Poèmes aimés

Les fleurs des pêchers

l’année dernière, au troisième mois, sur le sentier
au bord de la rivière,
je marchais en regardant les fleurs des pêchers
arriver jusqu’à ta maison
aujourd’hui je passe à nouveau, tu n’es plus là
les fleurs des pêchers sont comme jadis, pareilles
à des nuages embrasés

Ryokan (1758 – 1831)

De son vrai nom : Eizō Yamamoto, ce poète japonais est plus connu sous son seul prénom de moine Ryōkan (signifiant « Grand-Cœur »)

Tout se passe à peu près comme

Tout se passe à peu près comme
si l’on reprochait à la pomme
d’être bonne à manger.
Mais il reste d’autres dangers.
Celui de la laisser dans l’arbre,
celui de la sculpter en marbre,
et le dernier, le pire :
de lui en vouloir d’être en cire

Rainer Maria Rilke, Vergers, Gallimard

La passe de Loushan

Les vents d’ouest soufflent violents
L’oie sauvage crie au fond du ciel glacé de lune matinale
Glacés de lune matinale
Les chevaux trottent, sabots claquants
Les clairons sonnent, graves et lents…

Mao Zedong, 1935

Libre

Libre de trouver
Ce que vous ne cherchiez pas

La vie antérieure

Ta mère et moi faisons partie de ta vie antérieure ?
– Papa, il faut me croire. Maman et toi êtes inscrits en moi, je suis avec vous, y compris lorsque les circonstances ne le permettent pas.
Le jour venu, lorsque tu prendras connaissance des évolutions de ma vie, tu comprendras que je suis relié à vous et, à travers vous, à mes grands-parents et aux Carpates.
Cette nouvelle évolution est étrange, pleine de contradictions, mais je n’oublie pas une seconde que vous êtes mon âme, et que je n’en ai pas d’autre.
Je ne vous ai pas trahis et ne le ferai jamais. Et même si je venais à oublier tous les mots qui faisaient le lien entre nous, nous continuerons à parler comme avant.

Aharon Appelfeld (1932-2018), Le garçon qui voulait dormir

Le petit verger de cognassiers

Autre chose vue au retour d’une longue marche sous la pluie, à travers la portière embuée d’une voiture: ce petit verger de cognassiers protégé du vent par une levée de terre herbue, en avril.
Je me suis dit (et je me le redirai plus tard devant ces mêmes arbres, en d’autres lieux) qu’il n’y avait rien de plus beau, quand il fleurit, que cet arbre-là. J’avais peut-être oublié les pommiers, les poiriers de mon pays natal.
Il paraît qu’on n’a plus le droit d’employer le mot beauté. C’est vrai qu’il est terriblement usé. Je connais bien la chose, pourtant. N’empêche que ce jugement sur des arbres est étrange, quand on y pense. Pour moi qui décidément ne comprends pas grand-chose au monde, j’en viens à me demander si la chose « la plus belle », ressentie instinctivement comme telle, n’est pas la chose la plus proche du secret de ce monde, la traduction la plus fidèle du message qu’on croirait parfois lancé dans l’air jusqu’à nous ; ou, si l’on veut, l’ouverture la plus juste sur ce qui peut être saisi autrement, sur cette sorte d’espace où l’on ne peut entrer mais qu’elle dévoile un instant. Si ce n’était pas quelque chose comme cela, nous serions bien fous de nous y laisser prendre.
Je regardais, je m’attardais dans mon souvenir. Cette floraison différait de celle des cerisiers et des amandiers. Elle n’évoquait ni des ailes, ni des essaims, ni de la neige. L’ensemble, fleurs et feuilles, avait quelque chose de plus solide, de plus simple, de plus calme ; de plus épais aussi, de plus opaque. Cela ne vibrait ni ne frémissait comme oiseau avant l’envol ; cela ne semblait pas non plus commencer, naître ou sourdre comme ce qui serait gros, d’une annonce, d’une promesse, d’un avenir. C’était là, simplement. Présent, tranquille, indéniable. Et, bien que cette floraison ne fût guère plus durable que les autres, elle ne donnait au regard, au cœur, nulle impression de fragilité, de fugacité. Sous ces branches-là, dans cette ombre, il n’y avait pas de place pour la mélancolie.

Philippe Jaccottet, Blason vert et blanc, recueil Cahier de verdure, Gallimard

La présence des absents

Il y a quelque chose de plus fort que la mort
C’est la présence des absents dans la mémoire des vivants

Jean d’Ormesson (1925-2017)

Mère,

Comment as-tu formé ma tête dans le secret de tes entrailles ?
Comment, par quels songes jamais dits, as-tu modelé mon cerveau de façon à ce qu’un jour une phrase m’affole et me détourne de mes projets ?
Nos projets sont un labyrinthe de verre avec des traces de doigts sur les portes : le palais des glaces à la foire. Nous y entrons que pour en chercher la sortie.

Christian Bobin, Un bruit de balançoire, Gallimard

Sauvages

Un millier de sauvages
S’apprêtent à combattre.
Ils ont des armes,
Ils ont leur cœur, grand cœur,
Et s’alignent avec lenteur
Devant un millier d’arbres verts
Qui, sans en avoir l’air,
Tiennent encore à leur feuillage.

Paul Eluard, Perspective, recueil Capitale de la douleur, Gallimard

Miettes

Dans un monastère zen chaque moine, à la fin du repas, laisse quelques grains de riz dans son assiette pour les oiseaux. L’écriture est ce geste.

Christian Bobin, Un bruit de balançoire, poème Chère Inconnue, Gallimard

Je dirai que c’est le vent

A travers les interstices
De mon rideau de bambou
Passez à votre aise
Si ma mère qui m’a tendrement élevée
Me questionne
Je dirai que c’est le vent

Anonyme 8ème siècle, Anthologie de la poésie japonaise classique, Gallimard

Ces courts déplacements

Cette présence dense laisse supposer la quotidienneté de micro-déplacements effectués à travers champs, selon les brèches qui se creusent dans les haies profondes. L’entraide, l’échange de services entre parents, amis ou voisins, l’éducation sentimentale alimentent ces courts déplacements qui tissent sur le bocage de subtils réseaux, plus ou moins serrés selon la qualité des relations et la teneur des sentiments.

Alain Corbin, Le monde retrouvé de Louis François Pinagot, Flammarion

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