les milieux artistiques et connut les littérateurs d’avant-garde.

Il adhéra très vite au mouvement anarchiste : on trouve son nom dans les carnets de Sébastien Faure en 1894. Il compta parmi les premiers rédacteurs du Libertaire, fondé en février 1895 par Sébastien Faure et Louise Michel.
Plus tard, il collabora aussi à L’anarchie (n° 1, 13 avril 1905). En 1906, il s’élèvera contre « l’espèce d’auréole dont les révolutionnaires, d’esprit plus romanesque que positif, avaient paré la silhouette du trimardeur et de l’assassin » (L’anarchie, 1er novembre 1906).

Marestan fut attiré un moment par les milieux magnético-spirites. C’est à cette occasion qu’il se découvrit des talents de guérisseur, qu’il exerça ensuite pendant longtemps. Il publia en 1901 à Paris une plaquette éditée par la Société des journaux spiritualistes réunis, Le Merveilleux et l’Homme coupé en morceaux.

Il s’installa à Marseille en 1903, 10 boulevard Philippon, et anima le groupe de jeunes sympathisants libertaires Les Précurseurs. Dès cette époque, il commença à se faire connaître comme conférencier. Les problèmes sexuels l’intéressaient avant tout et il se joignit bientôt au groupe des néo-malthusiens, apportant son concours à Génération consciente fondée en 1908 par Eugène Humbert.

En 1910, Jean Marestan publiait aux éditions de La Guerre sociale son livre L’Éducation sexuelle qui obtint un réel succès, fut traduit en cinq langues et réédité plusieurs fois en France.

À Marseille, l’activité de Jean Marestan fut grande et il devint vice-président de la section des Bouches-du-Rhône de la Ligue des Droits de l’Homme et président d’honneur de la Libre Pensée.
De 1912 à 1913 notamment, il parcourut la France entière, donnant des conférences sur l’éducation sexuelle et le problème des familles nombreuses. Parallèlement, il se dépensait en faveur du mouvement antimilitariste et contre les bagnes militaires qu’il avait eu l’occasion d’approcher au cours d’une enquête en Algérie.

En 1914, il fut mobilisé dès le début des hostilités au 42e régiment d’infanterie à Carqueiranne dans le Var puis au 112e régiment d’infanterie, enfin muté dans le service sanitaire et affecté comme infirmier à l’Hôtel-Dieu à Paris.

Après la guerre, Marestan fit de nombreuses conférences dans la région marseillaise et prit part à diverses campagnes de solidarité. Il parla notamment « Pour l’amnistie intégrale, contre la guerre » en mai 1924 et sur « Éducation sexuelle intégrale, liberté sexuelle et amour libre » en janvier 1927 et fit des causeries sur la libre pensée, le communisme, le soutien aux victimes de la répression en Espagne.

Une réédition de son livre sur l’éducation sexuelle lui valut en 1920 un contrôle durable de la police, bien qu’il ait proposé de le retirer de la vente et d’en faire une nouvelle version qui n’enfreindrait pas la loi.

Il fut initié à la franc-maçonnerie et fréquenta la loge La Parfaite Union de Marseille.
Marestan, qui ne fut, « à aucune époque, un orthodoxe de l’anarchisme, éprouva certaines sympathies pour l’URSS. En 1936, après un voyage en URSS, il tenait « pour profondément injuste » de ne pas faire de distinction entre les régimes fascistes d’Italie et d’Allemagne et celui de « l’actuelle Russie rouge, alors même que cette dernière n’aurait pas évolué dans un sens absolument conforme à celui de nos espérances »

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Marestan s’occupa d’insoumission et de résistance. Il fut arrêté le 26 février 1943 et resta emprisonné une centaine de jours à la prison Saint-Pierre de Marseille. Après la Libération, il maintint des rapports étroits avec les milieux anarchistes. En 1949, il effectua, sous l’égide de la Fédération anarchiste, une série de conférences sur « l’Éducation sexuelle », à Clermont-Ferrand, Saint-Étienne et Roanne.

Les publications de Jean Marestan

Le Merveilleux et l’homme coupé en morceaux, Société des journaux spiritualistes réunis, 1901, 64p.
Le Mariage, l’Amour Libre et la Libre Maternité, Éditions de Génération consciente, 1911.
L’Éducation sexuelle, Paris, La Guerre Sociale, 1910.
Biribi d’hier et d’aujourd’hui, Marseille, Éditions rationalistes, s. d. (vers 1913)
Le Mariage, le divorce et l’union libre (1927)
L’Émancipation sexuelle en URSS : impressions de voyages et documents (1936)
L’Impudicité religieuse (vers 1934-1939)
Nora ou la Cité interdite (Provencia, 1950)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut