1850-1950 Emancipation

Voyage à l’intérieur de la « Petite Eglise »

Dans un coin du Bocage, les trois mille membres de la « Petite Église » conservent avec fidélité la pratique des rites religieux et des prières de leurs ancêtres vendéens de 1793.
Gardienne d’une certaine forme de liberté, la petite communauté a dû cependant composer avec l’histoire pour survivre au quotidien depuis deux siècles.
Une famille de dissidents livre son témoignage sur ces étonnants chrétiens qui ont refusé le Concordat au siècle dernier.

1793 est vivant en Deux-Sèvres. L’histoire des guerres de Vendée ne s’arrête pas à une série de faits figés dans le temps. Elle continue de submerger la conscience de tout un peuple. La « Petite Eglise », cette survivance si particulière et unique qui persiste dans un coin du Bocage bressuirais, a rarement franchi la rampe du grand public. En filiation directe avec l’insurrection vendéenne de 1793, elle a pris la forme d’un culte né de l’opposition farouche de nombreuses paroisses de cette contrée au Concordat signé entre Napoléon et le pape Pie VII en 1801.

La chapelle des Cirières, un ancien bâtiment de ferme qui abrite un lieu de culte.
La Petite Eglise doit s’exprimer avec les moyens du bord

Une croyance enracinée dans l’histoire qui voit aujourd’hui une communauté de trois mille membres, sans prêtre ni évêque, conserver avec fierté les rites et les prières de leurs ancêtres insurgés. Dans la religion et dans le quotidien. Comme autrefois l’abstinence du Carême, le respect des fêtes d’obligation d’avant la Révolution, le chapelet récité en famille sont les signes vivants de cette foi ancestrale perpétuée par les « dissidents » depuis deux siècles. En l’absence de prêtres, le culte est célébré par un responsable laïc, transmis de famille en famille, mais qui a dû composer avec l’histoire pour survivre et conserver son identité. Que penseraient les combattants de la grande armée catholique et royale, ancêtres des dissidents, s’ils savaient que leurs descendants sont devenus les plus fervents défenseurs de l’école laïque, par opposition aux options modernes de l’école catholique ? Qu’avec des idées conservatrices, ils votent pour des candidats « progressistes » ? Parce qu’elle est unique, la Petite Eglise se réfugie derrière un voile de discrétion et de pudeur. C’est qu’elle a souvent été révoltée par le colportage d’informations déroutantes. On lira ainsi parmi les articles de presse parus : « Le pape de la petite église baptise et marie en veste de chasse », ou « Avec les chouans du XXe siècle » Plus que jamais, les dissidents veulent vivre cachés. Pour parler de la Petite Église, la délicatesse doit prendre le pas sur tout le reste sous peine de voir se fermer les portes. « Un drame religieux, écrit l’abbé Bertaud, et la Petite Eglise en est bien un, ne se comprend que du dedans. Si on ne rentre pas dans son esprit, on ne s’arrête qu’au folklore, ou pis encore, on se contente d’appâter la curiosité. » Je me souviens du Bocain qui maladroitement questionna une vieille libraire. Elle se rebiffa énergiquement d’un sec « Laissez-les tranquilles ! » Le Bocain ne savait pas. Il n’était pas vraiment Bocain.

Une paysanne généalogiste

Au cœur de ce paysage typique planté de haies du Bocage, le hameau de La Poture, près de Cirières, abrite un petit groupe de familles. Derrière les murs épais d’une vieille maison vendéenne, le décor rustique d’une cheminée béante qui sommeille. Alerte octogénaire, Reine Billaud égrène ses souvenirs dans son patois aux accents de sincérité. Henriette, sa fille, s’est toujours passionnée pour l’histoire de sa famille. « On ne nous a pas renseignés sur notre passé. On apprend le catéchisme, les prières. Mais depuis que je suis gosse, il y a toujours eu des choses qui m’ont tracassées. Il n’y a pas de livres. L’histoire, c’est la famille, la tradition orale qui nous l’apprennent. Et puis il y a des notes. Qu’est-ce que les gens pouvaient écrire dans le temps ! »

Généalogiste à ses heures, Henriette Billaud s’est lancée depuis longtemps sur les traces de ses ancêtres directs. L’insurrection est ici une histoire de famille. « Je ne savais pas qu’on avait quelqu’un dans les guerres de Vendée. Qu’est-ce que je trouve aux archives ? Une demande de pension, en 1824, de la veuve d’un aïeul. Il avait été tué à Courlay, en 1793. Alors là ! Mon père avait un cousin qui était passé nous voir. Je lui ai raconté l’histoire de cet aïeul lointain tué par les Républicains. Il a sursauté, levé les bras au ciel ! Comme si je n’avais pas dû l’apprendre, quoi. Ce cousin avait vécu en compagnie de sa grand-mère, mon arrière-grand-mère, lequel lui avait raconté ce qui s’était passé. Notre aïeul avait envoyé sa famille se cacher parce que les Bleus étaient signalés par chez nous. Il avait dit alors : « s’ils me prennent, ils me forceront à voler et à tuer. S’ils me tuent, priez pour moi. Et puis pour eux. Car ils en auront grand besoin… « 

Retour sur l’histoire. Dans ce Bocage marqué par l’Ancien Régime et par une grande foi collective, les paysans vivent soudés autour d’une culture rurale qui se méfie du pouvoir. Et les guerres de Vendée qui ont ensanglanté cette région en ont fait un bloc encore plus homogène, cimenté durablement par la pratique religieuse. Il faudra attendre le Concordat de 1801 pour que l’unité du pays éclate et que le Bressuirais s’engage résolument dans la dissidence. Jusqu’en 1799, malgré la pacification de 1795, le culte religieux des Vendéens reste interdit. Les prêtres réfractaires – ceux qui ont refusé de prêter serment à la constitution civile du clergé – sont soumis aux rigueurs de l’ancienne loi révolutionnaire. Alors, rejetant bien sûr les prêtres « jureurs », les Vendéens poursuivent leur lutte clandestine. Ils en ont l’expérience depuis 1791. On récite un rosaire, dans l’unité de la messe, dont on sait qu’un prêtre « fidèle » continue de la célébrer en cachette, à quelques dizaines de kilomètres de là. Voici le coup d’Etat du 18 Brumaire. La messe est à nouveau autorisée le dimanche, mais pour les seuls prêtres qui auront prêté un serment intitulé : « Promesse de fidélité à la Constitution de l’An 8 ». C’était ni plus, ni moins, la réédition des lois révolutionnaires honnies dans le Bocage.

« Ils ont changé la religion ! »

On aurait pu penser que les insurgés d’hier allaient refuser ces nouvelles lois rappelant la Terreur. En fait, l’opposition viscérale qui va donner naissance à la Petite Eglise se cristallisera dans cette seule partie du Bocage des Deux-Sèvres. Car les Bocains du Bressuirais dépendent du diocèse de Mgr de Courcy, évêque de La Rochelle – « leur » évêque – qui ordonne à ses ouailles de résister, de refuser toute compromission. C’est un épisode fondamental si l’on veut comprendre la permanence de cette insoumission qui a engendré la Petite Église. Car de l’autre côté de la Sèvre, le reste du département de la Vendée est placé sous l’administration de l’évêque de Luçon. Lequel, soucieux de rétablir le culte, enjoint aux prêtres de se soumettre au serment. « Vous refuserez la promesse, lance l’évêque rochelais à ses prêtres, car les auteurs en sont les régicides, et jamais la religion catholique ne pourra s’allier à la Révolution. » Ces mots feront mouche dans cette partie du Bocage, ni plus ni moins royaliste qu’une autre, mais pour qui la monarchie représente la sauvegarde des libertés les plus sacrées, et la Révolution (ou la République) la persécution religieuse.

Le Concordat de 1801 (publié à Pâques de l’année suivante) n’y changera rien. Si les Bocains sont tout heureux de fêter Pâques librement dans leur église, la première fois depuis douze ans, leur désespoir ressurgit dès la parution des décrets concordataires : les curés constitutionnels sont intégrés dans le clergé ; les acquéreurs des biens de l’Eglise conservent leurs possessions ; la plupart des anciennes fêtes d’obligation sont supprimées ; les curés, enfin, doivent prêter serment devant le Préfet. « Ils ont changé la religion ! » s’écrient les chrétiens du Bocage. Le mot « changement » restera. Depuis 1830, dans cette petite région, on ne dit jamais d’un dissident qu’il se convertit lorsqu’il entre dans la « Grande Eglise » , mais qu’il s ‘est « changé ». Depuis son exil d’Espagne, l’évêque de La Rochelle ordonne de refuser le Concordat. Les curés, qu’on aime et qu’on suit aveuglément, persuadent à leur tour de la justesse de leur position. Et par malheur, l’évêché de Poitiers, auxquels sont désormais rattachés les Bocains, va connaître un grand vide de 1802 à 1819.

Les dissidents vont à l’école publique !

La résistance s’organise à nouveau. Les curés opposants font la sourde oreille. Malgré les condamnations, ils vont continuer à exercer leur culte dans leur église, ou à côté si elle est fermée. L’évêché de Poitiers tentera bien de nommer des prêtres dans la région, mais les candidatures sont rares. On ira même jusqu’à proposer une double solde aux ecclésiastiques nommés en pays dissident, une sorte de « prime de risque ». Les regrets s’accentuent encore avec le retour des Bourbons, qui ne changeront rien aux termes du Concordat. Dans ces conditions, avec la disparition en 1830 des derniers prêtres anti-concordataires – les « bons prêtres » – les dissidents sont acculés à une solution désespérée : ils devront désormais nommer des responsables laïcs. A la Plainelière, gros bourg de la commune de Courlay, berceau de la dissidence, ils poussent l’un d’eux, Philippe Texier, qui appartient à une famille de héros des guerres de Vendée, à prendre la direction spirituelle de la communauté.

Voilà donc cent soixante ans que la Petite Eglise du Bocage est maintenue par les seuls laïcs. Ce n’est pas le moindre paradoxe pour ces opposants devenus irréductibles au nom de la foi : pas d’évêque, pas de prêtre. Pour survivre, la communauté – elle a compté jusqu’à quinze mille membres ! – a dû renforcer sa cohésion pour affronter les multiples tracasseries : l’interdiction, pendant longtemps, d’imprimer des écrits religieux en France, le refus de faire sonner le glas pour leurs fidèles défunts, sans compter les condamnations de la « Grande Eglise » dont le couperet tombe avec régularité. On ne s’y serait pas pris autrement si on avait voulu favoriser la réaction d’une communauté qui allait en s’affirmant de plus en plus. Elle prendra des tournures étonnantes. De 1890 à 1950, à une période où le Bocage vote à droite comme un seul homme, la Petite Église, elle, se radicalise. Là où la population votait traditionnellement à droite, les dissidents glissent dans l’urne des bulletins radicaux, ou radicaux-socialistes, voire socialistes tout court ! Et, comble du paradoxe, dans cette région où foisonnent les écoles catholiques, les rares écoles publiques recrutent les seuls enfants des familles dissidentes.

Pour éviter toute « contamination » pendant des décennies, la communauté va prospérer en vase clos. Les relations d’amitié, les mariages, les transactions d’affaires, les locations de fermes, les loisirs et aussi la discipline collective se vivent « entre soi ». Quelques « changements » sont quand même survenus depuis deux siècles. Les plus spectaculaires ont lieu en 1894 avec le départ de deux responsables de la Petite Eglise, l’un à Courlay et l’autre à Lyon, puis en 1965 où une centaine de dissidents « se changent » après le Concile Vatican II. Ils sont aujourd’hui trois mille à rester fidèles aux convictions et aux rites liturgiques qu’ont défendus leurs ancêtres.

Le Général Vendéen Gaspar de Bernard de Marigny (1754-1794), chef de l’artillerie de la Grande Armée Catholique et Royale (1793), Général de l’Armée Vendéenne du Haut-Poitou (1794). Ce fut surtout parmi ses anciens soldats que se recrutèrent les membres de la Petite Eglise.

Les granges tiennent lieu de chapelles

Dépourvue de culture sur les détails de la constitution civile du clergé, des guerres de Vendée ou du Concordat, c’est avec son patois théologique que Reine Billaud résume pourquoi, elle aussi, mourra dans la religion de ses pères : « Nous sommes les premiers catholiques. Tous nos prêtres ont été assassinés. Nous sommes restés fidèles aux derniers. » La Petite Eglise s’est ainsi constituée sans théologie, fortement soudée dans sa liturgie par fidélité au combat des ancêtres en faisant sien ce vieil adage catholique : « La prière dit la foi ». La prière ! Elle est omniprésente, elle ponctue la vie quotidienne dans cette petite patrie bocagère.

Si Reine et Henriette ne vont pas à la chapelle, elles prient seules, ou en famille. Les seuls écrits sont ceux des anciens « prêtres opposants », le catéchisme du diocèse de La Rochelle est celui d’avant 1789 et le missel dominical, dit « Eucologue », est sans cesse réédité depuis deux siècles. L’office du dimanche est célébré dans l’une des minuscules chapelles perdues au fin fond du Bocage, et aménagées dans des anciennes fermes ou des simples granges, surtout celle de la Plainelière à Courlay, haut-lieu de la dissidence.

Reine Billaud : « Tous nos prêtres ont été assassinés »

L’office est chanté mi en latin, mi en Français. Il n’y a pas si longtemps, la messe était suivie des Vêpres et marquée par la récitation de trois rosaires. Les fidèles restaient fréquemment, pas moins de quatre heures à l’église. On a un peu abrégé le rituel, l’office ne dure plus que deux heures ! Seul vrai sacrement de la communauté deux-sévrienne, le baptême a lieu dans la chapelle de la Plainelière, suivant l’ancien rite. Mais seuls les mariés et les témoins, à l’exception de toute autre personne, pénètrent dans l’oratoire pour y échanger les consentements. Ensuite seulement, on se rend à la mairie pour le mariage civil. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les dissidents, à cause de leur intransigeance religieuse, refusaient tout mariage civil. Eux, si farouches moralement (on ne connaît aucun cas de divorce depuis deux siècles !) passaient pour des concubins et leurs enfants, inscrits sous le nom de la mère, étaient assimilés à des bâtards. Dans un souci d’éviter des actions violentes, le gouvernement de l’époque se montra compréhensif. C’est pourquoi aujourd’hui encore la Petite Eglise est la seule en France où l’on tolère que le mariage religieux soit célébré avant le mariage civil. Quant aux sépultures, le chapelet y tient une grande place. L’oraison funèbre est un véritable résumé de l’histoire de la communauté : « Seigneur, nous implorons, de façon toute particulière, votre miséricorde pour le repos de l’âme de votre serviteur qui n’a pas eu l’assistance d’un prêtre, non qu’il ne l’ait pas désirée, mais uniquement à cause de sa fidélité à nos anciens pasteurs. »

Aujourd’hui, dans les cimetières de Courlay, Saint-André-sur-Sèvre ou Cirières, on n’inhume jamais un dissident sans avoir au préalable déposé son cercueil sur la tombe d’un des anciens curés réfractaires vénérés par la communauté.

Jusqu’à une période récente, les dissidents célébraient encore toutes les fêtes chômées de l’Ancien Régime (une trentaine). « Il n’y a plus que les paysans qui peuvent les chômer » déplore Reine Billaud. Les bouleversements de la vie économique ont amené d’autres contraintes. Il n’empêche que la Fête-Dieu est toujours célébrée le jeudi même. Ce jour-là, les enfants de douze ans font leur « première communion ». Ils s’y sont préparés pendant trois semaines, en reprenant page par page le catéchisme de leurs ancêtres. L’an passé, ils étaient quatre-vingt enfants à suivre cet apprentissage. Les organes de presse catholique ont longtemps été interdits. Maintenant, la concurrence de l’école, du lycée et de la télévision a assoupli les règles.

« Le propriétaire était communiste »

Les temps ont changé. Aujourd’hui, dans les communes du Bocage, dissidents et catholiques vivent en bonne intelligence. Le respect mutuel a remplacé les anciennes méfiances même si les membres de la Petite Eglise restent sourds à tout partage spirituel, ou à la prière interconfessionnelle. Enfant, Henriette Billaud se souvient avoir essuyé sarcasmes et insultes sur le chemin de l’école du Pin. « On a même reçu des pierres, avec des insultes traduites mot pour mot de génération en génération. Mais il faut dire que maintenant, c’est bien fini. Il y a un curé d’ici qui a bien arrangé les choses. » Isolée sur la petite commune de Cirières, sa famille a subi parfois d’autres affronts. Reine garde en mémoire les conditions dans lesquelles elle a acheté sa ferme : « J’avais en vue une terre d’à côté, à la Boulette. La bonne femme nous l’avait promise. Un jour, j’arrive chez elle. Et qui je vois sortir ? Le curé. J’avais compris que c’était fichu… » Sa maison actuelle, Reine l’a achetée à un propriétaire… communiste. « Des gens bien braves… » dit-elle. Aujourd’hui encore, on raconte que les dissidents refusent d’acheter des terres soupçonnées d’appartenir aux anciens biens de l’Église avant la Révolution !

La vieille femme et sa fille se confient sur leur religion sans aucune restriction, tout en refusant le terme de « dissidence » : « la Petite Eglise nous a surtout appris à être indépendants. » Elles reconnaissent que parfois, elles vont à l’église « plus facilement que les autres vont à la chapelle ». Henriette raconte que sa sœur n’a jamais voulu y mettre les pieds, son père non plus.

« Autrefois, les consignes étaient très dures. Parfois, on venait chercher mon père pour ensevelir les morts. Mais il portait le cercueil seulement jusqu’à l’entrée de l’église. » Aujourd’hui encore, à l’heure de la messe à la Plainelière, les dissidents filtrent avec discrétion l’entrée de la chapelle. Certains, dans un raccourci abrupt de l’histoire, auraient tôt fait d’assimiler les adeptes de la Petite Eglise à des royalistes purs et simples. Avant même qu’on prononce le mot, Henriette sort de ses gonds : « je vous le dis tout de suite : je suis une Républicaine. On est en République et c’est normal qu’on respecte les idées républicaines. Même si au départ, la République s’est montrée sectaire. Je le regrette. »

Philomène 3 : la famille Cron

La famille de Philomène

Les parents de Philomène, Louis Cron et Justine Gabard se sont mariés à Boussais le1er juillet 1879.
Ils s’installent à la Chévrie, petit hameau perché sur sa colline, de la commune de Boussais, qui sera pour de longues années le lieu de vie principal de la famille Cron.

Ils vont avoir 6 enfants :
Joséphine en 1880
Joseph en 1882
Benoni en 1884
Philomène en 1887
Narcisse en 1891 qui décédera à l’âge de 2 mois
Albeline en 1893

Mais la vie des enfants Cron va n’être quasiment qu’une suite d’événements douloureux.

Le destin tragique de Joséphine Cron

Née le 27 février1880, Joséphine a 22 ans lorsqu’elle donne naissance à un fils, Henri Bénoni, le 8 avril 1902.C’est son père Louis qui vient à la mairie de Boussais pour déclarer la naissance de l’enfant. L’enfant est déclaré, né de père inconnu.

2 jours plus tard, le 10 avril 1902, Joséphine meurt des suites de l’accouchement.

L’enfant Henri Bénoni Cron est alors confié à la famille Bertaud. François Bertaud avec son épouse Eugénie accueille des enfants de l’hospice (recensement de Coût Pompaire Deux-Sèvres de 1891) ou des pupilles (recensement de 1901). A moins de 5 mois, Henri Bénoni meurt, le 25 août 1902.

La déclaration de décès est effectuée par Bachelier Sincère Jean, qui a alors 25 ans. Il est accompagné de François Bertaud. Il nous est permis de présumer que Bachelier Sincère Jean était le père « inconnu ». C’était un homme marié.

En effet, il s’était marié le 3 octobre 1899 à Pompaire avec Marie Euphrosine Fréjoux. A cette occasion le couple reconnut leur enfant « naturel », Clément Bachelier né, hors mariage, le 7 juillet 1894. Ce fils trouva la mort sur le champ de bataille le 28 février1915 à Zonnebeke en Belgique.

Le couple Bachelier – Fréjoux eu quatre autres enfants.

Autre destin tragique celui de Bénoni Cron

Benoni naît le 13 août 1884. Lors du recensement de 1906 à L’Hopiteau de Boussais, nous retrouvons Bénoni qui est laitier chez le fermier Aristide Roy. Il a 22 ans. Benoni meurt en 1910, à 26 ans, sans qu’on en connaisse la cause.

Le prénom Bénoni a été donné à 2 reprises dans la famille Cron. Benoni qui meurt à 26 ans et Henri Bénoni l’enfant de Joséphine mort à 5 mois.

Or l’étymologie du prénom Benoni vient de l’hébreu et se traduit : « fils de ma douleur ».
Nombre de parents, qui pensent, le prénom Bénoni, italien, à cause de sa sonorité, sont donc loin du compte. Par sa signification, c’est du féminin Dolorès que Benoni est le plus proche.

Le nom de « fils de ma douleur » était, hélas, on ne plus approprié… pour la famille Cron.

Le destin non moins tragique de Joseph Cron

Joseph nait le 29 mars 1882. Le 4 juillet 1910 il se marie à Coulonges-Thouarsais avec Marie Louise Mineau. A 32 ans, il est mobilisé le 1er août 1914 comme des milliers d’autres soldats. Il arrive au corps le 11 août 1914. Il est tué à Zonnebeke en Belgique le 27 novembre 1914.

La Bataille de Zonnebeke : « L’hiver oublié 1914-1915 » (BOSSY-GUERIN Sylvie, Histoire du 77ème RI, 18 octobre 2015)
En automne 1914, à Zonnebeke en Belgique, le 9ème corps français composé de 2 divisions dont le 77ème RI de Cholet et le 135ème RI d’Angers, de 2 divisions de cavalerie ainsi que l’armée anglaise combattent contre l’armée allemande.
Cette bataille détruit la ville de Zonnebeke, l’église, les maisons du village, des fermes. La population fuit le village et se dirige vers la France.
Les armes utilisées sont des canons avec des lancements d’obus ainsi que des fusils. Les soldats se réfugient dans des maisons bombardées ou campent dans des fossés et avancent vers l’ennemi en creusant des tranchées. Les conditions de vie sont difficiles avec en permanence le bruit des canons et le sifflement des obus. Les soldats sont souvent dehors dans les tranchées avec beaucoup de morts et de blessés, ils ne peuvent pas toujours dormir. Ils mangent des aliments froids, ils boivent peu d’eau parfois du vin « pinard ». Ils n’ont pas de toilettes, ont souvent des diarrhées et des maladies en lien avec le manque d’hygiène.

Selon les extraits des journaux de Georges Cottenceau et de Joseph Bellouard, la bataille a complètement détruit la ville, c’est une véritable boucherie quotidienne, les canons et les obus n’arrêtaient pas de se faire entendre, les blessés mutilés n’arrêtaient pas de se plaindre. Le bilan militaire Français est très lourd notamment entre le 23 octobre et le 13 novembre 1914.
En 21 jours il y a eu 7 529 morts, 24 571 blessés et 9 150 disparus.

Pour en savoir plus :
https://www.stleger.info/auguste/21le77eazonnebekebis.htm

La vie d’Albeline Cron, ne fut pas, non plus, un long fleuve tranquille

Albeline a 27 ans lorsqu’elle donne naissance à son fils Paul en 1920. Son fils est déclaré de père inconnu et porte le nom de sa mère.
N’étant pas en mesure d’élever son fils, elle le confie à sa sœur Philomène qui « l’adopte ».
Sa fille, Marie Philomène, naît trois ans plus tard dans les mêmes circonstances.

Albeline se marie, ensuite, avec Ernest Poignant en avril 1924, dont elle aura une fille Germaine en 1925.

Philomène 4 : Auguste et Marie-Anne

Philomène et Auguste

Auguste Bourdin est domestique dans une métairie de Chiché, commune voisine de Boussais avant qu’il ne fasse son service militaire, qui en 1905 vient de passer à une durée de 2 ans. Il rentre au 114ème Régiment d’Infanterie de Parthenay, le 9 octobre 1905. L’entrée à la caserne est un énorme changement pour Auguste, les lieux sont propres, spacieux, il y a l’eau courante, il a son lit rien qu’à lui. Ce n’est pas ce qu’il a connu ni chez ses parents, ni à la métairie. De la viande presque tous les jours, du vin à chaque repas, ce n’est pas, non plus, ce qu’il a connu jusqu’alors. Il prend goût à ce « confort moderne ». Il se dit qu’il quittera la métairie à son retour. Le service, malgré ses avantages, c’est un peu toujours la même chose, des marches, des tirs puis des marches, des tirs. 2 ans c’est quand même long. Il est enfin démobilisé le 28 septembre 1907 et versé dans l’armée de réserve.

A son retour, il retourne à Chiché, mais bien vite, il court les assemblées pour trouver à se placer ailleurs, pour trouver aussi, à se marier. Il rencontre Philomène, une fille de Boussais. Bien vite, ils pensent à se marier et à trouver une bonne place ensemble.
C’est ce qu’ils font, ils se marient le 16 novembre 1908 à Boussais et trouvent en même temps à se placer, lui comme domestique, elle comme servante dans une bonne maison à Saint Varent.
Auguste à 24 ans, Philomène 21.

Marie Albertine Bourdin et Clément Théophile Gellé

La soeur d’Auguste, Marie Albertine Bourdin s’est mariée le 12 juin 1901 à Pierrefitte avec Clément Théophile Gellé.

Marie-Albertine Bourdin est née, le 3 novembre 1881 à Saint-Sauveur de Givre en Mai (aujourd’hui intégrée à Bressuire).
Les parents d’Auguste et de Marie-Albertine sont Louis Bourdin et Rose Louise Beçon.
Ils se marient en novembre 1875, et vont avoir 5 enfants : Louis Florentin en 1877, Marie-Louise en 1879, Marie-Albertine en 1881, Auguste-Alphonse en 1884, Sylvain-Paul en 1890.

Clément Théophile Gellé est né, lui, le 6 juillet 1877 à Pierrefitte (nord des Deux-Sèvres, entre Bressuire et Thouars).
Sur son acte de naissance il est fait état de deux mariages :
Le premier avec mon arrière-grand-mère Marie-Albertine Bourdin le 12 juin 1901
et le second le 2 mai 1929 avec Marie-Augustine Guilloteau.

Lors de leur mariage, le 12 juin 1901, Clément Théophile Gellé a 24 ans, Marie Albertine Bourdin a 20 ans.
De cette union vont naître 5 enfants :
Fernand Clément Louis né le 03 mai 1902, à Pierrefitte
Sylvain Eugène Joseph né le 30 octobre 1903, décédé le19 septembre 1906, à l’âge de 3 ans
Paulette Thérèse née le 10 septembre 1905
Gilbert Fernand né le 23 décembre 1908
Marie-Anne Germaine Frida née le 9 juin 1912

La sœur d’Auguste, Marie Albertine Bourdin ne s’est pas bien remise de son dernier accouchement, elle doit élever quasiment seule ses quatre enfants, son mari Clément Théophile est dur et pas très aidant. Le 22 février 1914, Marie-Albertine meurt à l’âge de 32 ans.
De quoi ? dans quelles circonstances ? dans l’état actuel de mes recherches, je ne le sais pas.
Marie-Anne, ma grand-mère a 20 mois quand sa maman décède, ses frères et sœur ont : Gilbert 5 ans, Paulette 8, Fernand 12.

Philomène et Auguste « adoptent » Marie-Anne

Depuis qu’ils se sont mariés, cela fait déjà 6 ans, Auguste et Philomène n’ont pas eu d’enfant.
La question de s’occuper de Marie-Anne ne se pose pas longtemps.
Auguste et Philomène « adoptent » ma grand-mère Marie-Anne, sans qu’un document ou jugement quelconque soit établi. De fait, Auguste et Philomène deviennent le père et la mère de substitution de Marie-Anne.

Marie-Anne et Philomène 1917-1918

1914 : la 1ère guerre mondiale éclate

Auguste, bien qu’âgé de 30 ans, est mobilisé le 1er août 1914, comme beaucoup d’autres, jeunes appelés ou réservistes. Il est incorporé le 4 août 1914, dans le régiment ou il a fait son service militaire, au 114ème Régiment d’Infanterie de Parthenay.
C’est la guerre, comme on en parle depuis plusieurs mois, mais elle ne va pas être longue, à la fin de l’été ou au plus tard à l’automne, il sera revenu.

Son frère, Sylvain Paul, âgé lui de 24 ans, qui avait été exempté par décision du Conseil de révision en 1912 pour bronchite chronique, est classé dans le Service armé par décision du Conseil de révision, le 14 octobre 1914. Il est incorporé au 114ème Régiment d’Infanterie de Parthenay le 30 novembre 1914 et part au front le 27 février 1915.
Fin mai 1915, une mauvaise nouvelle arrive à Faye l’Abbesse ou habitent maintenant les parents Bourdin : Sylvain est porté disparu depuis le 9 mai 1915, lors d’un combat de son régiment à Loos en Gohelle dans le département du Pas de Calais.
Il sera reconnu officiellement décédé, par jugement, en 1929.

Philoméne raconte cette nouvelle à Auguste dans une lettre, mais elle lui dit, dans d’autres, les progrès, les sourires de Marie-Anne. Auguste n’a pas perdu le moral malgré des moments de découragement. Le 21 avril 1916, il est passé au 92ème Régiment d’Infanterie qui est, bientôt, regroupé avec ceux de Poitiers et d’Angers pour former le 325ème Régiment d’Infanterie.
1918, on annonce que la guerre va bientôt finir, que la victoire se dessine. Auguste est considéré comme un vieux briscard par ses camarades d’infortune, après deux ans de service militaire et bientôt quatre ans qu’il fait cette foutue guerre. Ils avaient dit qu’elle serait courte…

1918 Auguste meurt juste avant la fin de la guerre

Journal de marche opérationnel du 325ème Régiment d’infanterie, Avril 1918, Grivesnes dans la Somme :

4 avril 1918
Le régiment reçoit à 13h l’ordre d’alerte.
Le 5ème bataillon est mis à la disposition du colonel Philippot, commandant le 277ème
Les 4ème et 6ème bataillon et le bataillon Maillochet du 272ème sont placés sous le commandement du colonel Pernin et doivent se rassembler aux environs de la cote 146 (1200 mètres de Chirmont)Les allemands ayant avancé légèrement vers l’Ouest dans la région de Moreuil, les bataillons sont envoyés : le 4ème aux environs de la cote 131 (1km au Sud Est de Louvrechy), le 6ème devant Louvrechy, force au Nord Est et pousse un peloton de la 22ème Compagnie dans le ravin sud de Merville pour assurer la liaison entre les troupes du 6ème Corps qui occupent Merville et le détachement Philippot qui occupe la ligne 217 (Nord Est de Merville) cote 139 (2km Nord de Thory) le bataillon Maillochet à la corne Sud Est du bois Louvet ;
Ces 2 derniers bataillons prêts à la contre-attaque dans la direction de Merville.La fin de l’après-midi se passe sans incidentA 19 heures, le Colonel qui a installé son P.C. dans une maison de Louvrechy, reçoit l’ordre de se rendre avant le jour avec les 4e et 6e bataillons à la côte 74 (1.200 mètres nord-ouest de Grivesnes), pour prononcer, dans la journée du 5, l’attaque qui était prévue pour le 4 et que l’avance des Allemands sur Moreuil a retardée.

5 avril 1918
Départ des bataillons à 2h30. Arrivée à la cote 74 à 4h30.
Le Colonel se rend à Esclainvillers où le Général Commandant la 127ème Division d’Infanterie lui donne les premiers ordres.
A 10 h. 20, le Colonel Pernin reçoit l’ordre d’engagement : les 4ème et 6ème bataillon encadrant un bataillon du 172éme RI (Commandant O’Sullivan) doivent à 14 heures attaquer les positions ennemies entre Aubvillers et Malpart. Le terrain à parcourir est un glacis sans aucun abri.
Le 4e bataillon (Commandant Michel), à droite, doit s’emparer de la crête au Nord de Malpart ; le 6e Bataillon (Capitaine Salel), à gauche, doit prendre Aubvillers, le bataillon du 172ème, au centre, doit relier les deux attaques et occuper la tête du ravin dirigé vers Braches. Conformément au plan d’engagement, les troupes sortent des tranchées à 14 heures et se portent à l’attaque de leurs objectifs, sous le feu des tirs indirects des mitrailleuses ennemies, qu’une préparation d’artillerie de quelques minutes n’a pu détruire.
A 14 h. 14, la route d’Aubvillers à Grivesnes est atteinte par le bataillon Michel ; quelques minutes après cet officier supérieur est blessé.
A 14 h. 20, le Commandant O’Sullivan du bataillon du 172ème RI est blessé à son tour.
Au même moment, le bataillon de droite (Commandant Michel) faisait savoir que les mitrailleuses du parc de Grivesnes n’avaient pas été détruites et lui causaient des pertes assez sérieuses.
Le bataillon O’Sullivan moins gêné par ces mitrailleuses prenait alors un peu d’avance sur le bataillon Michel qui était obligé de ralentir son allure.
A 14h.15 Le bataillon Salel faisait également savoir qu’un nid de 7 mitrailleuses était installé dans un tas de fumier, à 150 mètres en avant de la ferme Fourchon ; que cette ferme elle-même intacte était également garnie de mitrailleuses. Le bataillon Salel enlève cependant les mitrailleuses du tas de fumier et les retourne contre l’ennemi, qui se replie par échelons devant le barrage roulant, non sans subir des pertes sensibles.
A 15 heures, le Colonel, commandant l’attaque, mis au courant de la situation, demande un tir de concentration de quinze minutes sur la ferme Fourchon et sur le parc de Grivesnes.
A 15 h. 15, ce tir ayant cessé, on reprend la marche en avant et la crête est dépassée ; mais les mitrailleuses de la ferme Fourchon et du parc de Grivesnes, encore intactes, concentrent un tir extrêmement violent sur nos vagues d’assaut.
La plupart des officiers et sous-officiers chefs de section sont tués ou blessés ; le Capitaine Salel est blessé.
L’ennemi lance à ce moment sur chacune des deux ailes du bataillon O’Sullivan, qui se trouvait légèrement en pointe, une contre-attaque violente, qui oblige se bataillon à se replier.
Les bataillons de droite et de gauche, privés de leurs chefs, suivent le mouvement et se replient sur les tranchées de départ.
L’ennemi réoccupe ses tranchées et essaie de pousser quelques éléments, qui sont arrêtés immédiatement par un tir de barrage, déclenché par le Commandant de l’attaque. Ce qui reste des troupes d’attaque est regroupé par bataillon et tient les tranchées.
Trois prisonniers restés entre nos mains permettent d’identifier le 8e régiment d’infanterie de la garde contre lequel l’attaque est venue se heurter.
Les pertes sont sensibles ; sur les troupes engagées, il reste :
Au 4ème bataillon, 5 Officiers,18 Sous-officiers, 223 hommes.
Au 6èmebataillon, 3 Officiers, 18 Sous-officiers, 225 hommes.
CHR, 9 Officiers, 8 Sous-officiers, 144 hommes.
Au 1er bataillon du 172ème RI, 1 Officier, 0 Sous-officiers, 135 hommes.
Un avion est abattu par la section Nicolad de la 6ème CM et un autre touché.
Un flottement se produit, néanmoins ; quelques hommes lâchent pied, surtout à droite et se retirent vers l’arrière.
Ce qui reste des troupes d’attaque est regroupé par bataillons et forme une ligne de soutien derrière.
Déclarations du Lieutenant Bonnavent :
« Il ne reste à la 21ème compagnie du 325ème Régiment d’Infanterie qu’un officier et 18 hommes.
Assez grande proportion de tués, beaucoup de blessés légers. Blessures surtout par balles, très peu par éclats d’obus.
Les liaisons ont généralement bien fonctionné. L’évacuation des blessés, en raison du grand nombre de ces derniers et du manque de brancards a souffert quelque retard.
En résumé, les troupes sont parties à l’attaque avec un entrain digne d’éloges et si elles n’ont pas réussi c’est que l’action d’artillerie sur les points d’appui du parc de Grivesnes et de la ferme Fourchon, a été complètement insuffisant pour détruire les nids de mitrailleuses qu’ils contenaient. »
Le Colonel propose une citation à l’ordre de l’Armée qui sous la conduite de son chef, le capitaine Gigon a fait preuve, au combat du 5 avril 1918, d’un courage admirable, en se portant à l’attaque d’une position fortement défendue. A perdu tous ses officiers et est revenu de l’attaque ne comptant plus qu’un sous-officier et 18 hommes.

Auguste est l’un des blessés de ce 5 avril 1918 à Grivesnes :
Son livret militaire indique : « Eclat d’obus – Gros fracas de la face – Ayant eu la mâchoire fracassée par un éclat d’obus a fait preuve du plus grand courage refusant l’aide d’un camarade pour se faire conduire au poste de secours »
Transporté à l’hôpital militaire temporaire n°49 à Orleans dans le Loiret, il y décède le 20 avril 1918.

Philomène va faire le voyage jusqu’à Orleans. Elle assiste à l’enterrement de son Auguste au Carré militaire d’Orléans.

Il sera déclaré « Mort pour la France » et inscrit sur les Monuments aux Morts de Faye-l’Abbesse et de Saint-Varent.

Monument aux morts de Saint Varent
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Philomène 5 : Eléonor, Paul et Marie-Anne

Après 6 ans de mariage, 4 ans de solitude à attendre Auguste, à 31 ans, Philomène se retrouve veuve et doit élever seule, sa petite Marie-Anne. Elle quitte Saint Varent ou trop de souvenirs l’assaillent et trouve une nouvelle place de servante à Coulonges-Thouarsais.

Philomène se remarie avec Eléonor

En 1920, elle se remarie, à Coulonges, avec Eléonor Paindessous de 10 ans son aîné.
Ils s’installent comme métayers au hameau de Fontenay sur la commune de Mauzé-Thouarsais.

La métairie en 2019, 22 rue du centre à Fontenay, commune de Mauzé-Thouarsais (DeuxSèvres)

Philomène et Eléonor « adoptent » Paul

Le 5 novembre 1920, Albeline, la sœur de Philomène donne naissance à son fils Paul, né de père inconnu. Albeline a 27 ans mais elle n’est pas en capacité d’élever son enfant. Passé la période d’allaitement, Albeline confie son fils Paul aux soins de sa sœur. Philomène qui sait qu’elle ne peut pas avoir d’enfant, « adopte » à nouveau.
Ce sera leur fils à eux deux, à Eléonor et à elle, Philomène.

Philomène en train de filer au rouet et Eléonor prêt à aller labourer avec ses bœufs dans les années 1930

Marie-Anne se marie

A 19 ans, Marie-Anne rencontre Hubert Grégoire. Ils se marient le 23 novembre 1931 à Moutiers sous Argenton.  Le jeune couple vient habiter à Fontenay avec Philomène et Eléonor. Le travail ne manque pas, la ferme peut nourrir toute la famille. Hubert est un gars de la terre, des bras jeunes et vigoureux sont les bienvenus.

La famille ne tarde pas à s’agrandir, le 16 août 1932, naissent deux jumelles : Anne-Marie et Hélène, suivies deux ans plus tard par la naissance de Lucette (ma maman) née le 17 septembre 1934.
Mon oncle Raoul vient compléter la famille le 20 juillet 1936.

1933-1934 une jumelle dans les bras d’Eléonor, une jumelle entre Hubert et Marie-Anne

Recensement, hameau de Fontenay, commune de Mauzé-Thouarsais, 1936

Eléonor et Philomène vont se retirer dans une petite maison de Fontenay  et laisser la famille de mes grands-parents Hubert Grégoire – Marie-Anne Gellé occuper la métairie. Hubert est devenu le chef de famille.

Hubert et Lucette

Le décès de Marie-Anne

Le 28 février 1958, Marie-Anne décède à l’âge de 46 ans.
Ce n’est pas la moindre épreuve que Philomène aura dû affronter.
Après avoir perdu quasiment toute sa famille (lire Philomène 3 : la famille Cron) et son premier mari Auguste pendant la première guerre mondiale, elle perd maintenant sa fille adoptive Marie-Anne.

Je n’ai pas connu ma grand-mère Marie-Anne qui est décédée alors que j’avais un peu plus de 3 ans et j’ai bien peu connu mon grand-père Hubert Grégoire qui est décédé le 12 novembre 1979 à l’âge de 70 ans, alors que j’avais 25 ans.

C’est pourquoi, enfant, ma grand-mère c’était grand-mère Paindessous. Philomène femme de courage et de caractère, qui malgré les épreuves, dont celle de ne pas pouvoir avoir d’enfants ne fut sans doute pas la moindre, contourna les obstacles et mena à bien les missions qu’elle s’étaient assignées.

Eléonor décède en 1968 à l’âge de 90 ans. Philomène en 1970 à l’âge de 83 ans.

La ligne de vie de Philomène

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Philomène 2 : Début de l’enquête, les vrais souvenirs

Qui était Grand-mère Paindessous ?

Grand-mère Paindessous c’était ma grand-mère … Oui, mais ?
Elle a élevé ta grand-mère Grégoire me disait ma mère.
Quand il y a plus de vingt ans j’ai commencé des recherches généalogiques, je n’ai pas commencé par elle…
Et puis… elle m’intriguait, il fallait que je comprenne, que je sache, elle s’appelait Paindessous et le nom de jeune fille de ma grand-mère Grégoire, Marie-Anne c’était Gellé.
Quel était donc le lien ?

Dans un premier temps, j’ai trouvé l’acte de naissance de grand-mère Paindessous :
Philomène Cron née à Boussais dans le bocage bressuirais le 19 janvier 1887.

Les vrais souvenirs et les recherches

Eté 1956 : photos de famille

Ce jour d’été, une photo de famille est prise, ce qui est très rare.
Ci-dessous, de gauche à droite :
Je suis, le bébé au chapeau dans les bras de mon père Marc Chabosseau, il a 29 ans. Derrière son épaule ma mère Lucette Grégoire elle a 22 ans, elle m’a donné naissance à tout juste 20 ans.

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Au centre, mon cousin Marc Bichon est dans les bras de la sœur de ma mère, Anne-Marie Grégoire – Bichon. C’est vraisemblablement mon oncle Roland Bichon qui prend la photo.
Au centre toujours, à l’arrière-plan, mes grands-parents Grégoire encadrent mon cousin Marc. Mon grand-père Hubert Grégoire et ma grand-mère Marie-Anne Gellé.
Au centre derrière mon cousin Marc, entre mes deux grands-parents Grégoire, quelqu’un que j’ai mis bien longtemps à identifier : Paul Cron.
Enfin, au centre, assise, ma grand-mère Philomène Paindessous et debout à ses côtés mon grand-père Eléonor Paindessous. Il est probable, que cette photo ait été prise à l’occasion de la présentation par les deux sœurs de leur progéniture à leurs parents et grands-parents.
Philomène (grand-mère Paindessous) est alors âgée de 67 ans.

Sous le figuier

Philippe
Marc et Philippe
Marc et Anne-Marie

Printemps 1968 : un vrai souvenir que j’avais oublié

La photo ci-contre a été prise en mars ou avril 1968.
Je suis au premier plan à gauche, je me remets doucement d’une péricardite avec mononucléose qui m’a cloué au lit depuis octobre 1967.

Masqué, mon ami et voisin, Jean-Yves Faucon; au fond mon ami Philippe Tascher, ma soeur Anne qui rit derrière ses cartes et grand-mère Paindessous.

C’est la dernière photo où est présente grand-mère Paindessous.
Elle n’habite, alors, plus à Fontenay mais elle réside dans une maison de santé annexe de l’hôpital de Thouars.

Elle y décédera, à peine, deux ans plus tard, le 20 février 1970, à l’âge de 83 ans.

2018 : retour sur les lieux

La maison de Fontenay
maison de Grand-mère Paindessous
l’entrée du jardin

La maison de grand-mère Paindessous, 3 rue de la Patelière à Fontenay commune de Mauzé-Thouarsais, a bien changé…
Elle est inhabitée, les deux cours ont disparues, l’escalier pour monter au grenier a été détruit, le figuier n’est plus là, les herbes folles ont envahies l’espace ainsi que le jardin.
La confrontation de la réalité avec mon vrai-faux souvenir du chapitre 1 ne pardonne pas.
La grange de mon rêve était à gauche alors qu’elle est en réalité à droite.
La distance entre le champ de mon grand-père Paindessous et la maison ne dépasse pas quelques mètres…

Boussais

Quand nous sommes allé à Boussais, je ne savais pas encore que le lieu de vie de la famille de Philomène, la famille Cron était la Chèvrie…
C’est donc le Boussais d’aujourd’hui que nous avons découvert…

Philomène 1 : un vrai-faux souvenir

Village de Fontenay, commune de Mauzé-Thouarsais, nord du département des Deux Sèvres.

Nous sommes venus voir Grand-mère Paindessous (Philomène).
Nous n’étions pas venus voir Grand-père Paindessous, bien qu’il fût vivant et qu’il fût bien présent lors de cette visite. Je compris bien plus tard pourquoi nous venions voir Grand-mère Paindessous et non pas Grand-père et Grand-mère Paindessous.
Nous, c’était, maman Lucette, papa Marc, mon frère Jean Marc et moi. Je n’ai pas le souvenir que ma jeune sœur Anne ait été du voyage.
Comment étions-nous venus ? avec la 403 du Grand-père Georges ? à vélo ? … Thouars, Fontenay ce n’était pas tout près… (rue Frédéric Chopin Thouars > Fontenay : 1h30 à pied ; 30mn à vélo, 12 mn en voiture)
C’était probablement un dimanche d’Octobre… Pourquoi Octobre ? parce que dans mon souvenir il y a le ramassage des noix… Un dimanche d’Octobre, oui mais de quelle année ? 1962, j’avais 8 ans… 1964, j’en avais 10 ?

Pour arriver à la maison de Grand-mère Paindessous, nous entrions par un portail rouillé à deux battants dans une première cour. Sur la droite, une petite dépendance surmontée d’un grand figuier, sur la gauche une grande grange vide, en pierres, qui avait dû servir à entreposer du foin.
Cette cour, fermée par un mur de pierres donnait accès par un petit portail sur une deuxième cour. S’y trouvait un petit jardin de curé : plantes aromatiques, fleurs, persil, dominé par un arbre fruitier, un cerisier peut-être ?
Nous arrivions alors, enfin, à la maison de Grand-mère. On pénétrait dans la cuisine ou plutôt dans la pièce à vivre, comme nous dirions aujourd’hui. La pièce était basse, au centre s’y trouvait une grande table ronde encombrée de verres, d’assiettes, de tasses, de couverts. Face à nous étaient assis, Grand-mère, petite bonne femme ratatinée habillée de noir et Grand-père, grand bonhomme à la moustache en forme de guidon de course. Ils finissaient de prendre le café, la lampée de gnôle à portée de mains pour faire rincette.

Après que les grands eurent discutés, Grand-père nous emmena voir son jardin. On retraversa les deux cours puis la rue pour accéder par quelques marches, en ayant ouvert la porte étroite, à son jardin. Il était fier de nous montrer ses belles carottes, ses choux, ses bettes-cardes… (bette-carde : poirée)
Il nous entraina, ensuite, en prenant à droite en repartant de son jardin et longeant un haut mur, jusqu’à son champ ; un grand près au fond duquel trônait un noyer. C’était le but de l’expédition.
Les grands nous y rejoignirent… Il y avait encore beaucoup d’herbe pour les lapins et puis encore pas mal de noix.

Sur le chemin du retour, tout à coup, arriva Monsieur Charton avec sa traction avant. Après les salutations de courtoisie avec les grands, j’eu le privilège de monter à l’avant de la traction pour parcourir les quelques mètres séparant le champ de la maison de Grand-mère.

Je savais qu’au-delà de l’endroit d’où venait Monsieur Charton, il y avait le grand porche pour arriver dans la ferme de Grand-père Grégoire. C’était la maison ou avait vécu, jeune, maman Lucette. Il me semblait y avoir vu entrer une charrette de foin tirée par des bœufs.

Je constaterai, plus tard, que la mémoire retisse, retricote, réordonne … Ce souvenir s’est construit sur des bases de réalité, la disposition de la maison de Grand-mère était proche mais inexacte, la grange en particulier est aussi sur la droite et non sur la gauche… il est impossible d’apercevoir la ferme de Grand père Grégoire et il n’y a jamais eu de porche…

Georges de 1935 à 1987

1935 : Décès de Marie Louise Bichon, la mère de Georges

Au mois d’octobre 1935, Marie Louise la mère de Georges meurt à l’âge de 57 ans. Georges à 33 ans, sa demi-sœur Georgette 16.

1940 : L’Exode de la famille Chabosseau

La famille Chabosseau, celles des associés de mon grand-père et d’autres thouarsais s’entassent dans deux camions et trois voitures, direction le sud. Ils descendent jusqu’à Captieux puis Maillas dans les Landes près de Mont de Marsan ou ils arrivent le 21 juin 1940.
Ce jour la, les Allemands s’emparent de Thouars (lire article juin 1940 à Thouars)
Le 9 juillet 1940, mon grand-père Georges, dépose à la mairie de Maillas, son fusil de chasse et ses cartouches. La famille Chabosseau, les familles des associés et des réfugiés belges s’entassent dans les véhicules pour remonter à Thouars.

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Traduction du document ci-dessous

Laisser-passer
Les cinq voitures n°8341 R M 1 11 C Citroën
1955 XL 2 326 Liberty
46 XL 3 126 Citroën
534 XL 2 116 Renault
8314 XL 1 236 Unic Diesel
sont occupées par des réfugiés de nationalité belge, soit 48 personnes au total.
Ils veulent repartir et retourner dans leur pays en passant par Thouars.
Les postes de commandement et les autorités allemandes sont invités à aider les réfugiés, à faciliter leur déplacement dans la mesure du possible et surtout à les ravitailler en essence.
Captieux le 9 juillet 1940
Le transport nécessite pour 4 voitures environ 98 litres d’essence pour parcourir 100 km (Captieux est à 80 km au sud de Bordeaux) ils sont ravitaillés pour parcourir environ 200 km. Pour la cinquième voiture, le plein de gazoil devrait suffire.

Le camion Unic 8314 XL 1 qui a été utilisé pendant l’exode et mon grand-père Georges, photo prise dans les années 50

De retour à Thouars en juillet 1940, Georges, ses associés et leurs véhicules sont réquisitionnés par les allemands pour assurer les transports publics.
Ils assuraient les transports de personnes vers Bressuire, Parthenay et Saumur.

1943 : Décès de Georgette Pichot, la demi-sœur de Georges à l’âge de 24 ans

Le 28 novembre 1942, la demi-sœur de Georges, Georgette Pichot se marie avec Henri Bonneau. Leur bonheur est de très courte durée car Georgette meurt le 6 mars 1943 à 24 ans.
C’est la guerre, la vie n’est pas facile, Georges a 40 ans, il a perdu tous les siens, son père, sa sœur Emilienne, sa mère et maintenant sa demi-sœur.

1948 : Georges perçoit un héritage qui met fin à son conflit avec son beau-père

Le 13 février 1948 se retrouvent à l’étude de Me Charpentier notaire à Thouars : (Conservation des Hypothèques de Bressuire, Volume 1779, n°6, transcription du 18 mars 1948)
Désiré Victor Pichot le beau-père de Georges Chabosseau,
Les quatre enfants survivants que Désiré Pichot a eu avec sa première épouse Ernestine Gabriel :
Lucien André Pichot et sa femme Angélique Gourgand
Léopold Raymond Pichot et son épouse Antoinette Proust
Léa Lucie Pichot et son mari Louis Ennon
Lucienne Victoria Pichot et son mari Maurice Bulteau
Et mon grand-père Georges Chabosseau.

Désiré Pichot et sa première épouse Ernestine Gabriel ont eu deux autres enfants :
Moïse Léon Pichot mort au combat à 20 ans, le 16 juin 1915 dans le Pas de Calais et
René Hubert Pichot mort le 18 janvier 1942.

Les présents à l’étude de Me Charpentier sont réunis pour régler trois successions imbriquées ; celles de Marie Louise Bichon (épouse de François Constant Chabosseau puis de Désiré Victor Pichot), celle de René Hubert Pichot (fils du 1er mariage de Désiré Pichot) et celle de Georgette Pichot (fille du 2ème mariage de Désiré Pichot et de Marie Louise Bichon).
Un accord fini par être trouvé entre les parties. Mon grand-père Georges se voit attribué, en héritage, un montant de 80 000 Francs.
La famille Pichot lui propose de lui verser cette somme en lui cédant un pré arboré d’une surface d’1 hectare, 89 ares et 16 centiares situé au Pré de la Saulaie à Louzy, cadastré section C n°490p. Ce terrain est estimé à la valeur de 90 000 Francs ; charge è Georges de verser 10 000 Francs à la famille Pichot à titre de soulte. Ce qu’il fait aussitôt en réglant la somme au comptant devant le notaire.

1950 – 1975 : La Société de transports Chabosseau

Au début des années 50, mon grand-père Georges, se sépare de ses associés et crée sa propre société de transport. Mon père Marc le rejoindra quelques années plus tard.

Enveloppe utilisée par la société de transport Chabosseau dans les années 60

La société a eu une activité artisanale de transport de fourrages, de céréales, de résidus d’huile de palme qui étaient incorporés aux aliments destinés au bétail, d’engrais, de bois pour la menuiserie, de plâtre pour la construction.
Les premiers camions utilisés étaient des camions réformés par l’armée américaine à la fin de la deuxième guerre mondiale, les CD2, puis vinrent les Unic (photos ci-dessus) en camion simple ou semi-remorque (modèle Lautaret) et enfin un semi-remorque Mercédès.
La société a cessé son activité en 1978.

1986 – 1987 Décès d’Albertine et de Georges

Ma grand-mère Albertine décède le 10 avril 1986 et Georges, peu de temps après, le 10 février 1987.

Juin 1940 à Thouars

18 JUIN 1940 : la Gare de Thouars est bombardée

Soldats polonais passant la revue à Airvault avant le 18 juin 1940.

C’en est fini de « la drôle de guerre » ! Depuis l’ouverture des hostilités en septembre 1939, rien ne se passait. Mais depuis le 10 mai 1940, les hommes du Reich sont entrés en France et les troupes françaises ne peuvent contenir l’avancée ennemie. Le président Lebrun nomme le maréchal Pétain président du Conseil. Bientôt, celui-ci quittera Paris, entrainant le gouvernement à Tours, à Bordeaux puis à Vichy.
C’est la débâcle ! Les populations fuient les combats et se refugient notamment dans l’ouest de la France jusqu’alors épargné.
Les armées françaises, désorganisées, subissent ordres et contre-ordres. En Thouarsais, on sait que le territoire est une cible avec le nœud ferroviaire que représente la gare et la réserve de munitions installée près de Puyravault.
A Airvault, au camp d’entrainement installé à Véluché, on prépare aussi l’évacuation. Pendant plusieurs mois, plusieurs milliers de soldats polonais de la 4ème division d’infanterie, réfugiés en France après l’invasion de leur pays par les nazis, ont vécu dans ce camp, dans la perspective de s’allier à l’armée française. Face à l’avancée allemande, ces soldats polonais décident de rejoindre l’Angleterre pour continuer le combat. Pour rejoindre Londres, ils doivent rejoindre le port de La Rochelle en train, transitant par Thouars.
18 juin 1940, il est 6h, c’est une belle journée estivale qui s’annonce. A la gare, l’activité est intense mais aussi dans tout le quartier où s’élèvent diverses usines. C’est l’heure de l’embauche.
Tout à coup, sans aucune alerte préalable, un avion allemand survole la ville et lâche cinq bombes en quelques minutes. Passé l’effroi, c’est la panique.
De nombreuses victimes sont à déplorer au sein même de la gare mais aussi alentour. Des civils et des cheminots bien sûr mais aussi vingt-six soldats polonais pris au piège dans leur train qui stationnait à quai. Au total, on dénombre 53 tués et des dizaines de blessés.
Ce bombardement meurtrier fait entrer le Thouarsais de plain-pied dans la guerre.

19 JUIN 1940 : on évacue le camp de munitions de Puyravault

 visuel ©amicale des pyrotechniciens

Face à l’avancée allemande, l’armée française est en pleine désorganisation. Les hommes du Reich sont annoncés à quelques kilomètres de Saumur. On décide de faire sauter les ponts de la Loire.
A Thouars, on se remet péniblement du bombardement de la gare, la veille, qui a fait 53 morts et plusieurs dizaines de blessés. Ces derniers ont été rapatriés à l’hôpital où on les soigne comme on peut.
A la gare, les voies ont été dégagées pour permettre de faire repartir les trains militaires qui étaient stationnés et qui n’ont pas été atteints. Alors que la population s’attend au pire, aménage les abris et protège les objets de valeur, on exfiltre de la ville 115 enfants réfugiés de la région parisienne pour les mettre à l’abri à Bouillé-Loretz.
A l’ERG, l’entrepôt de munitions, sans ordre de la haute hiérarchie, le chef d’escadron Bochot décide l’évacuation du site. Après avoir fourni les troupes encore présentes sur le territoire en munitions et en essence, et avoir fait partir un maximum de train chargés de munitions, Bochot organise le départ des militaires de l’ERG et de leur famille. Avec un sentiment d’abandon et de désappointement, la population thouarsaise voit partir en trains et voitures plus de 1500 hommes et leurs proches en direction d’Angoulême. Seuls quelques dizaines d’entre eux restent sur place pour assurer l’intendance et les derniers ravitaillements. Plus rien ne pourra empêcher l’arrivée des troupes allemandes.

20 JUIN 1940 : Les prémices de la bataille de Thouars

Fuyant vers le sud face à des troupes allemandes dévorant tout sur leur passage, l’armée française a détruit la plupart des ponts enjambant la Loire, entre Gien et Nantes. Mais rien n’y fait, à l’aide de canots et de barges, les soldats allemands traversent le fleuve. Aguerris, les hommes du génie ont tôt fait de réaménager des ouvrages de fortune sur les ruines des ponts détruits par les français pour faire passer leurs troupes et matériels. Mais à Saumur, contre toute attente, une résistance militaire s’organise. Face aux 12 000 hommes de la 1ère cavalerie de Prusse Orientale, 2200 soldats français gardent les armes, dont 790 élèves de l’école de Saumur, les fameux Cadets qui vont se battre héroïquement, pour l’honneur, retardant ainsi de quelques heures l’avancée allemande.
En fin de matinée, néanmoins, les premières troupes allemandes sont signalées entre Doué la Fontaine et Thouars, à Bouillé Loretz.
Ce même jour, à Borcq, près d’Airvault, où a été installé un camp de munitions provisoire, annexe de celui d’Angoulême, ordre est donné de détruire les stocks. Vers 14h, une incroyable explosion retentit, faisant vibrer les murs sur plusieurs kilomètres, affolant les populations qui n’avaient pas été prévenues.
Dans les fermes isolées des campagnes, on craint l’arrivée des « barbares » qui, dit-on, violent les femmes et coupent les mains des enfants. Parfois, on préfère fuir. Dans les villages, on se regroupe à plusieurs familles dans une même habitation. A Thouars aussi, chacun se terre, emportant les quelques objets de valeur dans des abris de fortune.
Dans la chaleur étouffante de ce début d’été, chacun sait que le pire est à venir…

21 juin 1940 : les Allemands s’emparent de Thouars

La Bataille de Thouars, souvent appelée « troisième bataille de Thouars » en référence à celles de 1793 et 1815, naît de l’ordre donné le 21 juin 1940 d’occuper la ville et de la défendre. Les rares troupes françaises encore présentes dans le secteur sont invités à rejoindre Thouars d’urgence, pour contrer l’avancée allemande. Des unités sont placées au nord de la ville sur la route en direction de Montreuil-Bellay mais aussi au sud sur le pont de Saint Jean et les côteaux du Thouet. Les derniers hommes restant au camp de munitions sabordent les amorçages afin qu’ils ne tombent pas aux mains des allemands.
En début d’après-midi, ceux-ci arrivent depuis Loudun et Saumur.
Aux premiers rangs se trouvent les motocyclistes suivis par les unités anti-char et les automitrailleuses. A distance se trouvent les troupes montées. Les premiers coups de feu éclatent et ne cesseront plus de toute la journée. Les allemands sont surpris par cette résistance inattendue et des victimes sont à déplorer des deux côtés. La tension monte au fil des heures. Au nord comme au sud de la ville, les combats font rage. Alors que des poches de résistance se forment, le gros des troupes allemandes s’emparent de la ville, déployant leur matériel.
Dans la rue du Château, des canons sont installés pour répondre aux offensives des soldats français depuis les hauteurs de Saint Jean et de Saint Jacques. On se bat toute la journée et en fin d’après-midi, un formidable orage éclate, point d’orgue de cette funeste journée.
Malgré un courage exemplaire, les soldats français doivent céder la place. Thouars entre dans la période d’occupation. A une civile venue se plaindre de destructions à la Kommandantur, un officier allemand rétorque : « En entrant dans une ville, nos troupes ont droit à 24 heures de pillage … »

22 JUIN 1940 : un premier geste de refus face à l’occupant

Alors que les derniers échanges de tirs se font entendre autour de Thouars, les allemands prennent possession de la ville, avec la rigueur et l’organisation qui les caractérisent. Les panneaux indicateurs sont germanisés, la croix gammée flotte sur la place Lavault et la Kommandantur est installée à l’Hôtel de Ville dans un premier temps.
Afin de faciliter leurs communications, les soldats déroulent à même le sol les câbles téléphoniques sur plusieurs dizaines de mètres. Dans un geste d’inconscience et d’héroïsme, le cheminot Alexis Lecleinche coupe les fils, sabordant ainsi les outils de communication allemands, comme un prélude aux actes de résistance qui se développeront en Thouarsais au fil de la guerre.
Las, Lecleinche est dénoncé et arrêté. Déporté en Allemagne, il mourra au camp de Diez en 1943.
Parallèlement, les derniers soldats français tentent toujours de retarder l’armée allemande afin de permettre à quelques 2400 militaires français d’évacuer par la gare de Parthenay. C’est la fameuse bataille de la Butte, durant laquelle les avions allemands vont larguer plusieurs bombes. Des civils et des militaires perdront la vie, dont un un soldat inconnu, enterré sur place.
En périphérie de Thouars, et en direction du sud, tous les villages voient passer les soldats allemands dont certains n’hésitent pas à violenter les habitants et piller les maisons. Coulonges Thouarsais, Geay, Sainte Gemme, Luché Thouarsais…. Là aussi, les combats sont violents. L’un des derniers chars français, le « Saint Georges » est anéanti par les allemands, son équipage tué, brûlé vif. Comme un trophée, les allemands ramènent le char à Thouars, place Lavault, où il restera exposé plusieurs semaines.

23 JUIN 1940 : les documents d’armistice transitent par Thouars

Alors que Bressuire est envahie à son tour, que les allemands se déploient sur le Thouarsais, que les dernières troupes françaises, dont les coloniales, embarquent dans les rares trains depuis la gare de Parthenay en direction du sud, l’Armistice a été signé en forêt de Compiègne le 22 juin, suite au discours du maréchal Pétain, quelques jours plus tôt, annonçant qu’il fallait cesser le combat.
Toutefois, cet armistice ne sera effectif que deux jours plus tard, après la signature de l’Italie, alliée du Reich. Le texte comprend vingt-quatre clauses et doit être remis au gouvernement réfugié à Bordeaux. Des gradés allemands quittent le wagon de Rethondes, le précieux document dans leur sacoche, et prennent la route vers l’ouest.
Le château de Ternay, a une dizaine de kilomètres de Thouars, a été réquisitionné pour accueillir le général Tippelkirch, membre du haut commandement et proche d’Hitler. Venant de Rethondes où il a assisté à la signature, il arrive au château le 22 juin, tard, dans la soirée, où il dîne et passe la nuit. Tippelkirch est chargé de donner les documents aux plénipotentiaires français qui les remettront à leur tour au gouvernement français.
La rencontre a lieu le lendemain, dimanche 23 juin, dans la matinée. Protégés par les hommes de la 1ère Division de cavalerie allemande, les plénipotentiaires se retrouvent à la Maucarrière entre Thouars et Parthenay. Les représentants français, drapeau blanc accroché à leur véhicule, ne restent que quelques minutes avant de filer vers la Gironde où les attend le maréchal Pétain et son gouvernement.
Ce dernier chapitre marque la fin de la Bataille de Thouars. Dès lors, les combats vont cesser, les coups de feu seront sporadiques. Le Thouarsais entre dans la sombre période humiliante de l’Occupation. Mais bientôt des hommes et des femmes se lèveront pour sauver la France.

Georges et Albertine fondent une famille

Septembre 1923 – Georges vient de finir son service militaire

A son retour de son temps de service militaire, qu’il a effectué au Maroc, Georges est revenu à Louzy en septembre 1923. Il est encore militaire mais bénéficie d’une permission, avant d’être démobilisé en novembre 1923.
A Louzy, il retrouve sa mère Marie-Louise, son beau-père Désiré Pichot et sa demi-sœur Georgette qui va bientôt avoir 5 ans.
Il ne se sent pas chez lui. Il ne s’entendait pas avec son beau-père avant de partir au service militaire mais c’est encore pire à son retour.
D’autres horizons se sont ouverts pour Georges, la confrontation d’idées et de projets avec ses camarades soldats, la découverte de ses propres capacités : lire, écrire, conduire, découvrir… Georges croit au progrès technique. Il a confiance en lui, il a déjà en tête de créer sa propre entreprise de transport.
Pour son beau-père, la réussite consiste à posséder. Posséder des terres surtout. Ne pas dépenser, rogner sur tout pour s’enrichir. La cohabitation est de plus en plus difficile.

En 1925, Georges rencontre sa future femme

Albertine Alphonsine Augustine Cochard est née le 15 mars 1902 à Voultegon. Ses parents Jean Baptiste Cochard et Augustine Charrier ont quitté la campagne pour venir s’installer à Thouars vers 1920. La légende familiale raconte qu’il y tenait un café. Mes recherches tendraient à situer celui-ci rue Saugé, en face de la boulangerie Rifflet devant laquelle est photographiée Albertine (voir les articles « Albertine sur la photo ») et non Porte au Prévost, comme cela a été évoqué quelquefois.
Comment et où Georges et Albertine se sont-ils rencontrés ?
Si comme la légende familiale le raconte, la famille Cochard tenait un café, il est plausible de penser que c’est dans cet établissement que la rencontre eu lieu.

Georges et Albertine se marient le 23 novembre 1926 à Thouars

Georges et Albertine s’installent au 158 rue Louis Blanc à Thouars



Georges et Albertine cherchent une maison à louer pour s’installer en attendant de pouvoir acheter une maison.

Il loue la maison construite par Alphonse Puchault, début 1927. (voir l’article « La maison de mes grands-parents »).

Ils achèteront cette maison « à la bougie » par l’intermédiaire d’Augustin Monory, l’oncle de Georges en 1929.

Cette maison changera d’adresse. La rue Louis Blanc sera pour partie rebaptisée en 1960. La maison située au 158 rue Louis Blanc jusqu’en 1960 devient, ensuite, le 7 rue Frédéric Chopin.

Georges et Albertine vont passer toute leur vie dans cette maison.

Georges crée une entreprise de transport

A la fin des années 1920, début 1930, Georges et ses 3 associés : Maurice Bréchelier, Marcel Cousin et Adrien Martineau ont créé une entreprise de transport.
Ils transportaient des matériaux de construction, du ciment, du plâtre et du bois pour l’habitat, des cailloux pour les routes et les chemins, et aussi, des céréales, de la paille et du foin pour l’agriculture.

Les 2 enfants de Georges et Albertine

Mon père Marc naitra dans la maison, rue Louis Blanc, en août 1927, ma tante Odette également, en mars 1931.

Odette et Marc devant l’ancien château d’eau place du Boël

Albertine sur la photo – 2ème chapitre  

Dans le 1er chapitre nous avons pu déterminer qu’Albertine avait été photographiée en 1920-1922 devant la devanture de la boulangerie Rifflet rue Saugé à Thouars.

La famille Cochard tenait-elle comme la légende familiale le suggère un commerce rue Saugé et non Porte au Prévost comme évoqué ? un café ?

La rue Saugé en 1910

Sur cette carte postale datée de 1910, deux commerces apparaissent : le café-restaurant Normand et la boutique E.DIACRE.

Sur l’acte de naissance d’Alexandre Louis Rifflet, les deux témoins sont des voisins du boulanger Rifflet :
Anselme Grandin, 59 ans exerçant la profession de sellier et
Eugène Normand, 46 ans, exerçant celle de cafetier ; le patron du café-restaurant Normand de la carte postale.

Emile Diacre tenait quant à lui, un commerce en vins et spiritueux. C’est dans son arrière-boutique qu’est conçu en 1926, un nouvel apéritif purement thouarsais, le Duhomard. Il s’agit d’un quinquina au nom évocateur d’une blague faite à Emile Diacre en 1922 à Massais.

Lors de la naissance des jumeaux Louis et Joseph Rifflet en mars 1910 ce sont d’autres voisins qui sont témoins :
Gustave Moreau, 41 ans, tailleur et
Léon Paindessous, 45ans propriétaire
Ainsi que, lors du décès de Louis, a deux mois, en mai 1910 :
Charles Gabot, 25 ans, sellier et
Georges Guilbault, 22 ans, charcutier (un prédécesseur de la famille Fuzeau)

La rue Saugé en 1920

Sur cette autre carte postale datée de 1920, nous voyons les mêmes commerces et un commerce de sellerie-bourrellerie en premier. Le commerce d’Emile Diacre semble être resté à l’identique mais le café-restaurant ne s’appelle plus le café Normand.

Origine du nom de la rue Saugé
La rue porte le nom de Saugé, en référence à Guillaume Saugé, un huissier venu de Niort en 1820. En 1822, Saugé prend part à l’insurrection organisée et portée par le Général Berton. Les conspirateurs de cette fameuse « affaire Berton » sont jugés à Poitiers. La sentence de la cour d’appel de Poitiers les condamne à la peine de mort. Berton est exécuté à Poitiers mais Saugé et un autre conspirateur nommé Jaglin sont guillotinés place Saint-Médard le 7 octobre. Avant de mourir, Saugé poussera ce cri : Vive la République !

Revenons au portrait de ma grand-mère Albertine sur la photo

Elle est vêtue d’une jupe longue, d’un corsage à rayures, recouverts d’un grand tablier. Elle porte des espadrilles aux pieds et une peau d’animal sur les épaules.
Une tenue bien peu adaptée à un rôle de vendeuse au sein de la boulangerie.
Nous ne pouvons émettre que des hypothèses :
Elle faisait le ménage au sein de la boulangerie…
Elle était venue rendre une visite impromptue à ses amies vendeuses dans la boulangerie…
Elle participait aux travaux du café (l’ancien café Normand) tenu par ses parents en face de la boulangerie et se trouvait là lors de la prise de vue…
En l’état de mes investigations… je n’en sais rien…

Qu’est devenue la boulangerie ?

Au recensement de 1936 rue Saugé

Ce n’est plus la famille Rifflet qui tient la boulangerie mais la famille Taudière. Georges Guilbault tient toujours la charcuterie voisine.

Sur cette capture d’écran de janvier 2021 le commerce du 10 Rue Saugé àThouars existe toujours. Le dernier boulanger s’appelait B. Meunier. La boulangerie a fermé il y a 15-20 ans.
L’immeuble où se situait l’ancienne charcuterie Fuzeau a été déconstruit.

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