Corps expéditionnaire russe – Le périple de la 1ère brigade spéciale d’infanterie

Après les accords de décembre 1915 avec la France, le gouvernement impérial russe met sur pied quatre brigades d’infanterie, fortes de 44 000 hommes, réparties en huit régiments spéciaux pour venir en aide à l’armée française.
Les 1ère et 3ème, brigades (généraux Lochwitsky et Maruchevski), arrivent au printemps 1916 en France.
Les 2ème et 4ème, brigades débarquent à Salonique pour se battre sur le front d’Orient. Elles serviront jusqu’à leur dissolution en janvier 1918.

La 1ère Brigade

La 1ère brigade est formée de volontaires de Moscou pour le 1er régiment et de Samara pour le 2éme régiment. Les brigades sont formées essentiellement de bataillons de réserve, c’est à dire des hommes n’ayant pas subi leur baptême du feu. Chaque unité est composée de 3500 hommes. Les cadres subalternes et les soldats sont choisis parmi les volontaires sachant lire et écrire.

1er régiment :

La sélection du 1er régiment s’est faite sur des critères physiques comme dans la garde où une certaine uniformité était recherchée. Les engagés devaient être châtains et avoir les yeux gris. La plupart savent lire et écrire. Les officiers viennent de la garde ou de la ligne et la quasi-totalité parle français. Le 1er régiment est essentiellement composé d’ouvriers d’usines.

2ème régiment :

Les hommes du 2ème régiment devaient être blonds aux yeux bleus, tous âgés entre 21 et 25 ans, Le 2ème régiment spécial est composé de 12 officiers, de 3 chefs de bataillons et d’un commandant, tous étant de carrière, volontaires et sachant parler le français. A leur arrivée, cet effectif sera complété par des officiers subalternes français parlant russe au nombre de 73. Le 2ème régiment est composé de paysans.

Le voyage

L’ordre de départ est donné le 10 janvier 1916. Commence alors, sous la neige l’aventure de la 1 ère brigade. Elle se met en route, depuis Moscou pour le 1er régiment et depuis Samara sur la Basse Volga pour le 2ème régiment. Les troupes sont dépourvues d’armements lesquels devaient être fournis par la France à l’exception des piquets d’honneur auxquels sont attribués quelques fusils de la guerre russo-turque.

Les deux régiments vont entamer un périple d’environ trois semaines, traversant en train l’Empire Russe des étendues glacées de la Sibérie jusqu’aux côtes du Sud de la Mandchourie, territoire japonais depuis la guerre russo-japonaise (1904-1905), soit un périple de 6500 km. Au départ de Samara, les hommes de troupe montent dans des trains à marchandises, nommée « Teplouchkas » alors que les officiers empruntent un vieux « Pullman » 2ème classe. Les wagons serviront aux hommes et officiers d’habitat pendant une vingtaine de jours allant des rives de la Volga jusqu’au port de Daïren.
A Irkoustsk, le train s’arrête deux jours avec des températures glaciales à –53°C. Les hommes peuvent alors se réchauffer dans un restaurant où ils étonnent par leur mode de paiement : de la poudre d’or. En effet, un chèque du Crédit Lyonnais payable au porteur pour la somme d’un million de francs-or était alloué au 2ème régiment afin de couvrir les frais de représentation de celui-ci.

Le train fait une halte également à Kouantchédzé, aux confins de la Mandchourie, afin de prendre un train japonais. Le confort de ces derniers semble être un peu plus précaire, les wagons étant froids et sans feux. Les officiers, malgré leur voiture américaine se retrouvent également dans des wagons glaciaux et inconfortables. La traversée du territoire japonais impose quelques contraintes et notamment l’obligation pour les officiers de descendre 3 ou 4 fois pour être reçus par des officiers japonais. Les japonais avaient pris toutes les mesures nécessaires pour cacher le convoi aux espions allemands. D’ailleurs, il était interdit aux soldats d’ouvrir les portes des wagons ainsi que de montrer leur tête à la lucarne.

Le 28 février 1916, la brigade arrive à Daïren. Le 1er régiment est le premier à lever l’ancre le lendemain avec deux navires : le « Latouche-Tréville » et « l’Himalaya ». Sur le premier navire, embarquent une partie du 1er régiment avec l’État-Major.

Ces navires les mèneront des rives froides de la mer de Chine aux fournaises de l’Océan Indien puis à la Mer Rouge. Quelques escales leur permettent d’entr’apercevoir des territoires et peuples peu connus comme Saigon, Hong Kong et Singapour. Après les températures extrêmes du Canal de Suez, la Méditerranée est plus clémente. Après 50 jours d’aventures, le premier régiment voit se dessiner à l’horizon les côtes de la France.

Trajet du corps expéditionnaire russe en 1916

Le 2ème régiment quant à lui ne part que le 30 février de Daïren avec le « Sontay » (paquebot mixte de 12 000 tonnes). Il traverse la Mer Jaune jusqu’au détroit de Formose, Tchossima et s’arrête à Singapour le 9 mars 1916 où il défile avec une chaleur insupportable. Hélas, l’escale se prolonge, la troupe attendant les torpilleurs russes qui doivent la convoyer car la rumeur court que les Allemands prévoyaient une attaque pour les envoyer par le fond.
Le 2ème régiment fait également escale dans la baie de Nicobar à mi-chemin entre Singapour et Colombo. Il s’arrête à Colombo le 19 mars 1916 où une foule acclame les soldats.
Après sept jours de fournaise dans la Mer Rouge, le « Sontay » entre dans le Canal de Suez. Le navire doit attendre trois jours dans le lac Ismaïl en compagnie du navire géant « ville de Paris », transformé également en transport de troupe. Cette attente est due à la crainte d’une attaque turque. Enfin, le « Sontay », convoyé par trois torpilleurs français rentre en Méditerranée.

Le 15 avril 1916, il entre dans le vieux port de Marseille. Une foule importante accueille les soldats russes.

Le Général Joffre est également présent pour souhaiter la bienvenue aux Russes :

« Notre fidèle allié, la Russie, dont les armées combattent déjà si vaillamment contre l’Allemagne, l’Autriche et la Turquie, a voulu donner à la France un gage nouveau de son amitié, une preuve plus éclatante encore de son dévouement à la cause commune.
Des soldats russes choisis parmi les plus braves et commandés par les officiers les plus réputés, viennent combattre dans nos rangs. Vous les accueillerez comme des frères ; vous leur montrerez quelle chaude sympathie vous réservez à ceux qui ont quitté leur patrie pour venir lutter à nos côtés.

Au nom de l’armée française, je souhaite la bienvenue aux officiers, sous-officiers et soldats des troupes russes débarquées en France. Je m’incline devant leurs drapeaux, sur lesquels s’inscriront bientôt les noms glorieux de communes victoires. »

Général Joffre

A peine débarqués, les Russes perçoivent, leurs armes distribuées par des soldats coloniaux.

Après avoir perçu 2 fusils sans chargeur, les soldats vont rejoindre leurs camarades déjà alignés et leur remettre leur arme. Les coloniaux chargés de la distribution sont des Martiniquais.
Archives CERFS. Crédits photographiques A. TIESENHAUSEN.

Les régiments gagnent à pied le camp Mirabeau. Le lendemain 21 avril, le premier régiment défile devant la population marseillaise avec son drapeau au côté duquel marche le Général LOKHVITSKY.
Le lendemain de la fête orthodoxe de Pâques, les soldats russes prennent le chemin pour le camp de Mailly avant de rejoindre le front.

Image d’en tête :
Défilé de la 1ère Brigade russe dans les rues de Marseille. Avril 1916. Photographe : Albert Moreau. ECPAD

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