Clément Gellé et Marie Albertine Bourdin les parents de Marie-Anne et de Paulette
Clément Théophile Gellé est né, le 6 juillet 1877 à Pierrefitte (nord des Deux-Sèvres, entre Bressuire et Thouars). Il est le cadet d’une fratrie de quatre enfants. La famille Gellé est implantée à Pierrefitte, depuis 1600, date du plus ancien acte de naissance que nous avons pu retrouver.
Marie-Albertine Bourdin est née, le 3 novembre 1881 à Saint-Sauveur de Givre en Mai (aujourd’hui intégrée à Bressuire), troisième d’une famille de cinq enfants, originaire de Chiché. Lors de leur mariage, le 12 juin 1901, Clément Gellé a 24 ans, Marie-Albertine Bourdin a 20 ans.
De cette union vont naître 5 enfants : Fernand Clément Louis né le 03 mai 1902, à Pierrefitte Sylvain Eugène Joseph né le 30 octobre 1903, décédé le 19 septembre 1906, à l’âge de 3 ans Paulette Thérèse née le 10 septembre 1905 Gilbert Fernand né le 23 décembre 1908 Marie-Anne Germaine Frida née le 9 juin 1912
Marie-Albertine Bourdin ne s’est pas bien remise de son dernier accouchement, elle doit élever quasiment seule ses quatre enfants, son mari Clément est dur et pas très aidant. Le 22 février 1914, Marie-Albertine meurt à l’âge de 32 ans. De quoi ? dans quelles circonstances ? dans l’état actuel de mes recherches, je ne le sais pas.
A sa mort en 1914 les quatre enfants vivants ont respectivement : Fernand 12 ans, Paulette 8, Gilbert 5 ans, Marie-Anne 20 mois.
Auguste Bourdin et Philomène Cron
Auguste Bourdin, le frère de Marie-Albertine se marie le 16 novembre 1908 à Boussais avec Philomène Cron. Auguste à 24 ans, Philomène 21.
A la mort de Marie-Albertine, le couple Auguste – Philomène, bien que marié depuis plus de cinq ans n’a pas réussi à avoir d’enfant. La question de s’occuper de Marie-Anne ne se pose pas longtemps, Auguste et Philomène « adoptent » leur nièce Marie-Anne, sans qu’un document ou jugement quelconque soit établi. De fait, Auguste et Philomène deviennent le père et la mère de substitution de Marie-Anne.
Auguste, bien qu’âgé de 30 ans, est mobilisé le 1er août 1914, comme beaucoup d’autres. Peu avant la fin de la guerre, il est blessé le 5 avril 1918 à Grivesnes dans la Somme. Transporté à l’hôpital militaire temporaire n°49 à Orleans dans le Loiret, il y décède le 20 avril 1918.
Après 6 ans de mariage, 4 ans de solitude à attendre Auguste, à 31 ans, Philomène se retrouve veuve et doit élever seule, la petite Marie-Anne. En 1920, elle se remarie, à Coulonges, avec Eléonor Paindessous de 10 ans son aîné. Ils s’installent comme métayers au hameau de Fontenay sur la commune de Mauzé-Thouarsais.
Marie-Anne Gellé et Hubert Grégoire
A 19 ans, Marie-Anne rencontre Hubert Grégoire. Ils se marient le 23 novembre 1931 à Moutiers sous Argenton.
Le jeune couple vient habiter à Fontenay avec Philomène et Eléonor. Le travail ne manque pas, la ferme peut nourrir toute la famille. Hubert est un gars de la terre, des bras jeunes et vigoureux sont les bienvenus.
La famille ne tarde pas à s’agrandir, le 16 août 1932, naissent deux jumelles : Anne-Marie et Hélène, suivies deux ans plus tard par la naissance de Lucette née le 17 septembre 1934 puis Raoul vient compléter la famille le 20 juillet 1936.
Recensement, hameau de Fontenay, commune de Mauzé-Thouarsais, 1936
Eléonor et Philomène vont se retirer dans une petite maison de Fontenay 3 rue de la Patelière et laisser Hubert et Marie-Anne occuper la métairie. Hubert est devenu le chef de famille.
Le 28 février 1958, Marie-Anne décède à l’âge de 46 ans Eléonor décède en 1968 à l’âge de 90 ans. Philomène en 1970 à l’âge de 83 ans. Hubert Grégoire décède le 12 novembre 1979 à l’âge de 70 ans.
Marie-Anne est décédée alors que ses premiers petits-enfants avaient un peu plus de 3 ans. C’est pourquoi, les petits-enfants les plus vieux ont considéré, Philomène, (grand-mère Paindessous) comme leur grand-mère.
Les 4 enfants d’Hubert et de Marie- Anne
Les 3 sœurs : Anne-Marie, Hélène et Lucette se marient en 1954
Les 2 jumelles Anne-Marie et Hélène se marient le même jour, le 2 juin 1954. Anne-Marie avec Roland Bichon Hélène avec Albert Berthelot Lucette se marie avec Marc Chabosseau le 17 août 1954
Raoul se marie, lui, le 25 octobre 1960 avec Jeannette Gonnord.
Les 12 petits enfants d’Hubert et de Marie- Anne
Anne-Marie Grégoire et Roland Bichon : Marc Bichon né en 1954 Hélène Grégoire et Albert Berthelot : Sylvaine Berthelot née en 1955 Richard Berthelot né en 1957 Nadége Berthelot née en 1962
Lucette Grégoire et Marc Chabosseau : Philippe Chabosseau né en 1954 Jean-Marc Chabosseau né en 1957 Anne Chabosseau née en 1960
Raoul Grégoire et Jeannette Gonnord : Laurent Grégoire né en 1964 Patricia Grégoire née en 1966 Eric Grégoire né en 1967 Christophe Grégoire né en 1969 Alain Grégoire né en 1971
Anne-Marie et Lucette vont accouchées à un jour d’intervalle : Marc Bichon nait le 24 septembre 1954 Philippe Chabosseau, le 25 septembre 1954
Eté 1956 : photo de famille – les premiers enfants de la génération suivante Marc né le 24 septembre 1954, Philippe né le 25 septembre 1954 De gauche à droite : Philippe Chabosseau, le bébé au chapeau dans les bras de son père Marc Chabosseau. Derrière son épaule Lucette Grégoire elle a 22 ans, elle a donné naissance de son premier enfant à tout juste 20 ans. Au centre, Marc Bichon est dans les bras de sa mère, Anne-Marie Grégoire – Bichon. Au centre toujours, à l’arrière-plan, Hubert Grégoire et Marie-Anne Gellé encadrent Marc. Au centre derrière Marc, entre nos deux grands-parents Grégoire, quelqu’un que j’ai mis bien longtemps à identifier : Paul Cron (Fils d’Albeline Cron, sœur de Philomène, adopté par Philomène et Eléonor). Enfin, au centre, assise, grand-mère Philomène Cron-Paindessous et debout à ses côtés, grand-père Eléonor Paindessous.
Il est probable, que cette photo ait été prise à l’occasion de la présentation par les deux sœurs de leur progéniture à leurs parents et grands-parents.
Temps fort : Bach : Passion selon saint Matthieu BWV 244 Ricercar Consort • Les Muffatti • Maîtrise de la Perverie • Direction : Philippe Pierlot Vendredi 29 mars à 20h00 La Passion selon saint Matthieu de Bach s’érige comme l’une des œuvres les plus magistrales de toute l’histoire de la musique liturgique. Elle était considérée par Bach lui-même comme son plus grand chef-d’œuvre de musique vocale.
Dans la pièce Qui deviendra La salle à manger, Il n’y avait rien.
Une veille de Noël, L’abbé Brochain Apporta, un train électrique ! Cette fois ci, Ce n’était pas une orange ! Mais le train Ne fonctionna pas !
La pièce d’1 franc C’était le gardien. Les pièces d’1/2 franc C’étaient les joueurs. La pièce de 5 centimes C’était le ballon. Mon frère était le Red Star Et moi, Sochaux.
14 ans. Péricardite et mononucléose. Alité d’octobre à mai De l’année suivante. P’tit gilet, le prof d’anglais Et sa femme, prof d’allemand M’apportaient des livres : « Le dernier des Mohicans » « Premier de cordée » « Un, dont je ne retrouve pas le titre… Me transportait Dans la pampa argentine Les soirs ou le vent soufflait Dans les volets.
Ça m’a sauvé.
Pour que je suive Des cours par correspondance, Mes parents ont réuni Leurs économies Pour m’acheter Un bureau, droit, De planches de contreplaqué. Il n’y eu pas de correspondance. Les paquets sont restés Bien sagement Dans leurs enveloppes kraft, Confinés.
Un peu plus tard, Il y eu Françoise Gaillard. Je l’avais récupéré A la sortie du lycée Avec le vieux vélo de mon père, Mes cheveux longs Et ma veste militaire. J’aurai dû être fier, Mais je n’ai pas osé.
Un autre jour, Peu après, Je me suis enfui. J’ai laissé un mot, Volé quelques billets. Le train ne nous a pas emmené, Bien loin. La tente était incomplète Mais nous avons campé Au bord de la voie. A l’endroit de notre évasion Nous avons trouvé Un plat Abandonné là Par quelque bohémien.
Au bout de peu de temps Nos parents nous ramenaient Au bercail. Piteux et dépités.
En souvenir J’ai gardé Le plat Tout au long des années.
Des photos figées De communions, De préparatifs D’une montre reçue Plein de fierté.
Sur le balcon, Le spectacle : Voir au loin Sauter les parachutistes Petits points dans le ciel D’espoirs incertains.
C’est là, que je suis né Tout du moins C’est ce que je crois.
Ma mère m’a couru après Autour du puits Pour me faire manger C’est ce qu’elle m’a souvent dit.
Ne pas manger Ce qu’elle avait préparé Quel affront ! ça a laissé des traces.
En le fermant, Mon cartable a heurté La bouillotte Qui n’était pas fermée Le cou de ma petite sœur A été ébouillanté.
La tête ailleurs J’ai laissé échapper Dans la descente de la cave, Faro, le chiot Que j’avais dans les bras. Il ne s’en est jamais remis.
Sur le trottoir, Pour aller chez grand-père A la hauteur de l’abricotier du jardin J’étais prêt à donner Un coup de pied Dans une petite branche… Mais, le serpent s’est redressé.
Sur la photo, Nous sommes quatre, Sur le tas de sable Mon frère était déjà né.
Un soir de froid glacial, Je suis allé dans les toilettes. Les nouveaux propriétaires Avaient réquisitionné La chambre de mes parents Pour les y installer. La cuvette était gelée J’ai forcé sur la manette Elle a cassé. Je n’ai jamais avoué Être l’auteur De ce méfait.
Nous n’avions plus qu’une chambre Pour cinq : Le lit des parents Le lit de ma petite sœur Et le nôtre, Celui de mon frère et moi.
En descendant de la chambre En bas de l’escalier Un évier Où, nous devions nous laver.
Mon cauchemar était récurrent, Un janissaire Armé d’un cimeterre, Jaillissait Du dessous de l’escalier. Pour nous couper la tête, Pour nous effrayer.
Un jour, Le cousin René Est venu partager La galette. Il a avalé la fève, Pour ne pas avouer, Qu’il l’avait eu. Il a failli s’étouffer.
C’est à dix ans, Que je suis descendu Dans la rue, Au 21. Je devais aller à l’école Avec ma blouse grise Mais, je ne m’en souviens plus.
A la ferme des Raby, Nous allions chercher le lait Dans le bidon en alu Avec la poignée en bois. Dans un panier Quelques fois, Nous ramenions Des légumes ou des œufs.
Philippe Jaccottet est un poète, écrivain et traducteur français. Il est né en 1925 à Moudon en Suisse. Après des études de lettres à Lausanne et à Paris, Jaccottet s’installe à Grignan dans la Drôme en 1953.
Son premier recueil de poèmes, « L’Effraie et autres poèmes », est publié en 1953. Il est suivi par de nombreux autres recueils, dont : L’ignorant (1958), Airs (1963), À la lumière d’hiver (1977), Cahier de verdure (1990), Après beaucoup d’années (1994), La Clarté des ombres (2011) …
Jaccottet est connu pour son style sobre et lyrique, ainsi que pour sa capacité à saisir la beauté des moments simples de la vie quotidienne.
Avec d’autres poètes ; Yves Bonnefoy, son ami André du Bouchet, Francis Ponge et d’autres, Jaccottet a appartenu à une génération de poètes français qui s’est caractérisée par son lyrisme après la Seconde Guerre mondiale.
Le travail de traduction de Jaccottet ne peut être séparé de sa propre production. Il a traduit en français du grec (l’Odyssée d’Homère), de l’allemand (Goethe, Hölderlin, Rilke et aussi les œuvres complètes de Robert Musil), de l’italien (Leopardi, Carlo Cassola, Giuseppe Ungaretti, Giovanni Raboni) et de l’espagnol (Góngora). Pour ses grands travaux de traduction, Jaccottet a reçu le Grand Prix National de Traduction en 1987.
Il est considéré comme l’un des plus grands poètes européens. En plus de son travail poétique, il a publié de nombreux ouvrages en prose, journaux intimes, réflexions sur la poésie et la traduction. Au cours de sa carrière, Jaccottet a reçu de nombreux prix littéraires, dont le Grand prix national de la poésie en 1988, le prix Goncourt de la poésie en 2003, et le prix de la Bibliothèque nationale de France en 2010. Il a également été élu membre de l’Académie française en 2004.
Jaccottet est connu pour son engagement en faveur de l’environnement et de la protection de la nature, ainsi que pour son opposition à la guerre et à la violence. Il était également un fervent défenseur de la langue française et de la traduction littéraire.
Philippe Jaccottet est décédé le 24 février 2021 chez lui, à Grignan (Drome). Il est considéré comme l’un des plus grands poètes de langue française du XXe siècle
Poèmes
L’effraie Je sais maintenant que je ne possède rien pas même ce bel or qui est feuilles pourries Encore moins ces jours volant d’hier à demain à grands coups d’ailes vers une heureuse patrie
Elle fut avec eux, l’émigrante fanée la beauté faible, avec ses secrets décevants vêtue de brume. On l’aura sans doute emmenée ailleurs, par ces forêts pluvieuses. Comme avant
je me retrouve au seuil d’un hiver irréel où chante le bouvreuil obstiné, seul appel qui ne cesse pas, comme le lierre. Mais qui peut dire quel est son sens? Je vois ma santé se réduire
pareille à ce feu bref au-devant du brouillard qu’un vent glacial avive, efface. Il se fait tard.
Philippe Jaccottet, L’effraie, Gallimard, 1954
Les nouvelles du soir A l’heure où la lumière enfouit son visage dans notre cou, on crie les nouvelles du soir, on nous écorche. L’air est doux. Gens de passage dans cette ville, on pourra juste un peu s’asseoir au bord du fleuve où bouge un arbre à peine vert, après avoir mangé en hâte; aurais-je même le temps de faire ce voyage avant l’hiver, de t’embrasser avant de partir? Si tu m’aimes retiens-moi, le temps de reprendre souffle, au moins juste pour le printemps, qu’on nous laisse tranquilles longer la tremblante paix du fleuve, très loin jusqu’où s’allument les fabriques immobiles…
Mais pas moyen. Il ne faut pas que l’étranger qui marche se retourne, ou il serait changé en statue: on ne peut qu’avancer. Et les villes qui sont encore debout brûleront. Une chance que j’aie au moins visité Rome, l’an passé, que nous nous soyons vite aimés, avant l’absence, regardés encore une fois, vite embrassés, avant que l’on crie « Le Monde » à notre dernier monde ou « Ce soir » au dernier beau soir qui nous confonde…
Tu partiras. Déjà ton corps est moins réel que le courant qui l’use, et ses fumées au ciel ont plus de racines que nous. C’est inutile de nous forcer. regarde l’eau, comme elle file par la faille entre nos deux ombres. C’est la fin, qui nous passe le goût de jouer au plus fin.
Philippe Jaccottet, L’effraie, Gallimard, 1954
Dans un tourbillon de neige Ils chevauchent encore dans les espaces glacés, les quelques cavaliers que la mort n’a pas pu lasser. Ils allument des feux dans la neige de loin en loin, à chaque coup de vent il en flambe au moins un de moins. Ils sont incroyablement petits, sombres, pressés, devant l’immense, blanc et lent malheur à terrasser. Certes, ils n’amassent plus dans leurs greniers ni or ni foin, mais y cachent l’espoir fourbi avec le plus grand soin. Ils courent les chemins par le pesant monstre effacés, peut-être se font-ils si petits pour le mieux chasser ? Finalement, c’est bien toujours avec le même poing qu’on se défend contre le souffle de l’immonde groin.
Philippe Jaccottet, L’ignorant, Gallimard, 1958
Le petit verger de cognassiers Autre chose vue au retour d’une longue marche sous la pluie, à travers la portière embuée d’une voiture : ce petit verger de cognassiers protégé du vent par une levée de terre herbue, en avril. Je me suis dit (et je me le redirai plus tard devant ces mêmes arbres, en d’autres lieux) qu’il n’y avait rien de plus beau, quand il fleurit, que cet arbre-la. J’avais peut-être oublié les pommiers, les poiriers de mon pays natal. Il paraît qu’on n’a plus le droit d’employer le mot beauté. C’est vrai qu’il est terriblement usé. Je connais bien la chose, pourtant. N’empêche que ce jugement sur des arbres est étrange, quand on y pense. Pour moi qui décidément ne comprends pas grand-chose au monde, j’en viens à me demander si la chose « la plus belle », ressentie instinctivement comme telle, n’est pas la chose la plus proche du secret de ce monde, la traduction la plus fidèle du message qu’on croirait parfois lancé dans l’air jusqu’à nous ; ou, si l’on veut, l’ouverture la plus juste sur ce qui peut être saisi autrement, sur cette sorte d’espace où l’on ne peut entrer mais qu’elle dévoile un instant. Si ce n’était pas quelque chose comme cela, nous serions bien fous de nous y laisser prendre. Je regardais, je m’attardais dans mon souvenir. Cette floraison différait de celle des cerisiers et des amandiers. Elle n’évoquait ni des ailes, ni des essaims, ni de la neige. L’ensemble, fleurs et feuilles, avait quelque chose de plus solide, de plus simple, de plus calme ; de plus épais aussi, de plus opaque. Cela ne vibrait ni ne frémissait comme oiseau avant l’envol ; cela ne semblait pas non plus commencer, naître ou sourdre comme ce qui serait gros, d’une annonce, d’une promesse, d’un avenir. C’était là, simplement. Présent, tranquille, indéniable. Et, bien que cette floraison ne fût guère plus durable que les autres, elle ne donnait au regard, au cœur, nulle impression de fragilité, de fugacité. Sous ces branches – là, dans cette ombre, il n’y avait pas de place pour la mélancolie…
Philippe Jaccottet, Blason vert et blanc, recueil Cahier de verdure, Gallimard, 1990
Comment fleurit la rose trémière Comment fleurit la rose trémière : de bas en haut de sa tige, à mesure que l’été passe (tandis qu’au pied de la plante les larges feuilles rouillent, se déchirent, quelquefois tombent en loques), cette façon de la floraison de se réfugier de plus en plus haut, cela m’a surpris, un jour de juin, et fait penser au soleil du soir qui fleurit en or au sommet des arbres, en rose à la cime des montagnes, de plus en plus haut, lui aussi.
Philippe Jaccottet, Une couronne, recueil Après beaucoup d’années, Gallimard, 1994
A la brève rose du ciel d’hiver A la brève rose du ciel d’hiver on offre ce feu de braises qui tiendrait presque dans la main
(« Cela ne veut rien dire », diront-ils, « cela ne guérit de rien, ne sécherait même pas une larme…)
Pourtant, voyant cela, pensant cela, le temps d’à peine le saisir, d’à peine être saisi, n’avons-nous pas, sans bouger, fait un pas au-delà des dernières larmes ?
Philippe Jaccottet, recueil Après beaucoup d’années, Gallimard, 1994
Philippe Jaccottet, une poésie de l’incertitude et de la fragilité
L’écrivain et traducteur Philippe Jaccottet, mort ce 24 février 2021, était l’un des poètes de langue française les plus inventifs, mais aussi l’un des plus lus, traduits et étudiés. Au fil de rares entretiens, retour sur une œuvre et un parcours qui ont toujours veillé à « l’immédiateté au monde ».
Ecrivain suisse de langue française, Philippe Jaccottet était l’un des poètes les plus inventifs et prolifiques de sa génération. Mort une semaine avant la parution de ses derniers textes, Le Dernier livre de Madrigaux et La Clarté Notre-Dame (à paraître aux éditions Gallimard le 4 mars), il laisse une œuvre d’une apparente simplicité et d’un accès très immédiat, habitée par la nature — il arpentait sans relâche les collines de la Drôme où il avait élu domicile — mais aussi par les rêves suscités par cette nature.
De son premier recueil, L’Effraie et autres poèmes (1953) à L’Encre serait de l’ombre – Notes, proses et poèmes (1946-2008), l’écrivain est resté fidèle à une poésie qui tente de dire l’immédiateté, l’insaisissable, et de concilier « la limite et l’illimité, le clair et l’obscur, le souffle et la forme. » Une poésie marquée au coin de l’incertitude et de la fragilité qui sera récompensée par le Goncourt de la poésie en 2003, et vaudra à son auteur l’honneur d’entrer dans la Bibliothèque de la Pléiade de son vivant, en 2014. Cette conscience aiguë de la fragilité du langage face à ce qui détruit le monde, Philippe Jaccottet la résumait ainsi : « Les seules réalités positives que l’on peut opposer à la dégradation générale et au nihilisme sont tellement évasives, tellement frêles, qu’elles sont en quelque sorte improbables. » (France Culture, 2001).
Une vie placée sous le signe du doute et de l’effacement
Né le 30 juin 1925 à Moudon, dans le canton de Vaud (Suisse), Philippe Jaccottet commence à publier au début des années 1950. Dans L’Ignorant publié en 1957, il écrit à seulement 32 ans, comme on affirme un programme : « L’effacement soit ma façon de resplendir. » S’il fréquente dans sa jeunesse les cercles littéraires, où il côtoie Jean Paulhan, Francis Ponge ou Jean Tardieu et devient l’ami de poètes de sa génération comme Yves Bonnefoy, André Du Bouchet, André Dhôtel, Pierre Leyris ou Henri Thomas, Philippe Jaccottet va rapidement faire sienne la maxime de Nietzsche « Tu ne peux pas être à la fois un écrivain et un héros de la culture ». Dès 1953, il décide de s’installer, en compagnie de sa femme, la peintre Anne-Marie Haesler-Jaccottet, dans le village de Grignan dans la Drôme, afin de fuir tout ce qui aurait pu le divertir de l’écriture.
En juin 1956, Philippe Jaccottet reçoit pour son recueil L’Effraie, paru en Suisse trois ans plus tôt, le Prix Rambert, décerné par un jury d’étudiants de l’Université de Lausanne. Dans son discours de remerciement, il écrit : « Comment ne pas être hésitant lorsque l’on a conscience avec acuité de l’incertitude extrême et de la ridicule fragilité des seules choses que l’on ait à dire ? » (Une transaction secrète, Gallimard, 1987). Cette méfiance vis-à-vis des mots et de la parole, ce doute quant à leur capacité à exprimer « les choses les plus importantes de la vie« , l’écrivain la conservera toute sa vie.
Eloge du doute
Admirateur de la pensée de Simone Weil, Philippe Jaccottet avouait pourtant qu’il se demandait comment la philosophe pouvait être aussi affirmative dans ses écrits. Il confiait, au micro d’Alain Veinstein, que la certitude était la chose du monde qui lui était la plus étrangère : « Rien n’est plus éloigné de ma nature. » Ces doutes, cette incertitude qui formaient le cœur de son rapport au monde, Philippe Jaccottet leur avait donné une fonction : celle de détonateur, de moteur même, de sa poésie. Toute son œuvre procède de cet état obscur, confus, de ce sentiment d’égarement face au monde : « S’il n’y avait pas le doute, il n’y aurait pas ces moments inespérés. »
Cette ignorance qu’il convoquait dans le titre de l’un de ses premiers recueils, Philippe Jaccottet la revendiquait encore des dizaines d’années plus tard, même s’il convenait qu’elle s’était au fil de sa vie déplacée, du champ de l’écriture à celui plus vaste, des questions existentielles : « J’ai le sentiment d’un accord plus grand que par le passé avec mon travail, je sais à présent que ce que je peux faire de moins mal, c’est me servir d’un don poétique, qui est la seule chose que je possède. Le doute s’est déplacé sur la totalité de la condition humaine, je comprends de moins en moins pourquoi je suis ici. Ce n’est pas par coquetterie que j’ai appelé un de mes livres « L’Ignorant ». Je ressens une ignorance profonde, qui s’est aggravée avec le temps.
La poésie comme un état de grâce
Simone Weil affirmait que « les biens les plus importants ne doivent pas être recherchés mais attendus« . A cette phrase qu’il aimait citer, Philippe Jaccottet ajoutait : « même pas attendus, il faudrait qu’ils vous viennent en pensant à autre chose. » C’est à cet état de totale disponibilité au monde que l’écrivain attribuait l’écriture des poèmes qu’il considérait comme les plus aboutis : ceux rassemblés dans le recueil Airs-Poèmes 1961-1964 (Gallimard) ou encore certaines des notes publiées dans La Semaison. Carnets 1954-1979 (Gallimard). Dans ce même « Du jour au lendemain », il évoquait « ces éclaircies mystérieuses, si difficiles à saisir » et, tout en se méfiant du mot « grâce« , les expliquait en les reliant à la pensée taoïste du Wuwei : « Les poèmes les plus lumineux m’ont été le plus aisément donnés, ils sont sortis de ma tête sans retouche. C’est pour cela que je dis qu’il y a peut-être un peu de taoïsme dans ma démarche. Je ressens la nécessité de me laisser imprégner d’une certaine passivité d’écoute et d’accueil du monde extérieur, sans un trop grand contrôle de la raison. Si je devais décrire mon rapport à la poésie, ce serait celui de quelqu’un qui se laisse aller au fil du courant d’une rivière, mais qui a quand même une rame pour diriger son bateau. »
Une œuvre de traducteur
Philippe Jaccottet était aussi un immense traducteur. Couronnée par le Grand prix national de Traduction en 1987, cette autre œuvre — d’Homère à Goethe — presque aussi impressionnante que son œuvre poétique, aura occupé une grande partie de sa vie. Au micro d’Alain Veinstein, il expliquait en 2001 que cette activité lui a longtemps semblé concurrencer sa poésie : « Je me suis plaint longtemps du temps que les traductions me prenaient. Mais aujourd’hui, je me dis que je n’aurais pas écrit plus de livres, ni de meilleurs livres si j’avais été rentier. » C’est à ce travail ardent et passionné que l’on doit notamment la réception en France de l’œuvre de Robert Musil (1880-1942), dont la traduction de L’Homme sans qualités, commencée en 1955 ne s’achèvera que trente ans plus tard. Mais aussi une part très importante de celle de Rainer Maria Rilke (1875-1926) ou Friedrich Hölderlin (1770-1843) dont il s’est chargé de l’édition des œuvres complètes dans la Bibliothèque de La Pléiade. A côté de ces grands noms de la littérature — auxquels il faudrait encore ajouter Platon et Thomas Mann — Philippe Jaccottet a aussi permis de faire découvrir ou redécouvrir des écrivains inconnus ou tombés dans l’oubli comme l’Espagnol Luis de Góngora (1561-1627), l’Italien Giuseppe Ungaretti (1888-1970) ou le Russe Ossip Mandelstam (1891-1938).
Un poète entré à la Pléiade de son vivant, et enseigné à l’Université
En 2014, Philippe Jaccottet a été le 15e écrivain à entrer de son vivant dans la Bibliothèque de la Pléiade, le troisième poète après Saint-John Perse (1887-1975) et René Char (1907-1988). L’écrivain participe alors à l’édition de ses œuvres complètes (à l’exception de son œuvre de traducteur) en vers et en prose, et dans l’ordre chronologique de l’écriture. Couvert de prix littéraires, traduit et lu dans le monde entier, Philippe Jaccottet était aussi l’un des poètes contemporains qui a fait l’objet de plus de thèses et de critiques. S’il était très reconnaissant à l’université d’avoir fait, depuis les années 1980, une telle place à son œuvre, et d’en avoir permis une large réception auprès d’un public d’étudiants et de chercheurs, l’écrivain avouait rechercher dans sa retraite drômoise quelque chose d’un rapport au monde plus naturel et plus immédiat : « Plus on est lu, plus on est commenté, plus on risque de se voir imposer, même dans le monde discret de la poésie, une sorte de personnage, et par conséquent d’avoir à épouser les traits de celui-ci. C’est comme se regarder dans un miroir flatteur, cela fait peser une menace sur cette immédiateté du rapport au monde que je voudrais conserver aussi longtemps que possible. C’est la raison de ma discrétion, cela n’a rien à voir avec de la modestie. »
Toute l’activité poétique se voue à concilier, ou du moins à rapprocher la limite et l’illimité, le clair et l’obscur, le souffle et la forme. C’est pourquoi le poème nous ramène à notre centre, à notre souci central, à une question métaphysique. Le souffle pousse, monte, s’épanouit, disparaît ; il nous anime et nous échappe ; nous essayons de le saisir sans l’étouffer. Nous inventons à cet effet un langage où se combinent la rigueur et le vague, où la mesure n’empêche pas le mouvement de se poursuivre, mais le montre, donc ne le laisse pas entièrement se perdre. Il se peut que la beauté naisse quand la limite et l’illimité deviennent visibles en même temps, c’est-à-dire quand on voit des formes tout en devinant qu’elles ne disent pas tout, qu’elles ne sont pas réduites à elles-mêmes, qu’elles laissent à l’insaisissable sa part. Philippe Jaccottet, mars 1960 (in La Semaison, Carnets 1954-1979, Gallimard, 1984)
Dire le monde par la poésie ? Yvon Le Men le fait depuis toujours.
Depuis son premier livre Vie (1974), écrire et dire sont les seuls métiers d’Yvon Le Men : « L’écriture, c’est la solitude et l’absence. La scène, c’est la présence et le partage. J’ai besoin de ces deux chemins. » Depuis 1972 il a donné des récitals dans de nombreuses villes de Bretagne, de France et dans le monde. À Lannion, où il vit, il crée les soirées « Il fait un temps de poème », où il se fait le passeur des poètes et des écrivains du monde entier. Programmateur aux côtés de Michel Le Bris, il instaure dès 1997 un espace dédié à la poésie au festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo. Il est l’auteur d’une œuvre poétique importante à laquelle viennent s’ajouter dix récits, deux romans et un recueil de nouvelles. Ses poèmes, livres ou anthologies sont traduits dans une vingtaine de langues.
Goncourt de la poésie, un genre trop rarement mis à l’honneur hors les sentiers balisés, un grand voyageur des mots et superbe poète, le Breton Yvon Le Men, né en 1953 à Tréguier. « Un passeur qui prend le temps d’écouter le monde et interroge les mots. »
1ère rencontre
1978 – Centre d’Animation de la Doutre (le CAD) dans le cadre des Hootenannys (1) organisées par « La Lucarne » (Le groupe folk angevin Ellebore, Patrick Fradet (2) et moi) Yvon Le Men vient dire ses poèmes.
Depuis plusieurs mois, j’ai croisé la route de NEVENOE (3), j’ai échangé avec Mary Lelez chargée de la promo des artistes de la coopérative et Gérard Delahaye (4) est venu se produire au CAD.
Yvon a déjà écrit 3 recueils et enregistré un disque :
Un homme qui passe (Vie, 1974) Dehors les paysans qui refusent la misère Ils ont habillé leurs désirs D’une veste de velours ancienne et propre. L’homme a levé le poing, Dehors une main tendue, Un regard naïf, En dedans un cœur qui a saigné D’une source de vie.
Faut que j’écrive sinon je m’arrête (En espoir de cause, 1975) et j’attends demain alors le temps mort c’est-à-dire la mort mélangée dans la boue du talus où il y avait autrefois des primevères de mon cerveau où il y avait autrefois toi j’interdis à la vie de mourir je n’ai pas de pouvoir
l’attente demander au voisin de l’accident à des prières grises d’hôpital à la couleur bleue de la gendarmerie à rien ils ne te connaissent pas et je ne suis pas ton père
ils ne savent pas que tu n’es peut-être pas morte mais seulement partie…
On a marché bras à bras (Dis c’est comment la terre,1976) On a marché bras à bras sans rien prononcer pour ne pas déflorer n’importe quand cette morale des choses et des mots orchestrée par le vent et le langage le plus simple le plus noble.
(1) La hootenanny est un rassemblement de musiciens folk de caractère festif aux États-Unis. Ce sont Woody Guthrie et Pete Seeger qui baptisèrent ainsi leurs réunions musicales hebdomadaires à New York dans les années 1950. La Lucarne organisera en 1977 et 1978 des rencontres (hootenanny) entre artistes en devenir ou confirmés tous les mardis soir. Des bœufs débridés, de la musique, du théâtre… et une fois par mois un concert, une représentation d’artistes connus ou en voie de reconnaissance. J’ai le souvenir d’un mime syrien, sourd qui débarquera un de ces mardis soirs et qui embarquera tous ceux qui étaient là dans un moment d’émotions, de larmes non contenues devant tant de tendresse et de poésie exprimées.
(3)NEVENOE Névénoé est une coopérative d’expression populaire et un label de musique breton, fondée par Patrick Ewen et Gérard Delahaye en 1973. De 1973 à 1982, la coopérative a produit 13 LP et onze 45 tours de chanson, poésie, musique folklorique, jazz et rock, dont : 1973 La Faridondaine, Gérard Delahaye, NOE 30001 1973 Beggin’ I will go, Patrick Ewen, NOE 30002 1974 Musiques Celtiques pour Cornemuses, Pib Meur, NOE 30003 1975 Annkrist, Annkrist, NOE 30004 1975 Yvon Le Men, Yvon Le Men, NOE 30005 1976 Le grand cerf-volant, Gérard Delahaye, NOE 30006 1976 Basse-Danse, Melaine Favennec, NOE 30007 1976 Marc’h Gouez, Kristen Noguès, NOE 30008 1978 Le Printemps, Gérard Delahaye, NOE 30009 1978 Chansons simples et chants de longue haleine, Melaine Favennec, NOE 30010
(4) Gérard Delahaye. Nos routes se sont moins croisées mais quand même… Comment ne pas se souvenir de cette soirée à La Crilousière où nous nous retrouvâmes à une dizaine à manger et dormir dans notre refuge de 40m² dans la forêt entre Marcé et Montigné les Rairies. Gérard était accompagné de ses musiciens dont Daniel Paboeuf, Patrick Fradet était de la partie… https://www.gerarddelahaye.fr/
Les rencontres virtuelles…
Vue sur le Mont Jamais fenêtre ne fut si justement posée dans le paysage
d’où seconde après seconde les étoiles pénétraient dans le jour par le centre de la seconde
d’où image après image les lumières pénétraient dans le Mont par le centre de la Merveille
qui disparaissait peu à peu pas à pas, pierre à pierre sous une autre merveille.
Jamais fenêtre n’ouvrit autant d’images dans ce lieu où la mer et le Mont ont survécu à tant de morts et de marées
Poésie 1, N°41, mars 2005 « Passeurs de Mémoire » Le cherche-midi éditeur, 2005
L’alphabet Quand tu apprends l’alphabet Ne laisse pas tomber une lettre Car si elle se blesse Tu ne trouveras plus le mot pour appeler Quand tu apprends l’alphabet Et que le Z te paraît bien loin du A Demande à ta maman une chanson Pour finir le chemin Quand tu apprends l’alphabet N’oublie pas le W Car même s’il est le plus costaud Il ne sort pas souvent et se sent un peu triste Quand tu apprends l’alphabet Rappelle toi qu’avec vingt-six lettres On peut faire beaucoup de mots Et tu pourras les partager Avec tes parents, tes amis, tes secrets.
Yvon Le Men, poète du bord du monde
Ouest-France Renée-Laure EUZEN. Publié le 16/06/2019
Le poète du Trégor (Côtes-d’Armor), Yvon Le Men, vient de recevoir le prix Goncourt de poésie pour l’ensemble de son œuvre. Une reconnaissance que l’artiste de 66 ans partage volontiers.
Du Trégor à la Chine, le poète Yvon Le Men balade la musique de ses mots. En novembre, il sortira d’ailleurs un disque. D’aussi loin qu’il s’en souvienne, la poésie l’a toujours habité. Yvon Le Men était enfant lorsqu’il a pris conscience de la puissance des mots. J’avais douze ans. Je venais d’enterrer mon père. Et je me suis dit qu’il y avait forcément un lien pour relier la terre et le ciel. Pour moi, ça a été la poésie. Issu d’un milieu modeste, l’enfant de Sainte-Renaud, hameau niché entre Minihy-Tréguier et La Roche-Jaudy, a toujours été entouré de livres et de mots. Par mon père, c’était davantage la tradition orale. Ma mère, elle, faisait du théâtre amateur. Son premier recueil, Vie, paraît lorsqu’il a 21 ans. Avec le recul, aujourd’hui, il sourit en pensant à ses textes du début… Sans pour autant les renier. Est-ce que l’on s’améliore avec l’âge… en voilà une question. J’avoue que je n’ai pas forcément la réponse.
Raconter plutôt que dire Rester en marge tout en étant dans le monde, au bord, livrer un regard décalé , tel qu’il le dit lui-même, voilà selon Yvon Le Men la place du poète. Un jour émerveillé en observant le vol d’un héron sur le Léguer depuis le chemin de halage de Lannion, un autre bouleversé de voir sa mère, au crépuscule de sa vie, avancer doucement vers la mort… Quinze jours avant qu’elle ne décède, je lui ai dit : je t’emmène où tu veux. Elle m’a répondu : allons à Port-Blanc. On s’est assis sur un banc, sans parler pendant une heure. Une scène qui lui inspirera ce vers Elle est assise dans ses 40 kilos devant la mer : Je n’ai pas osé le lui dire… Dire, c’est d’ailleurs pour l’homme de lettres un mot qu’il n’apprécie pas. Je préfère raconter un poème. Les siens, comme ceux des autres. Il n’est pas avare de vers, d’où qu’ils viennent, de Finlande, de Chine ou encore d’Haïti. Mais il garde un profond attachement à son Trégor natal, et à la Bretagne qu’il parcourt régulièrement au gré de ses différents projets. La poésie l’a mené dans le quartier Maurepas à Rennes ou dans la campagne du Coglais, aux confins du Mont-Saint-Michel. Il en a d’ailleurs tiré Aux Marches de Bretagne, un recueil illustré par le dessinateur costarmoricain, Emmanuel Lepage. Au pied des tours comme en bordure des champs, il a trouvé des gens qui ont besoin qu’on les écoute . Loin du cliché du poète replié sur ses propres émotions, l’homme ne se cache pas son inquiétude sur l’état du monde, confronté à la montée des nationalismes et à l’égoïsme brutal des Bolsonaro, Trump, Orban… Et pourtant, il tient à garder sa part d’enfant. Il ne faut jamais quitter l’enfant qu’on a été. En le faisant, on souffre peut-être moins, mais on est moins vivant.
L’enfant en nous De son enfance, il a gardé des vers qui lui ont permis de nourrir Une île en terre, le premier tome de sa trilogie, Les continents sont des radeaux perdus. Un titre qu’il porte en lui depuis une trentaine d’années, confie-t-il. Du Trégor à la Chine, au fil des trois tomes, Yvon Le Men questionne l’humanité sur son rapport à l’autre. « Va à l’étranger comme chez ton ami et chez ton ami comme à l’étranger ». Ce vendredi, la ville de Lannion où il vit l’a honoré pour son prix. C’est avec ses amis chinois et allemand qu’Yvon Le Men a partagé ce moment. Si loin, si proche… les mots s’affranchissent des frontières. Et lui qui sillonne la France et le monde saut de quoi il parle. « Quand j’étais jeune, j’ai fait 2 000 kilomètres pour un seul vers. » Bientôt, il reprendra la route pour sillonner la Bretagne, depuis Sainte-Tréphine. J’ai assisté aux obsèques du chanteur Yann Fanch Kemener, lui aussi était un poète. Pour lui, j’ai dit un texte de Xavier Grall. Ce jour-là quelque 1 500 personnes étaient réunies dans la petite église. Cette image m’a bouleversé. Trilogie Les continents sont des radeaux perdus (Une île en terre, Le poids d’un nuage, et Un cri fendu en mille) aux éditions Bruno Doucey et Aux Marches de Bretagne illustré par Emmanuel Lepage aux éditions Dialogues.
Yvon Le Men, par Michel Le Bris
Yvon Le Men – Michel Le Bris Ma première rencontre avec Yvon Le Men date de l’après-68 – sans doute en 1975, car venait de paraître son premier livre, chez J.-P. Oswald. C’était dans la grande cour du musée des Jacobins, bondée et en effervescence, à Morlaix. Un jeune poète, regard fiévreux, le poing brandi, soulevait la foule autour de lui, et c’était bien la première fois que je voyais un meeting où des poèmes avaient plus de force que les slogans. Le poing brandi, depuis, est devenu une main ouverte, sans que jamais il cède sur son choix d’existence : s’il est quelqu’un répondant à ce que Maurice Clavel exprimait si bien dans un petit film fameux, L’Insurrection de la vie, c’est bien lui, dont le premier recueil publié avait justement pour titre Vie. Beau programme, dira-t-on – surtout si on l’entendait au sens strict : abandonnant ses études, n’avait-il pas fait le pari, dans la folie de mai, de « vivre en poésie » ? À comprendre dans tous les sens de « vivre », dont le plus difficile : économiquement. Et l’extraordinaire est qu’il a tenu ferme depuis, vivant de ses livres et de ses spectacles, devenu le plus grand poète de Bretagne, poète aussi du monde entier, traduit en plus de dix langues… Vivre en poésie – cela aurait-il pu s’imaginer hors de Bretagne ? Je n’en suis pas certain, tant « Bretagne est poésie » depuis des siècles, tant l’imaginaire, ici, se nourrit du poème du monde, tant « l’être ensemble » s’y tisse de musiques et de mots. C’est pourtant un poète du soleil qui fut le déclencheur de sa vocation, Jean Malrieu, pour cette simple phrase : « Le bruit court que l’on peut être heureux. » Xavier Grall, un peu plus tard, puis l’immense Guillevic, Claude Vigée : les plus grands auront su très vite le reconnaître comme un des leurs. Vivre en poésie, vivre de sa poésie et uniquement d’elle… Il se sera donc fait diseur, comédien, passeur de mots et de poètes, brûlant sa vie sur scène, des plus grandes aux plus petites des villages de Bretagne et d’ailleurs, loin, très loin des chapelles, des clans, des modes éphémères. Parce que pour tenir ce pari d’existence, il faut être un peu fou, certes, mais surtout d’une exigence absolue, stylistique et morale, excluant par avance affèteries postmodernistes et verbiages mondains, tissant de livre en livre une œuvre forte, originale. Nous voulions affirmer l’urgence de la poésie en ces temps de crise et combien « l’être ensemble » se nourrit de la perception d’une dimension poétique de l’être humain : poète du plus près, de soi et des autres, et poète du plus loin, Yvon Le Men, au fil des années, aura su faire du festival, dans la salle Sainte-Anne à Saint-Malo comme à Bamako, à Port-au-Prince, à Haïfa, à Rabat, à Dublin, à Sarajevo, un lieu de partage où « vivre en poésie » avec lui et ses amis poètes, le temps du festival. Et de cela je tenais, ici, à lui dire merci.